L'Institut Franco-Chinois de Lyon

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Matrok » 07 Juin 2011, 18:20

Un ami chinois m'a récemment fait découvrir une histoire peu connue. Heureusement, la Bibliothèque Municipale de Lyon a réalisé un site internet très riche sur le sujet. Je me suis dit que ça pourrait bien intéresser certains curieux d'Histoire qui passeraient par ici, et que peut-être certains pourraient apporter quelques lumières de plus... :roll:

Il s'agit d'une histoire assez complexe, qui commence au début du 20ème siècle, et qui est liée à beaucoup d'évènements et de transformations de l'Histoire humaine bien plus importants : la révolution démocratique chinoise de 1911, les débuts du parti communiste chinois (à partir de 1921), et plus généralement l'immigration chinoise en France, qu'elle soit de travail ou pour des études. Je vais tenter de la résumer à partir de quelques points clé :

Au départ de cette histoire, il y a le mouvement travail-études, né du projet d'un personnage remarquable, Li Shizeng. Issu d'une famille de mandarins, membre de la Ligue Jurée de Sun Yatsen, influencé par les idées aussi bien nationalistes qu'anarchistes, il a fait des études d'agronomie en France et a fondé en 1908 la première usine de transformation du soja à La Garenne-Colombes, où il commence par employer des ouvriers chinois qu'il fait venir de son village natal, et auxquels il donne des cours de français, de chinois et de matières scientifiques. C'est le début de la construction d'un réseau de relations entre écoles préparatoires en Chine, écoles et lycées en France, et industriels français, qui va permettre jusqu'en 1920, dans un contexte de guerre aussi bien en France qu'en Chine, de faire venir plus de 1400 étudiants-ouvriers chinois en France. Bien entendu, vu le contexte de guerre mondiale et de révolution en Chine, ces jeunes étudiants-ouvriers sont souvent très politisés, et certains d'entre eux (Zhou Enlai, Deng Xiaoping...) deviendront les dirigeants du parti communiste chinois, fondé en 1921 dans la concession française de Shanghai...

La deuxième phase de cette histoire commence avec la fondation de L'Institut Franco-chinois. Toujours à l'initiative (entre autres) de Li Shizeng, il s'agit de la seule université chinoise jamais fondée sur le sol européen. Elle s'installe dans les murs d'un ancien site militaire désaffecté, le Fort Saint-Irénée à Lyon. Cependant, le projet est bien différent de celui qui avait initié le mouvement travail-études : plus question d'étudiants-ouvriers, il y aura ici des thésards de bonne famille pouvant payer leurs études, et assez peu de boursiers, d'ailleurs l'argent des bourses d'études arrivait de façon erratique vu la guerre civile permanente en Chine.

C'est ce changement de projet qui suscite la colère des étudiants-ouvriers en France, et donnera lieu en 1921 à ce qui fut l'une des premières (la première ?) démonstration de force du tout jeune parti communiste chinois : La Marche sur Lyon. Il s'agit d'une manifestation des étudiants-ouvriers chinois, venus de toute la France pour exiger leur intégration dans cette nouvelle université. Cela se terminera mal : après une tentative d'occupation du site du Fort Saint Irénée, ils sont délogés par la police et une partie d'entre eux seront expulsés de France. Parmi les expulsés, on note le nom de Chen Yi, qui s'illustrera plus tard notamment pendant la Longue Marche et la guerre contre les japonais, deviendra Maréchal de Chine, puis sera mis à l'écart lors de la Révolution Culturelle.

En tout cas, cette "Marche sur Lyon" marque la fin du mouvement travail-études des origines. Cela justifiera également l'interdiction de toute activité politique pour les étudiants chinois de l'institut (mais vu le contexte historique on imagine bien que c'était impossible à tenir), et empêchera l'intégration de tout étudiant chinois vivant déjà en France jusqu'en 1927. Cet Institut Franco-chinois de Lyon continuera cependant d'exister jusqu'en 1946 : il deviendra une université d'élite, mais ne survivra pas aux difficultés financières qui l'achèvent peu après la deuxième guerre mondiale, alors que la Chine va bientôt connaître une autre révolution dont certains de ses dirigeants avaient participé à la Marche sur Lyon.

Que reste-t-il de cette histoire aujourd'hui ? D'abord, le Fort Saint Irénée se trouve dans le quartier de St Just à Lyon. Il est toujours lié d'une certaine façon à l'éducation, puisque c'est aujourd'hui la résidence Alix du CROUS. On peut toujours lire sur le porche "Institut Franco-Chinois", gravé en français et en idéogrammes chinois. J'en ai mis une photo en ligne ici... On nous a dit qu'il y avait un musée dans le Vieux Fort, mais on ne l'a pas trouvé ! Pour les touristes, n'hésitez pas à franchir le porche pour découvrir, oh surprise, les énormes piles d'un aqueduc romain au fond de la cour. Mais le monument historique le plus important reste... le fond chinois de la bibliothèque municipale de Lyon ! Cette bibliothèque a en effet récupéré toutes les archives de l'Institut Franco-Chinois, non seulement les thèses et les travaux des étudiants chinois mais aussi notamment de nombreuses revues chinoises de cette époque, la plupart de ces documents, très importants pour les historiens, étant introuvables aujourd'hui en Chine continentale comme à Taïwan.
Matrok
 
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