Langue et marxisme

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par logan » 23 Fév 2012, 13:22

(oel a écrit :Sur le concept de sciences bourgeoise et science prolétarienne, il me semble que Staline s'est opposée à cela, mais peut-être fut-ce tardif, je ne sais pas trop. J'avais lu quelque part que Staline avait écrit que la langue et les sciences physiques ne faisaient pas partir de la superstructure. Après ca serait quand ? Et par rapport à la période de terreur lyssenkiste ? Quand est apparu cette dualité en URSS ?

Ce sujet mérite un fil à lui tout seul

Pour Staline, la langue ne serait ni un moyen de production ni une superstructure.
Elle serait juste un moyen de communiquer, un moyen pratique pour favoriser les échanges entre les hommes. Point barre. C'est l'opinion franche et claire exprimée dans « le Marxisme et les problèmes de linguistique » (Articles parus dans la Pravda en 1950). Quel bourgeois ne souscrirait pas à ce point de vue ? Or ce point de vue détruit le matérialisme de fond en comble.

La meilleure réponse à Staline est à mon sens celle de Bordiga, ou il montre que la langue est non seulement une infrastructure (un moyen de production) mais aussi une superstructure (une structure idéologique).

Voyons ce que nous dit Marx
a écrit :dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles.

L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience. » (Marx, contribution à la critique de l'economie politique).
Le langage est certes un moyen technique de communication (ce n'est pas le seul d'ailleurs).

« Les hommes entre dans des rapports déterminés, indépendants de leur volonté... » comment entreraient-ils dans ces rapports déterminés, dans ces rapports de production, sinon par le langage, entre autres ? En tant que moyen technique de communication surgi des rapports de production, la langue, ou plutôt la langage, fait donc lui-même partie des moyens de production.

Mais si le langage au sens générique est incontestablement un moyen de production, donc une « infrastructure », le langage devient une suprastructure dès qu'il s'incarne dans une langue particulière.

Exemples :
- Dante écrit sa divine comédie en italien vulgaire et pas en latin classique.
- La Réforme marque le passage du Saxon à l'Allemand moderne.
- La révolution bourgeoise français marque le passage des dialectes locaux au Français moderne (la guerre au patois de 1789 à 1799). Il fallait doter l'état moderne d'une langue nationale.

Ainsi, l'unification des langues particulières en une seule langue nationale est la réponse dans le domaine de la linguistique à la concentration économique et à l'unification politique nationale de l'état bourgeois.

(Staline dans son texte a écrit :
La langue est engendrée non pas par telle ou telle base, vieille ou nouvelle, au sein d'une société donnée, mais par toute la marche de l'histoire de la société et de l'histoire des bases au cours des siècles. Elle est l'oeuvre non pas d'une classe quelconque, mais de toute la société, de toutes les classes de la société, des efforts des générations et des générations.


Nous y voilà
La langue au-dessus des classes, produit de toutes les classes
Au contraire, nous avons vu que la revendication et l'établissement politique d'une langue nationale est le fruit du capitalisme développé. Staline défend une conception totalement bourgeoise de la langue, obligatoirement nationale, simple moyen de communication au-dessus de la société.

En fait que veut nous dire Staline ?
1) Les bases de la production ont été bouleversées en urss et marchent triomphalement vers le socialisme
2) Il ne s'ensuit aucunement que la langue (mais aussi la culture nationale et le culte de la patrie) doivent en refléter l'évolution. D'ailleurs c'est bien le cas puisque la langue russe n'a pas évolué et reste la langue nationale depuis 1917.

Pour un trotskyste, au contraire :
1) Les bases fondamentales de la production en urss ne sont pas socialistes et n'en prennent pas le chemin
2) La persistance entre le régime pré-1917 et stalinien d'une langue nationale, d'une culture nationale et du culte de la patrie, sont les reflets idéologiques des bases sociales du régime.
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Message par logan » 23 Fév 2012, 16:39

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Message par com_71 » 24 Fév 2012, 04:31

Bien discutable la thèse attribuée à Bordiga de la langue comme moyen de production. Je dis attribuée car il n'est pas dans ce registre quand il cite Marx
a écrit :«Les hommes commencent à se distinguer des animaux dès qu'ils commencent à produire leurs moyens d'existence»
et Engels
a écrit :«D'abord le travail, ensuite, combiné avec lui, le langage. Voilà les deux facteurs essentiels sous l'influence desquels le cerveau du singe est devenu aujourd'hui, peu à peu, le cerveau de l'homme»
et son texte est peut-être un peu victime de sa traduction.

Mais qu'importe, lire Bordiga est toujours un plaisir.
Dans ce texte, un petit joyau :
a écrit :Il en va de même pour la bêche et la charrue. La société capitaliste industrielle n'a pas les moyens d'éliminer la petite production agricole, le travail pénible qui courbe cette épine dorsale que le pithécantrope avait si orgueilleusement redressée. Mais une organisation communiste à base industrielle complète ne connaîtra plus que la charrue mécanisée. Et cette société aura bouleversé la langue des capitalistes : on n'entendra plus les formules banales avec lesquelles les staliniens font semblant de s'opposer à eux : morale, liberté, justice, légalité, populaire, progressiste, démocratique, constitutionnel, constructif, productif, humanitaire, etc., c'est-à-dire tous ces mots qui forment précisément l'ensemble instrumental grâce auquel la plus grande partie de la richesse finit dans les poches des hâbleurs, et qui remplissent la même fonction que des instruments matériels comme le sifflet du contremaître ou les menottes du geôlier.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par artza » 24 Fév 2012, 07:11

(com_71 @ vendredi 24 février 2012 à 04:31 a écrit :

Mais qu'importe, lire Bordiga est toujours un plaisir.
Dans ce texte, un petit joyau :
a écrit : on n'entendra plus les formules banales avec lesquelles les staliniens font semblant de s'opposer à eux : morale, liberté, justice, légalité, populaire, progressiste, démocratique, constitutionnel, constructif, productif, humanitaire, etc., c'est-à-dire tous ces mots qui forment précisément l'ensemble instrumental grâce auquel la plus grande partie de la richesse finit dans les poches des hâbleurs, et qui remplissent la même fonction que des instruments matériels comme le sifflet du contremaître ou les menottes du geôlier.

Belles et bonnes paroles en ces temps de cirque électoral :smile:

Voilà à quoi il faut penser quand Melenchon exalte la France belle et rebelle (chantée par un néo-rural stalinien).
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Message par logan » 25 Fév 2012, 12:51

(com_71 @ vendredi 24 février 2012 à 03:31 a écrit :Bien discutable la thèse attribuée à Bordiga de la langue comme moyen de production. Je dis attribuée car il n'est pas dans ce registre quand il cite Marx
a écrit :«Les hommes commencent à se distinguer des animaux dès qu'ils commencent à produire leurs moyens d'existence»
et Engels
a écrit :«D'abord le travail, ensuite, combiné avec lui, le langage. Voilà les deux facteurs essentiels sous l'influence desquels le cerveau du singe est devenu aujourd'hui, peu à peu, le cerveau de l'homme»
et son texte est peut-être un peu victime de sa traduction.

1) La thèse du langage comme moyen de production n'est pas attribuée à Bordiga, mais revendiquée par Bordiga lui-même.
voyons un peu :
(bordiga @ meme source a écrit :Il en va de même pour la langue. A toutes les époques, la langue est un moyen de production. Mais prise une par une, chaque langue fait partie des superstructures.

Difficile de parler de problème de traduction.

2) L'interprétation de Bordiga sur le langage me semble fidèle au marxisme.

(Engels, a écrit : La transformation du singe en  homme
D'autre part, le développement du travail a nécessairement contribué à resserrer les liens entre les membres de la société en multipliant les cas d'assistance mutuelle, de coopération commune, et en rendant plus claire chez chaque individu la conscience de l'utilité de cette coopération. Bref, les hommes en formation en arrivèrent au point où ils avaient réciproquement quelque chose à se dire. Le besoin se créa son organe, le larynx non développé du singe se transforma, lentement mais sûrement, grâce à la modulation pour s'adapter à une modulation sans cesse développée? et les organes de la bouche apprirent peu à peu à prononcer un son articulé après l'autre.

La comparaison avec les animaux démontre que cette explication de l'origine du langage, né du travail et l'accompagnant, est la seule exacte.


Engels, dans montre que le langage articulé humain apparaît comme produit nécessaire aux des rapports de production... et s'intègre lui-même instantanément comme outil concourant à la production. Donc on peut en conclure que le langage est lui-même un moyen de production.

Et plus loin

a écrit :C'est le jour où, après des millénaires de lutte, la main fut définitivement différenciée du pied et l'attitude verticale enfin assurée que l'homme se sépara du singe, et que furent établies les bases du développement du langage articulé et du prodigieux perfectionnement du cerveau, qui a depuis rendu l'écart entre l'homme et le singe infranchissable.

Pour Engels (comme pour Marx), l'homme se sépare du règne animal non pas selon des critères philosophiques ou moraux. Mais par la production de ses propres moyens de subsistance... grâce au langage articulé notamment (comme le souligne Engels dans le passage précédent), qui figure donc parmi les moyens de production.
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Message par com_71 » 25 Fév 2012, 13:39

(logan @ samedi 25 février 2012 à 12:51 a écrit :
Difficile de parler de problème de traduction.


Mais dans notre langage politique on a l'habitude d'entendre "moyens de production" dans "collectivisation des moyens de production". les "moyens de production" étant du capital, pouvant s'acheter, se vendre, se consommer par l'usure.
La langue n'est pas cela, certainement nécessaire à la production moderne, mais sans aucune valeur d'échange, comme (encore) l'air qu'on respire.

La langue italienne peut-elle faire une nette distinction entre le capital fixe et les moyens de production sans aucune valeur au sens mercantile du terme ? Je l'ignore.
Mais il reste bien possible que le texte de Bordiga ne soit pas "servi" par sa traduction.

Aucune des citations de Marx et Engels fournies ne parle explicitement de la langue comme "moyen de production". Maintenant, qu'elle intervient dans le processus moderne de production, c'est plutôt évident.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par canardos » 25 Fév 2012, 22:33

je remets ici un post que j'avais mis sur le fil "les origines de la planete des singes:

a écrit :

qu'est ce que le langage et la culture, ou plutôt ou commence-t-il?

les chimpanzés ont dans la nature des signaux de communication ainsi que des techniques qui varient d'un groupe à l'autre. Ces différences ne peuvent être que le produit de l'apprentissage mais ont peut difficilement parler de langage dans la mesure ou ces signaux ne sont en général pas associés en phrases dotés d'une syntaxe et surtout qu'ils ne servent qu'à désigner des objets ou des etres vivants présents. les systèmes de communication des chimpanzés et des bonobos ne sont jamais utilisés dans la nature pour designer des choses ou des êtres hors de portée des sens.

pour un linguiste comme Derek Bikerton (voir son excellent livre "la langue d'Adam") c'est cette capacité de communiquer sur le "off" et pas seulement sur le "on" qui fait la vraie différence entre les langages humains et les systèmes de communication animale les plus évolués.

seuls les insectes sociaux partagent avec l'homme la capacité de designer quelque chose d'absent (voir la danse des abeilles qui peut designer la nature d'une source de nourriture lointaine sa distance et sa direction). Mais il s'agit la alors de mécanismes totalement innés, donc pas langage au sens humain car si l'homme possède comme l'a montré Chomsky des bases grammaticales pré-câblées, innées, les langages qu'il élabore sur ces bases sont eux un pur produit culturel.

pour autant les grands singes, et particulièrement les chimpanzés et les bonobos possèdent les bases neurologiques de l'acquisition d'un vrai langage et la capacité de désigner des choses absentes, évidemment d'un langage bien plus simple que celui de leurs cousins hominidés du genre homo sapiens. Les expériences sur des chimpanzés élevés avec des humains pour apprendre le langage des signes (nim ou washoe) ou des langages artificiels utilisant des pictogrammes (le bonobo kanzi) ont montré que ceux ci pouvaient maitriser jusqu'à 3000 mots et les associer en phrase simple.

Chomsky, a toujours refusé que la théorie darwinienne de la sélection naturelle s'applique au cerveau humain, Pour lui le cerveau humain a du être remanié complétement pour acquérir les bases du langage et ce remaniement est trop complet pour s'expliquer par une suite de mutations favorables. Il a du apparaitre tout d'un coup il y a environ 100000 ans et les Homo Erectus ancêtres du Sapiens ne le possédaient forcement pas.

on n'est pas loin de la théorie de la "complexité irréductible" utilisée par les tenants du "dessein intelligent" pour expliquer par exemple que la plume d'un oiseau ou l’œil sont trop complexes pour s'expliquer par une suite de mutations dues au hasard et sélectionnées une à une en raison des avantages qu'elles apportaient.

Mais Chomsky qui est linguiste et pas neuro-scientifique est démenti à la fois par la capacités potentielles des chimpanzés démontrées par Nim, Washoe ou Kanzi et par les progrès des neurosciences qui montrent que le cerveau humain n'a pas été re-câblé par rapport à celui des singes mais que toutes nos fonctions cérébrales et langagières sont des développement de fonctions existant déjà à un niveau bien plus faibles chez les autres grands singes ou correspondent à des exaptations utilisant des zones du cerveau servant jusque la à d'autres fonctions.

Reste à trouver le scenario adaptatif expliquant le passage des systemes de communication des grands singes à des langages préhumains puis humains.

j'aime bien l'hypothèse de Derek Bikerton dans "la langue d'Adam". Les australopithèques sont devenus des charognards en savane. Pour s'approprier des charognes et les exploiter avant l'arrivée des grands prédateurs, il fallait accourir très vite et en nombre. essayer de faire ça seul c'était la mort assurée. il fallait donc que l’australopithèque puisse amener son groupe sur les lieux souvent très distant d'où la nécessite de pouvoir indiquer la nature la direction et la distance d'un objet "off", la charogne convoitée.

les bases neurologiques de cette communication existaient ainsi que l’intérêt à la fois pour l’australopithèque qui avaient trouvé la charogne et pour son groupe. les premiers bases d'un proto-langage ont pu etre posées dans de telles circonstances, ça parait un scénario plausible. Après tout s'enchaine.....



donc j'adhere en partie à la phrase d'Engels

a écrit :

La transformation du singe en  homme

D'autre part, le développement du travail a nécessairement contribué à resserrer les liens entre les membres de la société en multipliant les cas d'assistance mutuelle, de coopération commune, et en rendant plus claire chez chaque individu la conscience de l'utilité de cette coopération. Bref, les hommes en formation en arrivèrent au point où ils avaient réciproquement quelque chose à se dire. Le besoin se créa son organe, le larynx non développé du singe se transforma, lentement mais sûrement, grâce à la modulation pour s'adapter à une modulation sans cesse développée? et les organes de la bouche apprirent peu à peu à prononcer un son articulé après l'autre.

La comparaison avec les animaux démontre que cette explication de l'origine du langage, né du travail et l'accompagnant, est la seule exacte.



mais pas tout à fait quand même. si on suit Bickerton, et son hypothèse est assez séduisante par sa rigueur, ce n'est pas l'outil qui est à l'origine de la transformation d'un système de communication animale à un langage préhumain, mais plutôt le développement de l'intelligence sociale entrainée par un nouveau mode de vie, le charognage en milieu ouvert, un mode de vie qui oblige à anticiper et à coopérer pour accéder à la nourriture et survivre, à communiquer sur ce qui est hors de vue, une première dans le monde animal sauf pour les insectes sociaux, et donc à désigner des abstractions pour cela. les chimpanzés ont déjà ces potentialités comme le montre les exemples de washoe ou de nim, mais ne les exploitent pas faute d'y avoir intérêt.

les tours de main pour fabriquer les outils de l'époque pouvaient eux se montrer par gestes et ne nécessitaient donc pas au début une évolution des capacités langagières.

quand à la notion de travail utilisée par Marx et Engels elle me gène car elle me parait anachronique. où commence le travail? l'activité de chasse et de cueillette et la confection d'outils existe aussi chez les autres grands singes. en revanche la mise en place d'un système d’échange entre produit fondé sur la division des taches au sein du groupe a du jouer un rôle puissant dans l'évolution du langage.

on peut voir l'embryon d'un tel système chez les chimpanzés quand ils chassent les singes colobes. seul les jeunes et les plus légers peuvent poursuivre les colobes dans les arbres et les obliger à sauter à terre où les grands mâles les tuent. et les grands mâles qui d'habitude ne partagent jamais leur chasse sauf avec un plus fort pour l'amadouer acceptent alors de donner une partie du butin aux autres chimpanzés.

mais tout change dans l’hypothèse de Bickerton lorsque un australopithèque ou un homo habilis réussit à convaincre son groupe de se déplacer sur de longues distances pour partager et défendre une charogne une charogne que lui seul a vu mais qu'il ne peut pas revendiquer tout seul face aux autres prédateurs. la charogne ne pouvant être déplacée doit être débitée sur place avec des pierres et les morceaux doivent être emportés avant l'arrivée en trop grand nombre des grands prédateurs et partagés plus loin. De nombreux sites de boucherie du début du Pléistocène attestent de ce fonctionnement. l'acceptation de l'échange futur devient la contrepartie obligatoire du déplacement de la troupe. Cette obligation de communication et de partage aussi l'amélioration du système de communication devient un élément de sélection darwinienne important.
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Message par canardos » 29 Mars 2012, 21:46

je voudrais revenir à partir de ce fil sur la question ouverte dans un autre fil "le marxisme est-il une science".

considérons l’hypothèse de Bikerton sur l'acquisition du langage par les premiers hominidés.

cette hypothèse est conforme aux connaissances actuelles en matière de linguistique, d’éthologie, de de paléoanthropologie, de psychologie cognitive comparée des hommes et des grands singes.

en ce sens elle est scientifique.

mais évidemment il y a d'autres hypothèses largement défendables sur la base de nos connaissances actuelles et cela ne pourra jamais être vérifié par une expérience sauf à inventer le voyage dans le temps, tout au plus pourra-t-on renforcer un faisceau d'indices qui permettrait de présenter cette hypothèse ou une autre comme le scenario le plus satisfaisant en l'état de nos connaissances actuelles...

évidemment les critères de Popper sont très loins, nous ne sommes pas face à une loi physique mais face à un phénomène de nature historique unique.

pour autant pouvons nous dénier le statut d’hypothèse scientifique à l’hypothèse de Bikerton. Elle est conforme aux données d'autres disciplines, elle est partiellement réfutable indirectement si d'autres données non conformes étaient collectées.

Si la théorie de l’évolution est globalement vérifiable selon des critères popperiens, de nombreuses hypothèses sur l'évolution dans le passé de telle ou telle catégorie d'organismes ou d’écosystèmes ne peuvent répondre aux critères popperiens en raisin du caractère unique et historique du processus d’évolution étudié et du caractère définitivement parcellaire et incomplet des données collectées.

pour autant ces hypothèses restent parfaitement scientifiques, des découvertes paléontologiques ou phylogénétiques peuvent les réfuter et les remettre en cause totalement ou partiellement et c'est ce qui se produit très souvent dans le monde de la paléontologie.

je pense que c'est également vrai des sciences sociales et plus particulièrement du marxisme.

globalement le marxisme reste la seule méthode d'analyse cohérente et explicative de l'ensemble de l'évolution des société humaines depuis l'existence d'un surproduit social ce qui n'empeche pas que certaines hypothèses fondées sur la méthode marxiste peuvent être erronées faute d'avoir des données historiques suffisantes et correctes.

par exemple les stades d'évolution de la société humaine présentés par Engels, esclavagiste, féodalisme, capitaliste est largement faux parce que fondé sur la seule observation très partielle de la société européenne. ce n'est pas le lieu dans ce fil d'avoir cette discussion. mais c'est seulement pour faire un parallèle entre marxisme et darwinisme en comparant le caractère scientifique de ces deux théories
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Message par canardos » 30 Mars 2012, 20:09

je voudrais aussi présenter deux autres hypotheses, deux autres scénarios possibles, pour l'apparition du langage... ces scénarios ne sont pas forcement contradictoires avec celui de derek bikerton, plutot complémentaires...

la présentation de ces scénarios est un extrait du site "le cerveau à tous les niveaux" de l'institut des neurosciences de la santé mentale et des toxicomanie du Canada.

d'abord le scénario de David Pinker tres complementaire de celui de Derek Bikerton qui a pour ambition d'expliquer pourquoi les fonctions syntaxiques du langage sont précablées dans notre cerveau:

a écrit :

le linguiste Steven Pinker qui affirme que le langage a très bien pu être la cible de l’évolution et plaide en faveur d’une capacité générale du cerveau pour le langage, une conception souvent associée au courant « connexionniste » en science cognitive. Pinker invoque par exemple l’effet Baldwin comme force évolutive majeure ayant pu mener au langage moderne (voir l'encadré ci-bas). L’habileté à apprendre le langage serait donc devenu une cible de la sélection naturelle, permettant ainsi la sélection de modules d’acquisition du langage ("Language Acquisition Device" en anglais) pré-câblés génétiquement dans nos circuits cérébraux.

Cette conception implique également des formes intermédiaires du langage ayant mené jusqu’aux nôtres. Derek Bickerton suggère par exemple que nos capacités langagières auraient évolué en deux temps : d’abord une protolangue de représentations symboliques matérialisées par des signes vocaux et/ou gestuels qui pourrait avoir duré près de deux millions d’années; puis, il y a environ 50 000 ans, l’élaboration d’une syntaxe plus formelle qui aurait permis d’améliorer de façon significative la précision et la clarté des idées échangées. Car en plus d’étiqueter les choses («empreinte de léopard», «danger», etc.), la syntaxe permet d’unir plusieurs étiquettes pour accéder à encore plus de sens («Quand tu vois une empreinte de léopard, fait attention.»)

Par conséquent, si la représentation symbolique, déjà présente dans les protolangues, a rendu possible la construction des premiers modèles de la réalité, c’est l’apparition de la syntaxe qui aurait donné au langage humain toute la richesse qu’on lui connaît. Pour donner une idée du passage possible de l’un à l’autre, Bickerton prend l’exemple des pidgins de l'époque coloniale, ces langues rudimentaires développées par des personnes d’origine culturelle différente ayant besoin de communiquer (voir l'encadré ci-bas). Sans grammaire aucune, les pidgins deviennent, lorsque appris par une deuxième génération, des créoles, c’est-à-dire des nouvelles langues grammaticales issues de plusieurs langues mères.



accessoirement une définition de "l'effet Baldwin" invoqué par Steven Pinker:

a écrit :

En 1896, James Mark Baldwin propose un mécanisme évolutif qui recevra bientôt le nom «d’effet Baldwin». Il s’agit d’un phénomène par lequel un comportement qui devait être à l’origine appris peut éventuellement devenir inné, c’est-à-dire fixé dans le programme génétique. L’efficacité de l’apprentissage joue un rôle clé dans l’effet Baldwin, ce qui le distingue de l’hérédité des caractères acquis de Lamarck.

L’effet Baldwin peut se comprendre si l’on garde à l’esprit que des individus capables d’un apprentissage efficace dans un domaine donné peuvent acquérir au cours de leur vie des avantages que n’obtiendront pas les moins doués côté plasticité cérébrale. La sélection naturelle aura donc tendance à favoriser ceux qui apprennent toujours plus vite jusqu’à ce que, à un moment donné, l’apprentissage ne soit plus nécessaire du tout. Le comportement est alors devenu instinctif.

À noter que l’effet Baldwin présuppose que l’environnement demeure relativement stable puisque s’il était trop changeant, il n’y aurait pas de sélection contre la plasticité puisque celle-ci deviendrait un facteur adaptatif important. Mais si l'environnement est stable durant une longue période, une sélection peut se faire pour favoriser une mutation rendant le comportement inné et donc plus robuste et économe. L’effet Baldwin, en tant que mécanisme évolutif qui prend pour cible les capacités d’apprentissage, a été simulé avec succès sur de nombreux programmes informatiques. Il est considéré par plusieurs chercheurs comme ayant pu jouer un rôle prépondérant dans l’évolution du langage.



et une explication de ce que c'est que "le pidgin" étudié par Derek Bikerton et qui lui a servi à élaborer sa théorie:

a écrit :

Un pidgin est le nom donné à un langage créé spontanément à partir du mélange de plusieurs langues. Poussés par le besoin de communiquer, ceux qui développent un pidgin s’accordent sur un vocabulaire limité, afin de permettre à des locuteurs de langues différentes de se comprendre. Par conséquent, les pidgins ont une grammaire rudimentaire et un vocabulaire restreint. En taï boï, un pidgin franco-vietnamien, cela donne des phrases du genre: « Moi faim. Moi tasse. Lui aver permission repos. Demain moi retour campagne. »

Le premier pidgin documenté, la Lingua Franca, était utilisé par les marchands méditérranéens au Moyen-Âge. Un autre pidgin bien connu fut développé à partir d’un mélange de Chinois, d’Anglais et de Portugais pour faciliter le commerce à Canton dans la Chine du 18e et 19e siècle. Un autre cas classique est celui des esclaves des Caraïbes, dont les origines culturelles étaient trop variées pour permettre à leurs langues de se perpétuer après leur transplantation forcée.

Les enfants qui grandissent ensemble et apprennent un pidgin tendent à leur imposer spontanément une structure lexicale pour en faire des créoles, c’est-à-dire de véritables langues dont le vocabulaire provient d’autres langues. Mais ce n’est pas le cas de tous les pidgins et certains se perdent ou deviennent obsolètes.

Pour des chercheurs comme Derek Bickerton, les personnes se retrouvant dans les circonstances particulières décrites plus haut retrouvent une forme de communication ancienne, que Bickerton nomme protolangage, et dont le pidgin serait la manifestation moderne.




Il faut aussi expliquer une autre hypothèse sur l'origine du langage, par forcement contradictoire avec celle de Pinker et Bikerton, celle de Terence Deacon:

a écrit :

Un autre chercheur important sur les origines du langage, Terrence Deacon, s’oppose à cette primauté de la grammaire et pense plutôt que c’est le caractère symbolique du langage qui est son élément essentiel.

Pour Deacon, les soi-disant symboles utilisés par les animaux ne sont que des indices (voir l'encadré à gauche ). Pour lui, ceux qui essaient d’enseigner aux chimpanzés le langage s’assurent que les mots ou les icônes utilisés pour désigner les choses apparaissent toujours simultanément avec ces choses dans l’environnement de l’animal, ce qui en fait de simples indices. Ce niveau inférieur du langage basé sur les signes et les icônes, Deacon l’associe à celui des premières années de l’enfant. Le langage articulé de l’adulte dépendrait quant à lui de la spécificité du symbole qui, pour Deacon, réside dans les liens logiques que chaque symbole entretient à l’égard des autres. Et c’est ce réseau de relations, beaucoup plus que la seule occurrence de signes arbitraires, qui caractérise pour lui les symboles utilisés par les humains.

Deacon pense donc qu’on ne doit pas chercher à comprendre l’évolution du langage en terme de fonctions grammaticales innées, mais bien en terme de manipulation de symboles et de relations entre les symboles. Il y a certes une prédisposition humaine pour le langage, mais elle serait le produit d’une coévolution entre le cerveau et le langage. Ce qui est inné pour Deacon est un ensemble de capacités mentales qui nous confèrent certaines tendances naturelles, lesquelles se traduisent par les mêmes structures langagières universelles. Il s’agit donc d’une conception différente de celle de Chomsky où ce qui est à l’origine de la grammaire universelle est associé à une innovation cérébrale spécifique au langage.

Cette coévolution du cerveau et du langage, Deacon la voit prendre racine dans la complexité de la vie sociale des humains, avec une grande coopération entre les hommes et les femmes de la communauté pour l’acquisition des ressources, mais également des liens monogames exclusifs assurant les soins nécessaires aux enfants très dépendants durant les premières années. Un mélange explosif qu’on ne retrouve dans aucune autre espèce (les grands singes sont par exemple autonomes pour leur alimentation) et qui nécessite des rituels et des interdictions pour assurer la stabilité des groupes. En d’autres termes des abstractions que seules des capacités symboliques peuvent appréhender.



voila la définition du terme "indice" par opposition à symbole tel qu'il est utilisé utilisé par Deacon:

a écrit :

En sémiotique (on dit aussi sémiologie), discipline qui se consacre à l'étude des signes et de leur signification, on établit une relation entre un élément perceptible, le signifiant, et le sens donné à ce signifiant à l'intérieur d'un code, le signifié. La sémiologie fait aussi une distinction entre signe et indice (ou index). Ainsi la fumée est un indice du feu, et non un signe, parce qu’elle en est une simple conséquence naturelle. Le signe, lui, répond à une volonté de signifier quelque chose.

Outre l'indice, Charles Sander Peirce, l’un des père de la sémiotique, définissait deux types signes: l'icône, qui renvoie à l'objet signifié à travers une ressemblance avec celui-ci (par exemple la photo ou le dessin de quelque chose) ; et le symbole qui renvoie à l'objet à travers une convention d'ordre culturel (la balance qui symbolise la justice).



voila voila, le point sur les principales théories darwiniennes de l'apparition du langage par opposition à celle de Chomsky, qui refuse que la sélection naturelle ait pu jouer un rôle dans l'apparition du langage qui prétend que jusqu'à une seul macromutation intervenue il y environ 100000ans et qui a provoqué un recablage complet du cerveau les hommes ne possédaient pas de langage syntaxique...
canardos
 
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Message par Jenlain » 02 Avr 2012, 20:53

pour être précis :

a écrit :
Chomsky et l'évolution du langage

Bon nombre d'auteurs, faisant leur l'approche de la psychologie évolutive, pensent que le langage a été façonné par la sélection naturelle. Certaines modifications génétiques aléatoires auraient ainsi été sélectionnées pendant des millénaires pour procurer à certains individus un avantage adaptatif décisif. Que cet avantage fut au niveau de la coordination de la chasse, de la prévention des dangers ou de la communication entre les partenaires demeure toutefois incertain. Pour sa part, Chomsky ne conçoit pas l'origine de nos facultés linguistiques comme le résultat d'une quelconque pression sélective, mais plutôt comme une sorte d'accident fortuit.

Cette affirmation s'appuie entre autres sur des travaux qui concluent que la récursivité, c'est-à-dire la possibilité d'enchâsser une proposition à l'intérieur d'une autre proposition ("la personne qui chantait hier avait une belle voix"), pourrait être la seule composante spécifiquement humaine du langage. Selon les auteurs de ces études, la récursivité ne serait d'abord pas apparue pour nous aider à communiquer. Elle se serait plutôt développée pour nous aider à résoudre d'autres problèmes liés par exemple à la quantification numérique ou encore aux relations sociales (répondant ainsi à la définition d'exaptation mise de l'avant par S.J. Gould). Ce ne serait qu'une fois cette capacité connectée aux autres composantes motrices et perceptuelles du langage que nous aurions eu accès à la complexité du langage humain. Or pour Chomsky et ses collègues, rien n'indique que cette connexion ait été dirigée par la sélection naturelle. Pour eux, elle pourrait être simplement la conséquence d'un autre type de réorganisation neuronale.


http://lecerveau.mcgill.ca/flash/capsules/outil_rouge06.html
Jenlain
 
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Inscription : 01 Juin 2006, 20:32

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