La gauche et les cités

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Louis » 28 Sep 2003, 21:21

CITATION (rouge @ )Cela fait vingt ans que les partis de la gauche gouvernementale ont déserté les quartiers populaires, laissant le champ libre à l'extrême droite et aux communautarismes.

Les partis de la gauche gouvernementale ont, depuis vingt ans, systématiquement raté tous leurs rendez-vous avec les espoirs naguère placés en eux par les habitants des quartiers populaires. à tous points de vue. Le premier et le plus évident est l'attente bafouée d'une politique favorable aux couches populaires. Loin de répondre à leurs espoirs - de moins en moins vivaces, il est vrai, au fur et à mesure que les gouvernements de gauche se succédaient et que la réalité de leurs intentions se révélait - la gauche a, au contraire, entériné, accompagné ou imposé elle-même les mesures de régression sociale voulues par le patronat.

Dévastation sociale

Piégée dans des cités dégradées, une fraction de la classe ouvrière paye durement le prix des décisions des gouvernements successifs, de droite ou de gauche, souffrant tout à la fois du chômage incrusté, de la précarité institutionnalisée, des salaires amputés, du démantèlement méticuleux de la législation du travail et de la décadence des services publics. Sans parler du droit de vote pour les étrangers toujours promis et toujours remis, des mesures iniques qui ont fait du séjour des étrangers un parcours du combattant ou des lois d'exception donnant les pleins pouvoirs ou presque à la police dans les cités. La dévastation sociale a concentré et exacerbé dans des quartiers relégués l'ensemble des maux qui frappent les salariés.
Pire encore, peut-être, aux résultats de cette politique s'est ajoutée la destruction de l'espoir d'une vie meilleure obtenue par l'action collective, syndicale ou politique. En ruinant la confiance dans la possibilité de "changer la vie" par l'engagement politique, la gauche a désespéré son électorat populaire, encouragé l'abstention, nourri l'extrême droite et, au bout du compte, hypothéqué dangereusement l'avenir.
Mais, ce qui est vrai des effets des mesures gouvernementales, l'est tout autant de celles, moins connues, prises par les municipalités, prolongeant celles des gouvernements sur le terrain.
Fondé sur un travail de presque dix ans dans la cité du Luth à Gennevilliers, un livre récent du sociologue Olivier Masclet, La Gauche et les cités, enquête sur un rendez-vous manqué (1), décrit l'impasse dans laquelle la politique des municipalités de l'ex-"ceinture rouge" parisienne (principalement PCF) a conduit les habitants.
Il montre par quels mécanismes les politiques croisées - et parfois contradictoires - des acteurs du logement (organismes gestionnaires des logements sociaux, offices HLM, gestionnaires du 1 % patronal, préfectures, municipalités, etc.) - ont abouti à la concentration dans certaines tours et barres des couches les plus pauvres, immigrées ou d'origine immigrées dans une forte proportion (50 % au Luth). À la dégradation de ces quartiers ont répondu la fuite des familles qui en avaient les moyens... Et la rage impuissante de celles condamnées à demeurer en leur sein ou à leur périphérie, nourrissant le vote Front national (FN) (voir les interviews retranscrit dans cet ouvrage, d'habitants du Luth, ouvriers ou petits agents de maîtrise de chez Renault ou Chausson).
Olivier Masclet montre les tentatives de lycéens ou d'étudiants habitant la cité pour freiner la dérive des plus jeunes menacés par la violence, le business et le deal. Une petite cohorte de militants associatifs et d'animateurs sociaux s'est ainsi constituée, se mobilisant pour proposer à leurs cadets des activités en soirée ou pendant les vacances, prendre en charge l'aide aux devoirs, discuter, empêcher qu'ils demeurent oisifs et dérapent. Un club d'adolescents a fonctionné plusieurs années malgré les obstacles administratifs, l'attraction de la rue sur les jeunes, les pressions des dealers ou leurs tentatives d'investir le club, les difficultés personnelles ou familiales des animateurs, eux-mêmes immergés dans la cité et en vivant les dérives, directement ou dans leurs familles.
Même si la municipalité PCF fournissait locaux et subventions, les militants de la cité ont fini par avoir le sentiment d'être utilisés et de s'épuiser sans que leurs efforts soient reconnus, ni de la mairie ni des partis de gauche. On leur lâchait le strict nécessaire pour que la cité reste calme. Mais pas question que les habitants du quartier soient associés à la politique de la ville, même dans ses aspects concernant directement la cité.

Indifférence et hostilité

Après plusieurs années, submergés par la difficulté d'un labeur sans perspective, certains se sont découragés. D'autres en sont venus à la conclusion que, face à l'immensité de la tâche, la solution ne pouvait être que politique. Mais l'expérience de plusieurs années montrait l'impossibilité de se faire entendre du PC et de ses alliés. Quelques-uns ont répondu aux avances de Pasqua, "homme fort" du RPR dans les Hauts-de-Seine. D'autres se sont laissés séduire par Tapie, alors repreneur du MRG en faillite. Même si, à Gennevilliers, ces tentatives n'ont finalement pas abouti, elles n'en sont pas moins révélatrices d'une tentation parmi certains jeunes issus de l'immigration : la gauche leur refusant la représentation politique à laquelle ils ont droit, certains sont se tournés vers la droite qui, démagogiquement, leur accorde quelques sièges aux élections (ou, à un autre niveau, nomme deux ministres d'origine maghrébine). Comme la gauche des ministères, celle des conseils municipaux a, à sa façon, bel et bien manqué son rendez-vous avec les cités. Non parce que tous leurs habitants se seraient détournés de la politique. La vitalité des associations témoigne des volontés militantes. Mais, livrées à elles-mêmes, elles s'épuisent dans un travail social sans fin. Et se heurtent au mur de l'indifférence ou de l'hostilité dès lors qu'elles s'essaient à trouver un débouché politique. Le risque est réel, si elles continuent d'être laissées en déshérence, que certains de ces militants des cités se tournent vers les partis de droite. Mais le risque est encore plus réel et plus grave, que rejetés par toutes les forces politiques, certains de ces jeunes militants se tournent vers des options communautaristes, religieuses ou pas, intégristes ou non.
Pourtant, peut-être davantage encore que par la non-reconnaissance de partis dont ils n'ont rien à attendre pour le milieu qu'ils représentent, ces jeunes militants sont handicapés par le manque d'une vision claire de la société, des forces à l'oeuvre, des ressorts cachés des mesures qui les frappent. Bref, d'un capital d'idées cohérentes qui, les aidant à s'orienter, donneraient à leur volonté d'action une efficacité réelle... Des idées qu'ils devraient trouver tout naturellement dans le mouvement révolutionnaire ; compte tenu de la situation sociale qui est la leur, du racisme qui les opprime souvent, des espoirs aussi qu'ils placent dans l'action politique. Reste à faire en sorte que ce rendez-vous-là ne soit pas manqué.[/quote]
Louis
 
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