Laïcité

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par com_71 » 07 Mars 2004, 22:34

L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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com_71
 
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Message par Barnabé » 08 Mars 2004, 17:52

sur le même sujet, dans le dernier Débat Militant:
a écrit :
La laïcité, ses origines révolutionnaires, ses limites et le mouvement ouvrier

Le débat autour du vote de la loi sur l'interdiction du port du voile à l'école a permis de mettre en avant la question de l'oppression des femmes, mais il a aussi ramené la laïcité sur le devant de la scène, donnant l'occasion à certains de revêtir la robe d'une nouvelle croisade laïque. Avec beaucoup d'hypocrisie d'ailleurs, car depuis qu'elle est entrée dans la loi en 1905, en excluant radicalement l'Eglise du domaine public, la laïcité n'a pas cessé d'être battue en brèche, entre autre par ceux-là mêmes qui voudraient aujourd'hui s'en faire les champions.
Si la laïcité, acte de gloire et " étendard de la République " sert aux révolutionnaires de point d'appui dans le combat contre les intégrismes sous toutes leurs formes, que reprenons-nous à notre compte de ce combat ? Quelles sont nos solidarités avec ceux qui l'ont mené ? Comment en s'appuyant sur ses acquis démocratiques le dépasser ?
Ces questions ne peuvent trouver de réponses si l'on n'envisage pas ce combat du point de vue de son histoire, pour comprendre en quoi les révolutionnaires, nous nous y rattachons sans en faire pour autant le nôtre, et le dépassons.

Aux origines de la laïcité, les idées des philosophes des Lumières
Le combat contre la religion et sa domination sur l'ensemble de la société qui a donné naissance à la laïcité, prend ses racines au XVIIIème siècle, dans le combat que menèrent en France les philosophes des Lumières, Voltaire, Diderot et les Encyclopédistes. La verve, l'ironie et les attaques sans concession de ces intellectuels avaient pour principale cible l'Eglise, pilier du pouvoir des classes féodales de l'Ancien Régime, et toutes les institutions religieuses. " Ecrasons l'infâme ", disait Voltaire, qui, toute sa vie, combattit par la critique et la raillerie l'Eglise, instrument réactionnaire du pouvoir féodal.
Leur passion pour les idées, leur haine de l'obscurantisme, leur insolence à l'égard des dogmes, leur acharnement à combattre l'intolérance et le despotisme amena certains d'entre eux comme Diderot à un athéisme militant. " Ce n'est pas Dieu qui a fait les hommes à son image, ce sont les hommes qui tous les jours font Dieu à la leur ".
Ils n'acceptaient d'autorité que celle de la " raison ", balayant tout ce qui pouvait constituer un obstacle à l'avancée de la science, à la modernisation de la société et à l'ascension de la classe montante qui en était porteuse, la bourgeoisie révolutionnaire.
C'est pour cela qu'ils combattirent non seulement le pouvoir de l'Eglise en tant qu'institution politique mais aussi l'obscurantisme, le dogmatisme des religions, quelles qu'elles soient, et menèrent un combat qui était tout à la fois philosophique, culturel, social et politique.
Ils ne s'en tenaient pas à la simple critique du cléricalisme et de la superstition. Ils défendaient le droit pour tout être humain d'être libre de ses convictions mais également responsables de celles-ci. " Les seules limites de la liberté de pensée en sont ses conséquences sociales, en aucun cas les convictions ou conceptions en tant que telles ".
C'est un combat révolutionnaire qu'ils menèrent, en aidant par leurs idées à l'émancipation des consciences.
Ils étaient les intellectuels d'une classe qui puisa en eux les idées de son combat, car pour vaincre la féodalité et prendre le pouvoir, la bourgeoisie avait besoin d'en finir avec la domination sur toute la société de son plus solide pilier, l'Eglise et que les cerveaux se libèrent des craintes, des préjugés et de la morale religieuse.
La Révolution, sous la pression des masses les plus exploitées faisant irruption sur la scène politique, accomplit cette tâche immense de " laïcisation " de l'Etat et de la société. Elle posa comme principe la séparation de l'Eglise et de l'Etat, nationalisa les biens du clergé qu'elle soumit au contrôle démocratique populaire, en faisant élire les prêtres et les évêques dans les assemblées de citoyens. Elle déracina toutes les congrégations du domaine public en proclamant " l'incompatibilité absolue de leur principe de sujétion avec le principe vital de liberté individuelle sur lequel l'ordre nouveau était fondé " (Jaurès). Elle laïcisa l'état civil et le mariage, accorda le divorce et autorisa le mariage des prêtres. Elle proclama comme objectif de l'école : " faire des hommes libres et heureux ". La Convention prit les mesures qui permettaient aux " enfants de la République, pauvres ou riches, d'être élevés en commun dans les établissements de l'Etat et d'y recevoir même nourriture, mêmes vêtements, mêmes soins, même instruction ". Elle instaura ce que Jaurès appelait le droit supérieur de l'Etat laïque enseignant.
Le pouvoir de la bourgeoisie définitivement installé, celle-ci n'eut de cesse de composer avec l'Eglise en limitant les conquêtes de la laïcité imposées par la mobilisation et sous la pression des classes populaires.
Car la loi de la nouvelle République, reposait sur le droit de la propriété bourgeoise. La Révolution libéra des liens féodaux les masses exploitées, transformées en autant de citoyens libres… de vendre leur force de travail à l'industrie naissante. Classe dominante, la bourgeoisie érigea ses propres intérêts en vertus universelles, remplaçant le vieux culte catholique par le culte de la République, culte de la Raison, c'est-à-dire… de la Propriété bourgeoise. L'égalité de tous les citoyens, les droits de l'homme, universels dans les déclarations, s'arrêtaient aux portes de la propriété.

Le compromis entre la bourgeoisie et l'Eglise
En tant que classe dominante, la bourgeoisie se hâta de recomposer avec les forces réactionnaires de l'Eglise, pour consolider et légitimer son pouvoir, que contestait un prolétariat en pleine expansion.
En 1801, Napoléon conclut avec le Vatican un Concordat, complété plus tard par une série de réformes qui abolissaient la liberté d'enseignement, réinstaurant un monopole, celui de l'Université impériale, dont l'enseignement devait obéir aux " préceptes de l'Eglise catholique ". L'enseignement primaire fut placé sous la dépendance des Frères des Ecoles chrétiennes, qui formeront tous les instituteurs jusqu'à la fin du siècle. Et pour affirmer la légitimité de la transmission de la propriété bourgeoise, le divorce fut interdit en 1816, il le restera jusqu'en 1884.
Confrontée aux luttes du mouvement ouvrier montant, la bourgeoisie ne fit que renforcer les pouvoirs de l'Eglise. Sitôt écrasée la révolution de 1848, la loi Falloux confessionnalisa plus encore l'enseignement primaire, " faisant entrer le prêtre à tous les degrés dans la direction et la surveillance de l'enseignement officiel " et élargissant les droits de l'école " libre ". C'est cette Eglise réactionnaire, liée aux fractions royalistes les plus conservatrices de la classe dominante et qui avait reconquis des positions solides vis-à-vis de l'Etat, que la bourgeoisie républicaine prit pour cible dans son combat démocratique.
Avec la révolution industrielle et le développement des techniques, la bourgeoisie industrielle conquérante avait besoin à la production d'une main d'œuvre qui sache lire, écrire et compter, et qui possède un minimum d'instruction technique. Pour instaurer cette école de formation d'ouvriers, elle dut chasser de l'enseignement les congrégations religieuses et fit de l'anticléricalisme et de la laïcité son combat.
Poussée par un puissant mouvement ouvrier qui avait instauré sous la Commune la séparation de l'Eglise et de l'Etat, la gratuité de l'enseignement pour tous et réquisitionné les biens de l'Eglise, la bourgeoisie républicaine laïcisa l'enseignement en 1881 avec les lois Ferry : elle retira aux curés le monopole de l'enseignement et instaura une école publique répondant à ses besoins, obligatoire, et donc gratuite. Des milliers d'instituteurs s'engagèrent dans le combat contre l'école privée confessionnelle, devinrent des militants actifs de la laïcité, de cette école de la République créée pour inculquer aux enfants des classes populaires les rudiments de culture indispensables aux progrès de la productivité mais aussi la morale, le respect de la loi et des valeurs de la société bourgeoise, en particulier le patriotisme et la valeur " civilisatrice " du colonialisme.
Le combat anticlérical des républicains ne se limita pas au seul domaine de l'enseignement. Hôpitaux, prétoires et cimetières furent débarrassés de tout caractère confessionnel, le divorce civil instauré en 1884. L'œuvre de laïcisation, pour laquelle la bourgeoisie trouva l'appui décisif du mouvement ouvrier, aboutit en 1905 à la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat, fruit du compromis entre radicaux et socialistes, que Jaurès formula en 1904 à la tribune du Parlement : " La République a duré assez longtemps pour permettre à la bourgeoisie républicaine et au prolétariat de s'apercevoir que, malgré l'antagonisme profond de classe qui résulte de l'opposition entre la propriété individuelle capitaliste et la conception collectiviste et communiste de la propriété, ils avaient de grands intérêts communs dans le libre développement de la production, laquelle ne peut être active et féconde que dans un pays de libre énergie et de libre pensée… Voilà pourquoi au-dessus de leurs batailles sociales, au-dessus des conceptions antagonistes de la propriété capitaliste et de la propriété socialiste qui se disputent les esprits et les intérêts, s'est constitué au profit du parti républicain tout entier, de la démocratie républicaine tout entière, un patrimoine commun des libertés laïques et d'enseignement rationnel…"
" Les socialistes…, disait alors Rosa Luxemburg, en revendiquant en même temps la laïcisation générale de l'instruction et de l'assistance publique ne font que contraindre la bourgeoisie à aller jusqu'au bout de ses principes et à moderniser bourgeoisement l'Etat ".
Une fois la défaite des cléricaux et de l'Eglise inscrite dans la loi, (elle ne le sera dans la Constitution qu'en 1946 : " la France est une République laïque… "), la laïcité ne cessa d'être battue en brèche tout au long du XXème siècle.
Aucun des gouvernements qui se succédèrent après la Libération ne revint entièrement sur les lois de Vichy qui avaient rétabli dans les programmes scolaires les " devoirs envers Dieu et envers la civilisation chrétienne " ainsi que de substantielles subventions de l'Etat aux écoles " libres ". L'aide financière fut généralisée par la IVème République sous la pression incessante des organisations catholiques appuyées par les partis réactionnaires de droite et d'extrême droite, et institutionnalisées par la Vème. La loi Debré de 1959 instaura l'aide systématique de l'Etat au privé (à caractère majoritairement confessionnel à l'époque comme encore aujourd'hui), en puisant généreusement dans les fonds publics, tout en laissant l'école publique se dégrader par manque de moyens.
Sur ce terrain, les partis de gauche allèrent de reniement en reniement, de la SFIO en 1956 qui, une fois au gouvernement, refusa d'abroger les lois d'aide à l'enseignement privé qu'elle avait mis à son programme, à l'alliance PS-PC qui, après 81, remit vite dans sa poche les mêmes promesses ainsi que celle de nationalisation de l'enseignement privé, " un grand service public unifié et laïque ", inscrit dans le Programme commun.
Il est à noter qu'aucun gouvernement de droite comme de gauche ne revint sur le Concordat d'Alsace-Moselle, l'Etat continuant encore aujourd'hui à y payer les prêtres. La loi fut juste assouplie en 1974 par… le gouvernement Chirac-Giscard qui, sous la pression des luttes d'instituteurs et de parents d'élèves, autorisa ces derniers à dispenser leurs enfants de l'enseignement religieux jusque-là imposé à tous.

Lutter pour l'émancipation sociale, lutte contre toutes les oppressions
Le débat autour de la loi sur le voile vient de ramener sur le devant de la scène la question de la laïcité, dont Chirac s'est fait le défenseur pour s'imposer, en continuité avec le 5 mai, comme l'homme du consensus, en se posant, au-delà des clivages droite-gauche, en défenseur de la République.
Certains aujourd'hui cherchent à assouplir son contenu en défendant une laïcité ouverte, neutre, qui tolèrerait le port de signes religieux à l'école, " dans le respect mutuel ", prenant comme exemple les Etats-Unis ou l'Angleterre. Pour d'autres, parmi lesquels beaucoup de militants du mouvement ouvrier réformiste - et avec eux, le PC - la laïcité ne veut pas dire la neutralité. Se revendiquant du combat laïc de la IIIème République qui s'inscrit dans le combat pour la démocratie, ils militent pour la séparation totale de la sphère publique et de ce qui relève des convictions religieuses ou idéologiques. Mais pour tous, les convictions religieuses relèvent du domaine privé où " chacun est libre ". Elles relèvent, au même titre que d'autres, de la liberté de pensée…
Si les révolutionnaires s'appuient sur la laïcité, en particulier dans la lutte aux côtés des filles qui refusent qu'on leur impose le voile et qui luttent pour leur émancipation, leur combat est bien plus large, il intègre la lutte contre toutes les oppressions et contre la morale, les préjugés et les idées qui les justifient.
La religion, disait Lénine, doit être une affaire privée en face de l'Etat (qui doit être séparée de l'Eglise), mais cela ne signifie pas que le mouvement ouvrier et ses partis soient indifférents. Ils luttent contre toutes les idées de domination qui prônent la soumission et la résignation comme le mépris des femmes, au profit des pouvoirs.
" Le marxisme est un matérialisme, expliquait-il. A ce titre, il est aussi implacablement hostile à la religion que le matérialisme des encyclopédistes du XVIIIème siècle… Mais il va plus loin… On ne doit pas confiner la lutte contre la religion dans une prédication idéologique abstraite ; on ne doit pas l'y réduire ; il faut lier cette lutte à la pratique concrète du mouvement de classe visant à faire disparaître les racines sociales de la religion… Ces racines sont surtout sociales ".
C'est en cela que nous nous rattachons aux Lumières qui menaient un combat de classe, un combat révolutionnaire, en luttant contre l'Eglise, les religions, les préjugés, l'obscurantisme, pour libérer les esprits et les armer dans la lutte pour l'émancipation. De la même façon, loin de l'œcuménisme et des vœux pieux de ceux qui défendent l'égalité et la laïcité républicaines qui masquent les inégalités sociales et la dictature de la propriété, nous luttons contre toutes les religions, y compris celles considérées comme opprimées, contre les dogmes et les préjugés, pour armer la lutte des opprimés pour l'émancipation sociale.
La bourgeoisie révolutionnaire proclama la séparation de l'Eglise et de l'Etat, la classe des salariés inscrit sur son drapeau la fin des superstitions religieuses, le dépérissement de l'Etat avec la fin de la division de la société en classes.


Catherine Aulnay
Barnabé
 
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