a écrit :Entre développement et soutenabilité, ne faut-il pas choisir ?
Le concept de soutenabilité est né sous le double signe du recul de la pauvreté et de la préservation des écosystèmes pour garantir la justice à l’égard des générations actuelles et futures. Il devient crédible et opérationnel si trois principes sont respectés : responsabilité à l’égard des systèmes vivants, solidarité à l’égard de tous les êtres humains et économie des ressources naturelles et du travail humain.
Le régime d’accumulation financière qui prévaut dans le monde rend la soutenabilité impossible parce qu’il tend à accroître constamment le niveau d’exigence de rentabilité servie aux détenteurs du capital. Il ne peut en résulter qu’un affaiblissement de la position des travailleurs (insoutenabilité sociale) et une difficulté croissante à investir dans des processus de production non destructeurs (insoutenabilité écologique). En effet, pour un taux de croissance de la productivité et une part de la rente financière dans le produit global donnés, le taux de croissance de la rente financière est d’autant plus élevé que le temps de travail
augmente, que l’emploi augmente et que la croissance des salaires et des investissements pondérés par leur part respective est faible L’accumulation du capital marque la primauté de la valeur sur la valeur d’usage. Elle implique l’extension perpétuelle de la sphère de la marchandise. Sa justification idéologique
prend le visage du développement. Il n’est pas certain que celui-ci soit compatible avec la perpétuation de la vie s’il ne signifiait pas autre chose qu’une croissance qui dure indéfiniment. C’est dire combien la qualité – la soutenabilité – de la vie suppose la régression, puis l’abolition du capital en tant que rapport social.
a écrit :Décroissez et démultipliez
On arrête tout et on fait autrement ? Mode d’emploi dans un ouvrage collectif proposé par la revue Silence.
“Les pays riches représentent 20% de la population planétaire et 80% de la consommation des ressources naturelles (…) 80% des humains vivent sans automobile, sans réfrigérateur ni téléphone. 94% des humains n’ont jamais pris l’avion. Nous devons donc abandonner notre mentalité d’habitants de pays riches pour nous mettre au diapason de la planète et envisager l’humanité comme une et indivisible. Faute de quoi, nous en serions réduits à raisonner comme Marie-Antoinette à la veille de la révolution française, incapable d’imaginer qu’elle pouvait se déplacer sans chaise à porteur et proposant de la brioche à ceux qui n’ont pas de pain”. Ainsi s’expriment deux animateurs de la revue Casseurs de pub dans leur introduction au livre collectif Objectif décroissance, proposé par la revue Silence et conforme à ses objectifs : écologiques, alternatifs et non-violents.
Toujours dans l’intro, on évoque les Américains : alors qu'un tiers de la population des États-Unis est obèse, ceux-ci partent à la recherche du gêne de l’obésité plutôt que de se mettre au régime, se lançant dans “une fuite en avant à la recherche de solutions techniques afin de répondre à un problème culturel”… La décroissance, à mes yeux, ça aurait à voir avec la fin de l’arrogance. L’arrogance des pays riches. L’arrogance des États (le mépris du gouvernement français actuel pour la volonté nationale, celle par exemple des enseignants ou intermittents, en gros de ceux qui peuvent avoir une influence subversive, comme le mépris américain pour la volonté internationale, celle des anti-guerre ou des alter-mondialisation, ne pourra pas être indéfiniment toléré). L’arrogance des entreprises. L’agressivité parallèle des pubs et des tags. L’arrogance de la mode et du snobisme. Celle de la finance. Celle de la culture d’adolescent qui “provoque la peur de vieillir, de devenir vulnérable et dépendant” (comme l'écrit Helena Norberg-Hodge) et nous fige dans le superficiel et le gadget.
La décroissance, on en parle beaucoup en ce moment, parce que nous sommes certainement plus nombreux qu’on ne le croit à être prêts à s’y engager. Le succès du théâtre de rue, des expos aux fenêtres des maisons, des braderies, des marchés, des repas de quartiers, de la randonnée, du jardinage, du yoga, en sont autant d'indices.
Ail chinois
Objectif décroissance est un ensemble de réflexions et de pistes dont le résultat est souvent inégal. Rien de commun entre le soporifique Paul Ariès et sa branlette linguistique et la vivifiante Helena Norberg-Hodge qui resitue le débat “de la dépendance mondiale à l’interdépendance locale” dans un chapitre aussi clair que passionnant : “Comprendre les rouages qui entraînent nos sociétés vers une catastrophe économique, écologique et sociale nous éclaire quant aux changements à initier dans notre vie quotidienne, et ces changements se répercuteront favorablement à l’échelle du monde (…) Ainsi, dans la plupart des pays industriels, la nourriture quotidienne a parcouru des milliers de kilomètres avant d’arriver dans l’assiette. Que peut-on bien gagner à transporter ainsi l’alimentation de base sur de telles distances, quand elle peut-être produite localement – et l’a d’ailleurs été pendant des siècles ? Comment peut-on faire croire que cela soit économiquement “efficace” ? En fait personne ne tire de bénéfice d’un tel commerce excessif, et s’il est malgré tout rendu possible ce n’est pas par son efficacité mais grâce à toute une gamme de subventions et de coûts dissimulés (…) De l’ail produit en Chine et expédié en Espagne peut très bien coûter deux fois moins cher que l’ail espagnol, puisque ni la pollution causée par son transport ni le coût des infrastructures de ce même transport ne sont pris en compte dans son prix”.
Aberrations
Je ne peux m’empêcher de citer à nouveau Helena Norberg-Hodge quand elle déclare : “Non seulement on charme les gens pour qu’ils préfèrent les hamburgers de chez McDonald’s à leur propre cuisine, ou les jeans à leurs propres vêtements nationaux, mais en plus on les incite à laisser tomber leur propre personnalité et à imiter l’actrice blonde aux yeux bleus de Baywatch ou Dallas. Bien peu de gens de par le monde parviendront à vivre selon cet idéal artificiel, et il s’ensuit généralement un sentiment d’échec, d’infériorité, et de mépris de soi. Dans un contexte où la concurrence est de plus en plus féroce, perdre le respect de soi et de sa culture peut causer des scissions suffisamment aiguës pour provoquer des réactions intégristes et des conflits ethniques.”
Helena Norberg-Hodge attire enfin l’attention sur les risques à se référer au PIB comme critère de bonne santé économique : “Toute augmentation de dépenses à cause du cancer, des crimes, des accidents de la circulation, des marées noires, etc, élève le PIB, et toute personne censée y verrait plutôt les symptômes d’une mauvaise santé de la société, non des signes de son bien-être”. Il suffit de quelques aberrations de ce style simplement expliquées pour que l’on comprenne que la roue doit tourner dans l’autre sens. Ce livre s’y emploie au moyen d’essais divers, de points de vue spirituel ou psychologique, de propositions ou témoignages, comme celui de l’Arche de la Borie-Noble dans l’Hérault, dont les membres nous disent “Nous vivons en dessous du seuil dit 'de pauvreté' et pourtant nous vivons bien, avec une qualité de vie peut-être supérieure à la moyenne : équilibre entre temps de travail et temps libre accordé à la famille, à l’artisanat, à la préparation des fêtes… ”
Et si nous cessions littéralement de nous compliquer la vie ?
a écrit :Après la baisse du niveau de vie à cause des lois supérieures de l'économie, la baisse du niveau de vie à cause des lois supérieures de l'écologie.
(Dolmancé @ jeudi 12 février 2004 à 13:35 a écrit :a écrit :Après la baisse du niveau de vie à cause des lois supérieures de l'économie, la baisse du niveau de vie à cause des lois supérieures de l'écologie.
a écrit :Euh... dans mon supermarché, le bio est deux fois plus cher que le pas bio, et le steak de soja est au même prix que celui de charolais...
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