anarchiste selon E. Reclus

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par com_71 » 13 Déc 2002, 18:47

Pour Vilenne, et tous les autres, voilà un texte d'Elisée Reclus.
Notons qu'outre anarchiste, il se disait communiste-international !
a écrit :Pourquoi sommes-nous anarchistes ?
Elisée Reclus.

Les quelques lignes qui suivent ne constituent pas un programme. Elles n'ont d'autre but que de justifier l'utilité qu'il y aurait d'élaborer un projet de programme qui serait soumis à l'étude, aux observations, aux critiques de tous les révolutionnaires communistes.
Peut-être cependant renferment-elles une ou deux considérations qui pourraient trouver leur place dans le projet que je demande.
Nous sommes révolutionnaires parce que nous voulons la justice et que partout nous voyons l'injustice régner autour de nous. C'est en sens inverse du travail que sont distribués les produits du travail. L'oisif a tous les droits, même celui d'affamer son semblable, tandis que le travailleur n'a pas toujours le droit de mourir de faim en silence : on l'emprisonne quand il est coupable de grève. Des gens qui s'appellent prêtres essaient de faire croire au miracle pour que les intelligences leur soient asservies ; des gens appelés rois se disent issus d'un maître universel pour être maître à leur tour; des gens armés par eux taillent, sabrent et fusillent à leur aise; des personnes en robe noire qui se disent la justice par excellence condamnent le pauvre, absolvent le riche, vendent souvent les condamnations et les acquittements; des marchands distribuent du poison au lieu de nourriture, ils tuent en détail au lieu de tuer en gros et deviennent ainsi des capitalistes honorés. Le sac d'écus, voilà le maître, et celui qui le possède tient en son pouvoir la destinée des autres hommes. Tout cela nous paraît infâme et nous voulons le changer. Contre l'injustice nous faisons appel à la révolution.
Mais " la justice n'est qu'un mot, une convention pure ", nous dit-on.
" Ce qui existe, c'est le droit de la force ! " Eh bien, S'il en est ainsi, nous n'en sommes pas moins révolutionnaires. De deux choses furie: ou bien la justice est l'idéal humain et, dans ce cas, nous la revendiquons pour tous ; ou bien la force seule gouverne les sociétés et, dans ce cas, nous userons de la force contre nos ennemis. Ou la liberté des égaux ou la loi du talion.
Mais pourquoi se presser, nous disent tous ceux qui, pour se dispenser d'agir eux-mêmes, attendent tout du temps. La lente évolution des choses leur suffit, la révolution leur fait peur. Entre eux et nous l'histoire a prononcé. Jamais aucun progrès soit partiel, soit général ne s'est accompli par simple évolution pacifique, il s'est toujours fait par la révolution soudaine. Si le travail de préparation s'opère avec lenteur dans les esprits, la réalisation des idées a lieu brusquement: l'évolution se fait dans le cerveau, et ce sont les bras qui font la révolution.
Et comment procéder à cette révolution que nous voyons se préparer lentement dans la société et dont nous aidons l'avènement par tous nos efforts ?
Est-ce en nous groupant par corps subordonnés les uns aux autres ? Est-ce en nous constituant comme le monde bourgeois que nous combattons en un ensemble hiérarchique, ayant ses maîtres responsables et ses inférieurs irresponsables, tenus comme des instruments dans la main d'un chef ?
Commencerons-nous par abdiquer pour devenir libres ? Non, car nous sommes des anarchistes, c'est-à-dire des hommes qui veulent garder la pleine responsabilité de leurs actes, qui agissent en vertu de leurs droits et de leurs devoirs personnels, qui donnent à un être son développement naturel, qui n'ont personne pour maître et ne sont les maîtres de personne.
Nous voulons nous dégager de l'étreinte de l'Etat, n'avoir plus au-dessus de nous de supérieurs qui puissent nous commander, mettre leur volonté à la place de la nôtre.
Nous voulons déchirer toute loi extérieure, en nous tenant au développement conscient des lois intérieures de toute notre nature. En supprimant l'Etat, nous supprimons aussi toute morale officielle, sachant d'avance qu'il ne peut y avoir de la moralité dans l'obéissance à des lois incomprises, dans l'obéissance de pratique dont on ne cherche pas même à se rendre compte. Il n'y a de morale que dans la liberté. C'est aussi par la liberté seule que le renouvellement reste possible.Nous voulons garder notre esprit ouvert, se prêtant d'avance à tout progrès, à toute idée nouvelle, à toute généreuse initiative.
Mais, si nous sommes anarchistes, les ennemis de tout maître, nous sommes aussi communistes internationaux, car nous comprenons que la vie est impossible sans groupement social.
Isolés, nous ne pouvons rien, tandis que par l'union intime nous pouvons transformer le monde.
Nous nous associons les uns aux autres en hommes libres et égaux, travaillant à une oeuvre commune et réglant nos rapports mutuels par la justice et la bienveillance réciproque. Les haines religieuses et nationales ne peuvent nous séparer, puisque l'étude de la nature est notre seule religion et que nous avons le monde pour
patrie. Quant à la grande cause des férocités et des bassesses, elle cessera d'exister entre nous.
La terre deviendra propriété collective, les barrières seront enlevées et désormais le sol appartenant à tous pourra être aménagé pour l'agrément et le bien-être de tous. Les produits demandés seront précisément ceux que la terre peut le mieux fournir, et la production répondra exactement aux besoins, sans que jamais rien ne se perde comme dans le travail désordonné qui se fait aujourd'hui. De même la distribution de toutes ces richesses entre les hommes sera enlevée à l'exploiteur privé et se fera par le fonctionnement normal de la société tout entière.
Nous n'avons point à tracer d'avance le tableau de la société future : c'est à l'action spontanée de tous les hommes libres qu'il appartient de la créer et de lui donner sa forme, d'ailleurs incessamment changeante comme tous les phénomènes de la vie.
Mais ce que nous savons, c'est que toute injustice, tout crime de lèse-majesté humaine, nous trouveront toujours debout pour les combattre.
Tant que l'iniquité durera, nous, anarchistes-communistes- internationaux, nous resterons en état de révolution permanente.

Texte paru dans la Société nouvelle, le 31 août 1889, repris par la revue Itinéraire
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par com_71 » 13 Déc 2002, 19:05

Un beau texte d'E. Reclus sur la Peine de mort. peine de mort

Et des textes sur l'esclavage aux Etats Unis ici

(J'aime bien E. Reclus)
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par pelon » 18 Déc 2002, 11:14

(Byrrh @ Saturday 14 December 2002, 13:57 a écrit :Moi aussi, j'ai une certaine sympathie pour Elisée Reclus. Avec Marx et Bakounine, il a beaucoup influencé un révolutionnaire dont il faudra que je vous parle, Charles Keller, combattant de la Commune, qui fut à l'origine de l'Université Populaire et de la Maison du Peuple de Nancy. Keller entreprit la traduction du "Capital" (mais vous connaissez la formule d'usage : le "Capital", c'est comme l'annuaire, à la troisième page, on décroche. Ha ha ha ! ;) ) et fut l'auteur d'un certain nombre de poèmes et de chants révolutionnaires, aujourd'hui tombés dans l'oubli.

Il voulait traduire le Capital en alsacien mais il avait abusé de la choucroute et de la tarte aux mirabelles. Le seul remède, l'après-midi, c'est la sieste.
Cinzano, tu es spécialisé sur l'Alsace mais tu n'aurais pas de la doc sur la fédération anarchiste du Jura (vers 1860/1880) ?
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Message par pelon » 20 Déc 2002, 21:24

(Byrrh @ Friday 20 December 2002, 20:59 a écrit :
(pelon @ Wednesday 18 December 2002, 11:14 a écrit :Cinzano, tu es spécialisé sur l'Alsace mais tu n'aurais pas de la doc sur la fédération anarchiste du Jura (vers 1860/1880) ?

Nancy ne se situe pas en Alsace, mais comme chacun le sait, en Provence-Alpes-Côte-d'Azur.
Je connais peu de choses concernant la Fédération Jurassienne de Bakounine ; je peux juste te dire que la compagne de Charles Keller en faisait partie ; nos amis de la CNT en savent forcément davantage.

Bon, je vous ai pondu la bio de Keller. La prochaine fois, je vous parlerai de son entreprise la plus fameuse : la Maison du Peuple de Nancy, aujourd'hui siège de l'U.D. CGT.

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Charles KELLER (1843-1913) : fils d'artisan, il fait ses études à l'Ecole libre des Sciences appliquées de Mulhouse, puis travaille en tant qu'ingénieur dans une filature. Dénoncé pour ses lectures subversives, il s'installe à Paris où il vit de traductions (il n'achèvera pas celle du Capital de Karl Marx) et entre en contact avec le théoricien anarchiste Elisée Reclus et son frère Elie. Devenu membre de l'Internationale, il adhère en 1868 à l'Alliance Internationale de la Démocratie Socialiste créée par Bakounine, qui deviendra par la suite la section genevoise de l'Internationale. Keller est un révolutionnaire d'esprit indépendant, et le sectarisme lui est parfaitement étranger : son engagement se situe à mi-chemin entre l'anarchisme et le marxisme. Son credo : "D'où vient l'humanité ? De la Nuit ? Où va-t-elle ? Vers le Jour." Mobilisé en Alsace-Lorraine en 1870, il rentre à Paris se battre pour la Commune. Blessé sur la barricade du Château-d'Eau, il parvient à échapper à la répression versaillaise et s'installe en Suisse. En 1876, il épouse Mathilde ROEDERER, de la famille des champagnes Roederer, cousine d'Henriette Gallé-Grimm (l'épouse du maître-verrier, céramiste et ébéniste Emile Gallé, l'un des pères de l'Ecole de Nancy) et de sa soeur Elise. Mathilde est elle aussi membre de l'Internationale, puis de la Fédération Anarchiste Jurassienne de Bakounine en 1872. En 1880, les communards sont amnistiés ; le couple Keller quitte la Suisse, s'installe dans un premier temps à Belfort, puis à Nancy vers 1884, rue du Montet. Mathilde participe à l'élaboration des programmes de l'Université Populaire. Poète, Charles Keller est l'auteur du chant révolutionnaire La Jurassienne, qui sera mis en musique par James Guillaume et qu'il publiera sous le pseudonyme truculent de Jacques Turbin :

Nègre de l'usine,
Forçat de la mine,
Ilote du champ,
Lève-toi peuple puissant !
Ouvrier, prends la machine,
Prends la terre, paysan.


J'aurais bien voulu vous montrer une photo de Keller, mais il n'en existe pas à ma connaissance ; en revanche, son portrait par Victor Prouvé - un autre grand artiste de l'Ecole de Nancy - peut être vu au Château de Lunéville (Meurthe-et-Moselle).

J'étais sûr qur tu me ferai le coup de la Lorraine qui n'est pas l'Alsace.
Ah! ah! je sais comment te piquer maintenant. C'est comme mon copain de Bayonne quand je citue sa ville dans le Béarn. :bounce: :hinhin: :bounce:
Tu es sûr que Nancy, ce n'est pas dans le Jura ?
pelon
 
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Message par pelon » 20 Déc 2002, 22:56

(Byrrh @ Friday 20 December 2002, 21:30 a écrit :
(pelon @ Friday 20 December 2002, 21:24 a écrit :Tu es sûr que Nancy, ce n'est pas dans le Jura ?

Alors là, tu peux dire tout ce que tu veux sur Nancy : je n'ai finalement pas de sympathie particulière pour cette cité, dont je suis d'ailleurs le premier à me plaindre (beaucoup trop de mémères balladuriennes à caniches abricot...). Les quelques accents régionalistes de mes précédents posts étaient donc purement folkloriques !

Dommage, tu pourrais haranguer les balladuriennes sur la Place Stanislas et nous envoyer une belle photo.
pelon
 
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Message par Andreas » 20 Déc 2002, 23:16

Ca donnerait quelque chose comme ça...

:-P :-P :-P :-P :-P
Andreas
 
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