Les leçons d'un marché de l'argent qui ne marche plu

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Jacquemart » 05 Fév 2013, 10:18

Un article assez amusant du journal on ne peut plus patronal Les Echos, au-delà des détails techniques difficiles. Je me suis permis de souligner les passages les plus croustillants.

a écrit :Les leçons d'un marché de l'argent qui ne marche plus
Par Jean-Marc Vittori | 05/02 | 07:00

Les banquiers centraux agissent désormais sur les taux d'intérêt à toutes les échéances. Ce qui amène à poser des questions sur la prétendue efficacité du marché et le risque de nouvelles bulles financières.

Nous vivons décidément une époque bizarre. Dans une économie de marché où l'argent joue un rôle plus central que jamais, cet argent échappe de plus en plus au jeu du marché. Une drôle d'anomalie qui débouche sur de drôles de questions.

Reprenons au début. A très très court terme, la banque centrale détermine le taux d'intérêt, et non le marché. Il serait bien sûr possible d'imaginer une autre mécanique. Mais celle-ci a été bâtie au cours des trois derniers siècles, permettant de réguler la finance en laissant le marché fonctionner sur toutes les autres échéances - d'une nuit à un siècle. C'est sur la suite de la courbe des taux (formée par les taux d'intérêt aux différentes échéances, de la plus proche à la plus lointaine) que la donne a changé. A court terme, d'abord. Pendant des décennies, les banques se sont prêté des masses d'argent à court terme, sans cesse croissantes, sur le marché dit « interbancaire », selon un taux d'intérêt déterminé par l'offre et la demande. Depuis la crise financière de 2008, ce marché est anémié. La banque centrale assure l'essentiel de la fourniture de liquidités aux banques, au prix qu'elle estime adapté.

Avant la crise, ce n'était guère mieux. Ces taux interbancaires, sur lesquels sont indexés des centaines de milliers de milliards de dollars de produits financiers, étaient fixés non par le marché, mais par un petit club de banques qui indiquaient (et indiquent encore aujourd'hui) les taux pratiqués à une association professionnelle qui calculait une moyenne. Il faut dire que ce système a été mis en place bien avant que des ordinateurs reliés entre eux permettent l'existence d'un vrai marché de l'argent à très court terme. Il faut dire aussi que ce système a été manipulé par des banques comme Barclays, HSBC ou Deutsche Bank (les banques françaises semblent avoir été épargnées par le nuage nucléaire de la fraude). C'est le fameux scandale du Libor (taux interbancaire à Londres), qui semble avoir aussi concerné l'euribor (son équivalent continental). Des banquiers s'entendant pour manipuler le marché : quel symbole !

Sur l'argent à plus long terme, la crise a aussi bouleversé le jeu. Le marché des obligations d'Etat à 10 ans passait auparavant pour ce qui ressemblait le plus à un marché pur et parfait : transparence de l'information, multiplicité des acheteurs et des vendeurs, produits homogènes. Son prix, et donc le taux d'intérêt induit, semblait donc réaliser un équilibre idéal entre l'offre et la demande. Aujourd'hui, personne ne soutient que les taux d'intérêt voisins de 2 % observés sur les OAT françaises, le Bund allemand ou les T-bonds américains reflètent un équilibre idéal. Ces taux sont beaucoup trop bas. L'équilibre est complètement faussé par deux vents dominants. Le premier vient (à nouveau) des banques centrales. Pour réparer les marchés financiers et soutenir l'économie, la Réserve fédérale des Etats-Unis, la Banque du Japon et la Banque Angleterre achètent des obligations publiques par wagons entiers. La Banque centrale européenne, elle, a promis de faire de même pour sauver l'euro. Le second vent qui souffle sur les taux à long terme vient des autres marchés financiers comme ceux des actions. Tétanisés par le risque, les investisseurs les ont longtemps délaissés pour acheter des obligations… à des prix délirants.

Résultat : aujourd'hui, le marché de l'argent n'est plus un marché, à court comme à long terme. Ce qui débouche sur un dilemme assez distrayant. Il porte d'abord sur les financiers eux-mêmes. Plus que les industriels ou les commerçants, les banquiers et leurs économistes ont toujours été d'infatigables apôtres du marché. Or leur matière première se négocie de moins en moins sur ledit marché, et certains d'entre eux ont tout fait pour s'y soustraire. Ils vont donc devoir se lancer dans un passionnant exercice de pédagogie pour nous expliquer pourquoi le marché est bon pour tout le monde sauf pour eux-mêmes. Ou bien proclamer haut et fort leur hostilité à cette intrusion scandaleuse des banquiers centraux dans leurs affaires, voire manifester en rangs serrés devant le moderne Eurotower de Francfort ou le beaux-arts moderniste Eccles building de Washington.

Ce dilemme est plus large. Pour les échanges d'argent, une économie planifiée serait-elle plus efficace qu'une économie de marché ? Autrement dit, avons-nous enterré trop vite le système communiste, il y a de cela un quart de siècle ? Auquel cas, il est urgent de comprendre pourquoi et de détecter si une organisation centralisée ne serait pas également supérieure au marché dans d'autres échanges. A moins que cette formidable distorsion des prix de l'argent par les autorités publiques ne débouche sur un énorme gâchis. Les économistes ont produit une abondante littérature sur ce sujet. Les tenants de la très libérale école autrichienne rejoignent des keynésiens comme Axel Leijonhufvud pour estimer que des taux d'intérêt trop bas débouchent fatalement sur une mauvaise allocation des ressources. Autrement dit, les interventions publiques gonflent de nouvelles bulles spéculatives privées. Cette fois-ci, les économistes ont, hélas, sans doute raison.

Jean-Marc Vittori
Avatar de l’utilisateur
Jacquemart
 
Message(s) : 203
Inscription : 16 Déc 2003, 23:06

Message par Zelda » 06 Fév 2013, 10:02

=D> Excellente trouvaille Jack, c'est ce qui s'appelle un hommage du vice à la vertu. J'ai dans ma famille (celle que je n'ai pas choisie) "d'infatigables apôtres du marché". Je fais tourner.
Zelda
 
Message(s) : 0
Inscription : 31 Jan 2010, 14:08


Retour vers Histoire et théorie

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 6 invité(s)