Pour illustrer cela cet article du monde (j'ai coupé le dernier tiers) de Jean Birnbaum qui flirta avec le trotskisme dans sa jeunesse et dirige maintenant le Monde des Livres.
Quel que soit le dénouement de la présidentielle, on peut d’ores et déjà constater que l’année 2017 y aura marqué l’agonie de l’antifascisme. Encore récemment, ce combat mobilisait les consciences au-delà des clivages partisans. Désormais, c’est la critique de cette tradition qui a le vent en poupe : un peu partout, face à l’antifascisme, on fait front. Longtemps, cette offensive passa pour réactionnaire, parce qu’elle visait la gauche. Depuis les années 1990, nombreux sont les intellectuels qui ont fustigé l’antifascisme comme une obsession aveuglante : à force de tout rabattre sur la « peste brune », firent-ils valoir, les progressistes sont devenus incapables d’affronter les nouvelles menaces, et d’abord le péril islamiste. D’où les charges d’un Pierre-André Taguieff contre « la diabolisation néoantifasciste ». Ou d’un Alain Finkielkraut contre l’antifascisme « incontinent »…
Or, quinze ans après le choc du 21 avril, voilà que ces pourfendeurs de l’antifascisme sont rejoints par une partie de ceux-là même qu’ils accablaient. Bien sûr, on pense
d’emblée à Jean-Luc Mélenchon, qui appelait, en 2002, à « abaisser le plus bas possible Le Pen ». Au soir du récent premier tour, sa façon de renvoyer dos-à-dos Marine Le Pen et Emmanuel Macron a paru d’autant plus emblématique que Mélenchon est un militant à la mémoire longue, formé à l’école d’un courant où l’antifascisme représente un repère identitaire : le trotskisme.
Pour en prendre la mesure, il faut rappeler quelques éléments historiques. Tout part du traumatisme fondateur : la victoire d’Hitler, en 1933, et la « défaite sans combat » du mouvement ouvrier allemand, le plus puissant et le plus cultivé d’Europe. De génération en génération, les trotskistes ont appris que le principal responsable de cette catastrophe était le Parti communiste allemand (KPD) aux ordres de Staline. Dans la période qui précéda l’avènement du nazisme, en effet, le KPD refusa obstinément de faire alliance avec les socialistes pour faire barrage à Hitler. Au contraire, ses chefs désignèrent les sociaux-démocrates comme leurs ennemis prioritaires, allant jusqu’à les qualifier de « sociaux-fascistes ».
En 1931, le leader du KPD, Ernst Thälmann, écrivait ceci : « La social-démocratie essaie, en évoquant le spectre du fascisme d’Hitler, de détourner les masses d’une action vigoureuse contre la dictature du capital financier. Et c’est ce plat empoisonné qui constitue, en réalité, l’un des aspects de sa politique ordinaire du “moindre mal” qu’elle s’apprête à accommoder à la sauce d’une prétendue amitié soudaine pour le Parti communiste (…). Et il y a des gens à qui les arbres du national-socialisme cachent la forêt de la social-démocratie ! »
« UN FRONT UNIQUE AU CIMETIÈRE »
Pour Léon Trotski, cette position suicidaire constituait « une trahison d’une ampleur historique au moins égale à celle de la social-démocratie le 4 août 1914 », lorsque les socialistes votèrent les crédits de guerre. Depuis l’île turque de Prinkipo, où il était exilé, l’ancien chef de l’Armée rouge mena la bataille contre ce « 4 août » du stalinisme. Il appela l’ensemble des militants ouvriers, communistes, socialistes ou sans parti, à constituer un « front unique » contre le nazisme. Si Hitler devait l’emporter, affirmait-il, c’en serait fini de la démocratie ouvrière, de ses syndicats, de ses associations culturelles et sportives… car c’en serait fini de la démocratie tout court. « Identifier la social-démocratie avec le fascisme est tout à fait insensé », écrivait-il en 1932. « Sous cette phraséologie radicale se cache la passivité la plus lâche », accusait-il, résumant ainsi sa position : « Dans la lutte contre le fascisme, nous sommes prêts à passer des accords pratiques avec le diable et avec sa grand-mère. »
Face à la « peste brune », l’ensemble des forces de gauche doivent faire front ; faute de quoi, elles connaîtront un « front unique au cimetière », selon l’expression du révolutionnaire argentin Juan Rustico. Telle est donc la leçon politique qui a été transmise à des générations de militants trotskistes, celle-là même que Jean-Luc Mélenchon et ses amis semblent avoir oublié de léguer à la jeunesse.
On dira que le contexte actuel est différent, et on aura raison. La rupture des gauches radicales avec la tradition antifasciste n’en est pas moins remarquable. D’abord parce que cet héritage a nourri leur culture commune. Ensuite parce que, malgré les différences de fond, cet héritage trouve des résonances formelles au coeur de notre actualité. A l’époque, déjà, ceux qui refusaient le « front unique » avançaient un argument à double détente. Premier coup : la social-démocratie, c’est le libéralisme, donc le capitalisme, donc la barbarie, donc le fascisme. Deuxième coup : après tout, le fascisme au pouvoir, ce serait la possibilité d’y voir clair, l’obligation de rester mobilisés et, demain, d’être victorieux. « Nous sommes les vainqueurs du lendemain », clamaient les communistes allemands, persuadés que l’avènement du nazisme préparerait leur victoire.
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La fin du « front unique » antifasciste marque l’enterrement de cette sensibilité antitotalitaire. Simultanément, elle signe la victoire posthume d’un certain esprit stalinien. Ainsi, un quart de siècle après la chute du mur de Berlin, et alors que le pouvoir russe renoue avec les méthodes de la guerre froide, la gauche française, l’une des plus stalinisées au monde, pourrait bien connaître, à son tour, quelque chose comme son 4 août.
-" la gauche française est une des plus stalinisées du monde"... bon s'il le dit. Mais au fait me trompais-je ou les héritiers (honteux) du stalinisme par la voix de leur dirigeant Pierre Laurent ne sont-ils pas en parfait accord avec Jean Birnbaum pour célébrer les vertus de l'antifascisme version bulletin de vote Macron ?