Merci de ta réponse. Quelques éléments pour la discussion en reprenant les trois points que tu listes.
1) Je n'ai pas dit que l'insuffisance du taux de profit était une "cause" de la crise ; j'ai dit qu'il ne pouvait pas y avoir une crise générale si le taux de profit est élevé. Si le taux de profit est élevé, c'est que les capitalistes parviennent à extorquer et à réaliser beaucoup de plus-value par rapport au capital investi. Le contraire de la crise. L'insuffisance du taux de profit n'est pas une "cause", c'est justement ce qu'il faut expliquer. Et c'est l'apport fondamental de Marx, avec la loi de la baisse tendancielle du taux de profit, d'avoir fourni une explication à cette chute de la rentabilité du capital qui, à partir d'un certain stade, débouche sur la crise.
Ce que les anglophones appellent "profit squeeze", ce n'est pas exactement l'insuffisance du taux de profit, c'est le fait que la part des profits dans la valeur ajoutée diminue par rapport à la part des salaires. Mais ce que Marx explique, c'est précisément que ce qui entraîne la baisse du taux de profit, ce n'est pas principalement la hausse des salaires par rapport au profit, mais l'augmentation de la composition organique du capital (c'est-à-dire le fait qu'on substitue des moyens de production à de la force production, si bien que de plus en plus de capital est avancé sous forme de "capital constant" - achat de machines, etc. et de moins en moins sous forme de "capital variable" - achat de forces de travail qui seules créent la valeur à l'origine du profit.
Tu opposes à mon avis l'insuffisance de la demande à l'insuffisance de profit. Personne ne nie qu'il y a insuffisance de la demande. Par définition, quand il y a crise, c'est qu'il y a insuffisance de la demande, puisque la définition de la crise, c'est le fait que les capitalistes n'arrivent pas à vendre une partie significative des marchandises à leur prix normal. Mais "l'insuffisance de la demande" n'explique rien : c'est uniquement descriptif. Il y a deux explications principales à la crise, c'est-à-dire à l'insuffisance de la demande qui se manifeste à une échelle significative : soit on pense que c'est parce que les salaires sont trop faibles (et c'est ce que dit cette résolution : "La cause fondamentale de toute crise économique est l’insuffisance de la demande solvable de la classe ouvrière par rapport aux capacités de production des entreprises capitalistes"), soit on pense que c'est parce que la rentabilité du capital est basse (si bien que l'accumulation se bloque, car les capitalistes n'investissent plus en achats de moyens de production et de forces de travail supplémentaires).
Quant au taux d'utilisation des capacités que tu évoques, ce n'est pas une cause, c'est un symptôme de la crise : il baisse forcément quand il y a crise, car une partie des capacités productives n'est alors plus utilisée.
2) Concernant la question de la mesure du taux de profit, c'est en effet un débat compliqué. J'invite vraiment les camarades qui lisent l'anglais à lire cet excellent ouvrage de Kliman qui dissèque toutes les façons de mesurer le taux de profit, et qui extrêmement clair. D'un point de vue marxiste (mais aussi d'un point de vue concret), le taux de profit se mesure en rapport les profits au capital avancé (mesuré au coût "historique", c'est-à-dire la somme qui a réellement été avancé par le capitaliste). L'ouvrage est en ligne (
http://digamo.free.fr/kliman01.pdf) et j'invite les camarades à consulter le graphique des taux de profit page 76. Si on se donne la peine d'aller aux sources, on peut refaire le calcul. Le taux de profit ne s'est pas rétabli dans les années 1980. Pour le faire "remonter" (et encore, de façon seulement partielle), il faut évaluer le capital au "coût de remplacement", et cela n'a rien à voir avec la mesure d'un taux de profit. Kliman l'explique longuement de façon convaincante (c'est son chapitre 6).
Pour Marx, le déterminant fondamental du taux d'accumulation (et donc de la croissance), c'est le taux de profit. Certains, comme Husson ou Roelandts, trouvent un taux de profit qui monte alors que le taux d'accumulation ne monte pas... Et ils essaient de trouver une explication. Mais en fait, ils cherchent une explication à quelque chose qui n'existe pas. Ils se trompent dans la mesure du taux de profit. Et ils se trompent donc en disant qu'une part de plus en plus forte des profits n'est pas réinvesti. Je crois l'avoir démontré dans cette contribution basée sur les données de la comptabilité nationale française :
http://tendanceclaire.npa.free.fr/article.php?id=480Leur raisonnement est en fait à mon avis profondément anti-marxiste, puisqu'ils pensent que de façon durable, les capitalistes pourraient décider de ne plus investir une grosse partie de leurs profits. Cela relève plus de la théorie du complot que du marxisme. Ce que Marx explique, c'est que les capitalistes ne "choisissent" pas ce qu'ils font. Il y a les lois du mode de production qui s'imposent à eux. Et ils doivent investir pour rester compétitif, et c'est pourquoi la part des profits investi est globalement stable, au delà des variations conjoncturelles.
3) J'ai déjà un peu répondu au point 3. La résolution de LO ne dit pas que la crise est due à l'insuffisance de la demande (là dessus, tout le monde est d'accord, c'est une lapalissade qui n'explique rien : crise = insuffisance de la demande, et c'est cette insuffisance de la demande qu'il faut expliquer), mais que cette insuffisance de la demande (et donc la crise) est due au faible pouvoir d'achat des ouvriers, et donc à la faiblesse des salaires. Donc logiquement, si cette analyse est bonne, cela signifie que la hausse des salaires permet de surmonter la cause de la crise. C'est pourquoi les remèdes keynésiens seraient tout à fait pertinents (pour sortir de la crise) si leur analyse était juste. Au passage, tu as raison sur Keynes (je parlais des keynésiens réformistes du Front de gauche, des directions syndicales. Keynes prônait avant tout une politique monétaire expansionniste et une relance budgétaire pour sortir de la crise, pas une hausse des salaires).
Tu dis que LO ne dit pas que la faiblesse des salaires est la seule cause de la crise. Elle dit en tout cas que c'est la cause fondamentale. LO ne dit pas en effet, comme les réformistes, qu'il suffirait d'augmenter les salaires pour sortir de la crise... mais le problème, c'est que LO ne donne pas les clés pour comprendre pourquoi une telle hausse des salaires ne suffirait pas. Du coup, la conclusion politique ne semble pas découler de son analyse de la crise, et c'est bien là la faiblesse de ce texte.
Le problème n'est pas seulement de faire de la faiblesse des salaires la cause fondamentale de la crise. C'est d'en faire une cause, alors que Marx expliquait au contraire qu'augmenter le taux d'exploitation était une contre-tendance à la loi de la baisse tendancielle du taux de profit. Le capitalisme ne se porte pas plus mal quand les salaires baissent, ce sont les salariés qui se portent plus mal, nuance ! Ce système monstrueux se porte d'autant mieux qu'il impose des conditions terribles aux travailleurs. C'est évidemment un message inacceptable pour les réformistes qui veulent nous faire croire qu'il pourrait y avoir un bon capitalisme qui se porterait d'autant mieux qu'il serait généreux avec les travailleurs. Sauf que c'est complètement faux. Et on en a la preuve tous les jours, avec l'échec des relances keynésiennes partout. En France, on a bien vu ce qu'a donné celle de 1981-1982... Les réformistes nous parlent des 30 Glorieuses, mais ils inversent la cause et l'effet. Ce n'est pas grâce aux hausses de salaires que le capitalisme a connu de forts taux de croissance. C'est parce que la rentabilité du capital a été élevée que des hausses de salaires ont pu être octroyées (par la lutte des travailleurs) tout en gardant une rentabilité élevée du capital et donc une forte accumulation.