Nationalisme, patriotisme, question nationale, tout ça

Marxisme et mouvement ouvrier.

Nationalisme, patriotisme, question nationale, tout ça

Message par Matrok » 16 Juin 2014, 11:00

J'ouvre ce fil pour qu'on puisse y discuter sur la façon de laquelle les trotskystes traitent la "question nationale", puisque on en parle ici (entre autres).

Et comme base de réflexion, je recopie un court extrait du Programme de Transition (1938, chapitre "La lutte contre l'impérialisme et contre la guerre"). Le texte doit être compris dans son contexte qui est l'avancée inéluctable vers ce qu'on appellera ensuite la "deuxième guerre mondiale"...
"DÉFENSE DE LA PATRIE" ? Mais, par cette abstraction, la bourgeoisie entend la défense de ses profits et de ses pillages. Nous sommes prêts à défendre la patrie contre les capitalistes étrangers, si nous garrotons tout d'abord nos propres capitalistes, et les empêchons de s'attaquer à la patrie d'autrui; si les ouvriers et les paysans de notre pays deviennent ses véritables maîtres; si les richesses du pays passent des mains d'une infime minorité dans les mains du peuple; si l'armée, d'instrument des exploiteurs, devient l'instrument des exploités.

Il faut savoir traduire ces idées fondamentales en idées plus particulières et plus concrètes, selon la marche des événements et l'orientation de l'état d'esprit des masses. Il faut, en outre, distinguer rigoureusement entre le pacifisme du diplomate, du professeur, du journaliste et le pacifisme du charpentier, de l'ouvrier agricole ou de la blanchisseuse. Dans le premier de ces cas, le pacifisme est la couverture de l'impérialisme. Dans le second, l'expression confuse de la défiance envers l'impérialisme.

Quand le petit paysan ou l'ouvrier parlent de la défense de la patrie, ils se représentent la défense de leur maison, de leur famille et de la famille d'autrui contre l'invasion, contre les bombes, contre les gaz asphyxiants. Le capitaliste et son journaliste entendent par défense de la patrie la conquête de colonies et de marchés, l'extension par le pillage de la part "nationale" dans le revenu mondial. Le pacifisme et le patriotisme bourgeois sont des mensonges complets. Dans le pacifisme et même dans le patriotisme des opprimés, il y a un noyau progressiste qu'il faut savoir saisir pour en tirer les conclusions révolutionnaires nécessaires. Il faut savoir dresser l'une contre l'autre ces deux formes de pacifisme et de patriotisme.


Ce texte n'est évidemment pas indépendant des conditions historiques dans lesquelles il a été écrit. Mais il me semble que d'une façon générale on doit garder à l'esprit dans cette invitation de Trotsky à distinguer ce qu'il peut y avoir de progressiste dans ce qui s'exprime par le patriotisme des opprimés, sans jamais céder à l'autre forme de patriotisme, appelons-la le nationalisme, qui n'est en fait que la défense par la bourgeoisie de ses profits et de ses pillages.

(... à suivre, j'ai autre chose à faire aujourd'hui, si quelqu'un veut prendre la suite le fil est ouvert...)
Matrok
 
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Re: Nationalisme, patriotisme, question nationale, tout ça

Message par Zorglub » 16 Juin 2014, 21:21

La Commune de Paris a commencé ainsi. Désolé pour la longueur de la contribution.
Zorglub
 
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Re: Nationalisme, patriotisme, question nationale, tout ça

Message par Doctor No » 17 Juin 2014, 06:53

Si le sujet est ouvert pour que "les trotskystes puissent discuter" je ne vois pas comment je pourrais prendre part ne faisant pas partie de la confrérie. Et un tas d'autres gens, non plus...

Mais je pense que Matrok n'a pas l'intention autre que de laisser ce débat à d'autres, de fermer le débat.
Ainsi, en usant de mon droit à l'impertinence (droit que je m'attribue sans demander aucune permission) je dirais ce que j'en pense.

Mais le texte posté par Matrok (qu'il laisse aux soins d'autres qui s'en moquent en deux lignes) n'est pas polémique, ne se réfère presque pas au sujet et il est tronqué.

Traiter le rapport entre la question nationale et la question internationale qui est une question au sein même de la classe ouvrière, de son parti, de sa tactique, ne peut se faire que là où: le parti de la classe ouvrière fait partie d'une puissance impérialiste qui opprime d'autres peuples; fait partie d'un "petit" pays (il peut avoir des grandes dimensions) où la révolution démocratique n'a pas été encore menée jusqu'à la fin et/ou est un "petit" pays qui se trouve agressé par une puissance impérialiste (ou une coalition des puissances comme en Libye).

De cela surgit l'importance actuelle de la question anti impérialiste aujourd'hui. C'est à dire du combat international de la classe ouvrière et de ses alliés contre l'ennemi principal de l'humanité. L'impérialisme US et ses alliés.
Cette lutte qui prends nécessairement un caractère nationale (l'impérialisme attaque directement une série des pays souverains et menace indirectement tous les autres; "Tous les autres"Matrok, à la courte ou à la longue), cette lutte anti impérialiste se fait donc principalement aujourd'hui à niveau national mais a besoin de la solidarité active internationale de tous les autres peuples objectivement intéressés à la défaite de l'impérialisme US. Et par là, cela prends un caractère internationale, mais il n'y a pas que cela. Cette lutte, dirigée par la seul classe qui peut la faire de manière conséquente, la classe ouvrière; et dirigée par les seuls partis qui ont une conception approfondie par l'expérience de la lutte anti impérialiste, les partis vraiment communistes ne peut réussir qu'en unissant tous les secteurs anti impérialistes le long de la planète. Qu'en profitant et en faisant jouer toutes les contradictions entre des pays et des impérialismes secondaires qui aient des contradictions réelles avec l'ennemi principal.
C'est cela l'internationalisme et le nationalisme conséquent aujourd'hui pour les travailleurs et la classe ouvrière; c'est aussi l'ABC de la tactique communiste largement développée dans "Le Gauchisme Maladie enfantine du Communisme" de Lénine.

Voila la façon de poser le problème Matrok.
Doctor No
 
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Re: Nationalisme, patriotisme, question nationale, tout ça

Message par com_71 » 17 Juin 2014, 11:05

La revue "lutte de classe" a consacré 3 articles au sujet en 1968, voici le premier :
Lutte de Classe, Série 1967-1968
n°11 (janvier 1968)

Le rôle du sentiment national dans les luttes sociales

Tout comme à l’époque du « Manifeste Communiste », la société humaine est divisée en deux classes fondamentales : bourgeoisie et prolétariat. Des succès, des victoires d’autres classes opprimées que le prolétariat, des armées paysannes à direction radicale en particulier, peuvent, par endroits et par moments, apporter des solutions limitées et circonstanciées aux problèmes les plus brûlants de leurs pays. Il n’en reste pas moins qu’à terme et à l’échelle mondiale, l’avenir de l’humanité se joue entre les deux classes fondamentales de la société capitaliste, c’est-à-dire de notre époque. C’est la conscience profonde de ce fait qui distingue le révolutionnaire prolétarien du révolutionnaire petit-bourgeois.

Il est cependant infiniment peu probable, à l’exception peut-être de circonstances très particulières dans les pays hautement industrialisés, que l’éclosion de la révolution prolétarienne se fasse sous forme d’un processus unique, en quelque sorte « chimiquement pur », mue par le seul antagonisme entre les deux classes fondamentales. Elle se fera très certainement au cours d’une explosion sociale, mettant en mouvement la masse de tous les opprimés et mécontents, outre le prolétariat, la masse des petits-bourgeois urbains, des paysans, des semi-prolétaires, avec leurs préjugés, avec leur inconsistance, avec leur inconscience politique.

Sans la participation de ces masses, aux intérêts, aux objectifs politiques divers, mais unies dans le même mécontentement, dans la même volonté de changement, la révolution n’est pas possible. Le rôle du prolétariat avancé, de l’organisation révolutionnaire en particulier, sera alors d’exprimer le sens objectif de cette lutte, et par là même, de l’orienter et de l’unifier sous la direction de la seule classe historiquement capable de la pousser jusqu’au bout : le prolétariat industriel.

Avant d’être unifiée politiquement, la lutte de ces masses le sera d’abord par le sentiment commun d’être opprimé. Le rôle de tels « sentiments unificateurs » a été, de tout temps, le ressort principal du déclenchement de toute explosion révolutionnaire. Le sentiment national, la conscience d’une oppression nationale ou d’un danger d’oppression nationale, en est un, et des plus importants. Ce sentiment est composé de nombreux éléments, dont les dominantes varient suivant la classe, la couche sociale, qu’il entraîne au combat. Exutoire d’un sentiment d’oppression sociale pour certaines couches exploitées, il peut être aussi le reflet de l’influence d’une classe exploiteuse chauvine. Réactionnaire par certains de ses aspects, mobilisateur dans un sens progressif par d’autres, le sentiment national ne peut, en tout état de cause, être ignoré par les révolutionnaires. Il reste à notre époque encore, un des sentiments les plus profondément ancrés dans les masses populaires, autour duquel elles sont prêtes à se mobiliser, pour lequel elles sont prêtes à se battre.

Parmi les exemples du passé, chacun sait l’importance de l’invasion et de l’occupation prussienne dans le déclenchement de la Commune de Paris. De même, l’incapacité dé la démocratie bourgeoise, durant son court passage au pouvoir, à apporter une réponse satisfaisante, et même une réponse quelconque, à la brûlante question nationale, a été un puissant facteur dans l’éclosion de la révolution prolétarienne hongroise de 1919.

Il existe cependant des exemples plus récents. Un parti révolutionnaire n’aurait pas pu rester neutre, ni s’opposer sans discernement à la puissante vague de sentirent national qui imprima une marque particulière à tous les facteurs qui firent prendre les armes à la classe ouvrière hongroise en 1956.

Et aujourd’hui, dans la citadelle de l’impérialisme, une fraction du prolétariat américain a atteint un niveau de radicalisme et de détermination que l’on n’a pas vu depuis longtemps dans un pays occidental. Or, le facteur national et racial est prédominant dans la radicalisation des noirs américains. Pourtant, par delà le facteur déclenchant, cette radicalisation, précisément parce qu’elle concerne une partie du prolétariat de la principale citadelle impérialiste, a une signification d’importance exceptionnelle, et pas seulement pour l’avenir des USA

Le rôle et l’importance du sentiment national dans un pays dépend de bien des facteurs. Il est toutefois possible d’établir très schématiquement trois catégories, à savoir : les pays sous-développés n’ayant pas réalisé leur révolution démocratique-bourgeoise, les pays impérialistes et enfin les pays du glacis.

Quelle est la racine sociale et économique du sentirent national dans ces différentes catégories de pays, quelle est la signification de son emprise sur les masses, dans quel sens peut-il aiguiller les luttes sociales, quelle doit être l’attitude de l’organisation révolutionnaire face à ce problème ? Voilà les questions que nous aborderons dans différents articles à suivre dans les prochains numéros de la « Lutte de Classe ».

Pour commencer, comment cette question se pose-t-elle dans les pays arriérés ? Ces pays, dans leur écrasante majorité, n’ont pas encore résolu le problème de leur émancipation nationale, quand bien même ils jouissent d’une indépendance formelle. C’est dans ces pays, que la revendication d’émancipation nationale a l’écho le plus profond dans les masses et, partant, dans ces pays, la méconnaissance de la question nationale aurait des conséquences particulièrement funestes.

Quelles sont les racines réelles, matérielles, du sentiment national dans les pays coloniaux ou semi-coloniaux ?

En premier lieu, elles plongent dans l’oppression nationale qui frappe, avec plus ou moins d’intensité, toutes les couches de la société autochtone.

Cette oppression dépend, quant à sa forme et son importance, du degré de dépendance du pays sous-développé par rapport à l’impérialisme. Elle est claire, quotidienne, institutionnalisée, dans les pays colonisés, où le seul fait d’être le ressortissant du pays colonisateur assure des privilèges qu’un autochtone ne saurait avoir. Elle est parfois plus insidieuse, mais tout aussi révoltante, dans les pays comme Madagascar ou la Chine d’avant 1948, où l’indépendance nationale n’est que fiction juridique. Dans ces pays, le sentiment national reflète, dans ce qu’il a de plus général, une aspiration à la dignité humaine la plus élémentaire, le désir de ne pas subir des humiliations quotidiennes dans son propre pays, du seul fait d’être précisément un autochtone de ce pays. Il reflète en un mot l’aspiration aux plus élémentaires des droits démocratiques.

Ce sentiment national est cependant aussi, pour les couches pauvres, en particulier pour le prolétariat, la première forme d’expression, la première étape de l’accession a la conscience de l’exploitation sociale. Dans la grande majorité des pays arriérés, le prolétariat national se heurte directement aux impérialistes étrangers. Dans un pays comme la Chine, avant la prise du pouvoir par Mao, plus de la moitié du prolétariat industriel travaillait dans des entreprises étrangères, dirigées, encadrées par des ingénieurs, techniciens, contremaîtres étrangers. Et la Chine ne fut pas, de ce point de vue, dans la situation la plus défavorable.

Sous son premier comme sous son deuxième aspect, le sentiment national est, pour les masses populaires des pays sous-développés, l’expression la plus élémentaire d’un sentiment anti-impérialiste confus. Dans la mesure où il se concrétise par une mobilisation et par un désir de lutte pour l’émancipation nationale, pour l’indépendance nationale, sa signification est incontestablement progressiste. La lutte pour l’indépendance nationale reste, par ses objectifs, sur le terrain de la révolution démocratique bourgeoise. Comme telle cependant, et indépendamment même de la dynamique qu’elle recèle, et qui peut dépasser les limites de la révolution bourgeoise, elle bénéficie de l’appui des révolutionnaires prolétariens, comme en bénéficie toute insurrection contre l’impérialisme, toute lutte qui oppose les masses populaires à la conquête de leurs droits démocratiques, aux classes ou castes réactionnaires soutenues par l’impérialisme.

« Le droit des nations à disposer d’elles-mêmes », donc la reconnaissance de la légitimité et du caractère progressiste de la lutte des peuples pour leur émancipation nationale reste, de nos jours encore, un des mots d’ordre de la révolution démocratique-bourgeoise qui correspond le plus à un sentirent profond dans les masses populaires des pays coloniaux ou semi-coloniaux.

Le rôle du prolétariat n’est cependant pas seulement d’accorder son soutien ou sa bénédiction morale à la lutte des masses populaires pour leur émancipation nationale. Il n’est pas seulement partie prenante dans cette lutte, il y a un rôle particulier, un rôle dirigeant.

Le caractère combiné du développement économique des pays arriérés dans les conditions de domination de l’impérialisme, fait de la bourgeoisie nationale de ces pays une classe économiquement écrasée par l’impérialisme, mais en même temps dépendant dans une large mesure de lui. La politique de cette faible et exsangue bourgeoisie nationale est à l’image de sa position économique, elle est caractérisée par son aspect timoré, hésitant, quand bien même il s’agit de la réalisation de ses propres tâches historiques. Ce n’est que dans des conditions très exceptionnelles, telles qu’il s’en présentait en Chine par exemple (interférence d’une crise nationale avec une crise sociale jetant au combat des millions de paysans, existence d’un personnel politique se plaçant sur le terrain de la bourgeoisie mais indépendant des castes réactionnaires, l’extrême pourrissement de l’ancien régime), ce n’est que dans de tels cas originaux que la bourgeoisie nationale peut être amenée, sinon à prendre résolument la tête de la lutte d’émancipation nationale, du moins à en accepter les conquêtes.

Dans ces conditions le rôle du prolétariat avancé n’est pas seulement de soutenir la lutte d’émancipation nationale, mais d’en prendre résolument la tête. Il doit montrer en dénonçant les tergiversations, les compromissions, même des ailes les plus radicales du personnel politique de la bourgeoisie nationale, qu’il est la classe la plus efficace dans ce combat, car il n’a aucun lien, aucun intérêt commun avec l’impérialisme.

Il doit montrer que non seulement il est la classe la plus efficace dans la conduite de l’émancipation nationale, mais qu’il est la seule à pouvoir la consolider. Cette consolidation suppose en effet le contrôle quotidien et efficace de l’État forgé au cours de la lutte et le prolétariat est la seule classe populaire qui, de par sa concentration dans les centres économiques et politiques du pays, est à même d’exercer ce contrôle.

Mais le rôle du prolétariat n’est pas seulement d’assurer, à la tête des autres couches populaires, la réalisation conséquente et radicale de l’émancipation nationale qui, encore une fois, ne quitte pas le terrain de la révolution démocratique bourgeoise. Le prolétariat d’un pays sous-développé fait partie intégrante du prolétariat mondial, et comme tel, ses tâches, son rôle historique dépassent le cadre national.

Là encore, le sentiment national peut être la première étape de la prise de conscience socialiste.

C’est précisément parce que dans les pays arriéré il y a interférence de l’oppression sociale et de l’oppression nationale, c’est précisément parce que la moindre revendication oppose les ouvriers de ces pays à des impérialistes étrangers, c’est précisément pour ces raisons qu’une organisation révolutionnaire est à même d’apprendre aux travailleurs, à travers la lutte pour l’indépendance nationale, leurs intérêts de classe et le rôle de la classe ouvrière dans la transformation socialiste du monde.

Deux dangers guettent l’organisation révolutionnaire prolétarienne confrontée avec le sentiment national profond des masses populaires, y compris ouvrières, des pays coloniaux ou semi-coloniaux.

Le premier serait la phraséologie ou l’attitude gauchiste qui, par peur d’abdiquer devant le nationalisme, ferait refuser de prendre en considération ce que couvre de profond le sentiment national ou inciterait même à s’y opposer. Certes, on n’a que trop d’exemples de pays sous-développés, où le sentiment national s’extériorise sous forme de nationalisme, on pourrait même dire qu’on n’a que de tels exemples. l’engouement des masses populaires pour le nationalisme n’exprime pas un phénomène nécessaire et inévitable dans les pays arriérés. Il exprime surtout le fait qu’en l’absence d’une direction prolétarienne capable de prendre une position correcte et de mener une politique efficace sur cette question, la colère et le mécontentement populaires sont canalisés par des politiciens de la bourgeoisie nationale.

Refuser de considérer le sentiment national serait apporter de l’eau au moulin de ces politiciens bourgeois, dont le succès réside précisément dans le fait que ce sentiment a des racines profondes dans les masses populaires. Le refuser, ce serait par la même occasion se condamner à l’inaction et en fait, répudier la révolution socialiste.

Aucune organisation révolutionnaire ne saurait s’implanter dans un pays colonial ou semi-colonial et y engager le combat pour la révolution socialiste, sans se mettre résolument à la tête de la lutte pour l’émancipation nationale. Ne pas le faire, ce serait transformer la théorie révolutionnaire en bavardage, dont « la pureté » de classe n’aurait d’égal que l’inefficacité.

Le deuxième danger opposé mais analogue dans ses résultats, serait d’abdiquer devant le nationalisme, c’est-à-dire - car les idées recouvrent des rapports de classes - d’abdiquer devant la bourgeoisie nationale et devant les représentants politiques radicaux de celle-ci.

C’est justement le caractère « unificateur » du sentiment national, unifiant dans la même haine anti-impérialiste les masses populaires les plus larges, c’est donc justement ce caractère qui peut être un facteur révolutionnaire de première importance, qui recèle aussi un danger mortel pour le prolétariat révolutionnaire, en masquant les différenciations, les oppositions de classe.

C’est précisément pourquoi, la lutte du prolétariat pour l’émancipation nationale doit être menée de pair avec une lutte politique continuelle, sans relâche, contre les organisations petites-bourgeoises qui font leur cette même revendication.

Le rôle de l’organisation révolutionnaire est certes, d’exprimer le sentiment national des masses, mais en en dégageant le contenu de classe. Ceci ne peut se faire que si l’avant-garde prolétarienne maintient son indépendance politique et son indépendance organisationnelle.

Le sentiment national peut être, dans un premier temps, le moteur d’un processus révolutionnaire prolétarien, il n’en est jamais le volant. Si la lutte pour l’émancipation nationale, dans la mesure où elle est dirigée contre l’impérialisme, est en tout état de cause à soutenir, elle ne peut aboutir à l’éclosion d’une révolution prolétarienne que si le prolétariat est organisé dans ses organisations propres, s’il se bat sur ses objectifs propres. Sinon, aucun mécanisme automatique ne fera d’une guerre de libération nationale une révolution socialiste. Le croire ou le laisser croire, c’est le pire service qu’on puisse rendre, non seulement à la cause de la révolution socialiste, mais aussi, en dernier ressort, aux intérêts d’une émancipation nationale conséquente. C’est précisément cette erreur qu’ont commise certaines organisations trotskystes au temps de la guerre d’Algérie, l’une vis-à-vis du FLN, l’autre vis-à-vis du MNA

C’est encore cette erreur qu’elles commettent vis-à-vis de la guerre du Vietnam, en attribuant à cette guerre la dynamique d’une révolution socialiste, et en attribuant au FNL des vertus que seule une organisation prolétarienne révolutionnaire saurait avoir. Si la lutte du peuple vietnamien doit avoir, non seulement la sympathie, mais aussi le soutien total de tout révolutionnaire prolétarien, nous avons le devoir de dire que, sous sa direction actuelle, direction petite-bourgeoise nationaliste, elle peut, dans le meilleur des cas, aboutir à un État de type chinois, yougoslave ou algérien, mais elle ne saurait en aucun cas être la première étape d’un processus révolutionnaire prolétarien.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Nationalisme, patriotisme, question nationale, tout ça

Message par com_71 » 17 Juin 2014, 11:08

Le deuxième :
Lutte de Classe, Série 1967-1968
n°12 (février 1968)

Le sentiment national et le mouvement révolutionnaire dans les pays impérialistes

Notre époque a mis, depuis des décennies déjà, la révolution prolétarienne à l’ordre du jour. Comment cette révolution pourra éclore, se développer, vaincre ; à travers quelles escarmouches, quels flux et reflux, quelles victoires et défaites partielles se dégagera un mouvement d’ensemble irrésistible, nul ne saurait le dire. Les lignes de forces de la révolution à venir partiront en dernier ressort de deux pôles fondamentalement opposés : l’impérialisme mondial et le prolétariat international, mais elles imprimeront leurs marques dans une société où d’autres classes, couches, groupements sociaux vivent, combattent et défendent leurs intérêts divers. Pour vaincre, le prolétariat doit polariser autour de lui, autour de son action, autour de ses objectifs, de larges masses populaires.

L’expérience des révolutions passées, tant défaites que victorieuses, montre que le prolétariat n’est à même d’aborder sa tâche historique, c’est-à-dire mettre un terme à tout jamais à l’exploitation de l’homme par l’homme, que si son action propre se développe au sein d’une mobilisation populaire. Autrement dit, quand de larges couches populaires, se sentant dans une impasse, ne voient de solution à leurs problèmes que par un changement violent de l’ancien état de choses et quand pour obtenir ce changement, elles sont décidées à intervenir directement dans le cours des choses.

Pour qu’une mobilisation populaire s’effectue, il faut que les sentiments des diverses couches exploitées ou opprimées à tel titre ou à tel autre trouvent un dénominateur commun, et c’est ce sentiment de haine commun qui est le terrain sur lequel éclôt le mouvement populaire. Le mouvement populaire lui-même devient révolutionnaire à partir du moment où il se pose la question du pouvoir, à partir du moment où il songe à s’attaquer non seulement à l’ancien état de choses devenu insupportable, mais à l’État lui-même qui en est le garant et l’ultime rempart.

Cette prise de conscience à l’échelle de larges masses peut se faire en bien des étapes et suivront bien des rythmes. Outre l’élément subjectif constitué par le rôle et l’activité d’une organisation révolutionnaire, le rythme dépend, pour une large part, de la forme du pouvoir étatique lui-même. Plus le pouvoir est omniprésent et omnipotent, plus il intervient dans toutes les manifestations de la vie sociale, plus rapidement les masses en action apprennent que pour vaincre, il faut le détruire. Plus ce pouvoir est personnifié par un homme ou une équipe restreinte plus il sert de point de mire à la haine populaire.

La démocratie, malgré ses multiples inconvénients pour la bourgeoisie a, entre autre, ceci d’avantageux qu’elle dilue devant les masses la réalité du pouvoir, qu’elle cache le mécanisme de répression derrière le chassé-croisé des gouvernements qui passent et se succèdent. La dictature ouverte et déclarée, l’autocratie, le bonapartisme donnent au pouvoir une apparence concrète, en chair et en os, à la portée de l’expérience quotidienne des masses. Ce furent de profondes raisons historiques, tel le développement combiné de la Russie qui en 1917 firent coïncider le mouvement paysan avec l’insurrection prolétarienne, mais c’est en criant : « A bas le tsar » que, concrètement, le soldat-paysan et l’ouvrier se rencontrèrent en février. La haine de l’autocratie fut un puissant levier révolutionnaire autour duquel se fit la mobilisation des masses, précisément parce qu’elle était le dénominateur commun des sentiments des classes opprimés.

Le sentiment national est de son côté un des plus puissants « sentiments unificateurs » autour duquel, même à notre époque, de larges couches populaires se retrouvent et pour lequel elles sont prêtes à se battre. Dans le dernier numéro de la Lutte de Classe nous avions abordé son rôle et sa signification dans les pays sous-développés, où il plonge ses racines dans l’oppression nationale qui pèse sur la quasi-totalité de la population. Dans ces pays, le caractère ouvertement dictatorial du pouvoir se combine avec le fait qu’il est exercé par la nation oppresseuse ou à son bénéfice ce qui est une combinaison particulièrement explosive.

Pour les pays sous-développés le problème national et son reflet dans les sentiments des masses populaires se posent avec une telle acuité qu’une organisation révolutionnaire se condamnerait en en faisant abstraction.

Se pose-t-il aussi pour les pays impérialistes et si oui, dans quels termes ? Autrement dit, l’organisation révolutionnaire peut-elle se trouver en présence d’un profond sentiment national dans le peuple déclenché par une oppression nationale ou une crainte d’oppression nationale ?

Le problème ne se pose manifestement pas actuellement. Il y a 25 ans cependant la France était occupée et cette occupation a donné un regain au sentiment national dans le peuple, sentiment d’ailleurs considérablement amplifié par la propagande chauvine du Parti Communiste à partir de 1941. Si la résistance armée contre l’occupant resta infiniment plus limitée que ce que prétendent les staliniens, elle bénéficia incontestablement de la sympathie de larges couches. Le mouvement trotskyste dut alors déterminer son attitude face à la Résistance et dut prendre position face aux problèmes posés par l’occupation. Plus précisément il s’est posé la question de savoir si une mobilisation large contre l’occupant portait en elle une dynamique qui pouvait déboucher sur la révolution sociale.

Les problèmes posés par une occupation étrangère dans un pays impérialiste, la France en particulier, ne sont pas dépassés. La révolution prolétarienne surgira peut-être des vagues d’une troisième guerre mondiale, guerre dont les aléas pourraient entraîner des occupations diverses successives. L’État bourgeois français sera peut-être aussi amené à composer avec une armée russe occupante. Mais la situation ainsi créée mérite d’être examinée à part.

Certes il est exclu que la guerre à venir oppose deux camps impérialistes comme pendant la Deuxième Guerre mondiale. La France peut être cependant occupée par un autre pays impérialiste, - les USA en l’occurrence - en « alliée » à l’instar de l’Italie occupée par l’armée allemande après le coup d’État de Badoglio en 1943. Cette occupation, dans la mesure où elle a pour but d’entraîner la France dans une croisade anti-soviétique, même si elle se fait en « allié », peut déclencher des réactions populaires analogues à celles de 40-45. C’est pourquoi, discuter de cette période n’est pas inutile, car si la guerre et l’occupation sont à 25 ans derrière nous, elles ne sont peut-être pas aussi loin devant.

Il est certain qu’une organisation révolutionnaire aurait eu à lutter contre l’armée d’occupation allemande, et ceci pour deux raisons. En premier lieu, parce que dans les conditions d’alors, lutter contre le pouvoir étatique était nécessairement lutter contre l’armée d’occupation qui en était le pilier principal. En second lieu, parce que toute organisation révolutionnaire avait pour mission de défendre l’URSS jusque et y compris par des moyens militaires : sabotages de l’appareil de guerre allemand, coups de main armé, etc. Ce faisant l’organisation révolutionnaire eut incontestablement bénéficié du sentiment national, et l’aurait dans une certaine mesure cristallisé autour de son action. Mais si dans ce sentiment il y avait, pour reprendre l’expression de Trotsky « des éléments qui reflétaient d’une part la haine contre la guerre destructrice et d’autre part l’attachement à ce qu’ils croient être leur biens », il était surtout l’expression de l’emprise de l’idéologie bourgeoise sur les masses. Et c’est précisément parce que son action fournit nécessairement un exutoire à ces sentiments nationaux que l’organisation révolutionnaire était tenue de définir clairement sa position face à la question nationale et de s’organiser sans équivoque.

Le premier problème théorique à cet égard et que le mouvement trotskyste d’alors s’est posé effectivement est de savoir si l’occupation étrangère fait resurgir, il est vrai dans des termes nouveaux, la question nationale. Une partie du mouvement trotskyste répondit positivement à cette question, en affirmant que la France était désormais passée au rang de nation vassale, semi-coloniale. Politiquement la bourgeoisie nationale ne se serait maintenue au pouvoir que comme commis de la bourgeoisie la plus puissante. A peu près - affirmait un bulletin de l’époque - comme les classes dirigeantes indigènes ont été maintenues au pouvoir par l’impérialisme dans certaines colonies. Les partisans de cette thèse affirmèrent, il est vrai, qu’à la différence des pays anciennement colonisés, la bourgeoisie était incapable de lutter pour l’indépendance nationale et que celle-ci ne pouvait être obtenue que par les masses, et elles seules, sans la bourgeoisie.

En réalité, les subtiles distinctions introduites dans la théorie entre ancienne et nouvelle question nationale n’étaient qu’arguties, eu égard à l’importance de la reconnaissance de la question nationale elle-même, et par conséquent, de la légitimité de la lutte pour l’indépendance nationale.

Or, c’est justement cette reconnaissance qui était fausse à la base. La base économique de la question nationale dans les pays sous-développés réside dans le fait que l’emprise impérialiste ne tient que parce qu’elle s’appuie sur les couches dominantes, sur les structures sociales les plus archaïques, empêche la libération et le développement du capitalisme dans le cadre national. La lutte de la bourgeoisie nationale est donc jusqu’à une certaine limite progressive et anti-impérialiste.

Tout au contraire, l’occupation de tel ou tel pays impérialiste par un autre exprime le fait que non seulement pour le capitalisme de ce pays la conquête du marché national est depuis longtemps réalisée, mais que, ce marché s’est révélé depuis longtemps trop étroit, et c’est précisément dans la lutte pour la conquête de marchés extérieurs que cet impérialisme s’est heurté à un rival qui s’est révélé plus fort, tout au moins pour une période. L’ « oppression nationale » que subit le pays impérialiste vaincu apparaît alors non comme une étape à dépasser dans le mouvement ascendant de la bourgeoisie nationale, mais comme une phase de la guerre que les puissances impérialistes se mènent les unes contre les autres, comme une péripétie dans la fluctuation des rapports de forces respectifs. Lutter pour l’Indépendance nationale » ou pour la « libération » voire « l’émancipation nationale » dans ces conditions, c’est prendre fait et cause pour son impérialisme.

Distinguer alors « l’ancienne question nationale » des pays colonisés de la « nouvelle question nationale » surgie à l’occasion de l’occupation d’un pays impérialiste par un autre en prétextant que dans le premier cas la bourgeoisie est encore capable de lutter pour l’indépendance nationale alors qu’elle ne l’est plus pour le second est un non-sens. Ce n’est pas le radicalisme plus ou moins grand de la bourgeoisie dans la lutte pour l’indépendance nationale qui décide de l’attitude des révolutionnaires par rapport à celle-ci. C’est au contraire parce que les marxistes reconnaissent la légitimité du combat pour l’indépendance nationale dans les pays sous-développés qu’ils soutiennent la lutte pour celle-ci, même si elle se mène sous une direction bourgeoise. Et c’est parce que la lutte pour l’indépendance nationale couvre la politique d’un impérialisme momentanément vaincu dans la guerre pour le partage du marché mondial que les marxistes s’y opposent violemment.

L’occupation de la France par l’Allemagne n’a pas réduit la première à l’état d’une semi-colonie, pour la bonne raison qu’elle n’a pas pu et elle n’aurait pas pu effacer par la seule force l’ouvre historique du capitalisme et les rapports inter-capitalistes. Même occupée, la France est restée un pays impérialiste possédant un vaste empire colonial. Et sa victoire ou plus exactement celle de ses alliés, n’a pas signifié la reconquête de l’indépendance nationale mais essentiellement la reconsolidation de son emprise sur ses colonies, et aussi le découpage de l’Allemagne qui, apparaît maintenant à son tour comme un pays occupé.

Cela dit il est évident que pour refuser le leurre de la lutte pour l’indépendance nationale, les révolutionnaires n’en légitiment pas plus l’occupation. De même que les bolcheviks et par la suite l’Internationale Communiste, tout en ayant refusé toute « défense de la patrie » en Allemagne, n’en ont pas plus légitimé le traité de Versailles qui concluait la défaite allemande ; au contraire, ils ont lutté résolument contre ce nouveau partage de l’Europe et du monde.

Mais la lutte contre le Traité de Versailles ne pouvait pas se mener de la même façon en France, pays qui en fut le principal bénéficiaire, et en Allemagne, pays qui en fut la victime.

Lutter en France contre le dépeçage de l’Allemagne, contre l’occupation de la rive gauche du Rhin ou de la Rhur, contre les dures conditions imposées aux vaincus avait une profonde signification anti-impérialiste. Cette lutte ne pouvait pas ne pas opposer le prolétariat contre sa bourgeoisie enrichie par les rapines consacrées par ce traité. En Allemagne par contre, le Parti Communiste ne pouvait soulever cette question sans d’infinies précautions, tant la revendication « A bas la paix de Versailles » pouvait ressouder l’unité nationale derrière l’impérialisme allemand, qui lancera sur l’Europe ses armées précisément pour effacer ce traité.

C’est justement ici la clé de la question. Toute une fraction du personnel politique de la bourgeoisie française a opté après la défaite pour les Alliés. Bénéficiant de l’appui inestimable des staliniens, ils ont canalisé, tout en le renforçant jusqu’au chauvinisme, le sentiment national des masses populaires, pour mobiliser ces masses autour de ce sentiment.

La Résistance fut l’expression concrète de la mainmise politique et organisationnelle de la bourgeoisie sur les masses populaires, entraînées une fois de plus dans le sillage de « leur » impérialisme. Si le sentiment d’oppression nationale était un facteur de mobilisation pour les masses, si pour avoir été exercé par une armée étrangère le pouvoir étatique s’est montré dans toute sa nudité, si en ce sens la lutte révolutionnaire pouvait s’en trouver facilitée, ce sentiment national s’est révélé finalement comme une puissante chaîne par laquelle les staliniens ont lié le sort des masses à celui de leur impérialisme.

Et c’est justement pourquoi, c’est justement pour ne pas ajouter de son côté quelques chaînons supplémentaires que l’organisation révolutionnaire devait faire en sorte que sa lutte contre l’appareil militaire allemand ne puisse créer aucune confusion, dont la bourgeoisie eût pu profiter, dans l’esprit des masses.

Même pendant la guerre, le prolétariat avait sa guerre à mener, qui n’avait rien de commun avec celle de son impérialisme. Mais une politique indépendante nécessitait une organisation indépendante, une organisation de classe. Le prolétariat révolutionnaire se devait de refuser toute organisation commune avec la bourgeoisie ou ses représentants politiques. C’est pourquoi, aucun révolutionnaire n’avait sa place dans le mouvement de la Résistance, au contraire, il devait lutter pour la constitution d’organisations prolétariennes de lutte indépendantes.

La grande majorité du mouvement trotskyste en France justifiait la participation au mouvement national en pensant que de celui-ci sortirait le mouvement de classe. Le mouvement révolutionnaire pouvait en effet surgir de la mêlée impérialiste mais à la condition seulement que le prolétariat sache garder sa politique indépendante, son organisation indépendante. Ceci était impossible à l’époque sans une lutte constante contre l’esprit de la Résistance qui signifiait pour le prolétariat précisément l’abandon de son indépendance tant politique qu’organisationnelle. Au lieu d’être le terrain d’éclosion d’un processus révolutionnaire, la Résistance en fut le principal obstacle.

Tout en luttant contre l’appareil militaire allemand, l’organisation révolutionnaire se devait d’autre part de faire un travail intense parmi les soldats de l’armée d’occupation, favoriser les fraternisations, etc... Elle devait refuser tout appel à la « lutte contre l’envahisseur » au nom de l’« indépendance nationale ». Le motif de l’action de l’organisation révolutionnaire contre l’appareil militaire allemand n’était pas « l’indépendance nationale », mais l’intérêt du prolétariat international dans son ensemble, qui exigeait la défense de l’URSS. Le fait d’agir au nom et dans l’intérêt du prolétariat dans son ensemble impliquait des conséquences jusques et y compris dans la forme de l’action militaire (refus d’attentats contre des soldats isolés ou de sabotage de trains de permissionnaires, etc.). Tout en luttant contre l’appareil militaire allemand, il fallait viser à gagner le soldat allemand et non à le tuer.

De toute manière cette action militaire ne devrait pas être l’activité unique de l’organisation révolutionnaire ni même la principale. La péripétie des armes a fait de l’armée allemande pour une période le principal garant des rapports de production capitaliste en France, et c’est pourquoi, entre autre, l’organisation révolutionnaire se devait de lutter contre elle. Mais les rapports capitalistes en eux-mêmes étaient on ne peut plus français. Si les réquisitions, le service du travail obligatoire étaient les faits de l’occupant, les bas salaires, le chômage étaient le fait du capitalisme français.

La lutte militaire contre l’appareil de guerre allemand n’avait de valeur que si elle accompagnait une lutte active, de tous les jours contre la bourgeoisie française fût-elle pro-alliés. Aucune occupation, aussi durable fût-elle, ne modifie en rien cette constante de la politique bolchevik : l’ennemi principal est dans notre pays. La tâche fondamentale de l’organisation révolutionnaire est de mobiliser le prolétariat contre son propre impérialisme.

C’est pourquoi on ne peut pas engager une lutte militaire contre un occupant étranger, sans lutter en même temps pour l’indépendance politique et organisationnelle du prolétariat. Il n’y a pas d’internationalisme hors de cette voie. Toutes les organisations trotskystes étaient pendant la guerre pour la « fraternisation » et certaines ont milité activement et efficacement pour. Mais une telle politique perd toute signification révolutionnaire internationaliste si en même temps on s’intègre à la « Résistance » (et à plus forte raison si l’on se déclare fier d’être parmi les premiers résistants), car s’intégrer à la Résistance c’est se subordonner et aider à subordonner les ouvriers à la bourgeoisie qui elle, est chauvine.

Même en période de guerre, nous considérons que le prolétariat malgré les multiples changements qu’il subit dans ses parties nationales au gré des fluctuations militaires, est un tout. L’avenir de la société humaine dépend de sa force et de sa conscience. L’organisation révolutionnaire se doit de défendre cette conscience prolétarienne des influences idéologiques de la classe ennemie donc principalement du chauvinisme.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Nationalisme, patriotisme, question nationale, tout ça

Message par com_71 » 17 Juin 2014, 11:13

et le troisième :
Lutte de Classe, Série 1967-1968
n°13 (mars 1968)

Le sentiment national et le mouvement révolutionnaire dans les pays du glacis soviétique

La révolution vaincue en Hongrie, comme la révolution avortée en Pologne, ont montré, chacune à sa façon, le rôle du sentiment national dans le déclenchement du processus révolutionnaire qui, en 1956, a secoué l’Europe Centrale.

C’est au cours du combat pour l’indépendance nationale et pour les libertés démocratiques que le prolétariat, qui en a été l’élément moteur, a formé ses propres organes de pouvoir, les conseils ouvriers, en Hongrie. Mais, c’est aussi en apparaissant comme le champion de l’indépendance que Gomulka parvint à canaliser à son compte l’unité nationale pour raffermir son pouvoir qui s’est retourné rapidement contre le prolétariat polonais.

Le problème national aurait été en 1956, en Pologne comme en Hongrie, une des pierres angulaires de la politique d’une organisation révolutionnaire. L’ignorer l’eût conduit à se couper à jamais des masses mobilisées. Ne pas en comprendre les aspects négatifs l’eût conduit à prêcher le leurre de l’unité nationale, et en fin de compte, à s’aligner derrière Gomulka ou Nagy.

Le puissant sentiment national qui a imprimé sa marque sur la mobilisation du prolétariat polonais et hongrois s’alimentait essentiellement de la dépendance des États d’Europe Centrale vis-à-vis de la bureaucratie soviétique, mais aussi d’une longue tradition historique.

Mosaïque de peuples à la croisée des influences des grandes puissances, l’Europe Centrale est une des régions du monde qui a connu les formes les plus diverses de l’oppression nationale et ses corollaires : les luttes d’indépendance les plus fréquentes, les plus violentes et aussi les affrontements chauvins les plus féroces.

L’histoire de ces peuples n’est qu’une longue succession de luttes pour l’indépendance nationale qu’ils n’ont en fait, jamais réussi à conquérir complètement. Après de longs siècles de dominations successives ou simultanées, turque, autrichienne, allemande ou russe, interrompues par de brèves périodes de sursauts nationaux, sous la direction des Kosciusko, des Kossuth, des Balcesco, les peuples d’Europe Centrale semblaient émerger à l’ère moderne et, pour certains d’entre eux, à l’indépendance, à la suite de la première guerre mondiale.

Mais cette ère moderne était celle de l’impérialisme qui a « résolu » les questions nationales en Europe Centrale à sa façon et en fonction des rapports de forces entre impérialistes. Les traités de Versailles, de Trianon, de Saint-Germain, ont certes consacré l’accession à l’indépendance de la Pologne, de la Tchécoslovaquie, l’unification de la Roumanie ou des Slaves du Sud, le détachement de la Hongrie de la monarchie bicéphale austro-hongroise. Mais, s’ils ont donné main libre aux classes dirigeantes des États nouvellement créés ou remodelés pour opprimer d’une manière particulièrement brutale « leurs » minorités nationales, ils ont en même temps consacré la dépendance de ces mêmes États des sphères d’influence impérialistes. Le sanglant chauvinisme des couches dirigeantes des pays d’Europe Centrale vis-à-vis des minorités et vis-à-vis de leurs voisins, allait de pair avec leur total asservissement, qui envers l’impérialisme allemand, qui envers l’impérialisme anglais ou français.

Le système impérialiste, en accordant l’indépendance formelle n’a pas résolu la question nationale, il n’a fait que remplacer un type de dépendance héritée de l’âge féodal par de solides liens d’asservissement économique et de vassalité politique.

La poussée vers l’Est de l’Allemagne, jalonnée par le traité de Munich, par l’arbitrage de Vienne, a imposé de nouvelles courbes et de nouveaux zigzags à des frontières plus que jamais mouvantes.

Si les nouveaux tracés ont parfois interverti les rôles dans les rapports entre nations d’Europe Centrale en faisant de la minorité opprimée de la veille la majorité oppresseuse du jour, ils consacraient surtout un changement dans le rapport des forces inter-impérialistes en faveur de l’Allemagne qui devint maître dans cette région de l’Europe.

Les accords de Yalta tenaient aussi peu compte du droit de ces peuples à disposer d’eux-mêmes que ceux de Versailles ou de Munich. Après la défaite allemande les poteaux frontières ont, une fois de plus, repris leur mouvement. Le problème des minorités nationales fut, à nouveau, modifié dans ses termes mais non dans son existence. Ce problème des minorités, quoique non négligeable, s’estompait cependant devant une nouvelle oppression qui frappait, elle, toutes les nations d’Europe Centrale sans distinction.

En effet, agissant en gendarme d’un nouvel équilibre impérialiste, l’armée russe n’a pas seulement brisé toute possibilité d’éclosion révolutionnaire dans ces régions. Elle a aussi foulé aux pieds, en même temps que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et toute la politique léniniste en la matière, l’espoir d’indépendance nationale réelle de ces pays.

Pièces sur l’échiquier d’après-guerre, les destinées nationales des peuples d’Europe Centrale s’inscriront sur le fond mouvant des relations entre l’impérialisme et la bureaucratie russe.

Tant que dura la Sainte Alliance entre impérialistes et bureaucratie consacrée par Yalta, l’objectif principal des armées d’occupation fut de consolider les appareils d’État nationaux, principaux garants (avec les troupes d’occupation elles-mêmes) du maintien de « l’ordre », de l’ordre bourgeois. Ces appareils nationaux, créés avec l’appui des forces nationales les plus réactionnaires parfois, apparaissaient alors comme les moyens d’oppression les plus adéquats pour empêcher le prolétariat d’Europe Centrale de reprendre le chemin de 1919-1920. En tout état de cause, il n’était ni dans les désirs, ni dans les possibilités de la bureaucratie de transgresser les limites fixées par l’impérialisme à son action, en annexant, à l’instar des pays baltes, tout ou partie des pays d’Europe Centrale.

Mais ces États avaient en effet à peine été consolidés, qu’avec le recul du danger de crise révolutionnaire, l’antagonisme entre la bureaucratie et l’impérialisme reprenait le dessus. Sous peine de voir se former autour de l’URSS une ceinture d’États hostiles, les maîtres du Kremlin tenaient à assurer le contrôle de ce qu’ils considéraient comme leur glacis. Ils y parvinrent momentanément à la suite d’une longue et dure lutte, grâce à la présence de leur armée, de leur police politique, grâce aussi à la faiblesse des bourgeoisies nationales, alliées naturelles de l’impérialisme. Ils y parvinrent par le noyautage des rouages des appareils d’État nationaux, par l’élimination systématique, par une terreur policière, de toutes les forces plus ou moins ouvertement pro-occidentales. Dans la dure lutte pour le contrôle du glacis, la bureaucratie a fini par l’emporter, momentanément. Mais le mot « contrôle » dit bien ce qu’il veut dire. Les États nationaux polonais, tchèque, hongrois, etc..., n’étaient pas des appendices locaux de l’État de la bureaucratie russe, mais des entités autonomes par nature, et même, par leur existence propre, distinctes, opposées à l’État de la bureaucratie, soumises à de puissantes forces centrifuges. Ce n’est qu’au prix d’une lutte constante et acharnée contre ces forces centrifuges au sein même des échelons les plus élevés de l’appareil d’État, que la bureaucratie parvint quelque temps à maintenir des régimes à sa dévotion. Il ne lui suffisait pas d’éliminer les partis pro-occidentaux et d’instaurer le régime du parti unique stalinien, car c’est au soin même des Partis communistes que les forces centrifuges se manifestèrent.

Le contrôle de ces États impliquait l’existence en leur sein même de noyaux sûrs, dévoués à Moscou et ne dépendant que d’elle, et aussi une terreur sanglante, non seulement à l’égard de la population, mais à l’égard des plus hauts dignitaires mêmes de l’appareil d’État. L’accusation de nationalisme fut, avec celle de trotskysme et de fascisme, celle au non de laquelle on envoya dans les caves de la police politique la fraction la plus impressionnante de dirigeants staliniens des plus hauts placés.

C’est ici que réside une des racines les plus profondes du sentiment national. Certes, celui-ci était alimenté par la présence d’une armée d’occupation, par l’imitation servile des habitudes, des coutumes russes, jusque dans les moindres aspects de la vie culturelle et même quotidienne. Mais si de tels « détails » ne sont pas négligeables car ils sont à la perception immédiate des masses, il y avait bien plus que cela.

Il est vrai, la plupart des pays d’Europe Centrale n’ont jamais connu la démocratie, pas même sous sa forme bourgeoise. Le caractère bonapartiste des régimes des Démocraties Populaires trouvait en fin de compte sa raison d’être principale dans le sous-développement de ces pays, et non dans l’emprise de la bureaucratie russe. (L’Albanie qui a rompu ses liens avec le Kremlin et la Roumanie qui est en train de le faire, ne sont pas plus « démocratiques » aujourd’hui qu’avant). Mais, cette emprise soviétique a donné à la répression une coloration nationale. Pour les masses, les Rakosi ou les Rokossovsky n’étaient pas seulement les responsables d’une dictature sanglante, mais encore des hommes qui exercèrent le pouvoir au service d’un État étranger. Inversement, l’armée d’occupation apparaissait pendant une période - et elle l’était en effet - comme le principal sinon l’unique soutien d’un régime haï. Tant que durait la mainmise de la bureaucratie soviétique sur les appareils d’État nationaux, combattre pour là moindre revendication, de quelqu’ordre qu’elle fût, signifiait se heurter au régime, et, se heurter au régime signifiait se heurter à l’armée d’occupation. Sous cet angle, le sentiment national ne faisait qu’exprimer, sous une forme élémentaire, une conclusion politique tout aussi élémentaire : le départ des troupes russes, l’indépendance nationale, est la première condition pour résoudre les problèmes les plus aigus, et même pour les poser.

C’est ainsi qu’en Hongrie, les ouvriers qui réclamaient, les uns seulement la baisse des normes, les autres déjà le contrôle des usines, les paysans qui réclamaient la fin de la collectivisation forcée, les intellectuels qui réclamaient la liberté d’expression, se retrouvèrent dans le sentiment commun de haine d’un régime exécré, avec son corollaire logique, la revendication du retrait immédiat des troupes soviétiques. Ce sentiment commun d’être opprimé, ce sentiment commun de lutter pour les mêmes buts, la liberté et l’indépendance nationale, a forgé cette unanimité nationale qui a marqué la première phase de la révolution hongroise. Sans ce sentirent unificateur, le succès de la première phase de la révolution, l’écroulement du régime malgré une première intervention russe, n’eut pas été aussi rapide et aussi aisé. La révolution a été véritablement populaire, elle a mis en mouvement les masses de tous les opprimés et de tous les mécontents, jusqu’à et y compris une partie des tenants de l’appareil d’État national.

Mais, si la nécessité de combattre avant tout les troupes d’intervention et leurs mercenaires autochtones a créé une certaine unanimité nationale, cette unanimité ne faisait que masquer les oppositions sociales et ne les supprimait pas. La révolution semblait d’abord partager les combattants en deux camps, d’un côté les troupes russes et hongroises de la bureaucratie, de l’autre la grande majorité du peuple hongrois luttant pour la liberté. Pour des raisons parfaitement compréhensibles, c’est sous la forme de cette image d’Epinal que la presse occidentale a présenté les choses. Mais, sur ce plan là, les intellectuels révolutionnaires hongrois eux-mêmes n’avaient pas une vision bien claire des événements. Les différences qu’ils reconnaissaient dans le camp révolutionnaire furent d’ordre quantitatif et non qualitatif. Autrement dit, la différence entre Nagy et son entourage d’une part, et les conseils ouvriers en formation qui le soutenaient, eût été une simple différence dans le radicalisme. Mais le caractère timoré de la politique de Nagy, ses tergiversations, son attitude équivoque face aux conseils ouvriers, ne provenaient pas seulement du caractère de l’homme. Les conseils ouvriers et le gouvernement de Nagy, représentaient deux forces sociales différentes. Les premiers représentaient une classe ouvrière qui, tout en étant l’élément le plus radical, le plus décidé dans le combat pour l’indépendance nationale et pour la liberté, commençait à poser ses revendications propres, et surtout à mettre sur pied ses propres organes du pouvoir, et pour qui, dans les faits, la révolution ne faisait que commencer seulement. Le deuxième représentait les tenants de l’appareil d’État national, qui voulaient, à l’instar de Gomulka, canaliser l’insurrection populaire, pour uniquement se débarrasser de la tutelle de Moscou, et pour qui ce qui a été fait, était déjà de trop.

Au sein du camp soi-disant homogène du « peuple hongrois », il y avait déjà en gestation un double pouvoir de fait. De fait seulement, car en l’absence d’une organisation révolutionnaire prolétarienne, ayant une vision claire des étapes de la révolution et des tâches du prolétariat, les conseils ouvriers s’alignèrent bon gré mal gré derrière Nagy, symbole d’une unité nationale qui apparaissait alors comme le seul garant de la révolution.

Le sentiment commun d’oppression nationale, principal ressort de la révolution à ses débuts, en devient un obstacle important dans la mesure où il va masquer l’antagonisme entre les forces sociales réunies dans le combat contre l’intervention russe.

Au moment où la sanglante intervention de la bureaucratie a mis fin à toute possibilité de développement révolutionnaire ultérieur, la révolution est arrivée à un point mort. Le prolétariat, guidé par un sûr instinct de classe, a atteint le plus haut niveau de conscience qu’il pouvait atteindre d’une manière spontanée. Tout en étant l’élément moteur de la lutte de toutes les couches opprimées contre la bureaucratie russe et ses hommes de main hongrois, il s’est différencié de ces autres couches en créant ses organes spécifiques. Mais, pour qu’il songe à imposer ses conseils comme organe unique de pouvoir, il lui eût fallu une organisation révolutionnaire de classe. En fait, si le prolétariat a donné le meilleur de lui-même, les intellectuels révolutionnaires, qui auraient pu apporter au mouvement ouvrier ce qui lui manquait, c’est-à-dire la science bolchévique de la révolution, faillirent à leur tâche. Les plus avancés d’entre eux, tout en soulignant l’importance des conseils, s’évertuaient à les enchaîner à Nagy, donc aux forces qu’il représentait.

Une organisation prolétarienne révolutionnaire n’aurait pas pu ne pas tenir compte du sentiment national, et elle aurait dû mettre la lutte pour le retrait immédiat des troupes soviétiques en tête de son programme d’action. Une telle lutte était révolutionnaire dans son essence. Mais elle aurait combattu parallèlement pour la différenciation politique et organisationnelle du prolétariat, et contre le mythe de « l’unité nationale ». Elle aurait expliqué inlassablement au prolétariat, mais aussi aux autres couches opprimées, que l’indépendance nationale elle-même n’avait une chance d’être sauvegardée que sous la direction du prolétariat.

Certes, l’enthousiasme d’une première et provisoire victoire a pu étonner quelque temps le sens des réalités des masses, mais la deuxième intervention russe a confirmé l’appréhension des éléments les plus conscients : la Hongrie seule, en tant que telle, ne faisait pas le poids face à la puissance soviétique. Isolée, elle était condamnée. Elle avait besoin d’alliés. Mais le monde est divisé en classes. Seul le prolétariat avait des alliés potentiels désintéressés au-delà des frontières, le prolétariat de Pologne en lutte, le prolétariat des Démocraties Populaires voisines, le prolétariat occidental et peut-être en premier lieu, le prolétariat russe. Mener le combat sur une base nationale, dans le cadre national, était se condamner à l’isolement, donc à la défaite. Les tergiversations, les hésitations de Nagy, étaient à l’image du cul-de-sac où menait une lutte limitée au cadre national. Les tenants de l’appareil d’État national n’avaient guère le choix qu’entre trois possibilités, en fait, entre deux.

Les plus honnêtes d’entre eux, comme Nagy lui-même, cherchaient à échapper à la contraignante réalité d’un monde partagé entre l’impérialisme et la bureaucratie, en avançant la solution utopique et trompeuse de la « neutralité ». Mais la proclamation de cette neutralité n’a pas empêché l’intervention des troupes soviétiques. Elle a tout au plus bercé quelques naïfs dans un vain espoir. Les autres regardaient vers l’Occident, espérant l’appui de l’impérialisme contre la bureaucratie. Outre le fait que l’impérialisme était trop content que la bureaucratie se chargeât de régler le sort du prolétariat hongrois, cela eût été se protéger contre le choléra en contractant la peste. L’impérialisme montre en ce moment au Vietnam sa façon de concevoir l’indépendance nationale.

D’autres enfin, Kadar en tête, ont choisi la troisième possibilité qui s’offrit devant les tenants de l’appareil d’État national en se jetant dans les bras de la bureaucratie russe elle-même. Les choses étant ce qu’elles étaient, du point de vue de l’appareil d’État national, c’est encore la solution de Kadar qui était la plus « socialiste ». Seulement, le prolétariat hongrois a payé par des milliers de victimes et de nouvelles chaînes son tribut à ce socialisme.

Mise à part la solution de la neutralité qui n’en est pas une, les deux autres se rejoignent finalement à terme. Malgré leurs antécédents différents, les régimes de Gomulka, de Kadar, ou de Ceausescu, montrent dans leurs rapports vis-à-vis de l’URSS des analogies frappantes. Les États nationaux finissent par rompre leur cordon ombilical avec la bureaucratie soviétique et par reprendre leur trajectoire propre inscrite dans leur nature bourgeoise. Déjà même en Hongrie, la bureaucratie n’a plus le contrôle absolu de son glacis.

Les problèmes nationaux auront trouvé une apparente solution. Mais cette « solution » n’implique pas une véritable indépendance pour les peuples d’Europe Centrale, car il n’y a pas d’indépendance nationale réelle, pas plus que de véritable droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans un monde dominé par l’impérialisme. Tito montre le chemin à Gomulka, comme celui-ci montre le chemin à Nagy. La rupture des appareils d’États hongrois-nationaux avec la bureaucratie aboutit tôt ou tard à un retour au bercail d’un marché impérialiste, ce qui implique pour des pays sous-développés, comme le sont les pays d’Europe Centrale, de nouveaux liens de sujétion. C’est pourquoi, si les révolutionnaires savent que le retrait des troupes soviétiques des pays d’Europe Centrale est une condition nécessaire (mais nullement suffisante) de tout développement révolutionnaire dans cette région, s’ils soutiennent la lutte des masses pour chasser les troupes d’occupation, contre les hommes de main russes ou autochtones de la bureaucratie, ils mènent en même temps une lutte violente contre les Ceausescu ou Gomulka dont la politique nationaliste prépare de nouvelles chaînes pour leur peuple.
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Re: Nationalisme, patriotisme, question nationale, tout ça

Message par com_71 » 17 Juin 2014, 11:28

Je souligne ce passage du second texte :
C’est pourquoi on ne peut pas engager une lutte militaire contre un occupant étranger, sans lutter en même temps pour l’indépendance politique et organisationnelle du prolétariat. Il n’y a pas d’internationalisme hors de cette voie. Toutes les organisations trotskystes étaient pendant la guerre pour la « fraternisation » et certaines ont milité activement et efficacement pour. Mais une telle politique perd toute signification révolutionnaire internationaliste si en même temps on s’intègre à la « Résistance » (et à plus forte raison si l’on se déclare fier d’être parmi les premiers résistants), car s’intégrer à la Résistance c’est se subordonner et aider à subordonner les ouvriers à la bourgeoisie qui elle, est chauvine.


Une interprétation gauchiste en serait que pour une organisation révolutionnaire ouvrière une volonté d'affrontement militaire avec la Résistance aurait été aussi justifiée qu'avec l'armée allemande.

Mais appeler "Front Unique" (même de fait) avec la Résistance, cette conscience qu'une organisation révolutionnaire ouvrière implantée (et là on fait de la politique-fiction) aurait du engager la lutte militaire contre l'armée d'occupation allemande et non contre la Résistance, serait un abus de langage. Et je ne vois vraiment pas comment Doctor No peut appeler Lénine (y compris dans son texte "la maladie infantile...") au secours d'une telle thèse, puisque c'est ce qu'il fait en voulant voir des "fronts uniques" partout.
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Re: Nationalisme, patriotisme, question nationale, tout ça

Message par Doctor No » 17 Juin 2014, 12:12

C'est dommage que Com 71 n'ait pas laissé des espaces entre ces documents pour insérer quelques commentaires...
Bon, pour le premier extrait ou découpe ou paragraphe ou comme le diable le nomme: Il est très bon tout simplement. Un maoïste, un marxiste-léniniste n'aurait rien à changer là dedans ( un document qui quelque part reflète l'influence du meilleur maoïsme encore actif à l'époque)
Il y a peut-être un seul détail (ou omission) ici
Le rôle de l’organisation révolutionnaire est certes, d’exprimer le sentiment national des masses, mais en en dégageant le contenu de classe. Ceci ne peut se faire que si l’avant-garde prolétarienne maintient son indépendance politique et son indépendance organisationnelle.
"et ses propres méthodes de lutte" il fallait absolument ajouter. Autrement son indépendance politique et organisationnelle...ne peuvent pas se concrétiser, voila l'essence de ce que l'article dit comme: "dégager son contenu de classe" . Mais bon, ce n'est peut-être qu'une omission et je peux croire que ce n'est que cela.
peut-être aussi une omission dans la présentation des pays sous la domination économique impérialiste mais où sa présence se fait par le biais de son alliance avec une bourgeoisie compradore ou totalement inféodée, liée à l'impérialisme (toute l'Amérique Latine) mais c'est peut-être plus loin que cela est traité.
On écrivait autrement bien les années 68.
Doctor No
 
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Re: Nationalisme, patriotisme, question nationale, tout ça

Message par Doctor No » 17 Juin 2014, 13:02

Le deuxième est bien plus "entortillé"...
Quel est en définitive le critère de vérité? La pratique sociale. Et la pratique des trotskystes français ou autres a été (comment le mettre soave?) non apercevable. Ils n'ont eu aucune prise sur les événements malgré les espoirs de leur guide. On n'est déçu que par les siens.
Trotski lui même avait conseillé les "membres de la 4 eme Internationale" (qui étaient une poignée) de participer à la défense nationale en Chine "dans les troupes du Kuomingtang, tout en gardant leur indépendance, etc." (Pas facile à mettre en place d'ailleurs... et une tactique quelque peu à droite) Alors quand l’État Ouvrier était attaqué... à plus forte raison, prendre les armes. Déjà il avait entrepris sa défense théorique peut-être anticipant l'attitude des certains de leurs "fidèles" en cas d'un conflit réel.

Il fallait participer à la lutte à l'intérieur de la résistance avec leurs propres détachements armés, leurs propres mots d'ordre, une politique d'unité et lutte avec les autres composantes de la résistance. C 'était le prix de sang à payer mais la seule possibilité de se présenter devant les masses, la seule manière de se renforcer et de préparer l'avenir. Et pour longtemps... l'expérience indique, que souvent c'est le prix de sang qui créé les partis et enracine les mouvement prolétaires.
Encore une fois, le doctrinarisme a pris le dessus sur des considérations tactiques élémentaires.
La critique "si on participe à la résistance on fait le jeu de l'impérialisme français à futur" vaut autant que "participer aux élections est faire le jeu de la bourgeoisie"
On peut toujours "participer"... sans participe à leur manière ou participer à notre manière. Voila la nuance ou les vrais maoïstes n'auraient pas trébuché. Voila la ligne de partage entre la tactique léniniste et le doctrinarisme gauchiste.

C'était une guerre qui visait principalement le seul État ouvrier (dégénéré) de la planète, attaqué en plus par les fascistes hitlériens. Et là, il n'y a pas à tortiller, ou d'un coté ou de l'autre, mais "au milieu" il n'y a que les ectoplasmes, les doctrinaires hors de la réalité, ou de pires encore.

L'article dit assez justement (mais à postériori)
La Résistance fut l’expression concrète de la mainmise politique et organisationnelle de la bourgeoisie sur les masses populaires, entraînées une fois de plus dans le sillage de « leur » impérialisme.
mais tout simplement parce que personne a donné la bataille à l'intérieur de la résistance sous des bases communistes, parce que l'on a fait cadeau à la bourgeoisie de ce mouvement qui avait comme puissant moteur le sentiment national des français, parce que personne a utilisé ce sentiment pour l'amplifier vers l'internationalisme, vers le communisme véritable à l'intérieur même de ce mouvement.
On ne peut pas faire abstraction du cours réel des choses, du niveau de conscience des masses et de leur volonté et capacité d'organisation en "créant" des "organisations toutes nouvelles et originales, propres et "saines"". Non, il faut aller où les masses se trouvaient où elle luttent et comme elles luttent pour les proposer autre chose, après s'être battues à coté d'elles.
Si la résistance a donné le gouvernement de Gaulle + les révisionnistes, c'est aussi la faute à ceux qui ont préféré d'éviter la lutte tant contre l'armée d'occupation impérialiste comme la lutte à l'intérieur de ce Front Uni, laissé sous la direction de la bourgeoisie et des ses complices.
Une telle conception se trouve à la base des divergences avec les marxistes-léninistes. Par contre, je sais des trotskystes qui ont pris un autre chemin et d'autres encore qui théoriquement ne sont pas d'accord avec cet article. Très minoritaires hélas.
Doctor No
 
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Re: Nationalisme, patriotisme, question nationale, tout ça

Message par Doctor No » 17 Juin 2014, 13:50

Le troisième nécessite plus d'éléments.
Principalement la histoire de la lutte de classes dans les pays qui sont devenus sous la domination de l'Etat Ouvrier dégénéré, les rapports de classe lors de "l'invasion" (les événements de la guerre en fait) soviétique, la tournure 'à droite ou à gauche; fasciste, social démocrate ou communiste) du sentiment national des pays occupés par l'Armée Rouge, les partis politiques et leur force dans ces pays, etc.

Autrement on tombe très facilement dans un discours "anti-stalinien" plus idéologique que basé dans l'analyse concret de la situation concrète à ces moments précis.

Fallait-il laisser cela à Churchill si on ne trouvait pas des révolutions prolétariennes sur le chemin de l'Armée Rouge?

En tout cas, ce long article plus historique que idéologique traite très en passant la question: "les rapports entre nationalisme et internationalisme". Il traite plutôt de l'importance du sentiment national dans les combats politiques mais surtout, et de manière assez "fermée" si on peut dire, du manque de choix pour les communistes de son époque. Ou la "bureaucratie soviétique" ou l'impérialisme US...
Mise à part la solution de la neutralité qui n’en est pas une, les deux autres se rejoignent finalement à terme. Malgré leurs antécédents différents, les régimes de Gomulka, de Kadar, ou de Ceausescu, montrent dans leurs rapports vis-à-vis de l’URSS des analogies frappantes. Les États nationaux finissent par rompre leur cordon ombilical avec la bureaucratie soviétique et par reprendre leur trajectoire propre inscrite dans leur nature bourgeoise. Déjà même en Hongrie, la bureaucratie n’a plus le contrôle absolu de son glacis.

Les problèmes nationaux auront trouvé une apparente solution. Mais cette « solution » n’implique pas une véritable indépendance pour les peuples d’Europe Centrale, car il n’y a pas d’indépendance nationale réelle, pas plus que de véritable droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans un monde dominé par l’impérialisme.

Intéressante et visionnaire analyse, mais encore en deçà de ce que l'on peut attendre d'un communiste.
Mieux aurait été de finir avec la phrase connue de Trotski "la crise de l'humanité est la crise de la direction révolutionnaire", du parti, des intellectuels communistes (qui dernièrement ont pris la mode de faire la moue devant les problèmes théoriques, s'en moquer et mépriser la théorie. Ce qui d’ailleurs la théorie leur rends avec usure).
S'il n'y a que le choix entre la bureaucratie soviétique (disparue depuis un moment) et l'impérialisme US...ça craint. Je pense tout de même que "tout dépends des masses" et des marxistes-léninistes.
Doctor No
 
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