Changer le monde sans prendre le pouvoir

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Mariategui » 21 Déc 2003, 17:53

Suite à l'évolution des discussions dans le fil sur les allocations pour les gros salaires (... comment est on arrivé à cette question?). Je propose d'ouvrir ce fil sur cette question. Bien sûr, elle peut paraître parfaitement absurde à tous ce qui se réclament du marxisme comme méthode d'analyse et comme outil de combat, mais bon. Il s'agit d'une théorie popularisée pour la première fois par le mouvement zapatiste si je ne me trompe pas, même si on peut la faire remonter aux théories sur les Zones d'autonomie Temporaires chères à certains anarchistes. Holloway a publié un livre sur le sujet en 2002.

Cette théorie connaît un certain succès tant dans les espaces de réflexion de la gauche anti-capitaliste/anti-libérale comme les forums sociaux mais aussi dans des mouvements sociaux très combatifs et sans aucun doute progressistes sur d'autres aspects comme le zapatisme ou des mouvements piqueteros en Argentine. Ainsi, plusieurs MTD (sections de base regroupant des travailleurs désoccupés) du Movimiento Anibal Peron ont déclaré récemment :

a écrit :"tomamos distancia de las visiones que limitan la idea del poder a la conquista del aparato del Estado, como objetivo y fin último ..... El poder no es una 'cosa' que nos resulta ajena, sobre la cual tenemos que estar a favor o en contra: preferimos entenderlo como una relación social. El poder popular se construye desde y en las bases, con democracia y participación consciente, con relaciones que prefiguren la sociedad que anhelamos" (MTDs, 2003).


Donc pour ce qui ne parlent pas espagnol: "nous prenons nos distances avec les visions qui limitent l'idée de la prise du pouvoir à la conquête de l'appareil d'État, comme objectif final et ultime ... le pouvoir n'est pas une chose que nous soit étrangère, sur laquelle on doit etre pour ou contre, mais on préfère le comprendre comme une rélation sociale. Le pouvoir populaire se construit depuis et dans les bases, avec de la démocratie et de la participation consciente, avec des relations qui préfigurent la société qui nous désirons"

Il s'agit d'une idée de plus en plus populaire et quelques personnes dans le forum (mael) semblent la défendre. Je pense que c'est intéressant de la discuter.


Je ne me lance pas tout de suite dans le débat, mais je donne quelques idées sur les conditions d'émergence de cette théorie. Il est intéressant de remarquer que cette théorie est parfaitement fonctionnelle dans la cadre actuel du capitalisme dans le Tiers Monde. L'État porteur d'un projet national et paternaliste de la période populiste disparaît progressivement. Désormais, les fonctions sociales et redistributives de l'état dans ces pays, mais aussi en France, regressent et ces organisations occupent donc les espaces vides laissés par l'État. Elles prennent ainsi en mains des fonctions de solidarité basique, souvent de manière exceptionnelle, avec des degrés de démocratie rarement vus. Il ne reste pas moins qu'elles ne touchent pas le coeur du capitalisme national mais elles évoluent dans sa périphérie de chômeurs et de travailleurs sur-exploités. Bref, l'état se décharge de certaines de ses fonctions sur les mouvements sociaux et cette théorie légitime cette situation en expliquant qu'il s'agit d'une opportunité pour créer du pouvoir populaire depuis la base. Je remarque au passage que la coordinadora Anibal Peron est un des mouvements piqueteros pro Kichner et qui lui donne du temps "pour remettre le pays en marche", de quoi relativiser une déclaration à laquelle je pourrai souscrire autrement.

Cela dit, je pense que le rôle de solidarité commune dans les quartiers et les entreprises que jouent ces mouvements sociaux aujourd'hui en Amérique Latine est un tremplin vital pour la reconstruction et la reorganisation de la solidarité ouvrière. Pour mener le combat révolutionnaire en AL, il fait sans doute appuyer et s'appuyer sur ces mouvements, mais cela veut dire se poser la question de la destruction de l'état bourgeois et de son armée, et la construction d'un système politique alternatif, et là pour le coup, je suis d'accord pour dire qu'il se construira depuis et dans la base.
Mariategui
 
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Message par Barnabé » 21 Déc 2003, 18:24

D'abord, je ne crois pas que ces théories soient très nouvelles. Ceux que tu cites (les zapatistes ou les partisans de la "démocratie participative" par exemple) ne font que ressortir un enième avatar de vieilles idées. Les opprimés pourraient avoir le pouvoir sans détruire l'état bourgeois et le remplacer par un état ouvrier.
Mais toute l'histoire du mouvement ouvrier démontre le contraire. La commune de Paris de 71 a refusé de marcher sur Versailles. Elle a bien réalisé (contrairement d'ailleurs aux les zapatistes ou à toutes les soi-disantes "démocraties participatives") la formule que tu cites:
a écrit :Le pouvoir populaire se construit depuis et dans les bases, avec de la démocratie et de la participation consciente, avec des relations qui préfigurent la société qui nous désirons
. Mais l'état bourgeois était là et les a massacré. Et cette démonstration n'a cessé de se répéter tragiquement de l'Espagne en 36 où les anarchistes ne voulant pas d'un Etat ouvrier ont laissé se reconstituer l'Etat bourgeois qui a désarmé les milices, au Chili de 73 (et on pourrait multiplier les exemples).
Alors oui, ce qui est nécessaire à la classe ouvrière c'est bel et bien de détruire l'Etat de la bourgeoisie et de créer son propre état pour mener la lutte contre la bourgeoisie, et ce qui est nécessaire pour cela c'est un parti qui arme politiquement la classe ouvrière en défendant cette perspective. Tous les grands discours qui voudraient faire croire le contraire ne peuvent qu'entraîner les travailleurs vers de nouvelles défaites et de nouvelles tragédies.
Barnabé
 
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Message par Barnabé » 21 Déc 2003, 18:49

Sinon, il y a un article là dessus dans le numéro d'inprecor de novembre:
a écrit :
Lectures
Changer le monde sans prendre le pouvoir ?
 

(à propos de Change the World Without Taking Power, The Meaning of Revolution Today, de John Holloway)

 

Par Phil Hearse*

 

Il est utile de discuter les thèses avancées dans le livre de John Holloway, non parce qu’il a des légions de partisans dévoués, mais parce que beaucoup d’idées qu’il avance au sujet du changement social sont répandues dans le mouvement altermondialiste (appelé aussi, dans les pays anglo-saxons, « mouvement pour une justice globale ») et dans le mouvement contre la guerre, à l’échelle internationale.

 

L’idée de refuser la prise du pouvoir a été récemment popularisée par le sous-commandant Marcos, dirigeant des Zapatistes. Comme bien des choses qu’indique le sous-commandant, cette idée n’était pas dénuée d’ambiguïtés, car en aucun cas l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), représentant le peuple indigène d’un petit coin du Mexique, ne peut prétendre prendre le pouvoir — du moins seule. Cependant l’idée de base de transformer de manière révolutionnaire les rapports sociaux sans conquérir le pouvoir était en l’air depuis longtemps.

 

Bien que Holloway formule quelques critiques à l’égard de Tronti et d’Antonie Negri, les parents intellectuels des courants de l’autonomie italienne, ses principaux arguments viennent directement de cette source : n’affrontez pas les patrons dans le monde du travail, retirez vous de ce monde. Créez des espaces autonomes — autonomes vis-à-vis des patrons et autonomes vis-à-vis de l’État capitaliste. Cela signifie bien sûr la lutte, mais non les appareils raffinés des partis politiques ni la prise du pouvoir d’État.

 

Certaines des choses dites par Holloway dans son argumentation sont aujourd’hui largement répandues au sein des mouvements radicaux ; elles vont au cœur de la stratégie révolutionnaire et explicitement c’est le marxisme révolutionnaire qui est la principale cible  des polémiques d’Holloway.

 

Passer en revue son livre implique de le citer largement, de manière à ce que les lecteurs puissent juger les arguments eux-mêmes. Mais il est utile, pour anticiper, d’en résumer les principaux :

 

1. Tant le réformisme que le marxisme révolutionnaire ont pour objectif stratégique la conquête du pouvoir ; mais c’est un piège, car l’État ne peut être qu’une structure autoritaire (ce qui relève, par ailleurs, de l’ anarchisme standard).

 

2. L’État n’est pas le lieu du pouvoir ; les rapports sociaux capitalistes concentrent le pouvoir. Les marxistes orthodoxes ne voient pas que l’État est fermement soumis aux rapports sociaux capitalistes et que sa conquête ne change pas grand chose, puisque les rapports sociaux autoritaires demeurent en place.

 

3. Les rapports sociaux capitalistes peuvent être changés seulement par des pratiques sociales alternative produites par les opprimés eux-mêmes au cours de la résistance et de la lutte.

 

4. Le fondement théorique de cet argument est la catégorie du fétichisme (de la marchandise) et de sa reproduction. Les rapports sociaux ne sont pas une structure ou une « chose » mais des rapports reproduits quotidiennement dans le processus de « fétichisation ». Mais cette reproduction n’est pas automatique et peut être perturbée par des pratiques sociales alternatives de résistance.

 

5. La proclamation d’Engels et d’autres que le marxisme est une « science » génère de manière automatique une pratique autoritaire : les opprimés sont divisés entre ceux qui « savent » (l’avant-garde, le parti) et ceux qui ont une fausse conscience (les masses). Une pratique manipulatrice et substitutionniste résulte automatiquement de cette conception. Même Lukacs et Gramsci ne furent pas capables de rompre avec cette fausse problématique.

 

6. Il n’y a pas de garantie d’une fin heureuse ; tout ce qui est possible c’est la critique négative et la résistance, et nous verrons quels en seront les résultats.

 

 

L’État « assassin de l’espoir »
 

« Que pouvons-nous faire pour mettre un terme à toute la misère et à l’exploitation ? (…) Il y a une réponse prête à portée de la main. Faites-le par l’État. Rejoignez un parti politique, aidez-le à prendre le pouvoir gouvernemental, changez ainsi le pays. Ou, si vous êtes plus impatient, plus révolté, plus dubitatif en ce qui concerne les possibilités des moyens parlementaires, rejoignez une organisation révolutionnaire et aidez à conquérir le pouvoir d’État par des moyens violents ou non-violents, et employez cet État révolutionnaire pour changer la société.

 

« Changer le monde par l’État : c’est le paradigme qui a dominé la pensée révolutionnaire durant plus d’un siècle. La discussion entre Rosa Luxembourg et Édouard Bernstein il y a cent ans sur “réforme ou révolution” a fixé les limites qui ont dominé la réflexion sur la révolution durant la majeure partie du XXe siècle (…). L’intensité des désaccords a oblitéré le point d’accord fondamental : les deux approches se concentrent sur l’État en tant que position avantageuse pour pouvoir changer la société (…) » (1)

 

Mais c’était un piège, car, poursuit Holloway :

 

« Si le paradigme de l’État fut le véhicule de l’espoir durant une grande partie du siècle, plus le siècle progressait, plus il s’avérait l’assassin de cet espoir (…). Durant plus d’un siècle l’enthousiasme révolutionnaire des jeunes a été endigué dans la construction du parti ou dans le maniement des armes à feu ; durant plus d’un siècle les rêves de ceux qui voulaient un monde adapté à l’humanité ont été bureaucratisés et militarisés, le tout pour la conquête du pouvoir d’État par un gouvernement qui pouvait  être accusé, une fois en place, de “trahir” le mouvement qui l’a fait surgir (… ). Au lieu de voir dans tant de trahisons une explication, peut-être devrions-nous interroger la notion même de la possibilité de changer la société par la conquête du pouvoir étatique. » (2)

 

Quelle erreur théorique se trouve à l’origine de ce piège, se demande Holloway ?
 

« Les mouvements révolutionnaires inspirés par le marxisme ont souvent eu une vue instrumentale de la nature capitaliste de l’État. Ils ont vu l’État en tant qu’instrument de la classe capitaliste. La notion d’“instrument” implique une relation d’extériorité entre l’État et la classe ; comme un marteau, l’État serait utilisé par la classe capitaliste pour réaliser ses intérêts propres, alors qu’après la révolution il pourrait changer de main et être employé par la classe ouvrière dans son intérêt. Une telle vision reproduit, inconsciemment peut-être, l’isolement ou l’autonomisation de l’État de son environnement social, dont la critique est le point de départ de la politique révolutionnaire (…) une telle vision fétichise l’État : elle l’abstrait de l’enchaînement des rapports de pouvoir dans lequel il est engoncé. (…) L’erreur du mouvement marxiste révolutionnaire a été non de nier la nature capitaliste de l’État, mais de ne pas comprendre le degré d’intégration de l’État dans le réseau de rapports sociaux capitalistes. » (3)

 

Ceci conduit à des conséquences désastreuses pour le mouvement :

 

« Ce qui était initialement négatif (le rejet du capitalisme) est converti en quelque chose de positif (construction des institutions, construction du pouvoir). L’introduction de la conquête du pouvoir introduit inévitablement le pouvoir lui-même. Les initiés apprennent le langage, la logique et les calculs du pouvoir ; ils apprennent à utiliser les catégories d’une science sociale qui a été entièrement formée pour son obsession du pouvoir. » (4)

 

Arrêtons-là les citations du raisonnement d’Holloway à propos de l’État. Nous nous intéresserons plus loin aux aspects subsidiaires. Cependant la critique du marxisme révolutionnaire présentée jusqu’ici est très radicale et soulève beaucoup de questions sur la nature de la société capitaliste et sur les moyens de la transformer. Commençons par quelques réflexions initiales sur le cas Holloway.

 

D’abord, Holloway sait, mais il ne le souligne pas, que les marxistes-révolutionnaires ne luttent pas pour capturer l’État capitaliste, mais pour le détruire. Pour lui, l’État c’est l’État — une catégorie immuable qui n’autorise l’existence que d’un ensemble strictement limité de rapports sociaux. Sa critique se lit comme si L’État et la révolution de Lénine n’avait jamais été écrit. Le concept marxiste de la révolution n’a jamais été que la classe ouvrière détruit l’État juste pour le remplacer par un État ouvrie qui s’attellera, lui, à transformer les rapports sociaux. Notre concept d’« État » ouvrier, socialiste, c’est celui de l’auto-organisation démocratique des masses et non celui de la dictature du parti. En effet nous ne sommes pas (ou ne devrions pas être) en faveur du monopole d’aucun parti unique.

 

De façon illogique, à plusieurs reprises, Holloway se réfère positivement à l’exemple de la Commune de Paris. C’est, bien sûr, l’exemple qui a inspiré Lénine lorsqu’il écrivit l’État et la révolution.. Lénine plaide en faveur de « l’État de la Commune » ; ce fut le fondement de sa réflexion sur la question. Dans cette conception, les rapports sociaux sont modifiés, ou commencent à être modifiés, directement et immédiatement dans le processus de la révolution socialiste, pas simplement du fait du changement de la nature de l’État, mais dans le changement des rapports sociaux qu’un tel processus enclenche. Dans les pays capitalistes avancés au moins, il est impossible d’imaginer le niveau de la mobilisation sociale qu’exige le renversement de l’État capitaliste sans qu’en même temps — ou dans un délai très court — les masses populaires de se saisissent du contrôle démocratique des usines, des bureaux et des entreprises. Notre concept de la révolution n’est pas simplement une « capture » de l’État pour l’employer dans l’intérêt des masses — ceci c’est une idée de la (veille) social-démocratie ; notre alternative c’est la destruction de l’État par un énorme soulèvement social et la démocratisation des rapports du pouvoir, l’établissement par les masses de leurs propres institutions de pouvoir au travers des- quelles elles s’auto-gouvernent.

 

L’argument de Holloway au sujet de la « soumission » de l’État aux rapports sociaux capitalistes est correct, mais il est unilatéral. L’État n’est pas seulement enseveli dans les rapports sociaux capitalistes, il est essentiel pour le fonctionnement du capitalisme. C’est là qu’est concentrée la prise de la plupart des décisions essentielles et stratégiques. C’est le mécanisme crucial de défense contre tout changement fondamental des rapports sociaux.

 

L’argument de Holloway, c’est pour l’essentiel que, quel que soit le genre d’État que vous avez, vous avez par là-même l’oppression et le capitalisme. Il est facile de saisir le caractère illogique de cet argument. Changeons, pour les besoins de l’argumentation, la phraséologie traditionnelle du marxisme révolutionnaire. Abandonnons la formule de l’État ouvrier et disons que nous voulons l’administration directe des affaires sociales par les masses organisées démocratiquement. Naturellement pour ce faire les masses devront élire des fonctionnaires révocables, tenir des réunions dans les entreprises, les bureaux et les écoles et voter sur ce qu’il faut faire. Elles peuvent avoir besoin d’une sorte d’assemblée nationale et de fonctionnaires élus de cette assemblée pour exercer des fonctions exécutives. Si l’on rejette tout cela, il est difficile d’imaginer comment le fonctionnement social de la société pourrait être décidé et assuré. Bizarrement (ou peut-être sagement de son point de vue) Holloway ne s’aventure pas dans la discussion sur un quelconque aspect de la société post-révolutionnaire, sur la prise de décisions en son sein ou sur les mécanismes de son administration. Parce que si vous vous aventurez dans une telle réflexion, vous finissez par parler de quelque chose qui ressemble à une forme de l’État.

 

Cela conduit à un paradoxe étrange dans son argumentation, que Holloway ne voit pas. Pour les besoins du raisonnement, disons que les communautés de base zapatistes constituent un bon modèle de rapports sociaux différents et d’auto-gouvernement (d’autonomie). Et disons que nous voulons « zapatistiser » tout le Mexique. Dans le schéma de Holloway cela est impossible, parce que de cette manière vous établiriez, dans le processus, un État : « l’État zapatiste ». Ce faisant vous évacuez le terrain de la lutte nationale (et internationale), vous vous concentrez sur le local et le particulier. Ce qui ne peut que conduire la classe capitaliste à vous dire « merci beaucoup !».

 

 

La reproduction des rapports sociaux capitalistes
 

Holloway invente sa propre phraséologie pour décrire les rapports sociaux capitalistes. Le pouvoir capitaliste est ainsi le « pouvoir-sur » (« power-over ») qui confronte le « pouvoir-de » (« power-to ») et subjugue « le flux social de l’agir » (« social flow of doing »). Cela ne devrait pas trop nous tracasser, car le « pouvoir-sur » s’avère être le « pouvoir du fait accompli », c’est-à-dire le pouvoir du capital accumulé opposé à la créativité du travail vivant. Le « pouvoir-de », parfois décrit comme « l’anti-pouvoir », peut affronter le « pouvoir-sur ».

 

« C’est le mouvement du pouvoir-de, la lutte pour émanciper le potentiel humain, qui fournit la perspective de briser le cercle de la domination. C’est seulement par la pratique de l’émancipation, de pouvoir-de, que le pouvoir-sur peut être surmonté (je souligne, PH). Ainsi le travail est central dans toute discussion sur la révolution, mais seulement si le point de départ n’est pas le travail-effort, le travail fétichisé, mais le travail comme réalisation, comme créativité ou pouvoir-de qui existe comme, mais aussi contre-et-au-delà, du travail-effort » (5)

 

Ceci peut avoir à se réaliser dans la perspective suivante :

 

« Dans le processus de la lutte-contre, des rapports se nouent qui ne sont pas le reflet des rapports de pouvoir contre lesquels la lutte est dirigée : les rapports de camaraderie, de solidarité, d’amour, des rapports qui préfigurent le genre de société pour laquelle nous luttons. (…) [La lutte contre le capitalisme] et la lutte pour l’émancipation ne peuvent être séparées, même si ceux qui luttent ne sont pas conscients du lien. Les luttes les plus émancipatrices, cependant, sont certainement celles qui lient consciemment les deux, car ces luttes sont consciemment préfiguratives, la lutte y vise, par ses formes, à ne pas reproduire les structures et les pratiques contre lesquelles elle est dirigée, mais plutôt à créer le type de rapports sociaux désirés. » (6)

 

Dans ce contexte Holloway mentionne par exemple les occupations d’usines qui ne sont pas seulement des actes de résistance, mais dans lesquelles la production est poursuivie sous contrôle social, en vue de buts socialement souhaitables. Mais Holloway conteste ce qui est « politique » et ce qui est « l’anti-pouvoir », qu’il considère comme témoignant de l’étroitesse de vue de la gauche.

 

« L’anti-pouvoir » est dans la dignité de l’existence quotidienne. L’anti-pouvoir est dans les relations que nous nouons tout le temps, relations d’amour, d’amitié, de camaraderie, de communauté, de coopération. Bien sûr de telles relations sont traversées par le pouvoir à cause de la nature de la société dans laquelle nous vivons, mais l’élément d’amour, d’amitié, de camaraderie se trouve dans la lutte constante que nous menons contre le pouvoir, afin d’établir ces rapports sur la base de la reconnaissance mutuelle, de la reconnaissance mutuelle de la dignité de l’autre (…). Penser l’opposition au capitalisme seulement en termes de militantisme manifeste, c’est ne voir que la fumée du volcan. La dignité (l’anti-pouvoir) existe partout où vivent les humains. L’oppression implique son contraire — la lutte pour vivre en tant qu’humains. Dans tout ce que nous vivons quotidiennement — la maladie, l’éducation, le sexe, les enfants, l’amitié, la pauvreté, n’importe quoi — il y a une lutte pour faire les choses avec dignité, à les faire bien. » (7)

 

On pourrait dire bien des choses à propos de ces idées. Holloway a certainement raison lorsqu’il souligne le constant rejet des effets du capitalisme, la lutte constante contre la pénétration du pouvoir capitaliste tant dans les petites que dans les grandes choses, et la lutte constante de larges secteurs d’opprimés pour créer des rapports d’aide mutuelle avec les amis, la famille et les collègues. Mais ce n’est qu’une des faces de la médaille. Beaucoup de petitesse, d’avarice, de jalousie, de concurrence, de violence, de racisme, de sexisme, de criminalité envers d’autres opprimés, etc. existe aussi parmi les opprimés. On peut discuter de l’équilibre précis entre les deux. L’enjeu, la question stratégique, consiste à savoir si des rapports sociaux alternatifs (stables et permanents) peuvent être générés par la pratique alternative de la résistance quotidienne. Holloway tente de justifier son point de vue qu’elles le peuvent par un adroit mouvement théorique vers la question de la fétichisation. Selon lui les rapports sociaux fétichisés sont un processus et non une structure :

 

« La compréhension de la fétichisation en tant que processus est essentielle pour la réflexion sur le changement du monde sans prendre le pouvoir. Si nous abandonnons la fétichisation comme processus, nous abandonnons la révolution en tant qu’auto-émancipation. L’approche du fétichisme comme un fétichisme dur peut mener à la conception de la révolution comme un changement du monde au nom des opprimés et cela conduit inévitablement à se concentrer sur la prise du pouvoir. La prise du pouvoir est un but politique qui donne un sens à la prise du pouvoir “au nom de” : une révolution qui n’est pas “au nom de” mais autonome n’a même pas besoin de penser à “la prise du pouvoir”. » (8)

 

A la racine de cet argument il y a un gigantesque saut. La prémisse que la fétichisation est un processus ne conduit pas à la conclusion stratégique que Holloway en tire. Regardons cet argumentation plus en détail.

 

Les rapports sociaux fétichisés sont-ils une structure ou un processus ? Les rapports sociaux capitalistes doivent être constamment reproduits et dans ce sens il s’agit certainement d’un processus. Mais ils préexistent également ; ils ont été établis définitivement et ne sont pas sujets à des ruptures quotidiennes et à l’effondrement (c’est pourquoi la notion de Holloway d’une crise permanente et d’une instabilité du capitalisme est fausse — j’y reviendrai). A chaque fois que les ouvriers viennent au travail, les rapports sociaux capitalistes n’ont pas besoin d’être reconstruits ou réinventés ; ils sont reproduits, on peut dire qu’ils sont réitérés — mais c’est le processus normal de la reproduction capitaliste. En les regardant de l’autre côté, les rapports sociaux capitalistes ne sont pas quotidiennement défiés, menacés ou remis en cause. Cela commence seulement à se produire au moment d’une crise politique aiguë, d’un soulèvement révolutionnaire ou pré-révolutionnaire. Comme il manque de toute notion du politique, Holloway doit rester littéralement sans voix devant de tels événements.

 

Mais c’est lors de tels moments de crise que la question du « pouvoir » devient actuelle. Qu’aurait eu à dire Holloway, par exemple aux ouvriers révolutionnaires de Catalogne en 1936-1937 ? Créez des rapports sociaux alternatifs sur une base non capitaliste ? Mais c’est exactement ce qu’ils avaient commencé à faire comme n’importe qui un tant soit peu au courant des événements passés pourra le lui dire. Les entreprises furent collectivisées, la terre fut prise par les paysans, les fondements d’un système d’administration populaire et alternative, basé sur les comités et les collectifs pouvaient être aperçus dans ce cadre. Idem au Chili en 1971-1973. Idem au Portugal en 1974-1975. Et beaucoup d’autres exemples pourraient être mentionnés. Mais que s’est-il produit ? Dans chacun de ces cas l’avant-garde révolutionnaire de masse fut incapable de saisir ou de consolider le pouvoir politique (d’État) national, et elle a été défaite, isolée, écrasée — en Espagne et au Chili avec des conséquences sanglantes terribles. En abandonnant le terrain du politique et du stratégique, les idées de Holloway laissent l’arène décisive de la lutte aux forces capitalistes et pro-capitalistes qui l’occuperont inévitablement, empêchant le changement révolutionnaire.

 

Je vais maintenant présenter un cas, qui semble a priori fortement en faveur de la position de Holloway et contre ce que je viens d’écrire. Un récent article paru dans The Observer de Londres présente une description fascinante de la lutte dans les banlieues pauvres de Caracas, cœur de la « révolution bolivarienne » dans le Venezuela de Hugo Chavez. La population locale y a pris en main sa propre vie à une échelle gigantesque. L’eau et l’électricité, les écoles, l’aide alimentaire aux plus pauvres — tous les aspects de l’administration locale ont été pris en main par le peuple lui-même. Un des activistes locaux cité dit : « Nous ne voulons pas un gouvernement — nous voulons être le gouvernement ». Sûrement, c’est exactement de ce genre d’activité que parle Holloway.

 

La déclaration de l’activiste local recouvre une attitude totalement progressiste et positive, une attitude révolutionnaire envers le capitalisme et l’État capitaliste. Mais alors comment « nous » — le peuple, les pauvres, les exclus — pouvons-nous « être le gouvernement » ? C’est le clou du problème. N’importe qui, qui dirait à ces activistes « Faites exactement ce que vous faites. Point » leur rendrait un très mauvais service. Leur capacité de commencer à changer les rapports sociaux au niveau local dépend du processus politique national, de l’ensemble du processus « bolivarien » et de l’existence du gouvernement Chavez. Si Chavez était renversé par la réaction locale et par l’impérialisme américain, cette expérience locale du pouvoir populaire serait écrasée. C’est là la faiblesse d’une non intégration des processus locaux de changement du pouvoir dans le cadre d’une lutte nationale pour un État national alternatif.

 

L’article mentionné présente d’intéressants cas de conflits entre les comités bolivariens et certains activistes locaux, qui témoignent du ressentiment envers les « politiciens » locaux qui tentent d’imposer leurs vues. De tels conflits — qu’on a pu également observer en Argentine — constituent une part normale et inévitable du changement révolutionnaire. Et il est naturel que pour certains activistes les projets grandioses de changement du gouvernement et de l’État apparaissent parfois comme abstraits et utopiques, contrastant avec les tâches éminemment pratiques visant à résoudre les problèmes du peuple ici et maintenant. De telles attitudes ne peuvent qu’être renforcées par les pratiques manipulatrices et bureaucratiques de certaines organisations de la gauche révolutionnaire et pas-si-révolutionnaire. Mais en fin de compte elles sont erronées et conduisent à la défaite.

 

En acceptant que les rapports sociaux puissent être directement transformés simplement par la pratique sociale des opprimés, Holloway abandonne le terrain de la stratégie et de ce fait celui de la politique également. Les marxistes sont obligés de lui dire que les révolutionnaires doivent, en quelque sorte, être initiés au « pouvoir », apprenant les tours et les tactiques des affaires très sordides de la politique. Cela n’est pas sans conséquences négatives. Il serait bien mieux, en effet, de passer directement aux rapports sociaux alternatifs sans entrer dans ces affaires sombres et dégoûtantes de construction de partis et de lutte pour le pouvoir. Comme aurait pu le dire Ernest Mandel, c’est malheureusement impossible dans « ce mauvais monde, dans lequel nous vivons ».

 

La pure naïveté de Holloway apparaît clairement dans ce très intéressant paragraphe consacré à la lutte de « l’anti-pouvoir » :

 

« Regardez le monde autour de nous, regardez au-delà des journaux, au-delà des institutions du mouvement ouvrier et vous verrez le monde en lutte : les municipalités autonomes du Chiapas, les étudiants de l’Université nationale autonome de Mexico (UNAM), les dockers de Liverpool, la vague des manifestations internationales contre le pouvoir du capital-argent, la lutte des travailleurs migrants… Il y a tout un monde de lutte qui ne vise pas la conquête du pouvoir, tout un monde qui lutte contre le pouvoir-sur… Il y a tout un monde de lutte qui (…) développe des formes d’autodétermination et qui développe des conceptions alternatives de comment le monde devrait être. » (9)

 

Bon, c’est vrai, en quelque sorte. Mais si nous regardons sous la surface des trois luttes particulières mentionnées par Holloway, l’histoire semblera un peu différente.

 

D’abord les dockers de Liverpool. Une lutte d’un petit groupe d’ouvriers, qui fut internationalisée de manière exemplaire, avec des actions de solidarité des dockers et des marins sur différentes continents. Dans les coulisses, cependant, plusieurs organisations marxistes britanniques ont consacré du temps et une énergie considérable pour construire cette lutte et créer des liens internationaux. Cette lutte n’aurait pas été ce qu’elle fut sans cette intervention. Peut-être Holloway ne connaît-il pas bien les faits, mais je peux lui citer les noms et les numéros de téléphone des principaux permanents révolutionnaires impliqués.

 

En second lieu, la longue lutte d’étudiants de l’UNAM contre les frais d’inscription en 1998-1999. John Holloway devrait mieux la connaître, car il passe beaucoup de son temps au Mexique. Cette lutte fut dirigée (et aussi mal dirigée sous certains aspects) par une coalition de groupes marxistes plutôt ultra-gauche. Pour le meilleur et pour le pire, ils pouvaient compter sur le soutien de cinq à six mille grévistes les plus déterminés, capables d’entraîner les autres. Il ne s’agissait pas d’une lutte sans direction politique ; cette direction veut en effet gagner le pouvoir, mais vu son caractère ultra-gauche semi-stalinien, n’a pas de chances de réussir — du moins, c’est ce qu’on peut espérer.

 

Finalement, quoi dire de l’inspiration principale de Holloway, des Zapatistes ? Les assemblées autonomes des villages sont en effet exemplaires, mais par rapport à quoi sont-elles autonomes ? Certainement pas par rapport à l’organisation et à sa direction politique. Le mouvement zapatiste a trois ailes : l’EZLN, les combattants armés ; les communautés de base dans les villages montagnards ; le Front zapatiste (FZLN), l’organisation nationale de soutien. Le Comité indigène révolutionnaire clandestin dirige politiquement les trois ailes. Sa composition exacte n’est pas connue (puisqu’il est clandestin), mais le sous-commandant Marcos en est la figure principale. Il s’agit ni plus ni moins que de la direction d’une organisation politique, qui n’est rien d’autre que le succédané d’un parti politique et les démentis du Sous-commandant et de ceux qui le suivent ne changent rien à l’affaire. Vous pouvez avoir la certitude absolue que si les communautés de base débattent d’une question importante, elle a d’abord été discutée au sein de la direction clandestine basée dans la selva. La démocratie villageoise n’est pas exactement spontanée.

 

De même le FZLN ne fait pas la moindre chose sans y être autorisé par le sous-commandant en personne. La démocratie du FZLN n’est pas réellement transparente. Et s’il n’est pas devenu un parti d’ampleur nationale, c’est en partie au moins parce que Marcos ne veut pas qu’il échappe à son contrôle.

 

 

Marxisme, science, conscience
 

Pour anticiper un peu, présentons les points clés de l’argumentation de John Holloway contre l’idée que le marxisme soit une quelconque sorte de science.

 

1. Les marxistes après Engels ont estimé que la science en général et le marxisme en particulier cherchent  la connaissance objective du monde réel.

 

2. Engels et les marxistes qui l’ont suivi ont fait du marxisme une téléologie — c’est-à-dire que l’histoire serait un processus avec le socialisme comme résultat inévitable. Ceci réduit la valeur et élimine le rôle de la lutte.

 

3. En considérant le parti (ou l’avant-garde prolétarienne) comme possédant une connaissance que les masses ne possèdent pas, les marxistes orthodoxes ont établi un rapport autoritaire et manipulateur entre le parti et les masses. La catégorie de la fausse conscience doit être rejetée, nous sommes tous victimes de la fétichisation, y compris les militants marxistes. La notion gramscienne de l’hégémonie est ainsi erronée.

 

4. En indiquant une fin ou un but à la lutte (c’est-à-dire le socialisme ou le communisme), les marxistes orthodoxes essayent inévitablement de canaliser et de diriger les luttes des masses selon des finalités préconçues. La notion de la rupture révolutionnaire est imposée « de l’extérieur » à la lutte.

 

La marxisme est-il une science ? La science fournit-elle la connaissance objective du monde ? Une telle connaissance est-elle possible ? Avant d’apporter quelques réponses provisoires à ces questions, il faut affirmer que la réponse que Holloway y apporte — une bowdlerisation (10) des idées de l’École de Frankfurt — n’est pas acceptable :

 

« Le concept du fétichisme implique un concept négatif de la science (…). Le concept du fétichisme implique donc qu’il y a une distinction radicale entre la science “bourgeoise” et la science critique ou révolutionnaire. La première assume la permanence des rapports sociaux capitalistes et prend l’identité pour garantie, traitant la contradiction comme le signe d’une contradiction logique. De ce point de vue la science est une tentative de comprendre la réalité. Dans le dernier cas, la science [révolutionnaire] ne peut qu’être négative, elle est une critique de la fausseté de la réalité existante. Le but n’est pas de comprendre la réalité, mais de comprendre (et, en les comprenant, les intensifier) ses contradictions en tant qu’élément de la lutte pour changer le monde. Plus nous comprenons la domination totale de la réification et plus la science devient absolument négative. Si tout est imprégné par la réification, alors absolument tout est un lieu de la lutte entre l’imposition de la rupture de l’agir et la lutte critique-pratique pour la récupération de l’agir. Aucune catégorie n’est neutre. » (11)

 

En général les arguments de Holloway présentent une alternative complètement fausse. De tels arguments pourraient conduire à postuler une rupture absolue entre la science « bourgeoisie » et la science « révolutionnaire » — les pires conséquences d’une telle idée ont été les produits bizarres de l’Académie soviétique sous Staline (12). Si l’on suivait logiquement l’idée de la science que professe Holloway, on devrait rejeter Niels Bohr et Albert Einstein parce que leurs aperçus des théories des ondes et des corpuscules, ou de la relativité, n’étaient pas une partie de la lutte pour changer le monde.

 

La plupart des marxistes argueraient que la science doit être critique et « dialectique » pour produire la connaissance, essayant de comprendre les contradictions de la réalité, tant sociale que physique. Cette approche « dialectique » a été massivement facilitée par l’arrivée de la théorie du chaos, qui a frappé un coup fondamental contre les fausses dichotomies que la philosophie bourgeoise a ouvertes entre le déterminisme et l’indéterminisme. La théorie du chaos a prouvé que les événements peuvent être déterminés, c’est-à-dire ont des causes qui peuvent être établies, mais ont également des résultats indéterminés, imprévisibles. Loin d’être un rejet de la pensée dialectique, cet éclairage en constitue une confirmation, ou plutôt son approfondissement (13). Mais il est vrai que les éclairages de la théorie du chaos sont incompatibles avec la vision de la prévisibilité scientifique avancée par Engels dans son célèbre « parallélogramme de forces ».

 

Un certain nombre de conséquences concernant notre conception de la science en découlent. Dire que la science peut produire la connaissance du monde réel n’est pas la même chose que de dire que les résultats de tous les événements peuvent être prédits, non parce que nous manquons de connaissances suffisantes en ce qui concerne les causes, mais par définition. La théorie du chaos a montré les limites de la prévision, mais elles ne sont pas absolues. Toute une gamme des résultats possibles de beaucoup de processus physiques et sociaux peut être connue et prévue à l’avance. Si ce n’était pas le cas, toute science serait inutile. Nous ne pourrions jamais construire un pont, découvrir un nouveau médicament ou nous promener dans une rue.

 

John Holloway établi une fausse polarité entre la science positive et négative, entre connaissance et critique. Il est possible de produire une connaissance réelle du monde sans être engagé dans la lutte révolutionnaire. Il est également possible de développer une connaissance réelle des processus sociaux, sans que cela implique que la réalité sociale soit régie par des « lois objectives » imperméables conduisant à une fin inévitable.

 

Ainsi, peu de marxistes diraient aujourd’hui que le socialisme est « inévitable », que l’histoire a une fin ou des résultats préconçus. Le socialisme est un objectif, un but pour lequel nous luttons, mais c’est le produit de la réflexion théorique. Et cette réflexion théorique est elle-même le reflet des contradictions de la réalité, c’est-à-dire de la lutte des classes dans la société capitaliste. Pour paraphraser Marx, la théorie tend vers la réalité et (si tout va bien) la réalité vers la théorie.

 

Les marxistes pensent qu’ils possèdent la connaissance objective que les masses n’auraient pas, dénonce John Holloway :

 

« La notion du marxisme en tant que science implique une distinction entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, une distinction entre ceux qui possèdent la conscience véritable et ceux qui ont la fausse conscience (…). Le débat politique devient alors centré sur la question de l’exactitude et de la “juste ligne”. Mais comment savons-nous (et comme le savent-ils ?) que la connaissance de ceux qui savent est correcte ? Comment ceux qui prétendent au savoir (le parti, les intellectuels ou quiconque) peuvent-ils transcender les conditions de leur temps et de leur position sociale de façon a obtenir le privilège de la connaissance du mouvement de l’histoire ? Et sans doute encore plus important politiquement : si une distinction est faite entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas et si la compréhension ou la connaissance est perçue comme si importante pour diriger la lutte politique, quelle est alors la relation organisationnelle entre ceux qui savent et les autres (les masses) ? Est-ce que ceux qui savent doivent conduire et éduquer les masses (comme dans le concept du parti d’avant-garde) ou bien la révolution communiste est-elle nécessairement la tâche des masses elles-mêmes (comme le soutiennent les “communistes de gauche” tels que Pannekoek) ?

 

« (…) La notion des lois objectives ouvre une séparation entre la structure et la lutte. Alors que la notion du fétichisme suggère que tout est lutte, que rien n’existe séparément des antagonismes des rapports sociaux, la notion des “lois objectives” suggère la dualité entre un mouvement structurel indépendant de la volonté populaire, d’une part, et les luttes subjectives pour un monde meilleur, d’autre part. » (14)

 

Lorsque les marxistes disent que tel point de vue, ou telle suggestion de l’orientation de l’action, est « correct », ils n’attribuent pas le statut d’absolu, de connaissance objective à cette catégorie — ou du moins ils ne devraient pas le faire. Toute connaissance est provisoire et sujette à la révision. En discutant d’une orientation de l’action, le terme « correct » est usuellement un raccourci du « le plus approprié à la situation ». Mais d’autre part, lorsque les marxistes disent des choses comme « l’invasion de l’Irak est un exemple de l’impérialisme » ils suggèrent en effet l’existence d’une catégorie de la réalité sociale qui est à la portée de la connaissance et est révélée par l’abstraction théorique. Holloway doit admettre qu’un tel processus est possible, autrement il n’aurait pas écrit son livre.

 

Les marxistes ne prétendent pas avoir la « vraie conscience » (bien que cela soit possible) opposée à la fausse conscience des masses. Mais ils affirment que la théorie sociale critique est possible et qu’elle permet de développer des concepts qui nous aident à comprendre le développement du capitalisme et à lutter contre lui. La suggestion de Holloway que c’est impossible, les marxistes étant eux-mêmes des produits de moments et de situations sociales particulières, est simplement ridicule. Évidemment qu’ils le sont et le marxisme est le produit de périodes et de circonstances particulières. Ses concepts sont temporaires (ce n’est pas la connaissance absolue). Ils fournissent un cadre pour comprendre le monde et pour agir. Cette compréhension n’est pas absolue ou « objective », elle est partielle et fragmentaire. Son critère doit être si c’est utile pour comprendre le monde et pour agir en vue de le changer. Sa vérification se fait dans la pratique et dans la lutte. Si nous n’avons pas une telle attitude envers la théorie révolutionnaire, alors nous abandonnerons non seulement le terrain de la stratégie et de la politique, mais aussi la théorie.

 

La notion de Holloway, selon laquelle nous sommes tous le produit de la fétichisation et de la réification ne devrait pas nécessairement le conduire à rejeter la notion de la fausse conscience ; il pourrait aussi bien dire que nous avons tous une fausse conscience. Et il y aurait là un grain de vérité. Il est également juste de dire que certains ont une conscience plus fausse que d’autres. Cela peut ressembler à une plaisanterie, mais si Holloway le rejette, alors nous entrons vraiment dans le ridicule. John Holloway peut-il vraiment affirmer que le point de vue de quelqu’un qui est raciste et chauvin est aussi valable que celui d’un internationaliste révolutionnaire ? La théorie marxiste peut être partielle et conditionnelle, mais il s’agit certainement d’une approximation de la compréhension du monde qui est critique envers les rapports sociaux existants et qui fournit un éclairage de ses contradictions ainsi que des potentialités pour le changer.

 

Cette position de Holloway est également lourde de dangers. En rejetant totalement l’idée de la fausse conscience, il rejette la notion de l’idéologie comme quelque chose de séparé de (mais lié à) la réification et du fétichisme. La sous-estimation de l’idéologie conduit à un manque de compréhension des appareils idéologiques du capitalisme moderne, qui sont puissants et capables de générer et de réitérer les points de vue fétichisés, pro-capitalistes. Une conséquence possible d’une telle attitude peut être l’absence de compréhension de la centralité de la lutte idéologique, de la nécessité d’un combat incessant — par l’agitation, la propagande aussi bien que par la « théorie » — contre les idées « fausses » quotidiennement répandues par les médias pro-capitalistes (et par les académies). Une telle lutte n’émerge pas spontanément à quelque échelle nationale que ce soit. C’est ce que Lénine tentait d’indiquer dans un de ses textes les plus mal interprétés, écrite en 1902. Mais c’est une autre histoire.

 

 

 

Conclusions stratégiques : un monde sans partis de gauche
 

A l’issue de sa « contribution théorique », John Holloway ne propose aucune conclusion stratégique et ne s’en excuse pas. Il n’y a, dit-il, « aucune garantie pour une issue heureuse ». Sur ce point, malheureusement, nous ne pouvons que l’approuver. Mais contrairement à d’autres détracteurs récents des partis révolutionnaires, il ne met pas en avant des organisations alternatives — mouvements sociaux, ONG — comme concurrents pour la couronne du « prince moderne ». Il ne nie pas le besoin de la coordination pour des buts ou des luttes particulières, ni le besoin de militants politiques. Il n’est simplement pas intéressé par des organisations nouvelles ou alternatives. Nous devrions regarder le mouvement, propose-t-il, non comme une organisation, mais — inspirés par le cycle des manifestations anticapitalistes — comme « une série d’événements ». C’est tout, point final.

 

Heureusement les idées de Holloway, dont certaines sont fort répandues, ne convaincront pas tout le monde. Si par un accident imprévisible tel était le cas, les conséquences en seraient catastrophiques. Congédiez les organisations de la gauche et les partis et congédiez les syndicats. Oubliez les élections et la lutte contre le gouvernement. Tout ce qui reste, c’est la lutte du « pouvoir-de » contre le « pouvoir-sur ».

 

Non seulement ces idées ne deviennent pas hégémoniques dans la gauche, mais il est structurellement impossible qu’elles le deviennent. Imaginez un instant, dans un monde d’où les partis auraient disparu, cinq ou six amis venant de différents coins d’un quelconque pays, engagés dans la coalitions anti-guerre, se rencontrant et discutant politique. Ils se rendront compte qu’ils tombent d’accord sur pas mal de choses — pas seulement la guerre, mais aussi le racisme, la pauvreté et le pouvoir capitaliste. Ils décident de se rencontrer régulièrement et d’en inviter d’autres. Puis ils produisent un petit bulletin qu’ils diffusent parmi leurs camarades de la coalition anti-guerre. En six mois ils découvrent qu’une centaine de personnes viennent à leurs réunions et décident de tenir une conférence. Voilà, ils ont formé un parti politique. Et — évidemment — si personne d’autre à gauche n’a formé une alternative, leur parti aura des centaines de membres à la fin de l’année.

 

Les partis révolutionnaires ne peuvent être éliminés, du moins tant que le travail qu’ils ont à faire reste encore à faire. Plus vite il sera fait et mieux ce sera.

 

 

 

* Phil Hearse est rédacteur du mensuel britannique Socialist Resistance. (Traduit de l’anglais par J.M.)

 

1. John Holloway, Change the World Without Taking Power, The Meaning of Revolution Today (Changer le monde sans prendre le pouvoir, la signification de la révolution aujourd’hui), Pluto Press 2002, p. 11.

2. op. cit., p. 12.

3. op. cit., p. 13.

4. op. cit., p. 15.

5. op. cit., p. 153.

6. op. cit., p. 159.

7. op. cit., p. 156.

8. op. cit., p. 108.

9. op. cit., p. 156.

10. Du nom de Bowdler qui avait réécrit les textes de Shakespeare pour les rendre plus « acceptables » : édulcoration, appauvrissement (ndt.)

11. op. cit., p. 118.

12. Ainsi, au nom de la « science prolétarienne » et de la lutte contre « la science bourgeoise », Staline avait fait interdire la génétique et la sociologie… Tout en piochant parfois dans la bibliothèque anarchiste, John Holloway n’est pas sectaire et puise son inspiration aussi dans les élucubrations criminelles du « petit père des peuples »… (ndt.)

13. Une discussion développée de ces thèmes peut être trouvée dans le livre de Daniel Bensaïd, Marx l’intempestif, Fayard 1995).

14. op. cit., p. 122.
Barnabé
 
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Message par mael.monnier » 24 Déc 2003, 00:07

Bonjour,

(boispikeur @ dimanche 21 décembre 2003 à 18:17 a écrit :
Construire à côté de l'Etat, en laissant l'Etat tranquile, mourir de sa belle mort,c'est ce qu'a essayé de faire le Peuple argentin: T'as vu le résultat?

Forcément, ils ont laissé le patronat tranquille. Ce n'est pas avec leurs pauvres assemblées populaires qu'ils allaient pouvoir changer quelque chose si les copains argentins du baron Seillière dirigent toujours... Quelques argentin-e-s ont certes repris quelques entreprises en autogestion... mais des entreprises qui ont fait faillite ! D'ailleurs Mariategui le dit bien : "Il ne reste pas moins qu'elles ne touchent pas le coeur du capitalisme national mais elles évoluent dans sa périphérie de chômeurs et de travailleurs sur-exploités."

Et chez Holloway, apparemment on trouve la même impasse :
(Barnabé @ dimanche 21 décembre 2003 à 19:49 a écrit :
Bien que Holloway formule quelques critiques à l’égard de Tronti et d’Antonie Negri, les parents intellectuels des courants de l’autonomie italienne, ses principaux arguments viennent directement de cette source : n’affrontez pas les patrons dans le monde du travail, retirez vous de ce monde. Créez des espaces autonomes — autonomes vis-à-vis des patrons et autonomes vis-à-vis de l’État capitaliste.


Et, comme je l'avais exposé dans un dossier consacré à la démocratie économique pour un cours de philosophie politique au mois de juin dernier :

a écrit :
Il est risqué de passer à l’autogestion progressivement entreprise par entreprise en raison de la résistance du Capital, la solution serait une grève de masse avec occupation passive des usines, des ateliers et des bureaux dans un premier temps pour évoluer vers une grève avec occupation active, dans laquelle les salariés commenceront à reprendre le travail sous leur propre direction, amorçant ainsi le début de l’autogestion.

De plus, nous-dit Mandel, « un autre méfait d’un début d’application pratique de l’autogestion ouvrière au sein du mode de production capitaliste, en dehors d’une situation révolutionnaire, réside dans sa tendance à transformer l’énergie de l’avant-garde ouvrière, disponible à des fins d’agitation, en énergie productive. Au lieu de s’organiser dans l’usine occupée en vue d’étendre la lutte à d’autres usines de la même ville, de la région, de la branche d’industrie, voire du pays, les travailleurs qui reprennent la production à leur compte doivent concentrer tous leurs efforts sur l’organisation d’une production d’autant plus menacée que l’usine occupée reste isolée. Au lieu de se placer sur le terrain où ils sont les plus forts – celui de la lutte de classe qui se généralise – ils se placent sur celui où leur infériorité est manifeste : la concurrence sur le marché capitaliste. »


L'Allemagne n'a pas connu de grève active en 1920, c'était simplement une grève passive, ce qui explique pourquoi le mouvement n'a pas été plus loin, mais il y a eu tout de même des résultats (échec du coup d'Etat et aboutissement d'un régime démocratique) non négligeables et qui montrent la supériorité de l'efficacité de la non-violence. En supposant que les travailleuses et les travailleurs fussent conscients de la nécessité d'occuper les usines et d'auto-diriger l'économie afin de mettre fin au capitalisme et à sa barbarie, l'issue aurait été différente.

(Mariategui @ dimanche 21 décembre 2003 à 18:53 a écrit :
Il s'agit d'une théorie popularisée pour la première fois par le mouvement zapatiste si je ne me trompe pas, même si on peut la faire remonter aux théories sur les Zones d'autonomie Temporaires chères à certains anarchistes. Holloway a publié un livre sur le sujet en 2002.


Merci de me l'apprendre...

(Barnabé @ dimanche 21 décembre 2003 à 19:24 a écrit :
La commune de Paris de 71 a refusé de marcher sur Versailles. [...] Mais l'état bourgeois était là et les a massacré.

Je pense qu'en fait, il aurait fallu laisser entrer dans Paris les bourgeois comme ils le voulaient et employer la non-violence plutôt que d'essayer de repousser les Versaillais par les armes, ce qui était en fait se placer sur un terrain de faiblesse (il me semble que les Communards étaient sortis de Paris pour essayer de les repousser et marcher sur Versailles, en vain... mais il faudrait que je relise les Mémoires de Louise Michel pour en être certain).


(Barnabé @ dimanche 21 décembre 2003 à 19:24 a écrit :
Mais l'état bourgeois était là et les a massacré. Et cette démonstration n'a cessé de se répéter tragiquement de l'Espagne en 36 où les anarchistes ne voulant pas d'un Etat ouvrier ont laissé se reconstituer l'Etat bourgeois qui a désarmé les milices, au Chili de 73 (et on pourrait multiplier les exemples).
Alors oui, ce qui est nécessaire à la classe ouvrière c'est bel et bien de détruire l'Etat de la bourgeoisie et de créer son propre état pour mener la lutte contre la bourgeoisie, et ce qui est nécessaire pour cela c'est un parti qui arme politiquement la classe ouvrière en défendant cette perspective. Tous les grands discours qui voudraient faire croire le contraire ne peuvent qu'entraîner les travailleurs vers de nouvelles défaites et de nouvelles tragédies.


En Espagne, il ne faut pas oublier le rôle contre-révolutionnaire des stals et du gouvernement social-traître du Front Populaire en France, le tout sous l'égide de Moscou...

http://increvablesanarchistes.org/album_photo/photlibertair_une/36libertair_blum.jpg


... plus la complicité de l'Allemagne et de l'Italie ("Nous ne sommes pas dupes, l'aide que l'Allemagne et l'Italie apportent à Franco pèse lourd dans la balance. Nous, révolutionnaires espagnols, sommes presque seuls à nous battre contre ce monstre du fascisme." [...] " Au cours des combats contre les troupes de Franco, les communistes procédaient, selon mon frère, de la manière suivante. S'ils se retrouvaient sur le même champ de bataille que les anarcho-syndicalistes, ils cherchaient soigneusement leur cible, s'en approchaient le plus possible et à la faveur de la nuit, ils ouvraient une brèche dans le front pour laisser passer les fascistes qui encerclaient alors les troupes anarcho-syndicalistes. Mon frère dut avec ses hommes se défendre, grenades à la main et à la pointe du revolver. Dans leur fuite, les survivants de l'embuscade étaient mitraillés par les communistes qui leur tiraient dans le dos, les traitant de lâches." (Anna Delso, http://increvablesanarchistes.org/articles...mp_anadelso.htm))

Au Chili, il y avait la CIA derrière tout cela. Comme l'indique la revue petite-bourgeoise Démocratie & Socialisme d'octobre 2003 : "Il est aujourd'hui avéré que ce putsch a été pensé, organisé et mis en oeuvre par le gouvernement de Nixon et sa tête pensante Henry Kissinger, prix Nobel de la paix en …1973(1) s'appuyant sur la CIA, et les multinationales : Pepsi Cola, ITT et autres…. Ces multinationales ont directement participé à la préparation, à l'organisation, au financement et à la réalisation du coup d'état." (http://www.democratie-socialisme.org/artic...?id_article=220)

Actuellement les Etats-Unis continuent à s'embourber en Irak (ils vont renforcer leurs troupes alors qu'ils voulaient les réduire au départ), le stalinisme est mort depuis longtemps, et nous n'avons pas d'Hitler ou de Mussolini en Europe non plus. La géopolitique est donc complètement différente aujourd'hui de celle d'avant la chute du mur de Berlin. Toutefois, à mon avis l'usage des armes serait criminel pour mener la Révolution car ce serait se placer sur un terrain de faiblesse. Comment comptez-vous résister face à des tanks, des bombardiers, des lance-flammes, des missilles... ? A quoi mènerait une guérilla du même type que celle qui est menée par les Irakien-ne-s face à l'ennemi ? Il y a certes des soldats américains qui sont tués, mais aussi des résistants irakiens. La désobéissance civile ne serait-elle pas plus efficace (refus d'obéissance aux USA, blocage du ministère du Pétrole et des puits, grèves de la faim, chaînes humaines, barrages routiers, ...) ?

(Inprecor @ novembre 2003 a écrit :
Tant le réformisme que le marxisme révolutionnaire ont pour objectif stratégique la conquête du pouvoir ; mais c’est un piège, car l’État ne peut être qu’une structure autoritaire (ce qui relève, par ailleurs, de l’ anarchisme standard).

Sa critique se lit comme si L’État et la révolution de Lénine n’avait jamais été écrit. Le concept marxiste de la révolution n’a jamais été que la classe ouvrière détruit l’État juste pour le remplacer par un État ouvrie qui s’attellera, lui, à transformer les rapports sociaux. Notre concept d’« État » ouvrier, socialiste, c’est celui de l’auto-organisation démocratique des masses et non celui de la dictature du parti. En effet nous ne sommes pas (ou ne devrions pas être) en faveur du monopole d’aucun parti unique.


Heureusement que c'est Inprecor, et pas la revue Lutte de Classe qui dit cela ! Pourtant, que vous le vouliez ou non, Lénine a bel et bien instauré une dictature d'une oligarchie sur un parti unique qui lui-même exerça sa dictature sur les autres partis communistes et sur la population russe. C'est le même Lénine qui a dit "Tout le pouvoir aux soviets !" mais qui fut le premier à leur enlever le pouvoir. A partir du moment où les masses s'auto-organisent et s'auto-dirigent, on ne peut plus parler d'Etat. En outre, comme le dit Lénine dans l'Etat et la Révolution, "selon Marx, l'Etat est un organisme de domination de classe, un organisme d'oppression d'une classe par une autre; c'est la création d'un "ordre" qui légalise et affermit cette oppression en modérant le conflit de classes." Comment voulez-vous donc que ceux qui dirigent, ceux qui sont au sein de l'Etat n'oppriment pas les autres puisque là est la fonction de l'Etat ?

Comme l'a dit Michel Bakounine, dans Etatisme et Anarchie :
a écrit :"Si le prolétariat devient la classe dominante, qui demandera-t-on, dominera-t-il ? (... ) Qui dit Etat dit nécessairement domination et, par conséquent, esclavage. (…) Sous quelque angle qu'on se place, on arrive au même résultat exécrable : le gouvernement de l'immense majorité des masses populaires par une minorité privilégiée, Mais cette minorité, disent les marxistes, se composera d'ouvriers. Ont, certes, d'anciens ouvriers, mais qui, dés qu'ils seront devenus des gouvernants, cesseront d'être des ouvriers et se mettront à regarder le monde prolétaire du haut de l'Etat, ne représenterons plus le peuple, mais eux-mêmes et leurs prétendons à le gouverner." [...]

"Ce ne sera rien d'autre que le gouvernement despotique des masses prolétaires par une nouvelle et très restreinte aristocratie de vrais ou de prétendus savants. Le peuple n'étant pas savant, il sera entièrement affranchi des soucis gouvernementaux et tout entier intégré dans le troupeau des gouvernés. [...]

Il y aura un gouvernement excessivement compliqué, qui ne se contentera pas de gouverner et d'administre les masses politiquement, (...) mais qui encore les administrera économiquement, en concentrant en ses mains la production et la juste répartition des richesses, la culture de la terre, l'établissement et le développement des fabriques, l'organisation et la direction du commerce, enfin l'application du capital à la production par le seul banquier, l'Etat. Tout cela exigera une science immense et beaucoup de têtes débordantes de cervelle dans ce gouvernement. Ce sera le règne de l'intelligence scientifique, le plus aristocratique, le plus despotique, le plus arrogant et le plus méprisant de tous les régimes.

Les marxistes se consolent à l'idée que cette dictature sera temporaire et de courte durée. Selon eux, ce joug étatique, cette dictature est une phase de transition nécessaire pour arriver à l'émancipation totale du peuple:1'anarchie ou la liberté étant le but, l'Etat ou la dictature le moyen. Ainsi donc pour affranchir les masses populaires, on devra commencer par le asservir. (...) A cela nous répondons qu'aucune dictature ne peut avoir d'autre fin que de durer le plus longtemps possible.
(Source: http://increvablesanarchistes.org/articles...nin_dguerin.htm)

(Inprecor @ novembre 2003 a écrit :
Notre concept de la révolution n’est pas simplement une « capture » de l’État pour l’employer dans l’intérêt des masses — ceci c’est une idée de la (veille) social-démocratie ; notre alternative c’est la destruction de l’État par un énorme soulèvement social et la démocratisation des rapports du pouvoir, l’établissement par les masses de leurs propres institutions de pouvoir au travers des- quelles elles s’auto-gouvernent.

Et ben alors ! Allez jusqu'au bout ! Pourquoi vous présentez-vous aux élections bourgeoises en faisant croire qu'il est possible d'améliorer en profondeur le sort des gens par les institutions bourgeoises, d'améliorer les services publics... ? Tout ce que vous proposez c'est la révocabilité des élu-e-s qui n'est que de la poudre aux yeux. Qu'est-ce que cela changerait si l'on pouvait révoquer Raffarin pour mettre encore une autre politicienne ou un autre politicien à la place pour gérer le capitalisme ? Quand LO ou la LCR ont-ils parlé du renversement du gouvernement Raffarin ? Je n'en ai point ouit dire. Et en outre, il ne s'agit pas simplement d'une démocratisation des rapports de pouvoir mais de l'élimination de ces rapports de pouvoir puisque sous le collectivisme, il ne saurait y avoir de rapports gouvernants/gouvernés puisque ce sera le peuple qui dirigera par lui-même et pour lui-même.

(Inprecor @ novembre 2003 a écrit :
L’argument de Holloway, c’est pour l’essentiel que, quel que soit le genre d’État que vous avez, vous avez par là-même l’oppression et le capitalisme. Il est facile de saisir le caractère illogique de cet argument. Changeons, pour les besoins de l’argumentation, la phraséologie traditionnelle du marxisme révolutionnaire. Abandonnons la formule de l’État ouvrier et disons que nous voulons l’administration directe des affaires sociales par les masses organisées démocratiquement. Naturellement pour ce faire les masses devront élire des fonctionnaires révocables, tenir des réunions dans les entreprises, les bureaux et les écoles et voter sur ce qu’il faut faire. Elles peuvent avoir besoin d’une sorte d’assemblée nationale et de fonctionnaires élus de cette assemblée pour exercer des fonctions exécutives. Si l’on rejette tout cela, il est difficile d’imaginer comment le fonctionnement social de la société pourrait être décidé et assuré. Bizarrement (ou peut-être sagement de son point de vue) Holloway ne s’aventure pas dans la discussion sur un quelconque aspect de la société post-révolutionnaire, sur la prise de décisions en son sein ou sur les mécanismes de son administration. Parce que si vous vous aventurez dans une telle réflexion, vous finissez par parler de quelque chose qui ressemble à une forme de l’État.


Oui, en gros vous supposez qu'un carré serait un cercle pour votre argumentation... Or par définition, "l'État, c'est la nation organisée, soumise à un gouvernement constitué et à des lois communes" (http://www.club-internet.fr/imcfrance/civisme/etat/etat.htm). En outre, vous niez complètement la définition marxiste de l'Etat qu'a bien expliqué Lénine dans l'Etat et la Révolution. Et dans ce cas, lorsque Karl Marx parle de "dépérissement de l'Etat" conduisant à sa disparition, ce serait du mensonge puisque vous dites qu'il y aura forcément "quelque chose qui ressemble à une forme de l’État". Or à partir du moment où le peuple n'est plus soumis à un gouvernement et s'auto-dirige, c'est l'anarchie, donc l'absence d'Etat. Rien n'empêche d'avoir des fonctionnaires [I]exécutant/I] la volonté populaire élaborée en démocratie directe, seule forme de démocratie compatible avec l'anarchisme, les fonctionnaires étant partie intégrante du peuple et non pas au-dessus ou en-dessous. A partir du moment où le salariat sera aboli, où la propriété des moyens de production, d'échange et de financement sera socialisée, il n'y aura donc plus de classes, donc plus aucune raison d'avoir un Etat pour concilier ces classes.

(Inprecor @ novembre 2003 a écrit :
Cela conduit à un paradoxe étrange dans son argumentation, que Holloway ne voit pas. Pour les besoins du raisonnement, disons que les communautés de base zapatistes constituent un bon modèle de rapports sociaux différents et d’auto-gouvernement (d’autonomie). Et disons que nous voulons « zapatistiser » tout le Mexique. Dans le schéma de Holloway cela est impossible, parce que de cette manière vous établiriez, dans le processus, un État : « l’État zapatiste ». Ce faisant vous évacuez le terrain de la lutte nationale (et internationale), vous vous concentrez sur le local et le particulier. Ce qui ne peut que conduire la classe capitaliste à vous dire « merci beaucoup !».


Mais en quoi le sous-commandant Marcos voudrait régionaliser le Mexique et abandonné le terrain national ? Voici justement ce qu'il disait dans le programme de l'EZLN :

(Sous%commandant Marcos / La quatrième guerre mondiale a commencé @ août 1997 a écrit :
Les zapatistes estiment que, au Mexique, la reconquête et la défense de la souveraineté nationale font partie de la révolution antilibérale. Paradoxalement, on accuse l’EZLN de vouloir la fragmentation du pays. La réalité, c’est que les seuls à évoquer le séparatisme sont les entrepreneurs de l’Etat de Tabasco, riche en pétrole, et les députés fédéraux originaires du Chiapas et membres du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI). Les zapatistes, eux, pensent que la défense de l’Etat national est nécessaire face à la mondialisation, et que les tentatives pour briser le Mexique en morceaux viennent du groupe qui gouverne et non des justes demandes d’autonomie des peuples indiens.

L’EZLN et l’ensemble du mouvement indigène national ne veulent pas que les peuples indiens se séparent du Mexique : ils entendent être reconnus comme partie intégrante du pays, mais avec leurs spécificités. Ils aspirent à un Mexique rimant avec démocratie, liberté et justice. Si l’EZLN défend la souveraineté nationale, l’armée fédérale mexicaine, elle, protège un gouvernement qui en a détruit les bases matérielles et qui a offert le pays au grand capital étranger comme aux narcotrafiquants.
(Source : http://www.monde-diplomatique.fr/1997/08/MARCOS/8976)

Pour le reste de l'article d'Inprecor, c'est du hors-sujet et de toute façon je ne peux pas défendre ou attaquer les idées d'Holloway puisque je ne les connais pas.

Joyeux Noël (pour ceux qui fêtent Noël),
Maël Monnier
mael.monnier
 
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