Les conséquences de 1956 en France

Marxisme et mouvement ouvrier.

Les conséquences de 1956 en France

Message par Gaby » 20 Mai 2015, 14:55

J'ouvre ce sujet dans l'espoir d'obtenir un éclairage ou deux sur ce qu'il s'est passé en France après l'insurrection de Budapest.

Je commence un peu à maîtriser ce que 1956 a ouvert comme développements en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Une tendance critique se crée au sein du PC britannique, vite exclue. Des intellectuels comme EP Thompson, Ralph Milliband lancent la "new left", tandis que chez les Américains, la jeunesse étudiante suivra l'appel de C. Wright Mills à organiser les travailleurs intellectuels, pensée comme nouvelle classe révolutionnaire. Le mouvement ouvrier américain, trop collaborateur avec l'Etat, soutient la guerre du Vietnam et perd une génération qui aurait pu le revigorer. En Angleterre, les universitaires ne se dirigent pas plus sur le terrain des luttes ouvrières, mais participent à des campagnes du type désarmement nucléaire, comme façon de se démarquer de la vieille gauche, arc-boutée sur les camps de la guerre froide. Mais s'ils critiquent l'URSS pour 1956, cette nouvelle gauche ne va pas toujours au bout de la critique de la montée du Stalinisme (je pense à un texte de EP Thompson dans lequel il reproche aux Trotskystes de parler de "trahison" plutôt que d'étudier les rapports de force de la bureaucratisation, c'est un peu l’hôpital qui se fout de la charité). Néanmoins, Trotskystes et nouvelle gauche se parlent, se mêlent un peu.

Il me semble qu'en comparaison, la "deuxième gauche" en France est un drôle d'animal, aux préoccupations vite électorales. Je ne comprends pas comment cette sensibilité qui répond aux mêmes aspirations que chez les anglophones (comment être de gauche sans être intégré à l'Etat ou Stalinien), a pu se trouver un allié en la personne de Mendès-France. Je ne comprends pas bien le développement entre Mitterrand et Rocard, comment ce dernier a pu dévoyer une sensibilité favorable à l'autogestion ouvrière pour un programme politique si capitulard, se plaçant in fine à la droite de Mitterrand. C'est assez fascinant cette deuxième gauche, on en a même eu une résurgence récente quand le fils spirituel de Rocard, Macron, disait que sa forme préférée d'entreprise était la coopérative.

Alors quelques questions en vrac, en plus de ce que j'ai déjà mentionné. Si des camarades se sentent de me dire ce qu'ils en pensent et savent, je l'apprécierais beaucoup.

Quand Voix Ouvrière est fondé cette même année, est-ce que c'est lié à ce contexte plus général de questionnement de l'URSS, ce qui a fini de motiver / rendre possible les aspirations des anciens du groupe Barta ? Est-ce que 1956 est comparable à 1968, est-ce que ce sont deux moments qui rendent plus facile d'être communiste sans être stalinien ?

Qu'est ce que c'était, ce milieu de la deuxième gauche, du PSU d'avant que Rocard le quitte en 1974 ? Il y avait beaucoup d'anciens Trotskystes, mais qu'est-ce qu'ils en gardaient ? Ai-je tort d'imaginer des vieux camarades dire que les militants du PSU jetaient le bébé avec l'eau du bain ?

Le PCI de Frank gagne ou perd avec 1956 ? J'ai l'impression que certains se barrent, comme Schwartz, et d'autres viennent (ex du PCF)... Ca ressemble à quoi le PCI à l'époque ? Ils mettent du temps à gagner quelques jeunes du PC dont Krivine, c'est quand même lié à Budapest la création des JCR ?
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Re: Les conséquences de 1956 en France

Message par Sinoue » 20 Mai 2015, 19:18

Bonjour Gaby, malheureusement je n'ai pas d'éléments à t'apporter. Voilà. Sur ce, je vous embrasse et je rentre à ma maison :geek:
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Re: Les conséquences de 1956 en France

Message par pouchtaxi » 20 Mai 2015, 19:51

Le PCI de Frank gagne ou perd avec 1956 ? J'ai l'impression que certains se barrent, comme Schwartz,


Juste un infime détail du vaste débat que tu lances si «Schwartz » dans ton message désigne bien le mathématicien Laurent Schwartz.

L.S. affirme dans sa biographie « Un mathématicien au prise avec son siècle » qu’il a été exclu du PCI en 1948 pour sa participation avec Rousset et Sartre au lancement du RDR (Rassemblement Démocratique Révolutionnaire).

Il précise que son éloignement du trotskysme remonte à 1947 et qu’ensuite il n’a que mollement participé à la courte aventure RDR.

Cela n’a donc rien à voir ni avec la différenciation PCI-Frank/PCI-Lambert ni avec les évènements de Budapest en 1956.
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Re: Les conséquences de 1956 en France

Message par artza » 20 Mai 2015, 21:51

Tu peux toujours consulter:"Sartre et l'extrême-gauche française: cinquante ans de relations tumultueuses" de Ian H. Birchall c'est à la Découverte.

Et puis la préface de Camus au Moscou sous Lénine de Rosmer, ça donne l'ambiance de l'époque!

Après 56 des intellectuels PC se sont un peu dégourdis. La revue Arguments et la collection du même nom aux éditions de Minuit.

Des publications oppositionnelles sont parues, Voies nouvelles, Tribune de discussion, l'Etincelle, puis la Voie communiste...

Les trotskystes de 1948 à ... c'est la dégringolade.
Si l'UC disparait après 48 les autres ne sont pas plus joufflus. Scissions/exclusions tous les deux ans... et c'est pareil à Socialisme ou barbarie, chez les divers bordiguistes etc...
Fin 56 paraissent les premiers Voix ouvrière (bulletin d'entreprise) avec entre autre des éditos sur Budapest...
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Re: Les conséquences de 1956 en France

Message par artza » 20 Mai 2015, 22:31

Le bouquin de Birchall sur Sartre est édité par la Fabrique et pas par la Découverte. Excuses :)
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Re: Les conséquences de 1956 en France

Message par Gaby » 22 Mai 2015, 16:50

Cheers, merci pour les pistes de lecture.

C'est terrible quand même, ce moment, du point de vue des Trotskystes des pays les plus riches. Quoi d'autre peut dire plus bruyamment que Trotsky avait raison ? Et plutôt que de rejoindre son mouvement, certes anémique, la gauche critique de l'URSS finit par fonder des organisations un peu bâtardes, qui malgré leur soif de nouveauté composent avec de vieux politiciens, qui croient plus en l'intelligentsia que dans les travailleurs, etc. L'histoire est tellement brouillonne.
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Re: Les conséquences de 1956 en France

Message par com_71 » 22 Mai 2015, 16:53

Gaby a écrit : c'est quand même lié à Budapest la création des JCR ?


Pas du tout, le développement de tendances de gauche dans les jeunesses étudiantes du PCF est, grosso-modo, de 10 ans après (1965-66). Développement de courants "pro-chinois" ou liés au PCI (secteur lettres de l'UEC). Premières prises de position publique des uns et des autres : contre le soutien à Mitterrand en 1965.

Apparition des premiers cercles JCR vers 66 à Rouen et Nice...
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Les conséquences de 1956 en France

Message par com_71 » 22 Mai 2015, 17:00

Gaby a écrit :C'est terrible quand même, ce moment, du point de vue des Trotskystes des pays les plus riches


A l'exception, notable, de l'Angleterre, où Peter Fryer, le correspondant du Daily Worker (PC) à Budapest a fait scission vers le mouvement trotskyste (grpe Healy, future SLL) entraînant de brillants intellectuels... et une imprimerie. La SLL n'a finalement rien construit de durable, mais c'est une autre histoire.
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Re: Les conséquences de 1956 en France

Message par artza » 22 Mai 2015, 18:03

A propos de Budapest, j'étais bien jeune mais comme la plupart (tous) des travailleurs qui étaient dans ou autour du PC ont pensé que c'était un coup des fachos.
La Hongrie avait été alliée de Hitler et surtout le PS, la droite et l'extrême-droite ont fait un foin du diable. "Voyez le vrai visage du communisme".
Une importante manif de droite anti-communiste a eu lieu à Paris dont les éléments les plus déterminés, anciens d'Indochine, de la 2ème DB (j'ignore si ceux de la "nueve" en étaient ;) )de Rhin-et-Danube ont attaqué le siège du PC à Paris et ont mis le feu au rez-de-chaussée!
En riposte le PC a appelé à manifester. J'étais à celle du nord de Paris. Le mot-d'ordre "à Budapest et à Paris le fascisme ne passera pas".
Dans la même période il y a l'expédition de Suez, PC et PS et la droite se renvoyaient la balle.

Le PC comptait quelques centaines de milliers d'adhérents, des électeurs (environ 20%) mais seulement quelques dizaines de milliers de militants.
La situation dans quelques quartiers de Paris, quelques villes de banlieue et quelques coins de province pouvaient faire illusion. Mais c'était pas Montreuil ou Ivry tout partout en France! y compris parmi les travailleurs.
Même dans les grandes usines Renault c'était une chose. Citroën et surtout SIMCA c'était une autre chanson.

En 1959 j'étais aux Jeunesses communistes depuis quelques mois et bien je ne connaissais même pas le nom de Trotsky et j'ignorais qu'il puisse exister d'autres variétés de communistes que ceux du PC!

Pour les intellectuels du PC, ils ne se considéraient pas comme des militants ouvriers, pas du tout. J'en en ai rencontré quelques uns plus tard pour qui l'idée d'aider à la parution d'un bulletin d'entreprise était inconcevable, une mal-politesse voire une provocation. Si les diffuseurs se faisaient mal recevoir, ils l'avaient bien cherché!
(C'était d'ailleurs aussi un peu le point de vue du PCI-"Frank" :mrgreen: ).
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