Zimmerwald, 100ème anniversaire

Marxisme et mouvement ouvrier.

Zimmerwald, 100ème anniversaire

Message par com_71 » 08 Sep 2015, 18:29

Le Manifeste rédigé par Trotsky

Manifeste de la conférence de Zimmerwald
5-8 septembre 1915


Prolétaires d’Europe !

Voici plus d'un an que dure la guerre ! Des millions de cadavres couvrent les champs de bataille. Des millions d'hommes seront, pour le reste de leurs jours, mutilés. L'Europe est devenue un gigantesque abattoir d'hommes. Toute la civilisation créée par le travail de plusieurs générations est vouée à l'anéantissement. La barbarie la plus sauvage triomphe aujourd'hui de tout ce qui, jusqu'à présent, faisait l'orgueil de l'humanité.

Quels que soient les responsables immédiats du déchaînement de cette guerre, une chose est certaine : la guerre qui a provoqué tout ce chaos est le produit de l'impérialisme. Elle est issue de la volonté des classes capitalistes de chaque nation de vivre de l'exploitation du travail humain et des richesses naturelles de l'univers. De telle sorte que les nations économiquement arriérées ou politiquement faibles tombent sous le joug des grandes puissances, lesquelles essaient, dans cette guerre, de remanier la carte du monde par le fer et par le sang, selon leurs intérêts.

C'est ainsi que des peuples et des pays entiers comme la Belgique, la Pologne, les Etats balkaniques, l'Arménie, courent le risque d'être annexés, en totalité ou en partie, par le simple jeu des compensations.

Les mobiles de la guerre apparaissent dans toute leur nudité au fur et à mesure que les événements se développent. Morceau par morceau, tombe le voile par lequel a été cachée à la conscience des peuples la signification de cette catastrophe mondiale.

Les capitalistes de tous les pays, qui frappent dans le sang des peuples la monnaie rouge des profits de guerre, affirment que la guerre servira à la défense de la patrie, de la démocratie, à la libération des peuples opprimés. Ils mentent. La vérité est qu'en fait, ils ensevelissent, sous les foyers détruits, la liberté de leurs propres peuples en même temps que l'indépendance des autres nations. De nouvelles chaînes, de nouvelles charges, voilà ce qui résultera de cette guerre, et c'est le prolétariat de tous les pays, vainqueurs et vaincus, qui devra les porter.

Accroissement du bien‑être, disait‑on, lors du déchaînement de la guerre.

Misère et privations, chômage et renchérissement de la vie, maladies, épidémies, tels en sont les vrais résultats. Pour des dizaines d'années, les dépenses de la guerre absorberont le meilleur des forces des peuples, compromettront la conquête des améliorations sociales et empêcheront tout progrès.

Faillite de la civilisation, dépression économique, réaction politique, voilà les bienfaits de cette terrible lutte des peuples.

La guerre révèle ainsi le caractère véritable du capitalisme moderne qui est incompatible, non seulement avec les intérêts des classes ouvrières et les exigences de l'évolution historique, mais aussi avec les conditions élémentaires d'existence de la communauté humaine.

Les institutions du régime capitaliste qui disposaient du sort des peuples : les gouvernements ‑ monarchiques ou républicains, ‑ la diplomatie secrète, les puissantes organisations patronales, les partis bourgeois, la presse capitaliste, l'Eglise : sur elles toutes pèse la responsabilité de cette guerre surgie d'un ordre social qui les nourrit, qu'elles défendent et qui ne sert que leurs intérêts.
Ouvriers !

Vous, hier, exploités, dépossédés, méprisés, on vous a appelés frères et camarades quand il s'est agi de vous envoyer au massacre et à la mort. Et aujourd'hui que le militarisme vous a mutilés, déchirés, humiliés, écrasés, les classes dominantes réclament de vous l'abdication de vos intérêts, de votre idéal, en un mot une soumission d'esclaves à la paix sociale. On vous enlève la possibilité d'exprimer vos opinions, vos sentiments, vos souffrances. On vous interdit de formuler vos revendications et de les défendre. La presse jugulée, les libertés et les droits politiques foulés aux pieds : c'est le règne de la dictature militariste au poing de fer.

Nous ne pouvons plus ni ne devons rester inactifs devant cette situation qui menace l'avenir de l'Europe et de l'humanité.

Pendant de longues années, le prolétariat socialiste a mené la lutte contre le militarisme; avec une appréhension croissante, ses représentants se préoccupaient dans leurs congrès nationaux et internationaux des dangers de guerre que l'impérialisme faisait surgir, de plus en plus menaçants. A Stuttgart, à Copenhague, à Bâle, les congrès socialistes internationaux ont tracé la voie que doit suivre le prolétariat.

Mais, partis socialistes et organisations ouvrières de certains pays, tout en ayant contribué à l'élaboration de ces décisions, ont méconnu, dès le commencement de la guerre, les obligations qu'elles leur imposaient. Leurs représentants ont entraîné les travailleurs à abandonner la lutte de classe, seul moyen efficace de l'émancipation prolétarienne. Ils ont accordé aux classes dirigeantes les crédits de guerre; ils se sont mis au service des gouvernements pour des besognes diverses; ils ont essayé, par leur presse et par des émissaires, de gagner les neutres à la politique gouvernementale de leurs pays respectifs; ils ont fourni aux gouvernements des ministres socialistes comme otages de l'« Union sacrée ». Par cela même ils ont accepté, devant la classe ouvrière, de partager avec les classes dirigeantes les responsabilités actuelles et futures de cette guerre, de ses buts et de ses méthodes. Et de même que chaque parti, séparément, manquait à sa tâche, le représentant le plus haut des organisations socialistes de tous les pays, le Bureau socialiste international manquait à la sienne.

C'est à cause de ces faits que la classe ouvrière, qui n'avait pas cédé à l'affolement général ou qui avait su, depuis, s'en libérer, n'a pas encore trouvé, dans la seconde année du carnage des peuples, les moyens d'entreprendre, dans tous les pays, une lutte active et simultanée pour la paix dans cette situation intolérable, nous, représentants de partis socialistes, de syndicats, ou de minorités de ces organisations, Allemands, Français, Italiens, Russes, Polonais, Lettons, Roumains, Bulgares, Suédois, Norvégiens, Hollandais et Suisses, nous qui ne nous plaçons pas sur le terrain de la solidarité nationale avec nos exploiteurs mais qui sommes restés fidèles à la solidarité internationale du prolétariat et à la lutte de classe, nous nous sommes réunis pour renouer les liens brisés des relations internationales, pour appeler la classe ouvrière à reprendre conscience d'elle‑même et l'entraîner dans la lutte pour la paix.

Cette lutte est la lutte pour la liberté, pour la fraternité des peuples, pour le socialisme.. Il faut entreprendre cette lutte pour la paix, pour la paix sans annexions ni indemnités de guerre. Mais une telle paix n'est possible qu'à condition de condamner toute pensée de violation des droits et des libertés des peuples. Elle ne doit conduire ni à l'occupation de pays entiers, ni à des annexions partielles. Pas d'annexions, ni avouées ni masquées, pas plus qu'un assujettissement économique qui, en raison de la perte de l'autonomie politique qu'il entraîne, devient encore plus intolérable. Le droit des peuples de disposer d'eux‑mêmes doit être le fondement inébranlable dans l'ordre des rapports de nation à nation.

Prolétaires !

Depuis que la guerre est déchaînée, vous avez mis toutes vos forces, tout votre courage, toute votre endurance au service des classes possédantes, pour vous entretuer les uns les autres. Aujourd'hui, il faut, restant sur le terrain de la lutte de classe irréductible, agir pour votre propre cause, pour le but sacré du socialisme, pour l'émancipation des peuples opprimés et des classes asservies.

C'est le devoir et la tâche des socialistes des pays belligérants d'entreprendre cette lutte avec toute leur énergie. C'est le devoir et la tâche des socialistes des pays neutres d'aider leurs frères, par tous les moyens, dans cette lutte contre la barbarie sanguinaire.

Jamais, dans l'histoire du monde, il n'y eut tâche plus urgente, plus élevée, plus noble; son accomplissement doit être notre œuvre commune. Aucun sacrifice n'est trop grand, aucun fardeau trop lourd pour atteindre ce but : le rétablissement de la paix entre les peuples.

Ouvriers et ouvrières, mères et pères, veuves et orphelins, blessés et mutilés, à vous tous qui souffrez de la guerre et par la guerre, nous vous crions : Par‑dessus les frontières par‑dessus les champs de bataille, par‑dessus les campagnes et les villes dévastées :
Prolétaires de tous les pays, unissez‑vous !

Zimmerwald (Suisse), septembre 1915.


Le projet de Résolution de Lénine (qui ne fut pas adopté)


Projet de résolution de la gauche de Zimmerwald - LENINE


La guerre actuelle a été engendrée par l'impérialisme. Ce stade, atteint par le capitalisme, est son stade suprême. Les forces productives de la société et l'importance du capital ont grandi au‑delà des limites étroites des différents Etats nationaux. D'où la tendance des grandes puissances à asservir d'autres nations, à conquérir des colonies, en tant que sources de matières premières et débouchés pour l'exportation des capitaux. Le monde entier devient un organisme économique unique ; le monde entier est partagé entre une poignée de grandes puissances. Les conditions objectives du socialisme sont parvenues à une maturité complète, . et la guerre actuelle est une guerre des capitalistes pour des privilèges et des monopoles susceptibles de retarder la faillite du capitalisme.

Les socialistes, qui aspirent à libérer le travail du joug du capital et se font les champions de la fraternité universelle des ouvriers, luttent contre toute forme d'oppression et d'inégalité en droits des nations. A l'époque où la bourgeoisie était progressive, où le renversement du régime féodal, de l'absolutisme et du joug étranger était à l'ordre du jour de l'Histoire, les socialistes, qui ont toujours été les démocrates les plus conséquents et les plus résolus, admettaient en ce sens, et en ce sens seulement, la « défense de la patrie ». Aujourd'hui encore, si une guerre des nations opprimées contre leurs oppresseurs, les grandes puissances, éclatait dans l'Est de l'Europe ou dans les colonies, toute la sympathie des socialistes irait aux opprimés.

Mais la guerre actuelle a été engendrée par une époque historique toute différente, où la bourgeoisie, naguère progressive, est devenue réactionnaire. De la part des deux groupes de puissances belligérantes, cette guerre est une guerre d'esclavagistes pour le maintien et le renforcement de l'esclavage : pour un nouveau partage des colonies, pour le « droit » d'opprimer d'autres nations, pour les privilèges et les monopoles du capital impérialiste, pour la perpétuation de l'esclavage du salariat par la division des ouvriers des différents pays et la répression réactionnaire de leurs aspirations. C'est pourquoi les discours sur la « défense de la patrie » tenus par les deux groupes belligérants sont une mystification du peuple par la bourgeoisie. Ni la victoire de l'un des groupes, quel qu'il soit, ni le retour au statu quo ne peuvent préserver la liberté de la majorité des nations du monde contre l'oppression exercée sur elles par une poignée de grandes puissances, ni garantir à la classe ouvrière même ses modestes conquêtes culturelles d'aujourd'hui. L'époque du capitalisme relativement pacifique est révolue sans retour. L'impérialisme apporte à la classe ouvrière une aggravation inouïe de la lutte des classes, de la misère, du chômage, du coût de la vie, de la domination des trusts, du militarisme, ainsi que la réaction politique qui relève la tête dans tous les pays, même les plus libres.

La signification réelle du mot d'ordre de la « défense de la patrie » dans la guerre actuelle, c'est la défense du « droit » pour « sa » bourgeoisie nationale d'opprimer d'autres nations, c'est la politique ouvrière national‑libérale, c'est l'alliance d'une infime partie d'ouvriers privilégiés avec « leur » bourgeoisie nationale contre la masse des prolétaires et des exploités. Les socialistes qui mènent cette politique sont en fait des chauvins, des social‑chauvins. La politique consistant à voter les crédits militaires et à entrer dans les ministères, la politique de la « Burgfrieden [paix civile] », etc., est une trahison du socialisme. L'opportunisme, engendré par les conditions de l'époque « pacifique » révolue, a maintenant accompli sa rupture complète avec le socialisme et est devenu un ennemi avéré du mouvement de libération du prolétariat. La classe ouvrière ne peut atteindre ses objectifs d'une portée historique mondiale sans mener la lutte la plus résolue contre l'opportunisme et le social‑chauvinisme déclarés (la majorité des partis social-­démocrates de France, d'Allemagne et d'Autriche, Hyndman, les Fabiens et les trade‑unionistes en Angleterre, Roubanovitch, Plékhanov et « Nacha Zaria » en Russie, etc.), ainsi que contre le « centre » qui a cédé les positions du marxisme aux chauvins.

Le Manifeste de Bâle, unanimement adopté en 1912 par les socialistes du monde entier en prévision d'une guerre entre les grandes puissances exactement semblable à celle qui se déroule actuellement, a nettement reconnu le caractère impérialiste et réactionnaire de cette guerre, déclaré qu'il considérait comme un crime que les ouvriers d'un pays tirent les uns sur les autres, et proclamé l'imminence de la révolution prolétarienne, précisément en liaison avec cette guerre. Effectivement, la guerre crée une situation révolutionnaire; elle engendre un état d'esprit révolutionnaire et une effervescence révolutionnaire dans les masses; elle suscite partout, dans la meilleure partie du prolétariat, une prise de conscience du danger mortel que représente l'opportunisme et accentue la lutte contre ce dernier. Le désir de paix qui grandit dans les masses laborieuses traduit leur déception, la faillite du mensonge bourgeois sur la défense de la patrie, le début de l'éveil de la conscience révolutionnaire des masses. En utilisant cet état d'esprit pour leur agitation révolutionnaire, sans se laisser arrêter par l'idée de la défaite de « leur » patrie, les socialistes ne tromperont pas le peuple par l'espoir illusoire d'une paix prochaine et de quelque durée, démocratique et excluant l'oppression des nations, par l'espoir du désarmement, etc., sans un renversement révolutionnaire des gouvernements actuels. Seule la révolution sociale du prolétariat ouvre le chemin à la paix et à la liberté des nations.

La guerre impérialiste inaugure l'ère de la révolution sociale. Toutes les conditions objectives de l'époque actuelle mettent à l'ordre du jour la lutte révolutionnaire de masse du prolétariat. Les socialistes ont pour devoir, sans renoncer à aucun des moyens de lutte légale de la classe ouvrière, de les subordonner tous à cette tâche pressante et essentielle, de développer la conscience révolutionnaire des ouvriers, de les unir dans la lutte révolutionnaire internationale, de soutenir et de faire progresser toute action révolutionnaire, de chercher à transformer la guerre impérialiste entre les peuples en une guerre civile des classes opprimées contre leurs oppresseurs, en une guerre pour l'expropriation de la classe des capitalistes, pour la conquête du pouvoir politique par le prolétariat, pour la réalisation du socialisme.

Ecrit avant le 20 août (2 septembre) 1915
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Zimmerwald, 100ème anniversaire

Message par artza » 10 Sep 2015, 09:53

Dans Lutte ouvrière cette semaine:

http://www.lutte-ouvriere-journal.org/2015/09/09/septembre-1915-la-conference-de-zimmerwald-lennemi-principal-est-dans-notre-pays_37861.html

Les Bons caractères proposent un choix d'articles de socialistes et de syndicalistes internationalistes connus ou moins connus opposants révolutionnaires à la guerre:

http://www.lesbonscaracteres.com/livre/lennemi-principal-est-dans-notre-propre-pays.

Et pour le mois de décembre la réédition de l'ouvrage de Rosmer, "lemouvement ouvrier pendant la première guerre mondiale".
artza
 
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