Article dans LDC : Engels et l'oppression des femmes

Marxisme et mouvement ouvrier.

Article dans LDC : Engels et l'oppression des femmes

Message par Cyrano » 14 Juil 2023, 09:18

La dernière revue Lutte de Classe de l'été 2023 publie un article: "Friedrich Engels, les sociétés préhistoriques et l’oppression des femmes".
Y'a quelques trucs qui m'intriguent.
L'article veut défendre l'idée que l’oppression des femmes n’a pas toujours existé. Ainsi, il part en guerre contre ceux qui remettent en cause cette idée. L'article d'une dizaine de pages cite Alain Testart, Pascal Picq, et Heide Goettner-Abendroth (un vrai boulot quand on veut signer avec un nom aussi long).

Mais l'article ne parle pas du livre Le communisme primitif n'est plus ce qu'il était qui fait remonter une certaine une certaine domination masculine avant «la défaite historique» des femmes, comme le disait Engels qui datait cette défaite de l'apparition de la propriété privée, des classes sociales, bref, toute la panoplie. Ce livre avait été discuté ici, sur ce forum – et il me semble apporter des éléments convaincants.

Un autre truc qui me questionne:
Admettre que la domination masculine date bien de la constitution en classe de la société «permet d’armer politiquement ceux qui sont révoltés par l’oppression des femmes et qui cherchent une solution.» [dans l'article de la LDC]
Alors, si on a une fournée d'éléments indiquant que cette domination masculine serait bien présente chez les sympathiques chasseurs-cueilleurs, faudrait pas se révolter contre l'oppression des femmes ? Ou alors, OK, mais du bout des lèvres, bah, pour faire plaisir aux bonnes femmes ?
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Message par com_71 » 14 Juil 2023, 11:15

Cyrano a écrit :L'article veut défendre l'idée que l’oppression des femmes n’a pas toujours existé.


Cet article [que je n'ai pas relu] serait donc moins prudent que l'article de 2009 qui disait :
Mais en réalité l'histoire des relations familiales s'est étalée sur une période de près de deux cents milliers d'années (selon les chronologies aujourd'hui envisagées) si nous ne considérons que l'homo sapiens, sur des millions d'années si l'on remonte à l'origine du genre homo, car il n'y a aucune raison que les prédécesseurs hominiens de sapiens n'aient pas élaboré, parmi les éléments de leur culture, des mœurs et des règles dans ce domaine de la vie sociale. Il n'y a aucune raison non plus que ces mœurs aient été les mêmes dans des groupes humains qui connaissaient des conditions matérielles très diversifiées dans l'espace comme dans le temps.
Mais si les connaissances actuelles rendent évident le fait que la vision qu'avaient Morgan et Engels de l'évolution de la vie sociale dans les sociétés qui se sont succédé durant toute la préhistoire est largement dépassée, elles ne permettent guère d'en tracer un tableau plus exact.

https://mensuel.lutte-ouvriere.org/docu ... ille-de-la

Au moins le sujet, traité avec prudence ou non, est une préoccupation persistante pour les rédacteurs (rédactrices ?) de la LDC.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par Ottokar » 16 Juil 2023, 07:41

L'article se focalise sur un point, savoir si l'évolution de la situation des femmes peut être expliquée de façon matérialiste ou pas. Les auteurs cités y renoncent, contrairement à Christophe que tu évoques.
À l'époque d'Engels, le simple fait de trouver des sociétés dans lesquelles les femmes n'avaient pas la place dominée de l'époque actuelle battait en brèche les préjugés voulant que cette situation ait toujours existé, qu'elle soit naturelle. Et l'explication de l'apparition systématique de l'oppression avec la propriété privée liait en sens inverse libération sociale et libération des femmes.
Depuis on a trouvé des sociétés opprimant les femmes avant la propriété. Sur ce qui se passait avant, il y a 50, 200 000 ans, voire quelques millions d'années, on n'en saura probablement jamais rien. Mais ce qui est mis en cause dans l'article, c'est le fait de renoncer à toute explication matérialiste, à prendre en compte l'évolution, pas l'existence de ces sociétés.
Et de ce point de vue, l'article n'a pas de raison de polémiquer avec CD, quelles que soient les nuances entre son expression et celle de l'auteur. Ils restent sur les mêmes bases, celles d'Engels et de la conception matérialiste de l'histoire
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Message par Cyrano » 28 Juil 2023, 14:25

Cher Ottokar, tu trouves que l'article se focalise sur un point, l'évolution de la situation des femmes expliquée de façon matérialiste ou pas, mais je trouve qu'alors l'article est varifocale. Ça s'énerve sur l'affirmation que la domination des hommes sur les femmes existerait au moins depuis le paléolithique supérieur. C'est clairement dit dans le chapeau de l'article et dans le sous-titre du dernier chapitre : "Non, l’oppression des femmes n’a pas toujours existé !"

Le reproche immédiat, c'est que l'affirmation rejetant la domination masculine dans les brumes du paléolithique remettrait en cause le raisonnement d'Engels, gravé dans le marbre le plus incorruptible. Je ne vois pas en quoi l'apport de nouvelles données peut être dérangeant pour le raisonnement d'Engels qui refusait le dogmatisme, lui : il raisonnerait autrement, sans faire du marxisme religieux.

L'article dit que le choix des chercheurs critiqués ici «est plus social et politique que scientifique». Et la phrase suivante me laisse perplexe : «Celui que nous faisons l’est aussi». OK, l'article de LDC n'a rien à voir avec une approche scientifique? ça devient étonnant, non? oui? C'était pas la peine alors, dans le chapeau de l'article, de bien insister sur l’idée «scientifiquement» étayée par Engels.
Pourquoi ce petit tour de magicien à défaut d'être magistral? On va priver «ceux qui veulent combattre l’oppression des femmes d’une base politique solide» et il faut armer «armer politiquement ceux qui sont révoltés par l’oppression des femmes et qui cherchent une solution
Bref, il ne faut pas désespérer Billancourt - refrain connu.
Heureusement, les premiers mouvements féministes ne se sont pas encombrés de ces justifications. Et prions! pour que quelques vagues anthropologues ne démontrent pas qu'il y avait une certaine domination masculine dans le paléolithique supérieur. Car alors, adieu, veau, vaches, cochons, féminisme suranné? Décidemment, ce raisonnement me semble bien étrange.

Alors, que faire avec ces sociétés où on constate, peu ou prou, une forme de domination masculine? Tss, tss, billevesées, car «il faudrait tenir compte de toutes celles, l’immense majorité, qui ont disparu sans laisser de traces», argument répété plus loin : «malgré les milliers de sociétés disparues sans laisser de trace» Par contre, on peut dire, mais oui, y'avait des sociétés «organisées autour des femmes» sans connaitre ce qu'on connait pas – et même la plupart de ce qu'on connait chez les chasseurs-cueilleurs. Et notre génial Engels, reprenant des notes de Marx qui reprenait des observations de Morgan sur une tribu iroquoise, une, lui, pouh! même pas besoin des sociétés disparues sans laisser de traces.

C'est ainsi que l'article de LDC nous dit qu'avant la domination masculine, on a des hommes «accaparant les sphères du politique», de la diplomatie et de la guerre alors que les femmes avait «des pouvoirs réels dans la production de nourriture». Mais avec l'apparition des classes sociales, de la domination des hommes sur les femmes, les femmes sont «reléguées à la production de nourriture.» En fait, la défaite historique, c'est qu'on les a laissées où elles étaient?!
En somme, on a, avant : Eh les filles la bouffe est-elle prête? On attend...
Et après, on a: Eh les filles, hop, fiça, faut nous préparer la bouffe! Sinon, ça va chier...
C'est nettement plus concis que le livre d'Engels. Vous pouvez me remercier.
Cyrano
 
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Message par Ottokar » 31 Juil 2023, 08:25

Ne faisons pas dire à l'article ce qu'il ne dit pas. Il ne dit pas que des sociétés exploitant, dominant ou opprimant les femmes n'existent pas avant les sociétés modernes et la propriété généralisée. Il combat des auteurs disant qu'il n'y a QUE des sociétés de ce type et rejetant au passage toute tentative d'explication.
Pour sa part, l'auteur dit en gros son ignorance, par impossibilité de connaître les formes ayant existé dans un passé trop lointain. Certains auteurs ont fait le choix d'exclure du champ du possible des sociétés égalitaires et de ne pas relier inégalités et propriété.
C'est bien un choix idéologique plus que scientifique. Si on est sur le terrain des idées l'article peut lui aussi défendre les siennes
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Message par Jacquemart » 04 Août 2023, 06:28

J'avoue avoir du mal à suivre Ottokar dans son interprétation de l'article. Quand on écrit : « Non, les chats n'ont pas toujours existé  », cela revient à dire « Il fut une époque où AUCUN chat n'existait  ». Je ne vois pas comment on peut le comprendre autrement.

Si l'on veut contredire l'idée que TOUTES les sociétés humaines du paléolithique auraient été marquées par la domination masculine, on écrit par exemple : « Non, la domination masculine n'a pas toujours existé partout ». Mais en l'absence de cette précision, c'est bien l'idée même que la domination masculine ait pu être présente avant le Néolithique que conteste l'article (et tout le reste du texte le montre).

D'ailleurs, P. Picq ne défend pas du tout l'idée que les sociétés aient toujours été dominées par les hommes. On pourrait même lui faire le reproche inverse, à savoir voir un peu trop facilement des matriarcats dont il a une définition pour le moins caoutchouteuse. Quant à H. Goettner-Abendroth, favorablement évoquée dans la LDC, il faut quand même savoir qu'elle occupe une position pour le moins marginale au sein du monde académique et que la rigueur de ses affirmations est loin de faire l'unanimité (c'est un doux euphémisme). Au soir d'une longue carrière de « chercheuse indépendante  », elle n'a pratiquement publié aucun article dans une revue à comité de lecture d'anthropologie ou de préhistoire, ce qui est tout de même rarement bon signe. Pour donner une idée du genre de scientifique dont il s'agit, voici une petite citation extraite d'un de ses livres :

Comme nous le savons, les grandes religions patriarcales et les systèmes de pensée qui leur ont succédé, la philosophie et la science moderne, n'ont pas mis d'aplomb l'ordre cosmique, contrairement à ce qu'elles prétendent. Bien au contraire, quand nous considérons notre planète Terre et les effets des forces naturelles sur l'homme extérieur et intérieur, nous voyons qu'elles ont rompu l'équilibre de cet ordre cosmique. Ce que les religions matriarcales comprenaient et respectaient, c'est-à-dire les cycles naturels, fut méprisé et détruit par les religions patriarcales. Avec quelle aide nous y opposer ? Puisse Héra se lever pour faire de nouveau de l'ordre terrestre un ordre qui assure la survie du cosmos, s'il en est encore temps ! (Die Göttin und ihr Heros, 1997, p. 132)
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Re: Article dans LDC : Engels et l'oppression des femmes

Message par Ottokar » 04 Août 2023, 07:05

Puisse Athena nous inspirer dans nos réflexions et Artemis, déesse de la chasse continuer à manier les armes létales que sont les arcs et les flèches ! Certes, seul le bel Arès règne sur la guerre tandis qu'Aphrodite se pâme dans ses bras, méprisant son mari légitime le roi-ouvrier pue la sueur Hephaïstos, symbole d'un mépris de classe naissant dans une société où Demeter serait la déesse du stockage, mais bon, tout cela nous éloigne du sujet et j'ai un sacrifice qui m'attend. Allons égorger une génisse bien grasse.

L'article ne se prononce pas franchement, disons que sur l'existence de sociétés d'oppression ou de sociétés libres, il serait plutôt agnostique que croyant. Les scientifiques eux, sont dans leur rôle en tentant de réunir des indices à défaut de preuves définitives et d'en tirer des conclusions.

Quant à Picq, j'avoue mon ignorance mais j'ai bien aimé quand il montre dans ses écrits à quel point nous sommes chimpanzés.
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Re: Article dans LDC : Engels et l'oppression des femmes

Message par Gayraud de Mazars » 12 Août 2023, 08:55

Salut camarades,

Épisode 2/8 : Corps de femmes et Vénus du paléolithiques
Mardi 11 juillet 2023
Entretien avec Claudine Cohen Philosophe et historienne des sciences, directeur d'études à l'EHESS

https://www.radiofrance.fr/franceinter/ ... es-2496240

Claudine Cohen a été une des premières chercheuses à porter un autre regard sur les vestiges de la préhistoire et à donner une place aux femmes préhistoriques, loin des images stéréotypées de la femme tirée par les cheveux, à l’horizon borné, terrée au fond de sa grotte et vouée à la
reproduction.

Claudine Cohen a sorti les femmes préhistoriques de l’invisibilité. Elle parle de ces femmes comme vous ne l’avez encore jamais entendu. Claudine Cohen a complètement bouleversé l’image que j’avais des femmes préhistoriques, de leur corps et de leur sexualité.

Je vous invite à poursuivre notre voyage en Russie dans la vallée du Don sur le site de Kostienki, il y a 25 000 ans. C’est là que que l’on a découvert en 1987, une statuette de dos et de face qui représente une femme sur le point d’accoucher. C’est la Vénus que préfère Claudine Cohen.

En regardant toutes ces figurines et représentations des femmes opulentes et plantureuses, je me demande s’il existait un culte de la maternité et la fertilité dans les sociétés préhistoriques ? Cette question a longtemps été l’obsession des préhistoriens.

Certaines figurines représentent des femmes avec un gros ventre, des seins lourds, tombants. On peut penser qu’elles représentent des femmes d’un certain âge, ménopausées. Claudine Cohen a développé une idée à propos de ces statuettes qu’elle a appelée « la révolution des grands-mères ».


Fraternellement,
GdM
"Un seul véritable révolutionnaire dans une usine, une mine, un syndicat, un régiment, un bateau de guerre, vaut infiniment mieux que des centaines de petits-bourgeois pseudo-révolutionnaires cuisant dans leur propre jus."
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Re: Article dans LDC : Engels et l'oppression des femmes

Message par Cyrano » 18 Août 2023, 13:26

Mais, cher Gayraud, pourquoi te faire mal à la tête en essayant de savoir le pourquoi et le comment des statuettes dans cette préhistoire?

Feuillette les journaux et revues depuis les années 1960. Tu y verras un paquet de femmes sorties de l'invisibilité; on pouvait même les déplier au milieu de la revue Playboy.
On ne peut que se réjouir en pensant que ce culte de la femme (on voit très peu de fesses d'hommes dans leur sous-vêtements) doit vraisemblablement être un indice de la place élevée des femmes dans cette société – pour ne pas dire la place prépondérante. Et pourtant…
Cyrano
 
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Re: Article dans LDC : Engels et l'oppression des femmes

Message par Cyrano » 18 Août 2023, 13:44

Et puis, tiens, pour le matriarcat, bouh, pareil, on va pas se faire mal de tête.
Je viens de lire, dans le petit livre reçu ce matin, sur la grève des femmes des usines de sardines, en 1924:
La femme libère l’homme d’une série de tracas, lequel, en contrepartie, lui délègue la gestion des économies pendant la saison creuse, qui est une saison d’inquiétude – a-t-on gagné son hiver à la sardine? C’est elle aussi qui tient à jour le "carnet rouge" de crédit du marchand de toile dont on fait 1’habit du marin; elle encore qui supervisera 1’achat d’un bateau, si c’est possible un jour, chaloupe, langoustier ou dundee, et fera les démarches auprès de la coopérative pour emprunter l’argent. La femme parle francais, l’homme à peine; elle n’en pourra que mieux négocier. Tout ceci mis bout à bout compose une forme de matriarcat maritime.
[puis citation d'une fille de l'époque:]
C’est ma mère qui tenait la bourse, c’est pas mon père. Dans la famille, c’est la femme qui portait la culotte.
Cyrano
 
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