Au risque d'en contrarier certains, l'actualité montre tous les jours ce qu'il en est de la supra-nation européenne : elle n'est qu'un leurre. Les Etats restent bien présents et en période de crise ils font peu de cas des principes qu'ils avaient décidé auparavant. Et dans ce jeu les pays les plus importants imposent leur poids économique.
(Le Monde.fr a écrit :
Etats européens : le " chacun pour soi " nourrit les rancoeurs des petits
La crise ravive les tensions entre les grands et les petits Etats membres en Europe. La multiplication des initiatives nationales non coordonnées suscite la nervosité des pays les plus modestes, incapables de rivaliser à coup de milliards d'euros pour soutenir leur économie.
Depuis l'annonce du plan automobile français, qui conditionne l'octroi de prêts bonifiés à Renault et PSA au maintien des usines en France, la polémique sur le protectionnisme traduit l'étendue du malaise dans une Europe où les disparités de taille, de prospérité, se sont accrues au fil des élargissements. " Quelle sorte d'Union voulons-nous, si les plus forts peuvent violer les règles ? s'interroge l'ancien ministre des finances polonais, Leszek Balcerowicz, ce sont les pays les moins bien dotés qui vont devoir restructurer leur industrie. "
République tchèque, Suède, Pays-Bas, Belgique ou Slovaquie considèrent l'initiative française comme un test pour la cohésion des Vingt-Sept. Et ils s'en remettent à la Commission européenne afin de faire respecter les règles si le besoin s'en fait sentir. " Le Conseil européen du 1er mars nous permettra de préserver les acquis du marché intérieur ", disait le premier ministre belge, Herman Van Rompuy, jeudi 12 février à Bruxelles, à l'issue d'une rencontre avec François Fillon. Le premier ministre français a martelé un peu plus tard devant le président de la Commission que le projet français n'est " en rien protectionniste ". " Il faut être sûr qu'un plan national n'a pas d'effets collatéraux négatifs pour d'autres pays membres ", lui a rétorqué José Manuel Barroso.
Le malaise face aux grands Etats membres est particulièrement sensible en Belgique, une économie parmi les plus globalisées, très dépendante des capitaux européens. Avec quatre implantations (Audi, Ford, Volvo, Opel-GM), le Royaume, même privé de constructeur national, produit annuellement plus d'un million de véhicules. Quelque 17 000 personnes (170 000 indirectement) travaillent dans ce secteur. L'inquiétude est particulièrement vive pour les 3 000 ouvriers d'Opel, à Anvers, une usine que menace le plan de restructuration en préparation au sein de sa maison mère américaine, General Motors. Les autorités craignent que les mesures auxquelles le gouvernement allemand met la dernière main (l'Allemagne est le berceau d'Opel) ne pénalisent leur industrie.
" SENTIMENT ANTI-FRANÇAIS "
Les mêmes tensions existent dans le secteur bancaire. Mercredi soir, dépités par le vote de l'assemblée générale qui venait de mettre à mal le plan de sauvetage de Fortis Banque par les actionnaires et son rachat par BNP Paribas, des responsables se sont laissés aller à des déclarations inhabituelles. " L'actionnariat étranger, sur la base de ses propres intérêts, a, in fine, imposé sa loi au mépris de l'intérêt général de la Belgique ", a indiqué la vice-première ministre centriste, Joëlle Milquet. Une allusion au vote du principal actionnaire de Fortis, le groupe d'assurances chinois Ping An, détenteur de quelque 5 % du capital. " Mais un sentiment anti-Français, traduisant une hostilité au pays qui a déjà "raflé" la Société générale de Belgique dans les années 1980 explique aussi, en partie, le vote hostile de mercredi ", juge le collaborateur d'un ministre belge.
Les tensions entre grands et petits Etats membres représentent un défi pour les institutions européennes, à l'heure où les règles en matière de concurrence, de marché unique et de discipline budgétaire sont soumises à forte pression. Car les pays qui en ont les moyens financiers ont tendance à exiger un assouplissement de la discipline commune pour renflouer leurs banques et leurs industries. " A l'Ecofin et dans d'autres instances, les réactions contre le "directoire des grands" sont de plus en plus fortes, relève un haut fonctionnaire. Et le fait que M. Barroso donne l'impression d'écouter surtout les avis des "grands" accentue cette tendance. " La nervosité des petits explique leur insistance à garder un poste de commissaire pour chaque pays, comme l'Irlande en vue d'un second référendum sur le traité de Lisbonne. Le risque est pourtant d'affaiblir l'efficacité de l'exécutif et de favoriser, en fin de compte, les... " grands ".
Philippe Ricard