parvus "revolution permanente" trotski

Marxisme et mouvement ouvrier.

parvus "revolution permanente" trotski

Message par zatek » 06 Mars 2015, 11:53

Qui a des renseignements sur les liens entre ces deux personnages et la rédaction de cet
ouvrage?
zatek
 
Message(s) : 11
Inscription : 24 Déc 2014, 11:03

Re: parvus "revolution permanente" trotski

Message par com_71 » 06 Mars 2015, 14:25

A peu près tout peut être trouvé en suivant ce lien :
https://www.marxists.org/francais/gener ... parvus.htm

Voir aussi : https://www.marxists.org/francais/trots ... /rp02.html
notamment :
Trotsky a écrit :...J'ajouterai que Lénine n'a jamais pris connaissance de l'ouvrage fondamental mentionné ci-dessus : je m'en suis convaincu à la lecture de ses anciens articles. Cela s'explique probablement non pas tant parce que Notre révolution, paru en 1906, fut aussitôt confisqué tandis que nous étions tous obligés d'émigrer, que par le fait que ce livre consistait pour les trois quarts dans la reproduction de vieux articles : plus tard beaucoup de camarades m'avouèrent ne pas l'avoir lu car ils croyaient qu'il s'agissait exclusivement d'un recueil de mes anciens travaux. En tout cas, les objections polémiques de Lénine, rares et isolées, contre la révolution permanente sont fondées presque exclusivement sur la préface de Parvus à ma brochure Avant le 9 janvier 1905, sur sa proclamation Sans le tsar que j'ignore complètement, et sur les discussions intérieures de Lénine avec Boukharine et les autres. Jamais nulle part Lénine n'analyse ni ne cite, même en passant, mon Bilan et perspectives. Certaines de ses objections contre la théorie de la révolution permanente qui n'ont absolument rien à faire avec moi, prouvent tout à fait clairement que Lénine n'a pas lu ce travail...
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
Avatar de l’utilisateur
com_71
 
Message(s) : 5986
Inscription : 12 Oct 2002, 00:14

Re: parvus "révolution permanente" Trotski

Message par Doctor No » 08 Mars 2015, 12:17

Un article intéressant.

Critique de la théorie de la révolution permanente

Une question de fond: l'Invariance
[prev.] [content] [next]

Tout au long de sa vie, Trotsky a cru à la justesse de «sa» théorie de la révolution permanente. Dans son «Histoire de la révolution russe», il prend acte du fait que Lénine et lui se trouvèrent sur la même ligne dans la lutte contre le gouvernement Kérensky. En appendice à «La révolution trahie» de 1936. il cite l'émouvante dernière lettre d'Adolf Ioffé, acculé au suicide par Staline: «Je n'ai jamais douté que vous étiez dans la voie juste, et vous le savez, depuis plus de vingt ans, y compris dans la question de la «révolution permanente», j'ai toujours été de votre côté. Mais il m'a toujours semblé qu'il vous manquait cette inflexibilité, cette intransigeance dont a fait preuve Lénine, cette capacité de rester seul en cas de besoin, et de poursuivre dans la même direction, parce qu'il était sûr d'une future majorité, d'une future reconnaissance de la justesse de ses vues. Vous avez toujours eu raison en politique depuis 1905, et Lénine lui aussi l'a reconnu; je vous ai souvent raconté que je lui avais entendu dire moi-même: en 1905, c'était vous, et non lui qui aviez raison. A l'heure de la mort, on ne ment pas, et je vous le répète aujourd'hui».

Pathétique comme testament d'un vieux militant qui exhorte un camarade à l'intransigeance, cette lettre ne se distingue pas par sa précision politique. Trotsky lui-même ne prétend pas avoir eu «toujours raison en politique» contre Lénine depuis 1905; il sait bien que, dans ses terribles polémiques contre l'auteur de «Nos tâches politiques», l'artisan du bloc d'août, le quasi-centriste de «Nache Slovo», c'est le fondateur du bolchevisme qui avait eu raison, et depuis 1917 il revendique et défend lui-même, avec énergie et contre ses erreurs passées, la conception marxiste du Parti.

L'outrance même de la lettre de Ioffé en diminue singulièrement la portée, et puisque Trotsky lui-même n'a pas revendiqué ses positions d'avant 1917 sur la question du parti, tout ce qu'elle peut signifier est que Lénine aurait déclaré un jour que l'autre position caractéristique de Trotsky, à savoir la théorie de la révolution permanente, était juste. Or, ceci n'est rien de plus qu'une simple anecdote, et cette anecdote nous paraît contredire directement les positions de Lénine. Notre choix est donc vite fait entre une simple anecdote et des années de réflexion marxiste.

C'est un fait irréfutable que Trotsky a toujours cru que la révolution russe posait un problème particulier, qui devait être résolu par une théorie originale, et que son pronostic avait été le plus clairvoyant. Dans un article qui date de la toute dernière période de sa vie et qui fut publié en appendice à son ouvrage sur Staline, «Trois conceptions de la révolution russe», il écrit:

«La révolution de 1905 ne fut pas seulement la «répétition générale» de 1917, mais se trouva être aussi le laboratoire où s'élaborèrent tous les groupements fondamentaux de la pensée politique russe, et où se formèrent et se dessinèrent toutes les tendances et nuances à l'intérieur du marxisme russe». Faisons tout de suite une première remarque: si la conception de la révolution russe avait dû être «élaborée» au cours de la révolution de 1905, cela signifierait que le marxisme n'existe pas comme théorie complète, achevée dans ses lignes essentielles, qui décrit à l'avance le communisme et permet de déterminer de façon rigoureuse les tâches du prolétariat dans toutes les situations. Cela signifierait qu'il n'y avait pas, par avance, dans la théorie marxiste de ligne définie à suivre dans la révolution russe et dans toutes celles qui peuvent se dérouler dans les pays arriérés. Dans ce cas, il faudrait simplement considérer que le marxisme est une idéologie très générale, à partir de laquelle on élabore, avec plus ou moins de «talent» personnel, des théories particulières, théories qui doivent attendre leur sanctification de l' «expérience». Or, c'est effectivement à cette seconde opinion que s'est rattaché Trotsky toute sa vie. Il considéra avoir découvert la théorie de la révolution permanente, et affirma que la révolution d'octobre 1917 en avait prouvé la validité. De même, à la fin de sa vie, Trotsky affirma, avec une légèreté indigne d'un matérialiste et caractéristique d'un militant qui n'a pas la certitude doctrinale que seul le communisme peut détruire le capitalisme, que, si la bureaucratie stalinienne survivait a la deuxième guerre mondiale et si la révolution n'éclatait pas, il faudrait réviser le marxisme. Tout au long de l'ultime résumé qu'il écrivit pour défendre encore une fois sa théorie, Trotsky considère que la révolution russe, en tant que telle, posait un problème particulier, et que la «révolution permanente» avait donné la solution la plus adéquate: «La perspective du menchévisme était radicalement fausse: elle n'indiquait nullement au prolétariat la bonne voie. La perspective du bolchevisme n'était pas complète: elle indiquait correctement la direction générale de la lutte, mais elle caractérisait incomplètement les étapes.» Et Trotsky d'expliquer comment il a découvert - en compagnie de Parvus - la théorie de la révolution permanente. Dans la polémique qu'il soutint contre les staliniens, Trotsky tenta de s'abriter derrière l'autorité de Marx en citant l' «Adresse» de 1850 du Comité central de la Ligue des communistes. Notons qu'à la différence de celle de Lénine, sa théorie n'avait de commun avec celle que Marx défendit dans les années 1848 que le terme, utilisé par ce dernier pour la première fois, de «révolution en permanence».

La théorie de Trotsky naquit en 1904, dans une brochure rédigée au cours de l'hiver et qui, paraissant après le Dimanche Sanglant de Saint-Pétersbourg, fut intitulée «Avant le 9 janvier». Parvus en écrivit la préface: «Ayant pris connaissance, au lendemain des événements sanglants de Saint-Pétersbourg, de ma brochure encore manuscrite, Parvus fut séduit par l'idée du rôle exceptionnel que le prolétariat de la Russie arriérée était appelé à jouer (...). Dans sa préface, Parvus, après avoir nié que la paysannerie puisse former «une armée révolutionnaire serrée», affirme en conclusion: «Devant la social-démocratie se posera le dilemme suivant: ou prendre sur soi la responsabilité du gouvernement provisoire, ou se mettre à l'écart du gouvernement ouvrier. Les ouvriers considéreront ce gouvernement comme le leur, quelle que soit l'attitude de la social-démocratie... Seuls les ouvriers peuvent accomplir un soulèvement révolutionnaire en Russie. Le gouvernement révolutionnaire provisoire en Russie sera un gouvernement de démocratie ouvrière. Si la social-démocratie est à la tête du mouvement révolutionnaire du prolétariat russe, ce gouvernement sera social-démocrate. Le gouvernement provisoire social-démocrate ne peut accomplir en Russie une révolution socialiste, mais le procès même de la liquidation de l'autocratie et de l'établissement de la république démocratique créera un terrain favorable à l'activité politique». Trotsky commente: «Son pronostic n'était donc pas la transformation de la révolution démocratique en révolution socialiste, mais seulement l'établissement en Russie d'un régime de démocratie ouvrière». Et il ajoute: «Après avoir écrit ma brochure «Avant le 9 janvier», je me remis plus d'une fois à développer la théorie de la révolution permanente et à en assurer les bases». Nous reviendrons sur la théorie de Parvus, mais il n'est pas possible de ne pas constater ici qu'il n'y a chez Trotsky nulle référence à l' «Adresse» de 1850, ni aux positions marxistes classiques, depuis longtemps établies, sur l'attitude du prolétariat dans les révolutions démocratiques. Trotsky croit et affirme (jusque là, c'est tout à fait vrai), qu'il a alors développé une théorie originale dont la validité fut ensuite prouvée par l'expérience.

Tout autre était la position de Lénine. Ici, nulle prétention à l'originalité. L'auteur des «Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique» est guidé d'un bout à l'autre de son exposé par la ligne déjà définie et invariable du marxisme dans les révolutions démocratiques. Non seulement il ne prétend pas «développer» de théorie originale, mais il affirme et démontre que la tactique de Martynov et des menchéviks qui suivent la bourgeoisie libérale, est en rupture ouverte avec la tactique de Marx et Engels en 1848. Tout un chapitre de la postface, «La représentation bourgeoise vulgaire de la dictature», est consacré au rappel des positions classiques, et Lénine revendique explicitement pour la révolution russe la tactique des premiers communistes dans l'Allemagne de 1848: «Par conséquent, les tâches que Marx assignait en 1848 au gouvernement révolutionnaire ou à la dictature impliquaient avant tout la révolution démocratique: mesures de défense à l'égard de la contre-révolution et élimination effective de tout ce qui est contraire à la souveraineté du peuple. Ce n'est là rien d'autre que la dictature démocratique révolutionnaire». Entendez: moi, Lénine, je défends sous le nom de dictature démocratique révolutionnaire des ouvriers et des paysans, la tactique de Marx et Engels en 1848. Et pour expliquer pourquoi Marx, qui sait aussi bien que personne ce que sont les classes, emploie le terme de peuple, il poursuit, en citant la «Nouvelle Gazette Rhénane»: «Par crainte du peuple, c'est-à-dire des ouvriers et de la bourgeoisie démocratique, la grande bourgeoisie a conclu avec la réaction une alliance défensive et offensive». D'où l'explication suivante: «il est certain que les principales parties de ce peuple que Marx opposait en 1848 à la réaction récalcitrante et à la bourgeoisie félonne sont le prolétariat et la paysannerie». Il n'y a pas là le moindre signe que Lénine ait été, comme Parvus, «séduit par une idée» ou que, comme Trotsky, il se soit mis «plus d'une fois» à «développer sa théorie» et à en «assurer les bases». Tout au contraire, il trouva son bien dans les textes classiques, lesquels contenaient toutes les thèses qui fondent la théorie de la «dictature démocratique», que Trotsky s'obstina à considérer comme le bien de Lénine, et qui n'est rien d'autre que la seule et unique théorie marxiste. Lénine est si peu «original» qu'après avoir soigneusement étudié un passage de la «Nouvelle Gazette Rhénane», après l'avoir méthodiquement décomposé en thèses, il conclut: «Toutes ces thèses, modifiées conformément à nos particularités nationales concrètes, le servage étant substitué à la féodalité, s'appliquent entièrement à la Russie de 1905. Il est certain que les enseignements tirés de l'expérience allemande, éclairée par Marx, ne peuvent nous conduire à aucun autre mot d'ordre pour une victoire décisive de la révolution que celui de dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie».

Avant de revenir à l'exposé de la question proprement dite, tirons nous aussi une conclusion simple, mais irrévocable. Lorsque Trotsky écrivait: «La révolution de 1905 ne fut pas seulement la répétition générale de 1917, mais se trouva être aussi le laboratoire où s'élaborèrent tous les groupements fondamentaux de la pensée politique russe, et où se formèrent et se dessinèrent toutes les tendances et nuances à l'intérieur du marxisme russe», il avançait trois thèses que nous repoussons. Celle qui prétend que la tactique de la dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie avait été «élaborée» par Lénine. Celle qui considère le menchévisme (en 1940!) et la révolution permanente comme des tendances du marxisme (le marxisme n'a pas de tendances). Celle qui attribue à la révolution de 1905 le caractère d'un laboratoire. Au grand chagrin de tous les amoureux du concrétisme opportuniste et des théories de l'expérience, les marxistes se plaisent à rappeler que le «Manifeste des communistes» fut écrit en 1847. De même, la date de parution des «Deux tactiques» mérite d'être notée: juillet 1905.

Trotsky était fier d'innover, alors que Lénine se souciait seulement d'être fidèle.

Doctor No
 
Message(s) : 467
Inscription : 24 Mai 2011, 14:40

Re: parvus "revolution permanente" trotski

Message par Doctor No » 08 Mars 2015, 12:35

Lénine et Parvus

Au moment où Trotsky reprend et «développe» la théorie de Parvus, où il s'apprête à l'exposer plus en détail dans «Bilan et perspectives» (1906), Lénine est en lutte contre Martov et Martynov, théoriciens des menchéviks qui tiennent désormais l' «Iskra». Et Lénine lit la brochure de Trotsky préfacée par Parvus. Voici ce qu'il en dit dans un article de 1905 (mars-avril) intitulé «La social-démocratie et le gouvernement révolutionnaire provisoire»: «Parvus a enfin réussi à aller de l'avant, au lieu de marcher à reculons comme l'écrevisse. Il n'a pas voulu faire le travail de Sisyphe qui consiste à corriger indéfiniment les bêtises de Martynov et de Martov. Il a pris nettement la défense (malheureusement aux côtés de ce hâbleur de Trotsky, dans la préface de sa brochure vide de sens «Avant le 9 janvier») de l'idée de la dictature démocratique révolutionnaire».

Pour comprendre ce qui précède, le lecteur doit savoir que les théoriciens du menchévisme s'opposaient à ce que le prolétariat tente de prendre la tête de la lutte contre le tsarisme et de participer au gouvernement révolutionnaire provisoire si ce dernier venait à être créé sur les ruines de l'autocratie. Il n'est donc pas paradoxal que Lénine félicite Parvus d'avoir rompu, sur ce point, avec le menchévisme. «Parvus a mille fois raison quand il dit que la social-démocratie doit aller hardiment de l'avant, et porter à l'ennemi des «coups» concertés avec la démocratie bourgeoise révolutionnaire à la condition absolue (rappelée fort à propos, NDLR) de ne pas confondre les organisations, de marcher séparément et de frapper ensemble, de ne pas dissimuler les divergences des intérêts, de surveiller son allié comme son ennemi, etc.». Voilà le pas en avant dont Lénine prend acte chez Parvus. Mais précisément parce qu'il reconnaît des progrès chez Parvus, il se met aussitôt en devoir de lui expliquer le chemin qu'il lui reste à faire. Et ce sont les prévisions «originales» de Parvus, dont Trotsky se félicitait, qu'il critique: «De même, d'autres propositions de Parvus sont fausses, et pour la même raison: «Le gouvernement révolutionnaire provisoire sera en Russie le gouvernement de la démocratie ouvrière», «si la social-démocratie se met à la tête du mouvement révolutionnaire du prolétariat russe, ce gouvernement sera social-démocrate», le gouvernement provisoire social-démocrate «sera un gouvernement homogène avec une majorité social-démocrate». Il ne saurait en être ainsi, s'il s'agit non pas d'épisodes accidentels et passagers, mais d'une dictature révolutionnaire tant soit peu durable, susceptible de laisser une trace dans l'histoire. Il ne saurait en être ainsi, parce que seule une dictature révolutionnaire appuyée sur l'énorme majorité du peuple sera tant soit peu solide (pas absolument certes, mais relativement). Or, le prolétariat ne forme actuellement que la minorité de la population russe. Il ne peut devenir une masse énorme, écrasante, qu'en s'unissant à la masse des semi-prolétaires, des semi-patrons, c'est-à-dire à la masse pauvre de la petite-bourgeoisie des villes et des campagnes. Cette composition de la base sociale de la dictature révolutionnaire démocratique, possible et désirable, influera évidemment sur la composition du gouvernement révolutionnaire, rendra inévitable l'entrée, ou même la prépondérance, dans ce gouvernement, des représentants les plus hétéroclites de la démocratie révolutionnaire. Il serait extrêmement nuisible de nous faire la moindre illusion à cet égard». Telle est donc la position de Lénine à l'égard de Parvus: il le félicite de se prononcer pour la participation dirigeante du prolétariat à la révolution démocratique, mais le met en garde contre l'illusion qui consiste à croire possible un «gouvernement ouvrier».

Trotsky et Parvus

Or, Trotsky défendait la théorie de Parvus (dont certaines affirmations, comme «seuls les ouvriers peuvent accomplir un soulèvement révolutionnaire en Russie», sont absolument fausses) dans une version encore «améliorée». Il écrit: «La théorie de la révolution permanente était alors (en automne 1905) liée aux noms de «Parvus et Trotsky». Ce n'était vrai qu'en partie». Et il s'explique sur ce point de manière détaillée. Parvus «pensait en même temps que «le gouvernement révolutionnaire provisoire ne pourrait accomplir en Russie une révolution socialiste». Son pronostic n'était donc pas la transformation de la révolution démocratique en révolution socialiste, mais seulement l'établissement en Russie d'un régime de démocratie ouvrière, à l'exemple de l'Australie où, sur la base de la petite propriété paysanne, surgirait pour la première fois un gouvernement ouvrier qui ne sortirait pas des limites du régime bourgeois. Je ne partageais pas cette conclusion.» Avec un soin qui lui était dicté par le souci de réfuter les idéologues staliniens, qui l'accusaient d'avoir «voulu sauter l'étape de la révolution démocratique bourgeoise», et dont nous lui sommes reconnaissants, Trotsky poursuit: «... il est nécessaire de la (la théorie de la révolution permanente) présenter ici sous forme de citations précises de mes écrits des années 1905 et 1906».

«Dans un pays économiquement plus arriéré, le prolétariat peut se trouver au pouvoir plus tôt que dans un pays capitaliste avancé. L'idée que la dictature du prolétariat dépend en quelque sorte automatiquement des forces et des moyens techniques du pays représente le préjugé d'un matérialisme «économique» simplifié à l'extrême. Une telle conception n'a rien de commun avec le marxisme. Bien que les forces productives des États-Unis soient dix fois plus grandes que chez nous, le rôle politique du prolétariat russe, son action sur la politique de son pays, la possibilité qu'il aura d'influencer bientôt la politique mondiale sont incomparablement plus grandes que le rôle et l'importance du prolétariat américain. Selon notre conception, la révolution russe crée précisément les conditions dans lesquelles le pouvoir peut (en cas de victoire doit) passer dans les mains du prolétariat, avant que les politiciens du libéralisme bourgeois aient eu la possibilité de déployer complètement leur génie étatique... La bourgeoisie russe cédera toutes les positions révolutionnaires au prolétariat. Il lui faudra aussi céder l'hégémonie révolutionnaire sur la paysannerie. Le prolétariat au pouvoir se présentera devant la paysannerie comme la classe émancipatrice... Le prolétariat, s'appuyant sur la paysannerie, mettra en mouvement toutes les forces pour élever le niveau culturel du village, et développer la conscience politique de la paysannerie.»

En citant ce passage, Trotsky veut, comme nous venons de le voir, réfuter les accusations staliniennes selon lesquelles la «révolution permanente» consistait à sauter par-dessus l'étape démocratique. Du même coup, il montre en quoi sa conception dépassait celle de Parvus. «La lutte pour la rénovation démocratique de la Russie», écrivais-je alors, «est entièrement sortie du capitalisme, elle est menée par des forces qui se sont formées sur la base du capitalisme, et est, immédiatement et en premier lieu, dirigée contre les obstacles hérités de la féodalité et du servage, qui se trouvent sur la voie du développement de la société capitaliste». La question se posait pourtant de savoir quelles forces et quelles méthodes pourraient renverser ces obstacles. «On peut limiter le cadre de tous les problèmes de la révolution avec l'affirmation que notre révolution est bourgeoise par ses buts objectifs, et donc, par ses résultats inévitables; on peut ainsi fermer les yeux sur le fait que le principal artisan de cette révolution bourgeoise, c'est le prolétariat, que toute la marche de la révolution pousse au pouvoir. On peut se tranquilliser à l'idée que les conditions sociales de la Russie ne sont pas encore mûres pour l'économie socialiste et on peut ainsi ne pas avoir l'idée que, une fois au pouvoir, le prolétariat sera inévitablement conduit, par toute la logique de la situation, à faire marcher l'économie pour le compte de l'État. Entrés dans le gouvernement, non pas comme des otages impuissants, mais comme une force dirigeante, les représentants du prolétariat effacent par là-même la limite entre programme maximum et minimum, c'est-à-dire mettent le collectivisme à l'ordre du jour. A quel point le prolétariat sera-t-il arrêté dans cette direction? Cela dépend du rapport des forces, mais nullement des intentions primitives du prolétariat». L'essentiel a été dit. Non seulement Trotsky adhère à la thèse de Parvus, mais encore il la dépasse hardiment: il n'y aura pas seulement en Russie un gouvernement de «démocratie ouvrière», le prolétariat au pouvoir sera contraint d'adopter des mesures de transformation socialiste de la société; ainsi naquit la théorie trotskyste de la révolution permanente, selon laquelle «la révolution démocratique, au cours de son développement, se transforme directement en révolution socialiste et devient ainsi une révolution permanente».

Prétendre que Lénine s'est rallié en 1917 à une telle conception, sur l'allégation d'une lettre de Ioffé, c'est rayer d'un trait de plume toute la lutte de la fraction bolchevique. Dans un article de 1909, «Le but du prolétariat dans notre révolution», Lénine réfute l'opinion de Trotsky suivant laquelle la coalition du prolétariat et des paysans «présuppose qu'un des partis bourgeois actuels s'empare de la direction des paysans ou que les paysans créent un grand parti autonome». Dans cet article, tout en affirmant qu'il serait nécessaire de consacrer un long travail à la réfutation de Trotsky, Lénine se borne à formuler un jugement lapidaire, que tout de suite nous faisons nôtre: «L'erreur fondamentale de Trotsky réside dans la méconnaissance du caractère bourgeois de la révolution, dans le manque d'idées claires sur le problème du passage de cette révolution à la révolution socialiste».

Doctor No
 
Message(s) : 467
Inscription : 24 Mai 2011, 14:40

Re: parvus "revolution permanente" trotski

Message par Doctor No » 08 Mars 2015, 12:41

Les trois conceptions de la révolution russe


Trotsky se tint longtemps «hors-fractions», entre menchéviks et bolcheviks, convaincu que sa théorie était juste. Il voulait «pacifier», combler le fossé, ce qui conduisit Lénine à le dépeindre avec ironie comme celui qui se promenait «avec le rameau de la paix et la burette d'huile non-fractionniste à la main». Dans un article de 1905, «Nos différends», il avait d'ailleurs donné les raisons de cette conviction. «Si les menchéviks, en partant de cette conception abstraite: «Notre révolution est bourgeoise», en viennent à l'idée d'adapter toute la tactique du prolétariat à la conduite de la bourgeoisie libérale jusqu'à la conquête du pouvoir par celle-ci, les bolcheviks, partant d'une conception non moins abstraite: «Dictature démocratique, mais non socialiste», en viennent à l'idée d'une auto-limitation du prolétariat détenant le pouvoir à un régime de démocratie bourgeoise. Il est vrai qu'entre menchéviks et bolcheviks, il y a une différence essentielle: tandis que les aspects anti-révolutionnaires du menchévisme se manifestent dès à présent dans toute leur étendue, ce qu'il y a d'anti-révolutionnaire dans le bolchevisme ne nous menace - mais la menace n'est pas moins sérieuse - que dans le cas d'une victoire révolutionnaire». Dans l'édition de 1922 de ses Oeuvres, Trotsky fait suivre cette phrase de la petite note suivante: «Il n'en fut pas ainsi, fort heureusement: sous la direction du camarade Lénine, le bolchevisme transforma (non sans luttes intérieures) son idéologie sur cette question primordiale dès le printemps 1917, c'est-à-dire avant la conquête du pouvoir».

Avant de vérifier si cette affirmation est exacte, résumons maintenant les trois conceptions, afin de voir comment elles affrontèrent les événements décisifs.

Les menchéviks affirment le caractère bourgeois de la révolution, et reconnaissent le caractère inconséquent de la bourgeoisie. Ils en déduisent la nécessité pour le prolétariat de soutenir la bourgeoisie libérale, tout en restant, tout au long de la révolution, un «parti d'extrême opposition». Pas de participation au gouvernement révolutionnaire provisoire.

Les bolcheviks affirment le caractère bourgeois de la révolution et la nécessité de combattre la bourgeoisie inconséquente. Ils en déduisent la nécessité pour le prolétariat de prendre la tête de la lutte politique contre le tsarisme, et formulent ainsi le «contenu de classe de la révolution, au cas où elle serait victorieuse»: dictature démocratique des ouvriers et des paysans. Dans certaines conditions, le parti du prolétariat peut et doit, même minoritaire, participer au gouvernement révolutionnaire.

Trotsky affirme la nécessité, dans la révolution bourgeoise, de combattre la bourgeoisie inconséquente. Pour lui, le prolétariat ne pourra pas se contenter d'entrer au gouvernement provisoire, mais devra refuser de «se limiter» à l'accomplissement des tâches démocratiques bourgeoises. Le gouvernement pourra être un gouvernement ouvrier social-démocrate, et dans ce cas, il devra prendre des mesures socialistes. Comme le rappela plus tard Trotsky, la théorie de la révolution permanente «démontrait qu'à notre époque l'accomplissement des tâches démocratiques que se proposent les pays bourgeois arriérés les mène directement à la dictature du prolétariat, et que celle-ci met les tâches socialistes à l'ordre du jour. Toute l'idée fondamentale de la théorie était là».

Maintenant, il nous faut répondre séparément aux deux questions: Qui eut raison? Quelle était la doctrine juste?

Doctor No
 
Message(s) : 467
Inscription : 24 Mai 2011, 14:40

Re: parvus "revolution permanente" trotski

Message par Doctor No » 08 Mars 2015, 12:48

Lénine trotskyste?


Trotsky se plut toujours à rappeler que le bruit avait couru, en avril 1917, que Lénine était devenu trotskyste. Dans son «Histoire de la révolution russe», tout un chapitre, consacré au «réarmement du Parti», traite de cet épisode. Lénine aurait abandonné alors la formule de la dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie, et aurait imposé cet abandon à tout le parti. Et Trotsky cite un texte d'avril 1917 dans lequel Lénine déclare: «Le mot d'ordre et les idées bolcheviques dans l'ensemble sont complètement confirmés, mais concrètement les choses se sont présentées autrement qu'on ne l'eût su prévoir (qui que ce fût), d'une façon plus originale, plus singulière, plus variée (...). Quiconque ne parle maintenant que de la «dictature démocratique des ouvriers et des paysans», celui-là retarde sur la vie, celui-là, par conséquent, s'est effectivement rendu à la petite-bourgeoisie, est contre la lutte de classe prolétarienne, celui-là doit être remisé aux archives des raretés bolchevistes d'avant la révolution». Cette citation, comme d'autres semblables, inciterait à croire en la thèse de Trotsky: en avril, Lénine a abandonné la théorie des «Deux tactiques». Cependant, cette citation est elle-même contradictoire, et mérite donc d'être examinée de plus près. Comment peut-il se faire que Lénine parle de la formule de la dictature démocratique comme d'une «formule dépassée» et qu'en même temps il déclare que «les idées bolcheviques ont été dans l'ensemble confirmées par l'histoire»? La solution n'est pas très difficile. Si l'on poursuit en effet quelques lignes le texte cité par Trotsky, on se trouve nez à nez avec la phrase suivante: «La «dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie» est déjà réalisée dans la révolution russe, car cette «formule» ne prévoit qu'un rapport entre les classes, et non une institution politique déterminée matérialisant ce rapport, cette collaboration». Il est donc faux de dire que Lénine abandonne purement et simplement son ancienne position, sous prétexte qu'il se serait aperçu alors que la dictature démocratique était irréalisable et que «entre Kérensky et la Révolution d'octobre, il n'y avait pas de place pour la dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie», comme le dit la sixième des «Thèses sur la révolution permanente».

Certes, Lénine affirme plusieurs fois en avril qu'il «faut savoir corriger les vieilles formules, par exemple celles du bolchevisme, car, si elles se sont révélées justes dans l'ensemble, leur application concrète s'est révélée déficiente», mais le 25 avril, au cours de la Conférence de Pétrogradville du P.O.S.D.R. (b), il s'exprime en détail sur cette question, et explique précisément sur quel point il est nécessaire d'abandonner le «vieux» bolchevisme: «Le Soviet des députés ouvriers et soldats, c'est la dictature du prolétariat et des soldats; ces derniers sont en majorité des paysans. Il s'agit donc bien de la dictature du prolétariat et de la paysannerie. Mais cette «dictature» a passé un accord avec la bourgeoisie. C'est sur ce point (c'est nous qui soulignons, n.d.l.r.) qu'il faut réviser le vieux bolchévisme. La situation qui s'est créée nous montre la dictature du prolétariat et des paysans et le pouvoir de la bourgeoisie étroitement enlacés». C'est donc sur ce point, et sur ce point précis, que Lénine juge utile de «réviser» l'ancien bolchevisme. («Personne autrefois ne songeait, et ne pouvait songer, à la dualité de pouvoir.») Mais la «révision» que Lénine opère sur ce point n'est pas le moins du monde un abandon de ses conceptions antérieures.

En effet, quelle est la tâche qu'il fixe alors au parti bolchevique? Tout d'abord celle de comprendre que les Soviets ont remis le pouvoir pacifiquement au gouvernement bourgeois, alors qu'ils constituaient eux-mêmes un organe de pouvoir: l'appareil de l'État tsariste ayant été en grande partie démantelé, les Soviets pourraient s'emparer du pouvoir presque sans coup férir à condition de ne pas attendre que la bourgeoisie regroupe ses forces; il fallait donc «simplement» convaincre les Soviets de renoncer à leur politique de collaboration avec la bourgeoisie impérialiste, et faire en sorte qu'ils prennent tout le pouvoir. Or, comment définit-il les Soviets? Comme la dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie. Conclusion: loin de marquer le passage de Lénine dans le camp de la révolution permanente, les Thèses d'avril signifient: il faut que se réalise pleinement la dictature démocratique des ouvriers et des paysans!

... Ou les bolcheviks menchéviques?


Citant Raskolnikov dans son «Histoire de la révolution russe», Trotsky raconte l'arrivée de Lénine à la gare de Finlande: «A peine entré dans le compartiment et assis sur la banquette, Vladimir Ilitch se jeta sur Kamenev:

«Qu'écrivez-vous dans La Pravda? Nous en avons vu quelques numéros et nous vous avons fameusement engueulés.» La colère de Lénine s'explique: il était furieux de constater que les bolcheviks, ou du moins une grande partie d'entre eux, avaient commencé à... «apporter leur soutien» au gouvernement provisoire. Dans son rapport du 29 mars 1917, «Le problème du gouvernement provisoire», Staline s'était laissé aller à affirmer: «Le Soviet a pris en fait l'initiative des transformations révolutionnaires, le Soviet est le chef révolutionnaire du peuple insurgé, l'organe qui contrôle le gouvernement provisoire. Le gouvernement révolutionnaire provisoire a pris en fait le rôle de consolidateur des conquêtes du peuple révolutionnaire». Au lendemain de l'insurrection, on avait pu lire dans un manifeste du comité central des bolcheviks: «Les ouvriers des fabriques et des usines, ainsi que toutes les troupes soulevées doivent immédiatement élire leurs représentants au gouvernement révolutionnaire provisoire». La Pravda du 15 mars avait écrit que les bolcheviks soutiendraient résolument le gouvernement provisoire «dans la mesure où il lutte contre la réaction ou la contre-révolution». Raskolnikov raconte que Lénine «railla avec causticité la fameuse formule de soutien au gouvernement provisoire «dans la mesure ou»...». Au moment de défendre les fameuses «Thèses d'avril», Lénine se retrouvera seul dans son parti, car les vieux bolcheviks, ayant longtemps défendu - de façon juste - la participation ou le soutien au futur gouvernement révolutionnaire, l'appliquaient maintenant de façon fausse, parce qu'ils ne comprenaient pas que ce qu'ils appelaient «gouvernement révolutionnaire provisoire» n'était rien d'autre qu'un pur et simple gouvernement impérialiste. Lénine affirme: la «dictature démocratique» n'est pas le gouvernement, mais le Soviet, et elle ne se réalisera vraiment que contre le gouvernement provisoire.

Le 8 avril, en dépit de ces éclaircissements, Kamenev contre-attaqua. Sous sa direction, La Pravda avait écrit que la tâche essentielle était «d'instituer un régime républicain démocratique». Maintenant, contre Lénine, il argumentait: «Pour ce qui est du schéma général du camarade Lénine, il nous parait inacceptable dans la mesure où il présente comme achevée la révolution démocratique bourgeoise et compte sur une transformation immédiate de cette révolution en révolution socialiste». Trotsky commente dans son «Histoire de la révolution russe»: «L'organe central du parti déclarait ainsi, ouvertement, devant la classe ouvrière et ses ennemis, son désaccord avec le leader unanimement reconnu du parti sur la question cruciale de la révolution a laquelle les cadres bolcheviques s'étaient préparés de longues années». Il sous-entend: eux étaient restés sur la vieille ligne, et Lénine avait changé la sienne. De même, Kamenev reproche à Lénine «de compter sur une transformation immédiate de cette révolution en révolution socialiste», c'est-à-dire d'adopter la théorie de la révolution permanente. Si les affirmations de Trotsky et Kamenev sont exactes, on doit s'attendre à voir Lénine répondre: «Oui, je suis devenu partisan du passage à la révolution socialiste».
Doctor No
 
Message(s) : 467
Inscription : 24 Mai 2011, 14:40

Re: parvus "revolution permanente" trotski

Message par Doctor No » 08 Mars 2015, 12:51

Ceux qui seraient intéressés de lire la suite ou l'article entier
(publié dans : «Programme Communiste», numéro 57, octobre-décembre 1972)
http://www.sinistra.net/lib/bas/progco/ ... pibef.html

Autrement je vais prendre trop de place.

Et pour les encore plus mordus il y a ceci
http://www.mediafire.com/download/g6nsq ... skyism.pdf

Je précise; j'étudie la question donc je la regarde sous tous ses aspects.

Les autres....feront comme ils voudront.
Doctor No
 
Message(s) : 467
Inscription : 24 Mai 2011, 14:40


Retour vers Histoire et théorie

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 11 invité(s)