l'art de terroriser, l'EI n'a rien inventé

Marxisme et mouvement ouvrier.

l'art de terroriser, l'EI n'a rien inventé

Message par com_71 » 03 Mars 2015, 16:48

Georges Mauvois, Complot d'esclaves, Martinique 1831, éd. Les pluriels de Psyché, 1998 a écrit :
ch. 2 : Saint-Pierre : port ouvert et ville muette, page 22

...police continuent à y mener les nègres « rebelles » pour qu’ils y subissent le châtiment des trois piquets. La scène étant fréquente, elle attire peu les badauds, mais il y eut foule - ce 19 novembre 1822 - pour assister au « bord de mer » à l’exécution des esclaves du Carbet qui s’étaient révoltés le mois précédent. Une minutieuse description de la scène nous a été laissée par le chevalier de Fréminville, commandant la frégate La Néreide (qui se trouvait alors en rade de Saint-Pierre et fut réquisitionnée pour l’occasion) :

« Le 19 au matin, nous nous approchâmes de la ville, à une demi portée de canon, et nous mîmes en panne devant la plage. Une immense potence y était dressée ainsi que deux échafauds. Un cordon considérable de troupes sous les armes environnait le lieu de ces lugubres préparatifs et contenait la foule des spectateurs dont le nombre était prodigieux. À sept heures dix minutes, un pavillon bleu fut hissé. C’était le signal convenu pour nous avertir que le supplice des condamnés allait commencer. Aussitôt, nous fîmes mettre tous les canonniers à leurs pièces, la mèche allumée et prêts à faire feu au premier mouvement tumultuaire que nous apercevrions sur le rivage. Comme nous en étions fort près, avec l’aide de nos lunettes surtout, nous pûmes distinguer jusqu’à la moindre scène de la sinistre tragédie qui allait s’y passer. A sept heures un quart, nous vîmes arriver les soixante-six nègres criminels, conduits par une forte garde et accompagnés de quelques ecclésiastiques qui leur offraient les dernières consolations. Tous s’avançaient d’un pas ferme et d’une contenance assurée, Les bourreaux, armés de fouets et munis d’un fourreau rempli de braise allumée, montèrent sur le premier échafaud. On y fit monter successivement trente-sept condamnés qui furent l’un après l’autre fouettés, marqués d’un fer ardent et mis ensuite aux fers pour la vie. C’était le premier acte et il fut fort long.
Un instant après, vingt-deux autres rebelles furent menés au pied de la potence. Ils étaient nus, à l’exception d’un court caleçon, et ils avaient tous un bonnet de coton blanc sur la tête. Le premier qui fut livré à l’exécuteur monta avec courage à la fatale échelle. Nous apprîmes par la suite que, s’adressant à ses compagnons dans ce moment suprême, il leur avait dit d’une voix ferme : « Regardez-moi bien, mes amis, je vais vous apprendre à mourir. » Le bourreau lui abattit son bonnet sur les yeux et le lança dans l’éternité. Les vingt-et-un autres furent pendus avec cette même formalité préalable, et, en quelques minutes, tous avaient cessé de vivre.
Il en restait encore sept. C’étaient les plus coupables, car outre la rébellion à main armée dont ils étaient fauteurs comme les autres, ils avaient débuté dans cet acte criminel par massacrer leur maître sur une habitation des environs, avec des raffinements de cruauté inouïs. Ils montèrent sur le second échafaud où ils furent l’un après l’autre enchaînés dans une espèce de fauteuil. Là, ils eurent d’abord le poing droit coupé d’un coup de hache, puis la tête tranchée avec un large coutelas, car l’odieuse guillotine n’a pas été introduite dans les colonies. Ce supplice de la décapitation est infiniment plus redouté des nègres que celui de la potence qu’ils craignent peu...
A dix heures, toutes ces exécutions étaient terminées. Le plus morne silence avait régné pendant leur durée. Les esclaves qu’on avait fait venir en grand nombre des habitations environnantes, tous nègres de la ville qu’on avait obligés d’y assister pour les frapper d’effroi par cet exemple d’une justice sévère, demeurèrent dans la plus grande tranquillité et ne firent aucun mouvement de sédition dans le but d’arracher, comme on l’avait craint, leurs camarades au supplice. L’appareil des forces militaires déployées autour d’eux par terre et par mer, leur en avait imposé sans doute. Peut-être aussi n’avaient-ils pas eu les intentions qu’on leur supposait. Après le dénouement de ce drame sanglant, la foule s’écoula en silence et sans tumulte. Tout enfin rentra dans l’ordre accoutumé ».

C’est à l’historienne Françoise Thésée [1] que revient le mérite d’avoir exhumé le récit de cette macabre mise en scène. Pourquoi les autorités de la colonies avaient-elles choisi la place Bertin pour procéder au supplice des condamnés du Carbet ? Ce sont sans doute des raisons pratiques qui présidèrent à ce choix, car la lourde potence se trouvait exposée en permanence à cet endroit. Mais le choix du lieu du châtiment procédait aussi d’autres considérations plus politiques. Des interrogatoires menés auprès de certains des révoltés du Carbet, il était apparu que les chefs du mouvement étaient en relation avec des esclaves de la ville de Saint-Pierre. Néanmoins, l'enquête n’avait pas permis d’identifier précisément les conspirateurs pierrotins. Le spectaculaire supplice du 19 novembre 1822 s’adressait en priorité à ces révoltés potentiels...


[1] Françoise Thésée, le Général Donzelot à la Martinique. Vers la fin de l’Ancien Régime colonial (1818-1826) p. 138-139.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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