la valeur de l'oeuvre d'art

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par interluttant » 17 Fév 2004, 16:51

Caupo, je ne sais pas si c'est LouisChristian qui est trop chatouilleux, mais en tout cas j'ai l'impression qu'il a fait demi-tour. Ce n'est pas ce qu'on cherche à faire dans un forum que de faire fuir tout le monde. Surtout en ce moment, sur un forum LO, d'envoyer " chef d'oeuvre d'art ligard... ", si c'est une allusion à la LCR, c'est assez déplacé. En ce moment, moi, je cherche plutôt à discuter avec les copains de la ligue plutôt que de les faire fuir et qu'ils retournent à leur bêtises 100% à gauche. :(
Jacquemart, Le 28 janvier, tu as dit que le système du marché pouvait concerner l'art, la monnaie et les joueurs de foot (j'ajouterai : l'honneur d'un député). Bien sûr. Mais je ne discute pas de la valeur de l'art, mais de la valeur de l'oeuvre d'art, c'est à dire d'une chose. En temps que matérialiste, on doit faire une distinction tout à fait nette entre la chose faite de matière et l'idée. Quand je dis qu'il n'est pas absurde de discuter de si l'oeuvre d'art a oui ou non une valeur d'échange, c'est en considérant que c'est une chose produite par un certain "travail" humain. Si l'on admet que "oeuvre d'art" contient du travail humain, on est obligé d'admettre qu'elle a une valeur d'échange.
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Message par interluttant » 17 Fév 2004, 17:58

En relisant les premiers messages, je m'aperçois que j'ai gagné un moment STANISLAS à ma conception. Le 29 janvier à 11h10.
D'abord il cite : >, puis il écrit <<Si y'a que ça RASSURONS-NOUS, c'est pas bien grave. Vu qu'apparemment y'a pas de plus-value dans cette affaire. Si ? :D
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Message par Jacquemart » 17 Fév 2004, 19:18

a écrit :Mes yeux se sont remplis de larmes de joie en te voyant écrire une chose pareille

Eh bien... Je savais que l'économie politique, ça pouvait faire pleurer. Mais de joie, ça, c'est une première !
Cela dit, Interluttant, plus on avance, plus on recule, et ça ne doit rien à la dialectique chère à ton coeur.
Je crois que tu commets deux séries d'erreurs, sur deux plans différents.
Premièrement, sur les définitions et les raisonnements propres à l'économie politique. Lorsque tu écris que :
a écrit :Si l'on admet que "oeuvre d'art" contient du travail humain, on est obligé d'admettre qu'elle a une valeur d'échange.

Je suis navré, mais c'est faux. Une oeuvre d'art possèderait une valeur d'échange si elle contenait du travail social. Or un travail individuel (privé) ne peut être ramené à du travail social que si ce travail individuel est comparé par la société à d'autres travaux individuels, autrement dit si les productions des différents travailleurs sont considérées comme équivalentes. La notion de "travail humain", en plus d'être un pléonasme, évacue cette distinction entre travail individuel et travail social, essentielle en économie marxiste. A partir de là, effectivement, les mots perdent leur sens : tout est dans tout et réciproquement. Tu peux baptiser "marchandise" tout et n'importe quoi". Cela conduit à embrouiller les choses, pas à les comprendre.

Ta deuxième série d'erreurs concerne le résultat de toutes ces grandes manoeuvres, à savoir les rapports entre l'art et la société. Que tu considères, je crois, d'une manière beaucoup trop schématique. En fait, toutes les tortures que tu fais subir aux concepts de l'économie politique ont pour but de pouvoir affirmer que la bourgeoisie dicte le contenu (formel et social) de l'art au moyen de la validation des oeuvres par le marché. Ce que tu résumes par :
a écrit :Mais ce que je pense, c'est que l'oeuvre d'art tient ses traits sociaux de ce qu'elle est produite en vue de l'échange et qu'elle passe par le marché. C'est à dire que je pense que "le style" d'une époque est le résultat de la concurrence entre artistes. (...) Tout ça pour dire que l'on passe d'un style à l'autre sous le fouet du marché, que la concurence entre les artistes (qui est un fait purement économique) nous permet de décrire une chose qu'en esthétique on connait bien : le style.

Mais tous les arts de toutes les époques ont toujours reflété les aspirations, les idéologies, les valeurs, des classes dominantes. Pourtant, seule l'époque bourgeoise a mis en place un "marché" de l'art... qui ne concerne d'ailleurs qu'une partie de la production artistique. La soumission de l'art - et des artistes - aux valeurs socialement dominantes passe par de multiples canaux, et pas seulement celui de la "concurrence" (pas toujours "purement économique", en plus). L'art antique ne produisait pas de marchandises, mais il reflétait avec une fidélité absolue les idéaux des esclavagistes grecs ou romains. Lorsque Louis XIV fait de Lully son musicien officiel, il n'a pas besoin de lancer un appel d'offres pour que la musique de la Cour réponde aux canons (c'est le cas de le dire) de la monarchie absolue. Lorsque Staline demande à Chostakovitch de réécrire sa huitième symphonie, jugée pas assez joyeusement patriotique, pas trace non plus de "marché" ou de "valeur d'échange". Et même pour prendre des exemples plus proches de nous, la psychologie des artistes, leurs fréquentations, le milieu social dans lequel ils baignent ou celui auquel ils aspirent, font au moins autant pour conformer l'art aux valeurs de la bourgeoisie que les stricts mécanismes du marché.

Vouloir expliquer les courants artistiques par les seuls mécanismes de marché est aussi réducteur que prétendre rendre compte de l'histoire du mouvement ouvrier par les variations du taux de chômage.
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Message par interluttant » 20 Fév 2004, 10:31

:roll: !). En fait, je pense qu'on ne peut se mettre d'accord que sur des positions dialectiques. L'oeuvre d'art est-elle unique ? Oui et non.
Le travail de l'artiste est-il un "travail social" ? Non et oui. La réponse la plus commune, bien sûr, c'est "non". Mais le "travail social" ce n'est pas seulement celui dont la production est comparée sur un même marché. C'est aussi un travail qui se fait sous le fouet de la concurrence. Or c'est, d'un certain point de vue, le cas du travail artistique. C'est évident quand on fait l'histoire globale d'une période de l'histoire de l'art, et c'est comme cela qu'on s'aperçoit qu'il y a des "périodes", des styles. Les artistes ont un oeil sur leur oeuvre et l'autre sur ce qui se passe ailleurs, c'est en ce sens qu'il travaillent "socialement".
a écrit :pouvoir affirmer que la bourgeoisie dicte le contenu (formel et social) de l'art au moyen de la validation des oeuvres par le marché
. Tu introduis là une idée nouvelle. Je n'ai pas parlé de classes. Pour une discussion économique, nous avons seulement besoin de considérer l'oeuvre d'art comme validée sur le marché par l'achat et la vente. Ceci dit les exemples que tu cites d'oeuvres produites dans d'autres condition que le marché libre capitaliste sont très concluants. Ta conclusion
a écrit :le milieu social dans lequel [les artistes] baignent ou celui auquel ils aspirent, font au moins autant pour conformer l'art aux valeurs
est parfaite. "au moins autant que le marché", c'est tout à fait dialectique. La soumission de l'artiste aux valeurs dominantes, c'est aussi c'est une chose dont il faut parler d'une manière dialectique. En histoire de l'art, on dit que Mozart est le premier artiste libre, qu'à la fin il ne trouvait plus à se vendre et qu'il a payé cela par la misère.
Je ne cherche pas à expliquer les courants artistiques par les seuls mécanismes du marché, je dis seulement que quand on observe l'oeuvre d'art en tant qu'elle est une marchandise, on en déduit une théorie des styles. Et ce n'est ni plus ni moins vaseux que de dire que les artistes "baignent" dans un milieu. :-P
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Message par Jacquemart » 22 Fév 2004, 16:22

a écrit :Je ne cherche pas à expliquer les courants artistiques par les seuls mécanismes du marché, je dis seulement que quand on observe l'oeuvre d'art en tant qu'elle est une marchandise, on en déduit une théorie des styles. Et ce n'est ni plus ni moins vaseux que de dire que les artistes "baignent" dans un milieu.


Très bien ! Déduis ta théorie des styles, expose la, et on pourra juger sur pièces.
D'ici là, j'en reste aux idées marxistes traditionnelles sur la question.
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Message par interluttant » 04 Mars 2004, 00:24

Ce dernier message de Jacquemart a un air de défit. Il me semble que je me suis un peu expliqué dans les messages précédents : pour moi, une bonne définition du style d'une époque pourrait être "le cadre ("idéal" ou "esthétique") qui se constitue quand les artistes travaillent en concurrence les uns par rapport aux autres". C’est dans ce cadre que les oeuvres sont comparées et comparables.

Mais pour conclure, je dirais qu'il y a une vrai difficulté à parler en matérialiste de l'art. Je pense pourtant que ce n'est pas impossible. Quand on pose la question de pourquoi et comment les oeuvres sont belles, on est en permanence entre le matériel et le spirituel, et c'est comme ça que l'esthétique est intéressante.
Mais je pense qu'il y a une résistance dans la société à parler de l'art en économiste, car quand on pense à l'art, on a envie de rêver. On pense avoir compris ce que c'est quand on a dit que l'art et les artistes sont haut dessus de ça. Il apparaît à moitié dégoûtant de dire que les artistes cherchent à gagner de l'argent. Pourtant, si les artistes ne font pas cela "que pour l'argent", les biographies d'artistes sont pleines de moments où ils ont essayé, avec plus ou moins de succès, de tirer le meilleur prix de leurs oeuvres.
La résistance qu'on observe quand on aborde ce sujet me fait penser à celle qui apparaît quand on a affaire à des travaux de psychanalystes qui décortiquent la vie sexuelle des artistes. Les psychanalystes sont des gens assez matérialistes, je crois. Ils vont parler des problème que Mozart a eu avec sa mère et son père. Ce serait réducteur de parler ainsi de Mozart ? Oui, mais il est évident que Mozart a aussi vécu ces choses là et que ces oeuvres peuvent contenir aussi toutes ces choses.
Concernant le public, les oeuvres et les artistes, il est évident que le marché existe, et on ne doit pas avoir de résistance à en parler. La réponse qu'on me fait sur Rembrandt, que j'ai cité dans mon premier message est typique : elle évacue tout le contexte, étant située dans un passé lointain. Elle situe l'oeuvre d'art au musée, bien loin du travail des artistes, de leurs rapports réciproques et au public. Or dans le système capitaliste, le rapport de l'artiste au public et du public à l'artiste (il y a bien un rapport dans les deux sens) se fait par le marché. Jacquemart a parlé très justement de périodes antérieures au capitalisme où l’artiste n’était pas « libre » face au marché, mais la question économique que je pose concerne justement la période suivante. LouisChristianRené a lu tout un tas de philosophe qui disent que l’art disparaît à mesure que le marché avance, c'est d'ailleurs un peu la même chose que dit Caupo dans son dernier message : c’est botter en touche. Un autre copain (Lc) m'a dit que ma question n’a de sens que concernant l’époque où l’art était un artisanat, mais il serait bien en peine de me dire depuis quand ça n’est plus ça. Et quand Jacquemart termine en disant qu’il préfère en rester aux conceptions marxistes traditionnelles (!) sur la question, je reste sur ma faim. Marx s’est-il exprimé quelque part sur la valeur de l’œuvre d’art ? Il y a, paraît-il dans le Livre III un passage sur le travail du clown, mais sinon ?
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Message par interluttant » 28 Mars 2004, 18:33

Manu : Je me dis maintenant que c'était, de ma part, une grosse maladresse de faire référence à la psychanalyse, mais rapidement (car ce n'est pas le sujet).
a écrit :les théories de Freud ne sont pas rattachés à la sexualité d'une manière absolue, c'est un peu plus compliqué que cela il me semble.
Tout à fait : c'est très compliqué. Mais ses théories se rattachent TOUJOURS, "en dernière analyse", à la sexualité.
a écrit :il faut s'interesser evidement aux conditionnements familial, social, religieux etc...
La psychanalyse se limite, par définition, au conditionnement familial dans ce qu'il a de sexuel.

Caupo : Je suis d'accord avec ta définition du domaine matérialiste. Là aussi on est plus dans le sujet, mais l'esthétique discute de ce qui est beau ET concret. Quand elle est bien faite, elle est à cheval sur ce qui est dans la conscience et ce qui existe en dehors de la conscience.
Mais revenons au sujet : Je suis assez d'accord avec ta phrase sur le "trou noir galactique" du capitalisme. Mais cependant, les artistes et les oeuvres continuent d'exister quand même. Ils continuent d'exister à notre époque, l'époque de putréfaction du capitalisme (comme disait Lenine). Depuis au moins un siècle des philosophes plus ou moins marxistes nous rebattent les oreilles sur la tendance du capitalisme à écraser les hommes, les artistes et le public. En fait, il ya déjà ça chez Marx dans le concept d'aliénation.
Toute l'économie marxiste aboutie au fait que le capitalisme débouche sur des crises. Cependant, entre deux crises, la théorie de la valeur s'applique.
Donc pour discuter de la valeur de l'oeuvre d'art, il faut admettre qu'en dépit de la pression du système capitaliste, au XXème siècle, Picasso, Giacometti, Felini et Boulez ont existé, au milieu de bien d'autres artistes. Et que leurs oeuvres se sont échangé avec un public.
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