par lux » 01 Jan 2015, 14:22
En 1981, A. Laguiller s'est présentée comme une "candidate de gauche", comme F. Mitterrand et G. Marchais ; elle s'adresse aux "petites gens", aux "humbles"…, elle dénonce la crise, les autres partis, et puis plus rien.
Avec l’essor des radios libres, LO fait une tentative avec « Radio La Bulle » qui ne durera pas.
En 1988, intervention télévisée du 11 avril, elle dira que le but de sa candidature "ce n'est pas de m'élire ni de me procurer un quelconque strapontin, un ministère même de gauche, mais de compter tous ceux qui sont dans le camp des travailleurs", ce qui malgré son résultat honorable fait bien peu de monde !
Dans toutes ses campagnes, Lutte ouvrière privilégie le P.C.F. ; depuis que ce dernier n'est plus au gouvernement, il combine lui aussi la dénonciation de la droite et du P.S. et l'appel à la lutte, aux luttes multiples et variées qui ont toutes pour fonction d'émietter la force de la classe ouvrière et d'éviter la grève générale.
En 1986, aux législatives, Lutte ouvrière reprenait les slogans réformistes du P.C.F. : "la bonne santé des entreprises oui… mais diminuons la part des patrons, pas celle des travailleurs".
"Des entreprises prospères oui, mais pour que les travailleurs vivent, pas pour que les patrons profitent".
En 1995, A. Laguiller mettra en avant la nécessité d'un "plan d'urgence pour les travailleurs et les chômeurs", "la réquisition des entreprises qui font des bénéfices et qui licencient", "1500 F d'augmentation de salaire pour tous", mais pas un mot sur la Vème République ou Maastricht.
Une autre de ses caractéristiques est sa préoccupation constante pour le P.C.F. : "je ne pense pas que la chute de l'influence électorale du parti communiste de 1981… soit un progrès pour la classe ouvrière, bien au contraire".
Pour le P.C.F., sa baisse électorale est un signe "du glissement à droite" de la société ; "L.O." pense la même chose.
"Si le P.C.F. obtenait 15 à 20 % des voix, un tel résultat constituerait effectivement une pression sur la bourgeoisie comme sur les grands partis, ceux de la droite comme le P.S. lui-même, et serait interprété comme tel".
Pourquoi donc A. Laguiller se présente-t-elle, cela va faire perdre des voix au P.C.F. ?
"Le meilleur moyen de voter pour l'actuel « cours gauche » du P.C.F. n'est pas de votre A. Lajoinie, mais de voter pour ma candidature" expliquera A. Laguiller lors du meeting du 12/02/1988, enrobant cet électoralisme dans des phrases radicales.
Comme le P.C.F., L.O. fait porter aux travailleurs la responsabilité de la politique menée de 1981 à 1986 : "En choissent de porter leurs suffrages sur Mitterrand, les travailleurs choisiraient de n'exprimer que leur résignation et leur passivité".
"Le votre Mitterrand c'est remettez-nous ça patron. C'est le fait qu'en votant Mitterrand les travailleurs avaliseraient sa politique passée et celle des gouvernements Mauroy et Fabius et cautionneraient sa politique future".
Et pour encore mieux diviser ceux qui s'apprêtent à votre Mitterrand et ceux qui veulent s'abstenir, L.O. ajoute : "s'abstenir c'est ne pas sanctionner leur politique et laisser tous ces gens-là être élus". Les travailleurs qui s'abstiennent sont donc responsables ?
Il ne faut pas croire qu'une telle attitude est conjoncturelle ; c'est une constante de la politique de Lutte ouvrière. Prenons par exemple quelques extraits du rapport de la direction de L.O. sur la situation intérieure en novembre 1999 :
"Les organisations syndicales, même si leur réformisme fondamental les amène bien des fois à ne pas aller jusqu'au bout des possibilités offertes par certaines luttes des travailleurs, vont en général au-delà de la combativité de ces derniers".
Il faut le dire ! Les appareils bureaucratiques des syndicats sont plus combatifs que les travailleurs, et quelle preuve ? Ces derniers rechignent à suivre les sempiternelles journées d'action, grèves tournantes et autres actions bidon organisées justement pour diviser les ouvriers, émietter leur force, protéger le système en place !
Après on comprend que Lutte ouvrière dise "localement, sur le terrain justement, étant donné nos forces limitées , nous sommes réduits au rôle propagandiste car nous n'avons que peu de capacités d'intervention autonome dans les luttes".
On comprend mieux pourquoi L.O a refusé de combattre pour la grève générale sur les retraites en mai-juin 2003, couvrant ainsi la politique des appareils de la C.G.T et de la F.S.U.
Pas question pour Lutte ouvrière, qui se réclame de la révolution socialiste et parfois du Trotskysme, de prendre la moindre initiative pour aider les travailleurs à surmonter l'obstacle de la division, à combattre pour le Front unique ouvrier, pas plus qu'il n'est question pour elle de combattre pour la construction de la Quatrième Internationale… Alors quoi en attendant les campagnes électorales ? Toujours coller aux basques du P.C.F., couvrir sa politique, lui donner un signe positif, freiner sa "descente aux enfers" (pourtant inéluctable).
"Nous avons toujours affirmé que nous n'étions pas des adversaires du P.C.F.… que notre objectif n'est pas de faire baisser ses scores électoraux… Nous ne sommes pas des gauchistes qui interprétons la baisse des scores électoraux du P.C.F., comme quelque chose de positif…"
1988……1999, il y a eu entre temps la chute du Mur de Berlin, mais Lutte ouvrière reste le "flanc-garde" du P.C.F. ; et à propos de la manifestation du 16 octobre 1999, organisée par le P.C.F. pour l'emploi, contre le chômage : "la direction du P.C.F. a décidé de faire un pas, un tout petit pas sur sa gauche". Robert Hue s'adresse à Lutte ouvrière pour co-organiser cette manifestation. A. Laguiller s'empresse d'accepter et félicitera Hue pour le succès de la manifestation (le seul reproche formulé est qu'elle ait été une manifestation centrale à Paris !).
"Nous voulions démontrer aux militants du P.C.F., non seulement que nous n'étions pas des adversaires de leur parti, mais que nous n'étions pas toujours critiques vis-à-vis de ses propositions et qu'au contraire lorsqu'il organisait une manifestation conforme aux intérêts des travailleurs, il pouvait nous trouver à ses côtés de toutes nos forces, aussi limitées soient-elles".
"Conforme aux intérêts des travailleurs" ! Alors que le même P.C.F., par ses ministres et ses députés, applique et soutient la politique anti-ouvrière et antisociale de la "gauche plurielle". Lutte ouvrière se cristallise véritablement comme groupe de pression sur le P.C.F., comme "extrême gauche plurielle" ; "le P.C.F. est réformiste, électoraliste" dit Lutte ouvrière, "mais il va même à petits pas, dans le bon sens".
Ne verra-t-on pas ainsi, en 2009, dans l’entreprise Continental Clairoix menacé de fermeture et de licenciements massifs, le responsable C.G.T, membre de Lutte Ouvrière, combattre le comité local « marche unie pour l’interdiction des licenciements », au nom de « les patrons voyous doivent payer », « il nous faut de bonnes primes de licenciement », « il y en a qui vous disent qu’il faudrait qu’on se batte pour 0 licenciement et qu’il faut pour cela monter sur Paris. Qu’ils nous disent si on a déjà sauvé une seule usine dans ce pays ».
Dans une situation prérévolutionnaire, nul doute que "l'extrême gauche plurielle" sera amenée à jouer un rôle de plus en plus important.
Gilles Paris, dans le journal "Le Monde" du 15 mars 1995 ne commençait-il pas son article ainsi : "A. Laguiller, arme suprême du capitalisme ?" Les cinq députés de Lutte ouvrière et de la Ligue communiste révolutionnaire élus alors aux élections européennes ont d'ailleurs adhéré avec le P.C.F. au groupe des "gauches unies" du parlement européen. Tout un symbole ! Déjà en 1996, ces deux organisations avaient participé aux "forums nationaux" organisés par le P.C.F., en vue de définir "un avenir commun".
A.Laguiller sembla, après les présidentielles de 2002, avoir retrouvé le « feeling » médiatique : est-ce pour n’avoir eu que 5 % , ou pour remercier Lutte Ouvrière d’avoir jusqu’au bout refusé de combattre pour la grève générale en mai-juin 2003 , main dans la main avec les dirigeants de la C.G.T et de la F.S.U , contre l’aspiration et la volonté de millions et millions de travailleurs, pourtant la seule solution, aux dires mêmes de Fillon (entretien dans le Figaro du 31 mai) pour le retrait des plans gouvernementaux sur les retraites et la décentralisation, pour l’abrogation du décret Balladur de 1993 et les 37,5 annuités pour tous, public-privé ? Et dans la foulée, alors que la majorité des Corses se saisissaient du référendum pour manifester leur rejet de la politique de Chirac-Raffarin et de la régionalisation impulsée par l’Union européenne, L.O appela à s’abstenir !
En 1995, A. Laguiller avait obtenu 1 615 522 voix et 5,3 % des suffrages exprimés .
Quant à la position de Lutte ouvrière sur l'Europe, elle est limpide : on a vu que pour Lutte ouvrière les abstentionnistes étaient responsables (de ne pas voter Arlette Laguiller notamment). Ce qui est sûr en tout cas, c'est que l'appel à l'abstention pour le référendum sur Maastricht est responsable du sauvetage in extremis de l'Europe capitaliste, et de Mitterrand par la même occasion. Mais cette fois-ci y avait-il de bonnes raisons ?
"Si les bourgeoisies européennes arrivaient à faire l'Europe, même une petite Europe, même leur Europe d'une certaine entente entre brigands, ou même si elles arrivaient après 1992 à uniformiser, harmoniser, simplifier les échanges et la circulation des hommes et des marchandises, ce serait un progrès. Elles pourraient à tout moment le remettre en cause, certes, mais tout pas en avant serait néanmoins positif".
"Tout pas en avant est bien plus important qu'une douzaine de programmes" disait Marx en substance : il ne fallait pas s'abstenir mais appeler à votre oui !
"L'euro c'est dans quatre ans et, surtout en principe, cela doit durer longtemps. Le bon côté de cette pièce est qu'elle va contribuer à faire disparaître totalement les frontières d'un continent presque entier et créer une unité économique et surtout humaine de près de 300 millions d'habitants. Cela pourrait supprimer cette mosaïque de pays dont les frontières découpent les peuples et leurs langues en deux ou trois… oui la bonne face de l'euro pourrait être à l'effigie du progrès" (Lutte ouvrière du 8 mai 1998, n° 1556).
On a l'impression de rêver. L'Union européenne affirme ouvertement sa volonté de construire l'Europe des régions avec comme fonction de dresser les salariés d'une région contre ceux d'une autre, chacun étant soumis à la pression de vendre sa force de travail aux meilleures conditions pour les capitalistes. On va avoir une mosaïque non plus d'États nations, mais de régions, de micro-régions, de communautés, une dislocation de ce que la classe ouvrière a arraché dans sa lutte de classe.
L'euro, au nom des critères de Maastricht, est l'autre instrument de cette dislocation ; il est indissociable des privatisations, de la déréglementation. "Celui qui ne sait pas défendre de vieilles conquêtes, n'en fera jamais de nouvelles" disait Trotsky.
Mais pour Lutte ouvrière, les services publics, la sécurité sociale, l’école laïque et obligatoire, le contrat à durée indéterminée, sont-ils véritablement des conquêtes ouvrières ?
Dans le numéro1964 du 24 mars 2006, page 5 du journal du même nom, Lutte ouvrière explique que « CDI, CDD, CPE, quelque soit le contrat, ce sont les patrons qui décident….Bref la liberté de licencier, les patrons l’ont déjà…Au-delà du CNE et du CPE, peut-on parler de « bon contrat de travail » quand il s’agit d’un CDI ? »
L’exploitation capitaliste reste certes l’exploitation capitaliste mais les conditions dans lesquelles celle-ci se déroule ne sont pas indifférentes aux travailleurs. Est-ce la même chose s’ils vendent leur force de travail dans des conditions d’exploitation sans limites ou s’ils la vendent dans une situation où existent un code du travail et des conventions collectives ?
Dans un meeting du 9 décembre 2005, Lutte ouvrière développe textuellement les arguments suivants :
« Les services publics ont tous été mis en place pour satisfaire certains besoins indispensables au fonctionnement de l’économie capitaliste, mais qui n’étaient pas assez profitables pour intéresser les capitalistes privés »
Et encore : « La santé publique elle-même et la Sécurité sociale contribuent à éviter aux capitalistes individuels de payer des salaires suffisants pour que les travailleurs puissent payer intégralement les médecins libéraux ».
Enfin « La fameuse scolarité obligatoire a été créée pour répondre par des moyens étatiques aux besoins impératifs de fournir aux entreprises capitalistes en plein développement une main d’œuvre capable de lire et d’écrire ».
Donc, selon LO, les services publics, la Sécurité sociale, l’enseignement public…ne sont pas des acquis ouvriers mais des institutions bourgeoises !
On se demande vraiment pourquoi l’impérialisme américain et l’Union européenne veulent soumettre les services publics à la concurrence et les privatiser, détruisant ainsi les statuts protecteurs du personnel et l’égalité de traitement pour tous les habitants( pourtant, LO reconnaît dans sa publication sur l’altermondialisation, que le capital financier veut démanteler les services publics !) pourquoi ils poussent aux fonds de pension et aux assurances individuelles, pourquoi ils démantèlent l’école gratuite et laïque qui était l’une des revendications de la Commune de Paris ?
La défense pied à pied des conquêtes sociales est pourtant l’une des tâches fondamentales de la Quatrième Internationale.