Forces productives et société

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Weltron » 03 Jan 2003, 11:12

a écrit :A un certain degré du développement de ces moyens de production et d'échange, les conditions dans lesquelles la société féodale produisait et échangeait, l'organisation féodale de l'agriculture et de la manufacture, en un mot le régime féodal de propriété, cessèrent de correspondre aux forces productives en plein développement. Ils entravaient la production au lieu de la faire progresser. Ils se transformèrent en autant de chaînes. Il fallait les briser. Et on les brisa.



À propos de ce passage du Manifeste du Parti Communiste, quelques questions me viennent à l'esprit :

1) Si je comprends bien, les développements et les progrès techniques ont entraîné une inadéquation entre les forces productives et leur cadre social (le féodalisme), qui devenait trop étroit pour elles. Ce que je ne comprends pas c'est, concrètement, comment le féodalisme "entravait la production au lieu de la faire progresser". Est-ce une référence au pouvoir de l'Eglise ? aux impôts levés par les Seigneurs ? Quels exemples précis avez-vous là-dessus ?

2) Partant de là, est-ce que je comprends bien la fin de l'extrait en disant que le moteur de la transformation sociale, ce qui "brisa les chaînes", c'est une classe sociale ? Ici, il s'agirait de la bourgeoisie. Mais avant ? Marx et Engels parlent de l'antiquité et des esclaves : y a-t-il eu aussi une classe sociale dont les intérêts étaient entravés par les modes de production de l'antiquité et qui a provoqué une révolution (et est ainsi devenue la "classe" des seigneurs) ?

3) Ce qui voudrait dire que, aujourd'hui, le capitalisme entrave lui aussi le développement de la production. (On le voit par exemple avec l'interdiction de commercialiser les médicaments génériques, de transférer de la musique sur Internet ou d'écouler gratuitement les surplus de denrées alimentaires aux pays qui souffrent de famine afin de ne pas porter atteinte au marché). Et que c'est l'intérêt du prolétariat que de détruire le capitalisme. Donc, le prolétariat reprendrait à son compte la mission qui était celle de la bourgesoise avant l'avènement du capitalisme. C'est bien l'idée ?

4) Une dernière question : ce moteur social du changement et des révolutions, est-ce toujours uniquement l'intérêt d'une certaine classe sociale ou y a-t-il d'autres facteurs ?

Merci pour vos réponses !
Weltron
 
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Message par stef » 03 Jan 2003, 14:53

Question à rallonge. Donc réponse en plusieurs étapes.
Question #1
a écrit :1) Si je comprends bien, les développements et les progrès techniques ont entraîné une inadéquation entre les forces productives et leur cadre social (le féodalisme), qui devenait trop étroit pour elles. Ce que je ne comprends pas c'est, concrètement, comment le féodalisme "entravait la production au lieu de la faire progresser". Est-ce une référence au pouvoir de l'Eglise ? aux impôts levés par les Seigneurs ? Quels exemples précis avez-vous là-dessus ?

C'est une référence à tout l'état de la société d'alors. Prends le royaume de France. Fragmenté en Provinces, même pas homogène en termes linguistiques, technologiques, douaniers...
Le grand acquis que nous lègue la bourgeoisie française est d'avoir liquidé ce fatras et créé une nation : homogénéisé la langue, combattu les curés, modernisé (poids & mesures...), rationalisé (fin des provinces et des barrières douanières). Je ni dis pas ceci parce que je suis chauvin. Mais parce que sur cet espace élargi et rationnalisé, la bourgeoisie disposait d'un marché suffisamment vaste pour pouvoir y prospérer, donc développer les forces productives (cf. Révolution industrielle), etc... Un capitaliste investit en fonction d'un marché potentiel. Or une telle fragmentation interdisait en fait de parler de marché à l'échelle nationale, donc difficile de créer une industrie nationale.
Imagine ce que coûtait en  en tracas de toutes sortes d'expédier une marchandise de Paris à Montpellier avant ! A partir de 1789, toutes ces barrières sont peu à peu levées...
Quant aux curés, ils cessent d'avoir leur mot à dire dans le développement scientifique qui peut dès lors se développer bien plus vite (remember Galilée ?).

Clair (malgré le style) ?
stef
 
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Message par faupatronim » 03 Jan 2003, 16:27

Je suis largement d'accord avec ce que dit Stef du point 1. Je rajouterai juste qu'y compris du point de vue des modes de production, la bourgeoisie a du lutter contre des survivances féodales comme les corporations pour pouvoir développer les manufactures et utiliser des prolétaires et plus des compagnons par exemple.
Lire aussi ce que dit Engels sur le mouvement des "enclosures" en Angleterre afin de précipiter les paysans pauvres dans la ruine et de provoquer une prolétarisation de larges couches de la société qui survivaient jusqu'alors dans les campagnes.
faupatronim
 
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Message par faupatronim » 03 Jan 2003, 17:31

(Weltron @ vendredi 3 janvier 2003 à 11:12 a écrit :
2) Partant de là, est-ce que je comprends bien la fin de l'extrait en disant que le moteur de la transformation sociale, ce qui "brisa les chaînes", c'est une classe sociale ? Ici, il s'agirait de la bourgeoisie. Mais avant ? Marx et Engels parlent de l'antiquité et des esclaves : y a-t-il eu aussi une classe sociale dont les intérêts étaient entravés par les modes de production de l'antiquité et qui a provoqué une révolution (et est ainsi devenue la "classe" des seigneurs) ?


C'est, plus précisément, la lutte des classes : l'affrontement de classes aux intérets antagonistes.

Sur le passage au féodalisme, je crois qu'on assiste plus à un effondrement de la société antique, plus à un retour en arrière, qu'à une révolution allant dans le sens d'une classe sociale. La société romaine n'a justement pas trouvé en elle les ressources pour dépasser ses contradictions internes, pour déboucher sur une autre société. Du coup elle s'est faite balayée par des groupes nomades (Wisigoth, Vandales,...) qui étaient très en retard, à tout point de vue, par rapport à la société romaine. Mais cette société n'avait plus les moyens de se défendre car la grande majorité n'y voyait pas son intéret (esclaves,...) et aucune classe ne pouvait proposer d'autres rapports de production.
Le servage a mis d'ailleurs plusieurs siècles à remplacer les survivances du système esclavagiste antique.
Toutes ces explications sont très très rapides (trop certainement). Tu trouveras beaucoup d'autres raisonements à ce propos dans l'origine de la famille de la propriété privé et de l'Etat il me semble.
faupatronim
 
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Message par Louis » 03 Jan 2003, 18:42

N'empèche que c'est un peu simpliste comme raisonnement et faudrait encore le prouver

Déja est ce que les forces productives ont cessé de croitre depuis le début du XX° siècle ? Plus personne ne défend cela de nos jours !

Le probleme numéro un est la De ce point de vue, le bilan des pays du "communisme réelement inéxistant" est lourd et les "acquis" de la classe en russie ont l'air d'etre de la roupie de sanssonnet si elles justifient la non activité de la classe pendant le processus de restauration capitaliste
Louis
 
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Message par stef » 03 Jan 2003, 19:58

Pour dire les choses autrement.

La grande contradiction du Mode de Production Capitaliste existant entre le caractère social de la production et son mode d'appropriation privé.

Signification ? Les capitalistes sont encouragés à élargir toujours plus leur production (je passe sur les mécanismes) mais ils n'ont aucune garantie de rencontrer en face un marché susceptible d'absorber ces biens. D'où les crises de surproduction du MPC à l'âge classique (XIX° siècle en gros). Dit autrement, il n'y aucun mécanisme synchronisant offre et demande.

Exemple. Les trusts pharmacieutiques sont en mesure de produire des vaccins contre le SIDA par millions. La demande existe (ne serait-ce qu'en Afrique). Mais comme cette "demande" n'est pas solvable, donc les africains sont laissés à leur sort.

Marx écrivait que :
a écrit :"À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une époque de révolution sociale. "


La contradiction dont parle Marx est mûre depuis longtemps (démonstration plus tard si nécessaire).

La question n'est donc pas seulement qu'il est dans l'intérêt du prolétariat de liquider le capitalisme. Elle est surtout que c'est inscrit dans le fonctionnement même du capitalisme. C'est notamment le MPC lui-même qui constitue et développe numériquement son fossoyeur : le prolétariat, et qui étouffe la société de ses propres contradictions.


PS pour LCR.
Désolé d'être un archéo-dogmatique à tes yeux (et à d'autres...), mais moi je pense encore que les forces productives ont cessé de croître à l'échelle historique. Regarde en ce moment le nombre de pays en régression économique absolue.
Bref, je suis d'accord avec un nommé Trotsky qui écrivait :
a écrit :La prémisse économique de la révolution prolétarienne est arrivée depuis longtemps au point le plus élevé qui puisse être atteint sous le capitalisme. Les forces productives de l'humanité ont cessé de croître.
dans la seconde phrase du programme de la IV° Internationale et justifiait ainsi non seulement la necessité mais la possiblité de la révolution.
Evidemment si tu veux revoir ce programme, libre à toi... Ceci étant quelques munitions théoriques te seront nécessaires...
stef
 
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Message par Louis » 03 Jan 2003, 20:05

"les faits sont tétus" (je ne me souviens plus quel olibrius germanopratin pabliste disait cela)

a écrit :
Les forces productives de l'humanité ont cessé de croître


Evidemment, on peut compter les tonnes d'acier, de pétrole, de voitures, etc etc

on peut aussi parler de l'informatique, de la télé, des OGM, du nuclaire etc

Mais bien sur "les forces productives de l'humanité ont cessé de croitre". qu'est ce que cela serait si elles avaient continués a croitre alors !
Louis
 
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Message par stef » 03 Jan 2003, 21:57

J'avais bien noté que la technologie avait progressé depuis le tournant du siècle, merci de le rappeler.
Mais l'as tu remarqué : la technologie n'est qu'un composant des forces productives....

Le reste est une discussion à mener dans un thread ad-hoc, me semble-t-il.
stef
 
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Message par lohen » 03 Jan 2003, 22:10

a écrit :2) Partant de là, est-ce que je comprends bien la fin de l'extrait en disant que le moteur de la transformation sociale, ce qui "brisa les chaînes", c'est une classe sociale ? Ici, il s'agirait de la bourgeoisie. Mais avant ? Marx et Engels parlent de l'antiquité et des esclaves : y a-t-il eu aussi une classe sociale dont les intérêts étaient entravés par les modes de production de l'antiquité et qui a provoqué une révolution (et est ainsi devenue la "classe" des seigneurs) ?



Attention, il n'y a aucun automatisme, aucun caractère mécanique à l'issue d'un combat. Au tout début du Manifeste, dans le paragraphe qui commence par "Homme libre et escalave, ...", Marx :marx: continue et explique : " en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt dissimulée, une guerre qu finissait toujours SOIT par une transformation révolutionnaire de la société toute entière, SOIT par la destruction des deux classes en luttes."

Notre pronostic est toujours alternatif. Rosa Luxembourg :luxemburg: expliquait " Socialisme ou Barbarie". Cette alternative reste au coeur de notre combat. Ou barbarie capitaliste ou Socialisme.

Sur l'émergence de la féodalité à partir des décombres de l'empire romain, sur le passage d'un mode de production esclavagiste au servage, il me semble que c'est ce qui s'est produit.
lohen
 
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