Diên-Biên-Phu : déculottée pour l'armée

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par pelon » 30 Avr 2004, 00:22

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Diên-Biên-Phu 1954 : le colonialisme français en échec

Le 13 mars 1954, il y a cinquante ans, les combattants vietnamiens lançaient l’assaut contre le camp retranché de Diên-Biên-Phu près de la frontière de l’actuel Laos. Le 7 mai, le corps expéditionnaire français, après 55 jours de combats acharnés, capitulait. Diên-Biên-Phu démontrait ainsi la capacité d’un peuple du Tiers Monde à battre une armée impérialiste, malgré l’énorme disproportion des moyens militaires.

Le lendemain même de la défaite française s’ouvrait à Genève la conférence de paix censée donner l’indépendance à l’Indochine et qui devait se terminer par sa division en quatre pays, le Laos, le Cambodge et les deux Viêt-nam, du Nord et du Sud, avec la promesse d’élections rapides pour réunifier le Viêt-nam. Cette promesse non tenue allait entraîner la seconde guerre du Viêt-nam, menée cette fois contre les États-Unis et qui se termina en 1975. Il fallut ainsi près de 30 ans de guerre pour que le peuple vietnamien accède à l’indépendance nationale.

Le colonialisme français à l’œuvre

Depuis le milieu du 19e siècle, les peuples d’Indochine payaient -et combien lourdement- leur tribut au colonialisme français. Les colons pillaient le pays et mettaient la main sur ses richesses. Dans la plus grande mine d’anthracite à ciel ouvert du monde 40000 ouvriers travaillaient de 12 à 14 heures par jour. Dans les forêts d’hévéas d’Indochine la famille Michelin commençait à engranger les profits qui firent d’elle le trust mondial qu’on connaît. La population, elle, vivait dans la misère. Le riz, richesse naturelle du pays, était destiné au marché international et la disette était devenue au Viêt-nam un fléau permanent, sans parler des famines (on évoque pour celle de 1944 le chiffre de deux millions de morts). Les paysans, saignés par les taxes de l’administration coloniale, chassés de leurs terres, étaient exploités par des colons dont les 700 plus riches possédaient près de 20% des terres.

La révolte anticoloniale

Tant de souffrances ne pouvaient qu’entraîner des révoltes qui, tout au long des années 1930, furent férocement réprimées. Pour les 26 millions de Vietnamiens, la fameuse «mission civilisatrice de la France» voulait dire tortures, bagnes, -comme celui de sinistre réputation de Poulo Condor- et répression féroce de toute manifestation: pour avoir diffusé un tract... deux ans de prison; pour avoir déployé une banderole réclamant l’indépendance... neuf ans.

Mais en Indochine, comme ailleurs, le joug colonial fit lever des générations de militants qui engagèrent la lutte pour l’indépendance. Au Viêt-nam, le Parti Communiste Indochinois (PCI) réussit à en prendre la tête. Créé en 1930, il adhéra à la IIIe Internationale, déjà dominée par le stalinisme et qui imposa rapidement à ses organisations des pays coloniaux de défendre une politique nationaliste. Aussi, en 1941, le PCI se transforma en Ligue pour l’Indépendance du Viêt-nam (Viêt-minh, en vietnamien) et impulsa la création de semblables ligues nationalistes au Cambodge et au Laos.

En octobre 1945, après le départ des troupes japonaises vaincues, Ho Chi Minh, le principal dirigeant du Viêt-minh, proclama l’indépendance du Viêt-nam et chercha à la faire accepter par l’impérialisme français.

En même temps, les staliniens vietnamiens n’hésitaient pas à réprimer sauvagement les deux groupes trotskystes, La Lutte créée en 1931 par Ta Tu Thau et la Ligue Communiste Internationale (LCI). Le Parti Communiste stalinien voulait écraser ces militants qui risquaient de le concurrencer sur un terrain révolutionnaire. Au moment où les troupes japonaises quittaient l’Indochine, le Viêt-minh appela au calme et traita de «saboteurs et de provocateurs ceux qui invitent le peuple à s’armer», c’est-à-dire les trotskystes de la LCI. Ceux-ci militaient pour remettre le pouvoir aux comités populaires et aux milices armées qui commençaient à se former dans le sud du Viêt-nam, où des paysans occupaient des terres et des ouvriers leurs usines. Face au risque d’un soulèvement anticolonial et révolutionnaire, les staliniens liquidèrent la LCI et le groupe La Lutte, assassinant militants et dirigeants. Ta Tu Thau fut exécuté en 1946.

1946: la première guerre d’Indochine

Le Viêt-minh espérait démontrer ainsi ses capacités de représentant de la bourgeoisie vietnamienne, et d’interlocuteur pour l’impérialisme. Mais malgré ces démonstrations, l’impérialisme français n’entendait pas, lui, abandonner ce qu’il appelait «la perle» de son empire colonial. Dès qu’il en eut les moyens militaires, il réoccupa le pays, y compris le Nord où le Viêt-minh avait pris le pouvoir. En novembre 1946, la marine française bombarda Haïphong, faisant plus de 6000 morts. La première guerre d’Indochine commençait.

Le Viêt-minh organisa la résistance et gagna l’appui de milliers de paysans, d’hommes et de femmes décidés à lutter jusqu’à la victoire, pour la réforme agraire et l’indépendance. Début 1954, il contrôlait près de la moitié du pays et les troupes françaises uniquement les grandes villes. Ho Chi Minh sut aussi obtenir le soutien matériel de la Chine de Mao, inquiète de l’engagement des Américains. En 1953, ces derniers payaient 40% des dépenses de la guerre et leurs conseillers étaient omniprésents.

Un peuple en lutte

Le Viêt-minh, était devenu capable d’opposer au corps expéditionnaire français une véritable armée, dirigée par Giap. L’état-major français espérait la «saigner», en l’obligeant à accepter une bataille décisive à Diên-Biên-Phu qui serait un «Verdun tropical». Mais c’était oublier que le Viêt-minh pouvait s’appuyer sur tout un peuple mobilisé. Si à Diên-Biên-Phu il y eut 50000 soldats vietnamiens pour s’opposer aux 10000 soldats français, il y eut aussi près de 260000 Vietnamiens pour assurer le ravitaillement et l’armement des troupes. Leur détermination eut raison de la supériorité matérielle énorme de l’armée française.

Le général en chef français De Castries avait choisi de combattre à Diên-Biên-Phu car il était certain qu’avec ses deux pistes d’aviation, son armée serait ravitaillée sans problème, alors que l’armée du Viêt-minh n’aurait aucun moyen d’acheminer dans cette région montagneuse, au relief difficile, hommes et matériel. Et malgré les 200 vols de ravitaillement aérien par jour au plus fort de la bataille, il ne put empêcher les Vietnamiens de le piéger dans son camp retranché. Les soldats de Giap franchirent 400 km, remorquant des pièces d’artillerie et de DCA de deux tonnes parfois, tractées par des camions quand il y avait des routes puis tirés à bras ou portés sur des bicyclettes, en pièces détachées, dans les montagnes. Il leur fallut creuser à flanc de montagne douze kilomètres de routes, passer trois cols, dont le franchissement leur demanda près de trente nuits. Le jour, il fallait assurer le camouflage et se terrer dans des trous pendant les bombardement au napalm -déjà- de l’aviation française.

Le 13 mars 1954, l’attaque commença et des milliers de Vietnamiens se jetèrent à l’assaut des fortins tandis que, à la stupéfaction de l’état-major français, l’artillerie Viêt-minh pilonnait les deux pistes d’aviation. En construisant un réseau dense de tranchées, les Vietnamiens purent se protéger des bombardements et s’approcher au plus près des forts qu’ils prirent d’assaut au prix de sacrifices inouïs.

Le 7 mai, la garnison dut capituler: le Viêt-minh fit près de 10000 prisonniers dont le parachutiste Bigeard.... L’impossible s’était produit: une armée de paysans avait vaincu une des plus fortes armées de métier du monde.

Les responsabilitésde l’impérialisme

Vaincu, l’impérialisme français laissait cependant un lourd héritage en Indochine. Le pays allait encore connaître une seconde guerre. Aujourd’hui, le Viêt-nam est réunifié et indépendant mais, pour beaucoup, il évoque les boat people, fuyant sur des bateaux de fortune, une dictature et la misère.

Les peuples de l’ex-Indochine, Viêt-nam, Cambodge et Laos n’en ont certes pas fini avec le sous-développement et l’arbitraire. La politique du Viêt-minh, puis de son successeur le FNL, a conduit au pouvoir les représentants de la petite bourgeoisie nationaliste, en écrasant les trotskystes qui auraient pu ouvrir la voie vers d’autres développements révolutionnaires et vers le pouvoir du prolétariat. C’aurait été, peut-être, une tout autre histoire. Mais la situation présente s’explique d’abord par l’état dans lequel ces pays se sont retrouvés après cent ans de colonisation française et trente ans de guerre et la responsabilité des impérialismes français et américain est écrasante.

Cédric DUVAL
Lutte Ouvrière n°1865 du 30 avril 2004
pelon
 
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Message par pelon » 10 Mai 2004, 22:58

On sera d'accord avec la déclaration de Giap.

a écrit :
Cinquantenaire de la bataille décisive de la guerre d'Indochine : les leçons de Diên Biên Phu

La Tribune (Algiers)
ACTUALITÉS
8 Mai 2004
Publié sur le web le 10 Mai 2004

By Chaffik Benhacene

Il y a exactement cinquante ans, l'empire français connaissait, dans la cuvette de Diên Biên Phu, son premier revers stratégique.

Quelque trois mille morts, près de sept mille prisonniers signaient l'exceptionnelle ampleur d'une défaite militaire qui consacrait, outre la légitimité, les capacités d'une résistance populaire à contourner la puissance de l'armement adverse et à imposer les conditions de la paix et de l'indépendance. Le gouvernement français, on le sait, dirigé par Pierre Mendès France, s'était vu contraint d'en tirer les conséquences et notamment d'en négocier les termes, à Genève, avec les représentants du Viêt-minh. L'annonce de la défaite de Diên Biên Phu, dans une quatrième république engoncée dans les jeux politiciens, qui découvrait à la fois le fait divers, rapporté par une nouvelle presse populaire, et les enjeux de l'Alliance atlantique, tenait d'un incroyable coup de tonnerre tant la «sale guerre» -pour reprendre le slogan de l'alors puissant parti communiste français qui s'y opposait avec force - paraissait éloignée même si le Vietnam et l'Indochine nourrissaient l'imagerie coloniale française.

Un demi-siècle plus tard, le souvenir de Diên Biên Phu est marqué tant en France -où des cérémonies ont été présidées par le président Chirac- qu'au Vietnam où de grandioses manifestations ont été mises sur pied. Il faudra, en particulier, en retenir le colloque international de fin avril qui avait rassemblé à Hanoi une vingtaine d'historiens, de sociologues de toutes nationalités et qui avait notamment reçu le témoignage de Vo Nguyên Giap, présenté par le Courrier du Vietnam comme «l'homme-orchestre de la bataille historique».C'est l'historien Benjamin Stora, ayant effectué un séjour d'études au Vietnam à la fin des années quatre-vingt dix, qui aura souligné avec le plus de clarté toute l'importance stratégique de Diên Biên Phu et qui relevait que «1954, avec la défaite de Diên Biên Phu et le déclenchement de la lutte armée en Algérie, constitue un moment majeur d'inflexion, de retournement de l'histoire et inaugure le début de la décolonisation». Diên Biên Phu, la guerre d'Indochine, comme on la nommait, allaient avoir, sur divers registres, un impact profond sur la marche de la résistance algérienne et il n'est pas exagéré d'y voir, notamment pour le courant activiste qui tentait alors de trouver une issue aux divisions du parti indépendantiste du MTLD, un puissant catalyseur dont le premier enseignement était que la puissance coloniale pouvait être défaite.

C'est, en effet, à cette même période que des anciens de l'Organisation spéciale allaient être réunis par Mohamed Boudiaf et devaient prendre l'historique décision du recours à la lutte armée et ils y ont été aussi encouragés par ce qui se passait alors dans la Tunisie voisine que l'exemple de la résistance vietnamienne -dont ils suivaient l'évolution des négociations avec le gouvernement français- demeurait exemplaire. En Algérie même, on a insuffisamment relevé l'imposante ombre «indochinoise» portée sur le cours de la lutte armée nationale et, s'il convient de rappeler qu'au moins une partie des soldats algériens qui «avaient fait l'Indochine» avaient rejoint les rangs de l'ALN, il importe tout autant de mettre en exergue le poids du syndrome de la défaite sur les élites de l'armée française en charge de la conduite de la guerre en Algérie.

Les officiers supérieurs français en fonction en Algérie -dont les plus connus comme Salan, Bigeard- ont, pour la plupart d'entre eux, pris part à la guerre d'Indochine et ont tous vécu Diên Biên Phu comme une insupportable humiliation qu'ils s'étaient juré de ne pas revivre en Algérie et qu'ils tenteront d'exorciser dans les djebels algériens. Ceux d'entre eux, nombreux par ailleurs, qui avaient été faits prisonniers et détenus dans les camps vietnamiens en étaient revenus tous pénétrés de la doctrine de «la guerre révolutionnaire» qui faisait autant de l'information que de l'immersion stratégique au sein du peuple la clé du succès. Les Algériens ont largement éprouvé dans leur âme et dans leur chair les effets de ces choix dont la figure du «soldat perdu» de l'OAS constituera le tragique épilogue. L'Algérie indépendante avait accueilli avec faste et chaleur le vainqueur de Diên Biên Phu et avait témoigné une solidarité sans faille au peuple vietnamien alors en butte à l'agression américaine et tous ceux qui marquent aujourd'hui le souvenir de Diên Biên Phu mesurent à la fois l'ampleur des régressions des droits des peuples et le cynisme du pouvoir de la force.

Interrogé, en marge des manifestations officielles, sur ce qui se passait en Irak, Giap avait réaffirmé avec la même clarté la conviction née de la conduite des opérations dans la fameuse cuvette qu'en dernière analyse aucune armée étrangère, quelle que soit sa puissance, ne peut, en définitive, avoir raison de la résistance d'un peuple. Une leçon tonique et à contre-courant des reniements et des compromissions d'aujourd'hui.
pelon
 
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