Dans la dernière LDC également, un article sur le Portugal où le naufrage de la IV est aussi abordé, car d'actualité. Extraits :
Depuis octobre 2015, le Portugal est gouverné par António Costa, chef du Parti socialiste (PS). Minoritaire au Parlement, le PS gouverne avec le soutien, sans participation gouvernementale, des députés du Parti communiste portugais (PCP) et du Bloco de Esquerda (Bloc de gauche), parti formé en 1999 par le regroupement de plusieurs groupes, dont les trotskystes portugais liés au Secrétariat unifié. Aujourd’hui, le Portugal ayant retrouvé un taux de croissance positif, le chômage ayant reculé en même temps que le déficit public, certains présentent la politique du gouvernement portugais comme une « voie de gauche » pour sortir de la crise sans imposer une violente austérité à la population. Il faut un bel aveuglement social pour parler ainsi.
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Dans le numéro de l’été 2018 de la revue Inprecor (revue de la IVe Internationale qui se revendique de l’héritage trotskyste), trois dirigeants du Bloc de gauche membres de la IVe Internationale (Maria Manuel Rola, Adriano Campos et Jorge Costa), dont deux sont actuellement députés au Parlement portugais, font un bilan détaillé des trois années du gouvernement Costa qu’ils soutiennent. Ils affirment que c’est « l’expérience la plus importante de la transformation de la gauche portugaise durant les quatre décennies de démocratie au Portugal ». Ils dressent la liste des avancées sociales, économiques ou sociétales rendues possibles par leur accord, leurs « combats quotidiens » et les batailles politiques, sur le terrain parlementaire ou à travers des campagnes de presse, qu’ils ont menées face au PS, et le plus souvent perdues. On peut certes mettre au crédit du gouvernement Costa et du Bloc de gauche la mise en œuvre, dans un Portugal où l’Église catholique conserve une grande influence, de droits comme la gratuité de l’IVG, l’amélioration des droits des couples homosexuels ou le recours à la PMA, y compris pour des femmes célibataires ou lesbiennes, des droits qui sont en vigueur dans quelques pays et remis en cause dans d’autres.
Sur le terrain économique et social, les dirigeants du Bloc se placent dans la posture de dirigeants syndicaux très fiers d’avoir négocié, et parfois obtenu, des avancées pour les travailleurs, y compris, comble du radicalisme !, en s’appuyant sur des mobilisations collectives. C’est ainsi qu’ils présentent comme « une victoire majeure » une réforme des cotisations des travailleurs précaires indépendants. Que cette réforme soit un progrès pour les jeunes travailleurs précaires, « qui ont été les plus militants cette dernière décennie » selon les trois auteurs, c’est indiscutable. Mais ils le doivent avant tout à leur mobilisation plutôt qu’au bras de fer du Bloc et du PCP avec le PS. Les grèves récentes dans la fonction publique, dont l’une des revendications était justement d’imposer aux directions des administrations et au gouvernement de titulariser plus de 30 000 précaires dans les services publics, montrent que rien n’est acquis sans lutte et sans rapport de force.
Les auteurs de l’article le savent parfaitement, mais ils retournent cet argument pour justifier leur soutien au PS. Ils écrivent : « Ce mouvement donne tort à tous ceux qui prétendent que l’accord passé entre les partis de gauche et le PS empêche ou limite le mouvement social. C’est précisément le contraire : comme beaucoup de travailleuses et travailleurs savent que le gouvernement est plus vulnérable à la pression sociale et que les partis de gauche sont leurs alliés, les victoires de leurs mobilisations leur apparaissent possibles. » Si des travailleurs se sont mis en lutte cette année, c’est d’abord parce qu’ils ne supportent plus leurs salaires dérisoires et la précarité de leur situation, alors que les profits patronaux sont à la hausse, que la croissance économique est positive, que le gouvernement se gargarise d’avoir contenu le déficit public. Et s’ils ont été patients durant les deux premières années du gouvernement Costa, c’est aussi parce que les chefs de la gauche, ceux du Bloc et du PCP, ont présenté ce gouvernement comme un allié des travailleurs. Quant à « la vulnérabilité de ce gouvernement à la pression sociale », les chefs du patronat sont bien plus près de la vérité quand ils constatent que Costa « ne s’est pas laissé entraîner par les gauchistes du Bloc ». Les dirigeants du Bloc décrivent eux-mêmes comment le PS a été « vulnérable aux intérêts des capitalistes internationaux » en annulant une taxe sur les bénéfices des entreprises de l’énergie qu’ils croyaient avoir fait voter quelques mois plus tôt, après l’intervention du gouvernement chinois, propriétaire d’entreprises énergétiques portugaises. Il est significatif que les dirigeants du Bloc évoquent la pression des capitalistes chinois, mais pas celle des patrons portugais. Pour eux, les malheurs des classes populaires viennent toujours de l’extérieur, et en premier lieu de l’Union européenne et de ses institutions, qui restreignent la souveraineté du Portugal et entravent la démocratie.
Pas de place pour le réformisme dans un capitalisme en faillite
Les dirigeants du Bloc de gauche se définissent comme des militants du socialisme et dénoncent le système économique et social actuel. Ils se disent contre le système, mais ne cherchent qu’à le réformer dans le cadre des institutions parlementaires. Toute la plaidoirie de ces avocats des pauvres en faveur de « l’expérience portugaise » est destinée à prouver qu’en soutenant Costa, ils ont permis d’améliorer le sort des classes populaires, de faire pression sur le PS pour qu’il respecte ses promesses, résiste aux pressions patronales et se préoccupe d’améliorer les conditions de vie des travailleurs et des pauvres. S’ils évoquent le mouvement social, s’ils font appel à la lutte et à la mobilisation des travailleurs, c’est pour appuyer les propositions de lois qu’ils soumettent au Parlement d’un État entièrement sous le contrôle de la bourgeoisie.
Si le sort des classes populaires portugaises ne s’est pas trop dégradé depuis 2015, c’est un peu en raison des choix politiques du gouvernement Costa et beaucoup du fait de la conjoncture économique que le pays vit depuis trois ans. La bourgeoisie portugaise ou étrangère, qui fait des affaires très profitables au Portugal, a laissé Costa distribuer quelques miettes aux travailleurs. Mais, dans une économie capitaliste en crise, instable, sous la pression de masses financières toujours plus grandes à la recherche d’un placement ou d’une opération spéculative, cela ne peut pas durer très longtemps. Il suffit d’une attaque spéculative contre les taux d’intérêt du Portugal pour que la bourgeoisie et ses représentants portugais ou européens présentent la note aux travailleurs, exigeant davantage d’austérité et de nouveaux sacrifices dans les services publics utiles à la population. Ni au Portugal, ni en France, ni ailleurs, il n’y a de place pour une politique réformiste telle qu’elle a été longtemps incarnée par les partis de gauche aspirant au pouvoir. Que les têtes et le langage de la gauche réformiste aient été renouvelés par l’arrivée d’anciens trotskystes n’y change rien.
Les travailleurs doivent se préparer moralement et politiquement à cette guerre de classe sans merci que leur livre la bourgeoisie. Défendre les intérêts politiques des travailleurs, c’est leur faire prendre conscience qu’ils devront arracher à la bourgeoisie sa propriété sur les grandes entreprises et les banques ; c’est leur faire prendre conscience qu’aucune « bonne loi », aucun « bon gouvernement » ne protégera leurs droits et leurs conditions d’existence tant qu’ils n’auront pas pris eux-mêmes la direction de la société, en s’appuyant sur leurs propres organes de pouvoir pour renverser l’État des capitalistes. Ceux qui prétendent le contraire leur préparent de nouvelles déceptions et de nouveaux sacrifices.