« Venez vite. Ils ont arrété Tchernov. Les hommes de Kronstadt... Juste là, dans la cour. Il faut agir tres vite trés vite. Ils peuvent le tuer! »
|…] Nous avions déjà atteint les marches lorsque, brisant la foule, Trotski nous rattrapa. Il venait lui aussi en toute hâte au secours de Tchernov.
[…]
La foule avait commencé a s’agiter, tout en brandissant ses armes. Un groupe de personnes avait essayé de faire rentrer Tchernov à l’intérieur du palais mais des mains robustes l’avaient saisi et installé de force dans une automobile ouverte qui était garée juste devant le perron, côté droit. Tchernov avait été décrété arrêté, en qualité d’otage...
[…] Mais Trotski arrivait à temps.
Raskolnikov et moi nous étions arrêtés sur la plus haute marche à gauche du perron lorsque Trotski, deux pas derrière moi, se hissa sur le capot de l'automobile. Partout où se posait le regard, on voyait la foule déchainée. Un groupe de matelots avec des visages sauvages tempêtait tout particulièrement autour de l’automobile. On avait installé Tchernov sur la banquette arriere, il avait pratiquement perdu "connaissance". Tout Kronstadt connaissait et – manifestement – faisait confiance à Trotski. Mais Trotski débuta son discours avant que la foule ne s’apaisât. Si un tir de provocation retentissait à proximité, un massacre grandiose pouvait commencer et on nous aurait tous mis en pièces, Trotski compris. Vaille que vaille, Trotski, ému et peinant à trouver ses mots dans ces circonstances terribles, força les rangs les plus proches à l’écouter. Mais pour dire quoi!
« Vous n’avez accouru ici, hommes de Kronstadt la Rouge, que parce que vous avez entendu que la révolution était menacée ! Kronstadt la Rouge a fait à nouveau la preuve qu’elle était l’avant-garde de la cause prolétarienne. Vive Kronstadt la Rouge, gloire et fierté de la révolution! »
On écoutait Trotski d’une oreille bien peu amicale. Lorsqu’il tenta d’en venir spécifiquement Tchernov, les groupes qui entouraient l’automobile se remirent à éructer.
«[…] Chacun de vous a prouvé son dévouement à la révolution. Chacun de vous est prêt à offrir sa tête pour elle. je le sais. Tends-moi la main, camarade! Donne ta main, mon frère! »
Trotski abaissa sa main et la tendit à un matelot qui avait furieusement exprimé sa protestation. Mais il refusa résolument de répondre et écarta sa main libre, l'autre tenant son fusil.
Si cela avait été des hommes étrangers à la révolution ou de purs provocateurs alors Trotski aurait fini comme Tchernov, voire pire. […] Ne sachant que faire, les hommes de Kronstadt libérèrent Tchernov. Trotski le prit par le bras et se hâta de l’emmener à l’intérieur du palais.