Analyse de la crise (texte du dernier congrès de LO)

Marxisme et mouvement ouvrier.

Analyse de la crise (texte du dernier congrès de LO)

Message par Gaston Lefranc » 01 Jan 2014, 11:21

Salut camarades,

j'ai écrit une contribution sur l'analyse de la crise économique contenue dans une des résolutions adoptées par la dernier congrès de LO, et publiée dans le dernier numero de "Lutte de classes".
Vous pouvez la lire ici : http://tendanceclaire.npa.free.fr/conte ... df-563.pdf

A mon avis, cette analyse est gravement erronée, et j'essaie de montrer que les enjeux ne sont pas seulement théoriques, mais aussi politiques.

En espérant que la discussion puisse s'engager,

Gaston
Gaston Lefranc
 
Message(s) : 17
Inscription : 15 Juil 2008, 12:59

Re: Analyse de la crise

Message par Jacquemart » 02 Jan 2014, 14:14

Salut

Le plus vite fait possible vu le sujet... ;)
J'ai l'impression que ta critique se concentre autour de trois idées principales, qui toutes trois me semblent fausses.

1) Les crises ne peuvent survenir que de l'insuffisance des profits (ou de leur taux) — ce que les anglophones appellent le profit squeeze. Toute explication de la crise en terme d'insuffisance de la demande serait contraire aux écrits de Marx.

2) Les faits montrent que la période actuelle est effectivement celle de taux de profits bas, ou en baisse

3) Une explication de la crise en termes d'insuffisance de la demande est implicitement, si ce n'est explicitement, réformiste, en sous-entendant qu'il suffirait d'augmenter les salaires pour sortir de la crise.

Or...

1) Je ne crois pas que Marx défende l'idée qu'une insuffisance des profits soit la seule cause possible d'une crise. Certes, la (célèbre) citation fournie dans ton article polémique contre ceux qui prétendent qu'il suffirait d'augmenter les salaires pour éviter les crises. Mais cela ne signifie pas qu'une crise ne puisse être due à l'insuffisance de la demande — en de multiples occasions, Marx polémique longuement contre la loi de Say, expliquant justement que la demande globale n'est pas obligatoirement égale à l'offre. Sur ce point, un petit livre comme celui de Marcel Roelandts me semble tout à fait indiqué. Par ailleurs, je crois qu'il y a souvent une confusion sur ce qu'on appelle une crise. Il y a ainsi la « crise » depuis 2008 comme il y a la « crise » depuis les années 1970. Or, si les deux phénomènes sont liés, ils sont quand même tout à fait distincts. Dans un cas, c'est le taux 'utilisation des capacités de production qui baisse ; dans l'autre, c'est le taux de croissance de ces capacités elles-mêmes. Et je ne suis pas certain du tout que les deux appellent les mêmes explications.

2) Je sais qu'il y a là-dessus une abondante polémique, qu'on ne va sûrement pas régler ici. Mais en tout cas, bien des économistes marxistes soutiennent, chiffres à l'appui, que le taux de profit brutalement rétabli dans les années 1980 est resté globalement élevé depuis ; ils constatent également que ce taux de profit élevé contraste avec un taux d'investissement qui demeure atone — ce sur quoi tout le monde est à peu près d'accord — et lient cet écart à la financiarisation croissante de l'économie. Et faut-il le préciser (c'est déjà le point 3), ce n'est pas parce qu'un certain nombre d'économistes réformistes de la "gauche de la gauche" partagent peu ou prou cette analyse qu'elle serait fausse, non marxiste, ou les deux à la fois. De même, ce n'est pas parce qu'une analyse, fût-elle menée en termes marxistes, s'oppose à celle de réformistes, qu'elle est ipso facto juste ; ne serait-ce que parce que le premier critère de la justesse dune analyse, c'est son adéquation aux faits.

3) Toute l'accusation repose sur un glissement entre condition nécessaire et suffisante. Les réformistes disent : « L'insuffisance de la demande est la cause de la crise. Donc, augmentons la demande et nous sortirons de la crise » (au passage, c'est un peu une escroquerie d'appeler ça du keynésianisme, car Keynes était très loin de vouloir augmenter les salaires). Mais personne à LO n'a jamais dit ni que l'insuffisance de la demande était la seule cause de la crise, ou plus exactement, sa seule caractéristique, ni qu'il était possible d'augmenter la demande sans déplacer le problème, c'est-à-dire, par exemple, sans faire chuter le taux de profit. Et ce n'est pas parce que les réformistes le disent que ça engage LO à quoi que ce soit — tout au contraire, LO combat systématiquement les discours prétendant qu'on peut sortir de la crise par une simple répartition des richesses, sans toucher aux mécanismes fondamentaux du système (les réformistes en question, d'ailleurs, sont suffisamment convaincus de cette réponse de LO pour la lui reprocher à chaque occasion).
Tout cela me fait penser à un cardiaque qui serait en train de crever de la gangrène. Les médecins réformistes diraient : « Amputons-le, il serait guéri ». Certains marxistes (dont ceux de LO) répondraient : « Demandons-nous qui voudra ou pourra l'amputer ; mais quoi qu'il en soit, son cœur ne survivra pas à l'amputation ». Et là, d'autres marxistes (Gaston), les tanceraient : « Mais diagnostiquer la gangrène, c'est laisser entendre qu'on peut le sauver, et faire le lit de ces charlatans. La vérité médicale exige donc d'exclure le diagnostic de la gangrène. »
Avatar de l’utilisateur
Jacquemart
 
Message(s) : 203
Inscription : 16 Déc 2003, 23:06

Re: Analyse de la crise

Message par Gaston Lefranc » 03 Jan 2014, 00:41

Merci de ta réponse. Quelques éléments pour la discussion en reprenant les trois points que tu listes.

1) Je n'ai pas dit que l'insuffisance du taux de profit était une "cause" de la crise ; j'ai dit qu'il ne pouvait pas y avoir une crise générale si le taux de profit est élevé. Si le taux de profit est élevé, c'est que les capitalistes parviennent à extorquer et à réaliser beaucoup de plus-value par rapport au capital investi. Le contraire de la crise. L'insuffisance du taux de profit n'est pas une "cause", c'est justement ce qu'il faut expliquer. Et c'est l'apport fondamental de Marx, avec la loi de la baisse tendancielle du taux de profit, d'avoir fourni une explication à cette chute de la rentabilité du capital qui, à partir d'un certain stade, débouche sur la crise.

Ce que les anglophones appellent "profit squeeze", ce n'est pas exactement l'insuffisance du taux de profit, c'est le fait que la part des profits dans la valeur ajoutée diminue par rapport à la part des salaires. Mais ce que Marx explique, c'est précisément que ce qui entraîne la baisse du taux de profit, ce n'est pas principalement la hausse des salaires par rapport au profit, mais l'augmentation de la composition organique du capital (c'est-à-dire le fait qu'on substitue des moyens de production à de la force production, si bien que de plus en plus de capital est avancé sous forme de "capital constant" - achat de machines, etc. et de moins en moins sous forme de "capital variable" - achat de forces de travail qui seules créent la valeur à l'origine du profit.

Tu opposes à mon avis l'insuffisance de la demande à l'insuffisance de profit. Personne ne nie qu'il y a insuffisance de la demande. Par définition, quand il y a crise, c'est qu'il y a insuffisance de la demande, puisque la définition de la crise, c'est le fait que les capitalistes n'arrivent pas à vendre une partie significative des marchandises à leur prix normal. Mais "l'insuffisance de la demande" n'explique rien : c'est uniquement descriptif. Il y a deux explications principales à la crise, c'est-à-dire à l'insuffisance de la demande qui se manifeste à une échelle significative : soit on pense que c'est parce que les salaires sont trop faibles (et c'est ce que dit cette résolution : "La cause fondamentale de toute crise économique est l’insuffisance de la demande solvable de la classe ouvrière par rapport aux capacités de production des entreprises capitalistes"), soit on pense que c'est parce que la rentabilité du capital est basse (si bien que l'accumulation se bloque, car les capitalistes n'investissent plus en achats de moyens de production et de forces de travail supplémentaires).

Quant au taux d'utilisation des capacités que tu évoques, ce n'est pas une cause, c'est un symptôme de la crise : il baisse forcément quand il y a crise, car une partie des capacités productives n'est alors plus utilisée.

2) Concernant la question de la mesure du taux de profit, c'est en effet un débat compliqué. J'invite vraiment les camarades qui lisent l'anglais à lire cet excellent ouvrage de Kliman qui dissèque toutes les façons de mesurer le taux de profit, et qui extrêmement clair. D'un point de vue marxiste (mais aussi d'un point de vue concret), le taux de profit se mesure en rapport les profits au capital avancé (mesuré au coût "historique", c'est-à-dire la somme qui a réellement été avancé par le capitaliste). L'ouvrage est en ligne (http://digamo.free.fr/kliman01.pdf) et j'invite les camarades à consulter le graphique des taux de profit page 76. Si on se donne la peine d'aller aux sources, on peut refaire le calcul. Le taux de profit ne s'est pas rétabli dans les années 1980. Pour le faire "remonter" (et encore, de façon seulement partielle), il faut évaluer le capital au "coût de remplacement", et cela n'a rien à voir avec la mesure d'un taux de profit. Kliman l'explique longuement de façon convaincante (c'est son chapitre 6).

Pour Marx, le déterminant fondamental du taux d'accumulation (et donc de la croissance), c'est le taux de profit. Certains, comme Husson ou Roelandts, trouvent un taux de profit qui monte alors que le taux d'accumulation ne monte pas... Et ils essaient de trouver une explication. Mais en fait, ils cherchent une explication à quelque chose qui n'existe pas. Ils se trompent dans la mesure du taux de profit. Et ils se trompent donc en disant qu'une part de plus en plus forte des profits n'est pas réinvesti. Je crois l'avoir démontré dans cette contribution basée sur les données de la comptabilité nationale française : http://tendanceclaire.npa.free.fr/article.php?id=480

Leur raisonnement est en fait à mon avis profondément anti-marxiste, puisqu'ils pensent que de façon durable, les capitalistes pourraient décider de ne plus investir une grosse partie de leurs profits. Cela relève plus de la théorie du complot que du marxisme. Ce que Marx explique, c'est que les capitalistes ne "choisissent" pas ce qu'ils font. Il y a les lois du mode de production qui s'imposent à eux. Et ils doivent investir pour rester compétitif, et c'est pourquoi la part des profits investi est globalement stable, au delà des variations conjoncturelles.

3) J'ai déjà un peu répondu au point 3. La résolution de LO ne dit pas que la crise est due à l'insuffisance de la demande (là dessus, tout le monde est d'accord, c'est une lapalissade qui n'explique rien : crise = insuffisance de la demande, et c'est cette insuffisance de la demande qu'il faut expliquer), mais que cette insuffisance de la demande (et donc la crise) est due au faible pouvoir d'achat des ouvriers, et donc à la faiblesse des salaires. Donc logiquement, si cette analyse est bonne, cela signifie que la hausse des salaires permet de surmonter la cause de la crise. C'est pourquoi les remèdes keynésiens seraient tout à fait pertinents (pour sortir de la crise) si leur analyse était juste. Au passage, tu as raison sur Keynes (je parlais des keynésiens réformistes du Front de gauche, des directions syndicales. Keynes prônait avant tout une politique monétaire expansionniste et une relance budgétaire pour sortir de la crise, pas une hausse des salaires).

Tu dis que LO ne dit pas que la faiblesse des salaires est la seule cause de la crise. Elle dit en tout cas que c'est la cause fondamentale. LO ne dit pas en effet, comme les réformistes, qu'il suffirait d'augmenter les salaires pour sortir de la crise... mais le problème, c'est que LO ne donne pas les clés pour comprendre pourquoi une telle hausse des salaires ne suffirait pas. Du coup, la conclusion politique ne semble pas découler de son analyse de la crise, et c'est bien là la faiblesse de ce texte.

Le problème n'est pas seulement de faire de la faiblesse des salaires la cause fondamentale de la crise. C'est d'en faire une cause, alors que Marx expliquait au contraire qu'augmenter le taux d'exploitation était une contre-tendance à la loi de la baisse tendancielle du taux de profit. Le capitalisme ne se porte pas plus mal quand les salaires baissent, ce sont les salariés qui se portent plus mal, nuance ! Ce système monstrueux se porte d'autant mieux qu'il impose des conditions terribles aux travailleurs. C'est évidemment un message inacceptable pour les réformistes qui veulent nous faire croire qu'il pourrait y avoir un bon capitalisme qui se porterait d'autant mieux qu'il serait généreux avec les travailleurs. Sauf que c'est complètement faux. Et on en a la preuve tous les jours, avec l'échec des relances keynésiennes partout. En France, on a bien vu ce qu'a donné celle de 1981-1982... Les réformistes nous parlent des 30 Glorieuses, mais ils inversent la cause et l'effet. Ce n'est pas grâce aux hausses de salaires que le capitalisme a connu de forts taux de croissance. C'est parce que la rentabilité du capital a été élevée que des hausses de salaires ont pu être octroyées (par la lutte des travailleurs) tout en gardant une rentabilité élevée du capital et donc une forte accumulation.
Gaston Lefranc
 
Message(s) : 17
Inscription : 15 Juil 2008, 12:59

Re: Analyse de la crise

Message par spartacre » 04 Jan 2014, 01:26

" le capitalistes ne choisissent pas,ce qu 'ils font , il y a des lois qui s'imposent à eux " Certes .mais . raisonnement un peu mécaniste .. à l 'intérieur du système des choix sont possibles ou peuvent obéir à des variations et c'est d'autant plus vrai , que sur la base d 'un rapport de force la classe ouvrière peut leur imposer un certain nombre de choses , comme ..L 'interdiction des licenciements , l 'échelle mobile des salaires ; qui sont des étapes vers une domination de la classe ouvrière ( programme de transition ). Ce qu 'ils ne "peuvent " faire ( ce qu 'ils disent d'ailleurs pour se dédouaner ) eh bien , ce qu 'ils ne "peuvent " faire on peut les obliger à le faire , tout en restant temporairement dans le système......en attendant de les virer .. car ces "lois qui s'imposent à eux" , ça peut être la dure loi de la lutte de classe .. bon ..
spartacre
 
Message(s) : 83
Inscription : 02 Nov 2013, 12:04

Re: Analyse de la crise

Message par Gaston Lefranc » 04 Jan 2014, 10:48

La loi de la baisse tendancielle du taux de profit, une contribution décisive de Marx à la critique de l'économie politique (qu'il peut exposer dans le livre III du Capital, après avoir fait l'analyse du procès de production dans le livre I et l'étude du procès de circulation dans le livre II), est l'illustration d'une loi du système qui s'impose aux capitalistes, contre leurs intérêts. Comment résumer cette loi ? En disant que dans la course à la maximisation du taux de profit, les capitalistes sont obligés d'innover, de "révolutionner le procès de production", pour augmenter leur productivité et être plus compétitif que leurs concurrents (et donc réaliser une plus-value "extra", gagner des parts de marché, etc.). Et le résultat "agrégé" de tout cela, c'est la hausse de la composition organique du capital (expression de la révolution du procès de production, qui se traduit par la substitution du travail mort au travail vivant) qui tire à la baisse du taux de profit. Donc en voulant augmenter leur taux de profit au niveau individuel, les capitalistes ne font que plomber le taux de profit général de l'économie. Paradoxe sublime, qui illustre la nature contradictoire du mode de production capitaliste. Et contre cela, les capitalistes ne peuvent rien, c'est en effet une loi qui s'impose à eux.

Depuis toujours, les réformistes ont voulu remettre en cause cette loi fondamentale, car elle exprime l'inéluctabilité des crises. Or, les réformistes ne le supportent pas puisqu'ils veulent justement réformer le système pour le faire mieux fonctionner, soit disant au bénéfice de tous. D'où la "trouvaille" de Husson et d'autres, selon laquelle le taux de profit serait à nouveau très haut aujourd'hui mais avec un taux d'accumulation très bas : les capitalistes n'investiraient plus leurs profits, ils seraient en fait capables de maîtriser le système pour se garantir des taux de profit élevés, en se mettant d'accord collectivement pour ne plus investir, rendant caduque la loi de la baisse tendancielle du taux de profit (qui repose en effet sur la dynamique d'accumulation du capital). C'est une construction théorique qui est démentie par la réalité, cf. mes messages ci-dessus.

Tout ceci ne veut bien évidemment pas dire que la lutte des classes n'a aucun effet. Mais le désaccord repose sur l'analyse des conséquences sur l'accumulation du capital. Pour les réformistes, une lutte qui se traduit par des hausses de salaires est facteur de sortie de crise (mécanisme de relance, etc.) alors que l'analyse marxiste nous dit que celle-ci pèse sur le taux de profit, et est donc facteur d'aggravation de la crise. Ceci est impensable pour les réformistes qui conditionne la bataille pour les salaires, etc. à ce qui est "absorbable" par les capitalistes. Alors que nous autres anticapitalistes, nous ne conditionnons pas nos luttes à leur compatibilité avec le capitalisme. Au contraire, nous expliquons que la défense de nos intérêts de classe sont contradictoires avec le système, et nécessite justement d'abattre ce système pour que ceux-ci se réalisent pleinement. C'est donc un argument décisif pour convaincre les travailleurs qu'il faut abattre le système, car le système nous condamne à toujours plus d'austérité, de régressions (au mieux), ou à la guerre ou aux faillites de masses, avec des conséquences encore plus dramatiques pour nos vies (au pire)

J'ai donc un désaccord avec toi, spartacre, sur la façon d'articuler nos mots d'ordre avec la rupture avec le système. A mon sens, défendre une logique transitoire, c'est avancer des mots d'ordre et expliquer que leur pleine réalisation implique la rupture avec le système, et donc un gouvernement des travailleurs qui exproprie les capitalistes, etc. Bien sur, on peut obtenir des choses dans le cadre du système, des hausses de salaires, etc., même si les marges de manoeuvre des capitalistes ne sont pas infinies, et dépendent de la situation objective de l'économie capitaliste. En temps de crise (comme aujourd'hui), ou dans les années 1950, les marges de manoeuvre ne sont pas les mêmes. Mais il me semble vraiment erroné de faire croire qu'on pourrait obtenir l'interdiction des licenciements dans le cadre du système (par une loi prise par un gouvernement bourgeois sous la pression). Ce n'est pas ainsi qu'on développera la conscience anticapitaliste : on doit justement expliquer que l'interdiction des licenciements nécessite d'en finir avec le système. Interdire les licenciements, cela revient à défendre l'interdiction du capitalisme dans le cadre du capitalisme... Cela n'a pas de sens, et je ne vois pas l'intérêt pour des organisations anticapitalistes de faire croire ceci. Si c'est par souci de "réalisme" ou de crédibilité, c'est complètement raté à mon avis. La démarche transitoire, à mon sens, c'est justement l'opposé d'une démarche étapiste.
Gaston Lefranc
 
Message(s) : 17
Inscription : 15 Juil 2008, 12:59

Re: Analyse de la crise

Message par Doctor No » 04 Jan 2014, 12:23

Une question, Gaston,
Comment cela se fait qu'avec une diminution des salaires (de la masse salariale?) et un taux de profit en chute libre, les profits augmentent? Ou ce n'est pas vrai, contrairement à ce "que l'on nous dit"?
Essai de m'expliquer bien, comme t'as l'habitude, parce que forcement on se voit obligé d'expliquer autour de soi. Et c'est très dur.
Autrement ta critique ci-dessus, me semble correcte, bien que je ne soit pas "spécialiste", cela me semblait déjà louche, mais sans connaitre grande chose...
Autrement, comment on peut expliquer que la crise tombe sur l'Europe mais dans les "pays émergents", ou dans d'autres pays (en Amérique Latine par exemple) cela ne soit pas aussi important? Parce que garder entre 7,5 et 5% de croissance ce n'est pas si mauvais, en plus en Europe et aux US cela n'augmente pas, mais ne chute pas brutalement non plus...
Comment expliquer aussi que on n'ait pas eu un effet style 1934 (fermement des usines à la pelle partout)?
Somme nous devant un autre type (forme) de Crise?
En te remerciant à l'avance.
Doctor No
 
Message(s) : 467
Inscription : 24 Mai 2011, 14:40

Re: Analyse de la crise

Message par Gaston Lefranc » 04 Jan 2014, 13:22

Salut Docteur No, pour essayer de te répondre :

1) Le taux de profit est égal au montant des profits divisé par le montant du capital avancé. Autrement dit, le taux de profit peut baisser alors même que les profits augmentent : il « suffit » pour cela que le montant du capital avancé augmente plus vite que le montant des profits. C'est d'ailleurs ce que Marx expliquait avec sa « loi de la baisse tendancielle du taux de profit » : la « normalité » capitaliste, ce sont des profits en hausse et un taux de profit en baisse. En temps de crise, non seulement le taux de profit baisse, mais les profits aussi.

Et c'est ce qu'on a observé également aujourd'hui : non seulement le taux de profit a baissé, mais le niveau même des profits a baissé depuis le déclenchement de la crise (même sans corriger de l'inflation) : le niveau de l'EBE (excédent brut d'exploitation : en gros, le profit brut) est toujours à un niveau inférieur aujourd'hui à ce qu'il était il y a 6 ans (cf. http://www.insee.fr/fr/indicateurs/cnat ... ct_val.xls pour voir les données)

Il ne faut pas confondre les « profits du CAC 40 » (qui ne concernent que 40 entreprises, et qui comptent aussi les profits faits à l'étranger) et les profits des entreprises en France. Si le taux de marge baisse (il est au plus bas depuis 1985 : cf. http://www.insee.fr/fr/themes/info-rapi ... e=20131224), c'est bien parce que les salaires augmentent plus vite que les profits. C'est une réalité. Non pas parce que les salaires augmentent vite (cf. http://www.insee.fr/fr/themes/document. ... id=sls2010), mais parce qu'ils augmentent plus vite que les profits.

Et donc, pour résumer, le problème de l'économie capitaliste française par rapport aux autres, c'est que les salaires sont trop haut. En Allemagne, Schröder a fait le « travail » au début des années 2000 ; en Europe du Sud (Espagne, Portugal, Espagne), les salaires ont baissé, de même en Europe de l'est. En France, c'est un enjeu décisif pour Hollande d'arriver à baisser les salaires ou en tout cas à faire en sorte qu'ils augmentent moins vite que les profits. D'où l'annonce de Hollande le 31/12 d'une loi pour baisser les cotisations patronales, c'est-à-dire la partie socialisée de notre salaire. Hollande veut être le Schröder français (en passant, cf. http://tendanceclaire.npa.free.fr/conte ... df-564.pdf pour une analyse de la feuille de route de Hollande).

2) Mais comme Marx l'a expliqué, l'augmentation du taux d'exploitation est bien une contre-tendance à la baisse du taux de profit, mais il a ses limites : la vraie sortie de crise nécessite , dans le cadre du capitalisme, de purger le capital excédentaire, et donc cela passe nécessairement par une vague importante de faillites ou une guerre. Sinon, c'est la stagnation au mieux. Tu notes dans ton message la différence avec la crise de 1929, où la production s'était effondrée. La différence, c'est qu'aujourd'hui, les États sont intervenus pour éviter les faillites des gros groupes capitalistes (et notamment des banques), car, vue la concentration du capital encore plus forte aujourd'hui, l'effondrement aurait été encore plus important qu'aujourd'hui si les États avaient laissé les mastodontes faire faillite. Mais la contrepartie à ces sauvetages, c'est que la purge de capital ne se fait pas, et donc que les conditions de sortie de crise ne sont pas réunies. D'où la stagnation ou croissance très faible que nous connaissons dans les pays impérialistes.

3) La crise a concerné avant tout les « vieux » pays impérialistes, car c'est là que le taux de profit est le plus faible. Dans les pays « émergents », le taux de profit est plus élevé, et c'est d'ailleurs la raison de la forte croissance. C'est aussi la raison des exportations de capital des vieux pays impérialistes vers ces pays là. Rien de nouveau là dedans d'ailleurs, il suffit de relire Lénine. Mais bien entendu, ces pays là sont aussi concernés par les lois de l'accumulation du capitalisme : cf. par exemple cette étude sur la Chine (http://actuelmarx.u-paris10.fr/cm6/com/ ... Mylene.doc) qui traite de la baisse du taux de profit en Chine, suite à la hausse de la composition organique du capital (une illustration de plus de la bonne vieille loi de la baisse tendancielle du taux de profit).

Donc même si la croissance est plus forte dans certains pays émergents, les lois du capitalisme sont à l'oeuvre, et une crise importante de suraccumulation guette, notamment en Chine.
Gaston Lefranc
 
Message(s) : 17
Inscription : 15 Juil 2008, 12:59

Re: Analyse de la crise (texte du dernier congrès de LO)

Message par erou » 04 Jan 2014, 18:20

Lutte de classe - Texte de congrès de LO de 2001
Le capitalisme n'a plus la même capacité de "révolutionner" depuis longtemps. Il est devenu un frein du point de vue du développement des forces productives et un facteur de conservation essentiel dans le domaine des rapports sociaux. Bien sûr, les sciences et les techniques n'ont pas cessé de progresser, quoique d'une façon fortement marquée par la prédominance des intérêts privés, par la concurrence, par les brevets, etc. Mais ce ne sont pas les progrès techniques qui donnent à une économie capitaliste de plus en plus parasitaire la capacité de se saisir de ces progrès techniques pour accroître de façon significative les forces productives. De l'utilisation de l'énergie nucléaire à la militarisation de l'espace dès qu'il a commencé à être maîtrisé, nombreuses sont les illustrations de la propension du capitalisme à transformer des inventions majeures non pas en moyens d'accroître les forces productives, mais en moyens de destruction.
Par-delà les variations cycliques, inhérentes à l'organisation capitaliste de l'économie à tous les stades de son développement, c'est le caractère impérialiste, à dominante financière, de l'économie capitaliste, qui constitue un obstacle devant une nouvelle ère d'essor des forces productives.
Quand Lénine ou Trotsky décrivaient l'impérialisme comme l'âge sénile de l'organisation capitaliste de l'économie, ils n'émettaient pas un jugement moral. Ils constataient que cette organisation économique est arrivée au bout du rouleau du point de vue du développement des forces productives.
Ni l'un ni l'autre ne s'attendaient à ce que cet ordre social se survive si longtemps et que "l'âge sénile" soit ô combien plus long que cette jeunesse où, pour reprendre le mot du Manifeste communiste, le capitalisme a accompli des "merveilles".
Trotsky a vécu assez longtemps pour connaître une partie du prix que l'humanité a dû payer pour cette survie avec la grande dépression de 1929, le fascisme et le nazisme, la Seconde Guerre mondiale et, de façon indirecte, la dégénérescence bureaucratique du premier Etat ouvrier.
Et même les "trente glorieuses", ces trois décennies la moitié à peine, en réalité qui passent aujourd'hui pour l'âge d'or perdu du capitalisme de l'après-guerre, n'avaient en réalité rien de glorieux pour la société. Pas seulement parce que le sort de la classe ouvrière ne s'est amélioré que comparativement à la guerre et ses lendemains immédiats. Mais parce qu'elles ne représentaient nullement cette période d'essor économique que décrivent ses laudateurs, pour qui la croissance du produit intérieur brut équivaut à un accroissement des forces productives, alors que le premier inclut les faux frais de l'économie capitaliste, jusques et y compris les dépenses d'armement, le coût du militarisme, sans même parler des retombées diverses du trafic de la drogue et du crime organisé".
erou
 
Message(s) : 4
Inscription : 20 Jan 2007, 20:44

Re: Analyse de la crise (texte du dernier congrès de LO)

Message par spartacre » 05 Jan 2014, 01:32

A gaston Lefranc

Au fond il s'agit du programme de transition , toujours valable .. beaucoup de "bordiguistes d 'ailleurs ne l 'ont pas compris et pour eux tous ces "mots d 'ordre " sont irréalistes car incompatibles avec l 'existence du capitalisme . Nous le savons aussi bien,qu 'eux ; Il ne s'agit pas d "être "étapiste" mais de se demander quels objectifs , quelles perspective "concrètes"s sont susceptibles d'être repris , compris par les travailleurs dans un processus de lutte ininterrompue . L 'interdiction des licenciements , l 'ouverture des livres de compte , la répartition du travail entre tous , l'échelle mobile des salaires ( au fond , c'est du programme de transition dont il est question ) voila qui "parle" d 'avantage aux travailleurs que de se contenter de dire qu 'il faut" abroger le capitalisme ".. avant de réaliser quoique ce soit ...Car tu conviendras que dire ça comme ça , n 'évoque rien pour les travailleurs.. mais je pense que l 'on est d 'accord ..
spartacre
 
Message(s) : 83
Inscription : 02 Nov 2013, 12:04

Re: Analyse de la crise (texte du dernier congrès de LO)

Message par erou » 05 Jan 2014, 10:51

L'élément principal de cette accélération de la crise du capitalisme c'est le gonflement des dettes publiques
Ce gonflement est généralisé à l’ensemble des Etats, y compris les plus puissants.
Sans doute, l’élément le plus important : cette dette est, pour l’essentiel, entre les mains de détenteurs privés (fonds de pension, banques, institutions financières internationales), lesquels imposent des taux d’intérêt exorbitants, créant donc une situation où le paiement des intérêts de la dette devient impossible pour la plupart des Etats concernés.
Il en découle que des nations en principe souveraines et indépendantes sont à la merci d’investisseurs privés agissant vis-à-vis d’elles comme n’importe quel banquier avec un ouvrier surendetté, exigeant le bradage au plus offrant de tout le patrimoine national, allant jusqu’à dépecer le pays, en commençant par le dépeçage de la classe ouvrière.
Arrivés à ce stade, la dette, et le système de crédit qui l’a engendrée, apparaît, à juste titre, aux travailleurs et aux peuples du monde entier, comme un instrument de mort et de destruction. C’est un instrument de destruction massive des forces productives.
Or cela n’a pas toujours été le cas. Le crédit a naguère contribué au développement des forces productives. Il en est aujourd’hui un instrument de destruction en masse. La crise de la dette est un concentré de la décomposition du système capitaliste fondé sur la propriété privée des moyens de production. Elle souligne à quel point ce dernier est profondément entré dans sa phase d’agonie. Nous allons voir qu’il n’y a là rien d’accidentel, sinon le développement « logique » des mécanismes du système lui-même, dont l’agonie, pour être écourtée, appelle le seul « remède » possible : la révolution expropriatrice des exploiteurs et des oppresseurs.(...)
erou
 
Message(s) : 4
Inscription : 20 Jan 2007, 20:44

Suivant

Retour vers Histoire et théorie

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 16 invité(s)