Conscience et lutte de classe

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par logan » 06 Mars 2012, 06:53

Je crée ce fil pour discuter de la conscience et de la lutte de classe.

A ce titre l'interview de Nathalie Arthaud par Mediapart le 22 février 2012 me semble révélateur d'une façon d'envisager les choses plutôt... idéaliste et peu matérialiste.

a écrit :Comment expliquez-vous aujourd’hui la relative faiblesse de la contestation sociale en France ? Et donc la faiblesse des partis de gauche radicale ?

Nathalie Arthaud : Il n’y a pas d’explication simple. Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grandes révoltes d’esclaves avant celle de Spartacus ? Pourquoi a-t-il fallu attendre autant de temps pour que les peuples colonisés se révoltent ? Pour ceux qui sont révoltés et veulent changer la société, cela reste inexplicable. Je peux vous aligner bien des raisons pour qu’on soit tous demain dans la rue. Mais toutes les sociétés d’exploitation reposent justement sur le fait que les exploités ne sont pas conscients de leur force. Ils sont conscients des injustices qu’ils subissent mais ils ne sont pas conscients de leur capacité à changer les choses. Quand cette conscience surgit-elle ? A partir de quel événement ? Quelle petite lutte va faire boule de neige ? On ne peut pas le prévoir.

On sait aussi qu’il y a des périodes de plus ou moins grande faiblesse des luttes sociales...

Oui, cela a toujours été comme ça. La révolution commence d’abord dans les consciences. Il est difficile de dire à quel moment ce déclic se fait. Nous sommes militants parce que nous savons que ces moments-là, forcément, surgissent. Mais ils surprennent, comme a surpris la révolte du peuple tunisien il y a un an. Mais ce sont des moments rares dans l’histoire. Et ce sont des moments où il faut absolument qu’il y ait des militants pour proposer une politique aux travailleurs.


Qu'en pensez-vous ?

La conscience surgit-elle vraiment tout à coup, comme par enchantement, chez les travailleurs et ils se mettent alors en lutte ?
logan
 
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Message par Ottokar » 06 Mars 2012, 07:12

ce n'est pas ce qu'elle dit.. Après coup, on a des tonnes d'explications (comme les autres analystes) sur pourquoi cela a surgi à ce moment et pas avant. Et expliquer parfois aussi pourquoi cela n'est pas arrivé. Mais quand on est le nez dedans, il est quasi impossible de le sentir.

Toutes proportions gardées, c'est l'image souvent prise du tremblement de terre. On sait qu'il doit survenir, et en gros, où (à 500 kms près) on connait les forces souterraines à l'oeuvre mais on ne peut dire à quel moment ça craque.

Il fait simplement être prêt pour ce jour là et savoir ce qu'il faut faire si (quand) ça arrive.
Ottokar
 
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Message par Zelda » 06 Mars 2012, 07:55

Mais Logan ? Quelles sont "tes" théories sur où, quand et comment surgissent les révoltes et les révolutions ? Je trouve moi très juste le paragraphe de la camarade.
Il faut bien aussi "expliquer" pourquoi il y en a si peu, des révoltes, tandis que les raisons de révolte sont un peu partout et constantes.
Zelda
 
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Message par Faber » 06 Mars 2012, 09:33

Je crois aussi que Nathalie répond à une question un peu rituelle qui semble intéresser les journalistes, pourquoi dans une période de crise, vos idées ne sont elles pas davantage reprises ? Il est particulièrement juste, et matérialiste pour le coup, de démonter gentiment l'automatisme qu'il y aurait entre des conditions de vie atroces et un sentiment révolutionnaire, que ce dernier est avant tout une affaire de conscience...
Faber
 
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Message par logan » 07 Mars 2012, 22:23

(Ottokar @ mardi 6 mars 2012 à 06:12 a écrit :ce n'est pas ce qu'elle dit.. Après coup, on a des tonnes d'explications (comme les autres analystes) sur pourquoi cela a surgi à ce moment et pas avant. Et expliquer parfois aussi pourquoi cela n'est pas arrivé. Mais quand on est le nez dedans, il est quasi impossible de le sentir. Toutes proportions gardées, c'est l'image souvent prise du tremblement de terre. On sait qu'il doit survenir, et en gros, où (à 500 kms près) on connait les forces souterraines à l'oeuvre mais on ne peut dire à quel moment ça craque.

Il fait simplement être prêt pour ce jour là et savoir ce qu'il faut faire si (quand) ça arrive.

Dis comme cela je suis assez d'accord

Mais justement Ottokar, tu conviendras avec moi que le surgissement d'un tremblement de terre n'a pas grand chose à voir avec la conscience. Or, pour reprendre ton image, Nathalie Arthaud défend l'idée que le tremblement de terre surviendrait quand le tremblement de terre prend conscience de lui-même et de sa force !

Un tremblement de terre est une brusque libération d'énergie, absolument inconsciente, qui surgit surgit quand les contraintes exercées sur les roches deviennent insoutenables. Cela est comparable aux luttes des masses, qui libèrent une formidable énergie et qui surgissent d'elles-même quand les contraintes exercées par la bourgeoisie deviennent insoutenables.

(zelda a écrit :Il faut bien aussi "expliquer" pourquoi il y en a si peu, des révoltes, tandis que les raisons de révolte sont un peu partout et constantes.

Les "raisons" de se révolter ne sont-elles jamais localisées ? Et toujours constantes ? Au contraire, ces raisons me semblent très peu constantes et extrêmement variables. Par exemple à l'occasion d'une guerre, d'une crise, d'un contraste particulièrement aigu entre la richesse des uns et de sa propre misère. Ne sont-elles pas là des raisons de se révolter extrêmement variables?

On ne se révolte pratiquement jamais pour les autres, mais pour soi et ses proches. Sauf justement quand on possède un haut niveau de conscience, ce qui n'est pas le cas de la majorité des travailleurs, pratiquement à toutes les époques historiques.

(Faber a écrit :pourquoi dans une période de crise, vos idées ne sont elles pas davantage reprises ?

On n'est pas dans une période de crise... pour les travailleurs français. Pour le moment, la situation vécue, l'expérience des masses n'est pas si différente de celle d'il y a 20 ans. Certes on perd un peu de pouvoir d'achat, l'avenir semble un peu sombre... mais on peut encore s'en sortir tant bien que mal, on a encore un taf, ou on est avec un compagnon qui en a un, on a quelques économies. Au pire on touche les minimums sociaux. Les masses n'ont pas encore vécu de rupture sociale au niveau de leur propre expérience, qui est la source... de leur conscience. En Grece, on y est. Et justement il semble que la conscience des travailleurs grecs évolue à vitesse grand V. Reste à un parti révolutionnaire de transformer l'embryon de conscience des travailleurs grecs (Lénine) en un organisme adulte, conscient de ses forces et de ses objectifs et mettant toute sa volonté au service de celles-ci.
logan
 
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Message par logan » 07 Mars 2012, 22:29

a écrit :Il est particulièrement juste, et matérialiste pour le coup, de démonter gentiment l'automatisme qu'il y aurait entre des conditions de vie atroces et un sentiment révolutionnaire

La bonne formulation à mon sens c'est :
La conscience est liée à l'existence, elle en est le reflet.
La conscience est liée à l'existence, mais pas de manière automatique, de manière dialectique, avec des décalages et des à-coups comblant ensuite ces décalages.

Certes il n'y a pas automatisme. Mais ce lien entre existence et conscience existe et c'est le point fondamental... au risque de balancer tout le matérialisme par la fenêtre.

a écrit :La révolution commence d’abord dans les consciences. Il est difficile de dire à quel moment ce déclic se fait.

Nathalie Arthaud exprime ici de manière claire ce qui transparait dans un bon nombre d'articles de Lo de manière plus diffuse.
Si la révolution se fait d'abord dans les conscience, les révolutionnaires peuvent aller se coucher.

La bonne formulation, c'est que les contradictions sociales du capitalisme poussent inévitablement la classe ouvrière à l'action. La conscience vient après, et chez une partie des travailleurs seulement.

On peut donc dire que la classe ouvrière tend spontanément à la lutte... ou plutot que le capital pousse spontanément les travailleurs à la lutte, dans la mesure ou le capital mène sans arret sa guerre de classe et ne leur laisse pas d'autre choix, sauf de se laisser mourir. Pour ce qui est de la conscience politique... il faut un parti pour la posséder totalement. Et s'il existe des travailleurs conscients, ils y seront, dans ce parti.
logan
 
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Message par Zelda » 08 Mars 2012, 09:02

(Logan le devin a écrit :On n'est pas dans une période de crise... pour les travailleurs français. Pour le moment, la situation vécue, l'expérience des masses n'est pas si différente de celle d'il y a 20 ans. Certes on perd un peu de pouvoir d'achat, l'avenir semble un peu sombre... mais on peut encore s'en sortir tant bien que mal, on a encore un taf, ou on est avec un compagnon qui en a un, on a quelques économies. Au pire on touche les minimums sociaux. Les masses n'ont pas encore vécu de rupture sociale au niveau de leur propre expérience, qui est la source... de leur conscience. En Grece, on y est.


Tiens donc ?
Et qu'est-ce qui te permet de dire ça ?
Pas "qu'en Grèce, on y est" évidemment, mais qu'en France, "on n'y serait pas" ?

Les gens ont encore un taf ????

Mais tu parles pour toi là ?
Mon beauf et au moins 3 cousins à moi n'ont plus de taf, l'ont perdu dans les 2 dernières années, n'en ont pas retrouvé depuis et n'ont pas forcément d'épouse avec un taf, et plus ou moins de gosses à nourrir, et plus ou moins divorcés. Bref, une saloperie de galère avec la trouille de se retrouver à la rue, sans même mentionner mes deux cousins clochards depuis vingt ans. Alors bien sûr, ça s'aggrave tous les ans et je suis issue d'une famille populaire, pas spécialement misérable au départ, juste populaire "normale".

Normal, comme dit la LO, une entreprise par jour ferme depuis 3 ans.

Tu théorises a posteriori la Grèce parce que mouvement social il y a. Tu fais un peu comme ces économistes qui ont prévu le crash mais... après coup, parce que avant, on ne les entendait pas.

Si demain, mouvement social en France il y a ou il n'y a pas, tu théoriseras différemment ? Pas moi. Je ne sais pas quelle goutte d'eau fait déborder le vase, mais je peux te dire qu'il est plein, plein ras la coupe...

(LO de cette semaine a écrit :Extraits du meeting de Nancy, le 3 mars : « La matière explosive s'accumule dans la classe ouvrière »

« Faire la liste des groupes capitalistes qui ont licencié ou supprimé des emplois depuis trois ans est impossible. Ils l'ont quasiment tous fait. En trois ans, 900 usines ont fermé en France, une par jour. Il y a eu un million de chômeurs supplémentaires. (...)

C'est la crise, nous dit-on. Personne ne peut le nier. Mais ce n'est pas la crise qui fait que le grand patronat s'en sort avec tous ses profits et que ce sont les travailleurs qui payent. Ça, c'est le résultat de la lutte de classe.

Beaucoup s'étonnent que, dans ce contexte, il n'y ait pas plus de réactions de la part des travailleurs. Mais la crise que nous vivons est souvent comparée à la crise mondiale de 1929. Eh bien, il faut se souvenir qu'il a fallu attendre 1934 aux États-Unis, 1936 en Espagne et en France, pour que les travailleurs trouvent le chemin des luttes et de la grève générale. Il a fallu des années pour que les travailleurs passent de la résignation, du désespoir impuissant, voire réactionnaire, à l'espoir d'inverser le cours des choses.

Aujourd'hui, la matière explosive s'accumule dans la classe ouvrière. Le moment de la révolte de millions de femmes et d'hommes viendra, tôt ou tard. Eh bien, il faut que dans cette révolte les travailleurs aient une politique, qu'ils sachent pour quoi se battre et comment faire pour inverser durablement le rapport de force avec la classe capitaliste. »
Zelda
 
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Message par jeug » 08 Mars 2012, 12:41

(logan @ mercredi 7 mars 2012 à 22:29 a écrit :
a écrit :La révolution commence d’abord dans les consciences. Il est difficile de dire à quel moment ce déclic se fait.

Nathalie Arthaud exprime ici de manière claire ce qui transparait dans un bon nombre d'articles de Lo de manière plus diffuse.
Si la révolution se fait d'abord dans les conscience, les révolutionnaires peuvent aller se coucher.

Demande-toi pourquoi tu as éprouvé le besoin, dans ta reformulation, de remplacer "commence" par "se fait".
jeug
 
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Message par shadoko » 08 Mars 2012, 13:31

a écrit :
La bonne formulation, c'est que les contradictions sociales du capitalisme poussent inévitablement la classe ouvrière à l'action. La conscience vient après, et chez une partie des travailleurs seulement.

On peut donc dire que la classe ouvrière tend spontanément à la lutte... ou plutot que le capital pousse spontanément les travailleurs à la lutte, dans la mesure ou le capital mène sans arret sa guerre de classe et ne leur laisse pas d'autre choix, sauf de se laisser mourir. Pour ce qui est de la conscience politique... il faut un parti pour la posséder totalement. Et s'il existe des travailleurs conscients, ils y seront, dans ce parti.

Soit, mais il y a une différence entre lutte et révolution. Bien sûr, les travailleurs luttent toujours, plus ou moins selon les périodes, mais des luttes, il y en a toujours, le capitalisme les provoque, comme tu dis. Seulement, entre des luttes éparses et un basculement vers une transformation radicale de la société, il y a un moment où une partie importante de la classe ouvrière commence à prendre conscience de sa force. C'est de ce type de basculement que parle Nathalie. Elle ne prétend pas que ça arrive hors du temps et des conditions historiques et sociales dont tu discutes. C'est simplement que ces conditions étant données, le timing exact du déclenchement est impossible à prévoir. C'est le jour où les gens commencent à se dire en masse "au fait, mais pourquoi pas?" et à agir en conséquence. Je crois que tu interprètes la phrase de Nathalie comme décrivant toutes les conditions sociales et économiques qui préparent une révolution, alors que ce n'est pas le cas. Elle dit justement, en substance, pour répondre à ceux qui disent que bien que les conditions sociales soient réunies, les gens ne soutiennent pas les révolutionnaires, que ça n'arrive pas automatiquement. Sans ces conditions, ça n'a aucune chance d'arriver, mais même avec ces conditions, il est difficile de dire quand ça arrive. Avant Mai 68, l'extrême gauche n'était pas spécialement en vogue. C'est arrivé d'un coup.

a écrit :
Si la révolution se fait d'abord dans les conscience, les révolutionnaires peuvent aller se coucher.

Même pas, les consciences, on peut aider à les changer... Cet argument joue d'ailleurs plus dans le sens contraire de celui que tu lui donnes. Ce ne sont pas les révolutionnaires (ceux qui l'étaient déjà par conviction avant la révolution) qui font la révolution tout seuls avec leurs petits bras. Ce sont éventuellement eux qui la dirigent, en influant sur la conduite générale des travailleurs, qui eux, sont la force motrice, et qui se rangent, de manière consciente, derrière une direction. Et si tu penses qu'il n'y a aucune action sur les consciences, on se demande bien comment elle agit, cette direction. Et si tu penses qu'elle n'agit pas, eh bien tu es un anarchiste :hinhin: .
shadoko
 
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Message par artza » 09 Mars 2012, 12:27

(shadoko @ jeudi 8 mars 2012 à 13:31 a écrit : Ce ne sont pas les révolutionnaires (ceux qui l'étaient déjà par conviction avant la révolution) qui font la révolution tout seuls avec leurs petits bras. Ce sont éventuellement eux qui la dirigent, en influant sur la conduite générale des travailleurs:hin:.

Ou qui la trahissent délibérement ou par incompétence.

C'est le cas le plus fréquent, le seul exemple contraire demeure à ce jour la révolution russe.
artza
 
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