Je ne sais pas si cela mérite de se trouver dans "Histoire et théorie" mais cet article peut au moins avoir l'avantage de faire rire. Il n'empêche qu'il est significatif de l'ambiance chez les petits bourgeois au soir du 21 avril 2002. Si vous trouvez d'autres articles du même genre, vous pouvez les inclure dans ce fil. Après lecture, vous n'êtes pas obligés de vous lever et de chanter la Marseillaise. :hinhin:
CITATION
Journal l'Humanité
Rubrique Tribune libre
Article paru dans l'édition du 24 avril 2002.
Pêle-mêle La chronique de Régine Deforges LA CLAQUE
" Mais quels sont ces cris, péremptoires et contradictoires, qui s'élèvent bruyamment au-dessus de la Nation ? Hélas ! Rien autre chose que les clameurs des partisans ". Charles De Gaulle.
On ne l'avait pas vu venir. Fallait-il que nous ayons été mauvais pour recevoir une telle claque ! Dimanche, j'allais, détendue, glisser mon bulletin de vote dans l'urne, comme j'allais, un peu plus tard, rejoindre mes camarades du comité de soutien à Lionel Jospin. C'était une belle soirée de printemps, les policiers se montraient aimables, la foule massée devant l'entrée de l'atelier de campagne du candidat socialiste était nombreuse, bon enfant, les visages souriaient. On me remit un badge " Soirée électorale, 21 avril 2002 ". Je montai l'escalier de pierre, saluant à gauche, embrassant à droite. Dans la grande salle, sur un écran géant, les présentateurs des chaînes de télévision faisaient patienter les téléspectateurs. Autour de moi, ils étaient tous là : Noëlle, Ulli, Monique, Irène, Pierre, Bertrand... Confiants. Pas pour longtemps. Des dizaines de personnes restaient accrochées à leur téléphone portable : " Non, tu te trompes ! Ce n'est pas possible ! " Les visages s'allongeaient, des regards se troublaient : " Que se passe-t-il ?... Le Pen, quoi, Le Pen ? " " Il aurait 15 % des voix au premier tour ! " " Et alors, c'est un peu plus que prévu mais on s'y attendait... " Pas à ce point : Lionel ne serait qu'à 13 ! " " Qu'est-ce que tu racontes ? Tu es complètement malade ! " Le joyeux brouhaha du début de soirée cédait la place à des chuchotements attristés. Chacun communiquait ses chiffres. On doutait...Ce ne fut plus long : à vingt heures, la voix sucrée de Claire Chazal annonçait que, " selon les dernières estimations, Jean-Marie Le Pen l'emporterait au premier tour ". Un silence consterné s'abattit sur la foule, bientôt suivi de " Hou ! Hou ! F comme fasciste, N comme nazi ! · bas ! · bas le Front national ! "
Léa, ma fille, me saisit la main : " Maman, ce n'est pas possible ! " Autour de nous, les portables sonnaient. " Tu as entendu ? " " Faut pas s'affoler, on n'a pas tous les résultats... " Pierre m'appelait du Nouvel Observateur : " Au second tour, c'est Le Pen-Chirac ! " Monique Nemer, les yeux dans le vague, brillants, prenait l'air d'un zombie. Ulli mâchouillait le tuyau de se pipe éteinte. Irène Frain tortillait ses cheveux noirs entre ses doigts, le regard égaré. Des larmes coulaient sur le visage de Noëlle Châtelet : " Dites-moi que ce n'est pas vrai... " Les uns après les autres, les responsables politiques passaient d'une chaîne sur l'autre. François Hollande, Dominique Strauss-Kahn, Martine Aubry, Laurent Fabius ou Ségolène Royal, dignes, le visage grave, s'exprimaient. Du côté des chiraquiens, on sentait la même stupeur ; il n'y avait aucun triomphalisme. Ce soir-là, la démocratie avait perdu et tous, de gauche comme de droite, en avaient conscience. Le plus dur, ce fut quand le gagnant de cette douloureuse soirée parla, quand Jean-Marie Le Pen parut, rayonnant, sur les écrans, tenant des propos doucereux, faisant la chattemite, jouant au loup qui s'apprête à dévorer le Petit Chaperon rouge. Un frisson de peur, de dégoût, parcourut l'assemblée : la Bête immonde était bien là, toujours vivante, prête à resurgir au moindre laisser-aller. Ah ! ils avaient bonne mine, les Jean-Pierre Chevènement, les Noël Mamère, les Arlette Laguiller. Par fausse idéologie, par démagogie, par ignorance, par haine de l'autre, ils avaient fait le lit de la Bête, abandonnant la France aux mains des racistes, des xénophobes, des antisémites. Mohamed et Mamadou n'avaient qu'à bien se tenir ! Sinon, hop, dehors ! " Mais je suis Français, Monsieur ! " " Français, toi ? Avec ta tignasse frisée ? Avec ta peau noire ? Tu plaisantes ! " Nous le regardions sans le voir, l'écoutions sans l'entendre, au bord de la nausée. Comment avions-nous pu en arriver là ? J'appelai mon père, vieux socialiste de quatre-vingt-dix ans ; je devinai son chagrin : " Mon petit, c'est une catastrophe ! " Dans le bruit ambiant, j'entendais mal sa voix, j'entendis seulement les larmes qu'elle contenait...
Enfin, Lionel Jospin fendit la foule et monta sur l'estrade, longs applaudissements. Le visage était pâle, comme derrière un voile. Quand il annonça son intention de se retirer de la vie politique après le second tour, les cris fusèrent. Auprès de moi, Noëlle s'effondra, pleurant. Le discours fut bref, sec, tendu. Quand il en descendit sous les cris et les bravos. je dis à Noëlle, " c'est le moment de chanter la Marseillaise ". " Allons enfants de la Patrie... " Des voix se joignirent aux nôtres... " Contre nous de la tyrannie... " Puis d'autres..." Aux armes ! Citoyens, formez vos bataillons ! Marchons !... " Oui, marchons ! Nous avons du travail devant nous.
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"Ah ! ils avaient bonne mine, les Jean-Pierre Chevènement, les Noël Mamère, les Arlette Laguiller. "
Question de la semaine : pourquoi l'écrivain d'érotisme de pacotille et de romans à l'eau de rose oublie-t-elle Hue ?