Sur Grossman :
Grossman n'a jamais prétendu que sa formule mathématique était une loi naturelle qui prévoyait l'effondrement du capitalisme. Comment peux tu dire une chose pareille ? Il suffit de lire le plan de son texte (
http://www.marxists.org/archive/grossma ... breakdown/) pour voir que Grossman étudie ensuite les contre-tendances. Avec son modèle, il isole certains facteurs pour voir leur impact. Mais tout en précisant très clairement les hypothèses restrictives qu'il fait, et puis en discutant ensuite des contre-tendances. C'est une démarche scientifique, et Marx procède exactement de la même façon dans le Capital. Et il s'est trouvé des gens aussi par exemple pour expliquer que Marx se contredisait entre le livre II et III, puisque dans le livre II il aurait modélisé la reproduction sans crise du Capital, et dans le livre III pas du tout, etc. Quand on critique un auteur, il faut quand même faire l'effort minimal de comprendre comment il procède. Grossman n'a évidemment jamais dit que le capitalisme allait s'effondrer en raison d'une formule mathématique. Il a dit clairement, au contraire, que le capitalisme ne s'effondrerait pas automatiquement, et qu'il fallait une révolution prolétarienne pour sortir du capitalisme.
Grossman est avant tout un économiste. Et ses thèses économiques étaient totalement opposées à la doxa stalinienne, et les économistes staliniens (c'est-à-dire ceux qui produisaient les analyses voulues par Staline et la bureaucratie) polémiquaient contre lui. Mais Grossman n'a jamais renoncé à ses analyses marxistes pour plaire à Staline et ses sbires. C'est un fait. Je n'en fais pas un héros de la cause révolutionnaire, mais ce n'est vraiment pas le sujet ici : on discute de l'analyse économique, et le fait que Luxemburg était une révolutionnaire courageuse (contrairement à Grossman) n'implique aucunement que Grossman avait tort et Luxemburg raison. Je n'ai jamais dit qu'il y avait un lien strict entre l'analyse économique et les positions politiques. Mais cela ne signifie absolument pas que la théorie n'a aucune importance, qu'on peut défendre n'importe quelle analyse, etc. Lénine a bien compris, comme tant d'autres, l'importance de lutter contre les idées fausses, y compris quand ces idées fausses étaient véhiculées par de grandes révolutionnaires (comme Luxemburg) parce que ces idées là avaient des effets bien réels dans le cours de la lutte des classes.
Pour répondre à Jacquemart« En revanche, penser que toute baisse des salaires, ou de la part des salaires, sera obligatoirement compensée par le surcroît de consommation des capitalistes, c'est supposer ce qu'il faudrait démontrer. Un phénomène bien connu, par exemple, est que les riches consomment une partie plus faible de leur revenu que les pauvres, et qu'ils n'investissement pas forcément la différence de manière productive. La conclusion est que la compression des salaires peut fort bien déprimer la demande globale/ Même si cela n'a rien d'une conséquence nécessaire, c'est une possibilité. »
Tu as raison sur le premier point, mais tu tort je crois sur la conclusion que tu en tires. Si tu avais tort sur le premier point, il n'y aurait jamais de crise, car toujours une demande suffisante. La définition de la crise, c'est l'apparition d'une demande insuffisante par rapport à l'offre. Toute la discussion est sur la cause de cette demande insuffisante. Une baisse de salaires joue favorablement sur le taux de profit, mais c'est une contre-tendance qui a ses limites. Si la composition organique du capital augmente fortement, et que cet effet prime sur la baisse des salaires, alors cela peut déboucher sur une crise de rentabilité. Malgré des baisses de salaires, de plus en plus d'entreprises peuvent faire faillite parce que leur taux de profit devient négatif. Et donc dans ce cas, on n'a pas « compensation ». Mais la cause de la crise, ce n'est pas, contrairement à la conclusion que tu tires, la compression des salaires ! Tout ce qui joue favorablement sur le profit (donc la compression des salaires) n'est pas facteur de crise ; tout ce qui joue défavorablement sur le profit est facteur de crise.
« Et je ne vois pas comment on pourrait éliminer sur le strict plan théorique la possibilité que le capitalisme puisse connaître une longue phase de taux de profit élevé mais de faible croissance globale des capacités de production et de la demande. Dans une telle phase, les capitalistes ne vendraient leurs marchandises ni plus ni moins bien en moyenne que dans une autre. Mais, constatant la faiblesse de la croissance de la demande globale (entraînée notamment par leur propre politique de réduction des salaires) ils choisiraient d'employer leurs profits (bien réels) à autre chose qu'à augmenter les capacités de production — par exemple, à se racheter mutuellement de plus en plus cher les capacités de production existantes »
Si je pense qu'on peut l'éliminer sur le plan théorique. Ton hypothèse d'un taux de profit élevé et d'un taux d'accumulation faible est incompatible avec le fonctionnement du capitalisme. Avoir un taux de profit élevé et un taux d'accumulation faible, cela signifie que de façon durable, une part plus importante des profits est consommée et pas réinvestie. Comme si les capitalistes se mettaient d'accord pour ne plus investir la plus-value extorquée. Mais dans ce cas, il n'y a plus de capitalisme, car il n'y a plus de concurrence. On est dans un autre système à mon sens. Et en tout cas, même si on peut tout imaginer, ce n'est pas ce qu'on observe. La part des profits réinvestis est globalement stable au delà des cycles conjoncturels.
Les profits correspondent à des marchandises vendues (biens de production ou biens de consommation). Ces marchandises correspondent soit à de l'investissement, soit à de la consommation. Si les profits ne servent pas à augmenter les capacités de production, ils sont consommés. Mais ils ne disparaissent dans la nature, dans les marchés financiers, ou dans des rachats mutuels de capacités de production ! Quand X achète à Y des capacités de production, cela n'a rien à voir avec les profits.
Le circuit du capital s'écrit A-M....P... M'-A' ; le profit ou la plus-value, c'est M'-M (excès de valeur sous la forme marchandise) ou A'-A (excès de valeur sous la forme argent). Le profit n'est pas une simple somme d'argent, c'est de l'argent qui a une contrepartie en termes de marchandises, et on ne doit pas perdre de vue cela. Si le taux de profit de l'économie est élevé, cela veut bien dire qu'il y a un surplus de valeur sous forme de marchandises qui a été vendu (ce même surplus de valeur s'exprime alors en unités monétaires). Et ces marchandises, ce sont des biens de production ou des biens de consommation. Et le profit sous forme monétaire, c'est cet argent qui est la contrepartie de ces marchandises.
Une remarque en passant : quand la banque centrale émet massivement de la monnaie, double sa base monétaire, évidemment que cela ne signifie pas que les profits ont explosé.