par conformistepote » 16 Oct 2003, 19:55
Voici une autre tribune de PC qui vous fera sans doute hoqueter une nouvelle fois. Il fait même s'étrangler des gens à la ligue, c'est pour dire... J'ai, moi aussi, bien souvent du mal à le suivre. On a eu des chevènementistes, on a une plate-forme 4, on a 2 LCR Dijon, ça prouve que nous sommes bien l'ébauche du grand parti des travailleurs.
CITATION La contribution de Philippe Corcuff
Paru dans Le Monde
Vendredi 4 juillet 2003
L'ADIEU AU PS
Philippe Corcuff (Maître de conférences de science politique à l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon)
J'ai été militant du Parti socialiste de 1977 à 1992. Le congrès de Dijon a clos une période : celle de la possibilité de faire du PS un parti de changement social. Certes, les socialistes français, comme la plupart de leurs homologues européens, ont quitté depuis longtemps les rivages sociaux-démocrates pour s'installer dans le port du social-libéralisme. Mais, aujourd'hui, les espoirs internes d'un nouvel Epinay apparaissent clairement vains. Le marketing (quelques femmes-jeunes-associatifs issus de l'immigration) a remplacé la rénovation des pratiques politiques. Une rhétorique tautologique (« Nous sommes de gauche puisque nous sommes la gauche ») a remplacé le projet de société. Le vide politique et intellectuel d'un François Hollande a remplacé la réflexion sur les défis du XXIe siècle.
Deux forces critiques s'étaient pourtant manifestées après le désastreux 21 avril. Le Nouveau Parti Socialiste d'Arnaud Montebourg pointait la nécessité d'une transformation démocratique tant du fonctionnement du parti que de son projet. Le Nouveau Monde d'Henri Emmanuelli s'opposait à la dérive libérale en mettant l'accent sur la question sociale. Malgré leurs limites, ces courants contestataires exprimaient la fragile possibilité d'un sursaut intérieur. Ils se sont heurtés à une organisation verrouillée par un appareil et rongée par le clientélisme des grands et petits notables. Maintenant que l'échec est là, les voilà au pied du mur : accepteront-ils de devenir les énièmes cautions du principal obstacle à l'émergence d'une autre politique ? Je crains que la très grande majorité ne réponde oui en pratique, du fait du poids conjugué du patriotisme de parti, des auto-illusions générées par le combat interne et des logiques de carrière. Et si la gauche a maintenant à faire ses adieux au PS, c'est à l'immense gauche de l'extérieur de s'y atteler.
Cette gauche de l'extérieur, ce sont les forces réactivées du mouvement syndical et des nouveaux mouvements sociaux, qui trouvent de nouvelles perspectives internationales avec la protestation alter-mondialiste. Si les services publics sont apparus à la pointe du combat contre l'insécurité sociale, c'est aussi, comme en 1995, en solidarité avec le secteur privé et les précaires encore davantage menacés par le rouleau compresseur lancé contre les garanties collectives de l'autonomie individuelle. Et puis, il y a tous ceux pour qui le vote a perdu son sens, sous le double effet des déceptions politiques successives et des progrès de l'individualisme.
Bien sûr, le PS garde encore des militants et des électeurs. Si certains continuent ainsi à adhérer, c'est souvent moins au contenu d'une politique qu'à une posture identitaire. Sur la pente individualiste, qui conduit beaucoup d'autres à se désintéresser totalement des jeux politiques, des personnes peuvent puiser dans cette adhésion des coordonnées identitaires principalement pour elles-mêmes (du type « Je suis de gauche, donc différent des corrompus de droite »).
Par contre, du côté des politiques menées, on demeure dans l'orbite du « pas très différent » de la droite. En dehors de la matraque sécuritaire, qui entretient dangereusement une ethnicisation des rapports sociaux, la politique économique et sociale de Raffarin ressemble moins à l'ultra-libéralisme de Thatcher et Reagan qu'au social-libéralisme de Mitterrand, Jospin et Blair. La stratégie de coucou du PS dans les mobilisations sur les retraites (planquer ses oeufs politiciens dans le nid de la contestation sociale) ne doit pas nous faire oublier qu'il avait dans ses cartons des projets similaires. D'ailleurs,tant dans les grèves des services publics que dans le mouvement alter-mondialiste, ses tentatives électoralistes de récupération n'ont guère été audibles.
Et pourtant nous sommes face à des enjeux politiques et intellectuels de taille. Pierre Rosanvallon a raison sur le diagnostic : « Tout le projet d'émancipation est à refonder » (Le Monde du 16 mai). Mais les tenants de l'ex-Fondation Saint-Simon ont le culot d'utiliser le beau mot d'« émancipation » pour donner une couleur attrayante à l'éternisation de « la démocratie de marché ». Or, si l'émancipation républicaine comme l'émancipation socialiste connaissent aujourd'hui un épuisement relatif, ce n'est pas avec un en deçà (l'abandon de fait de l'émancipation pour se noyer dans le bouillon marchand) qu'on pourra inventer un nouveau projet de civilisation. On aura besoin de ressources républicaines et socialistes, même si elles ne seront pas suffisantes.
En nommant fallacieusement « réformisme » la démission sociale-libérale, Rosanvallon abandonne ce qui constituait l'aiguillon utopique de la tradition socialiste : l'horizon d'une société post-capitaliste. Chez Jaurès, la dynamique des réformes se nourrissait de la possibilité d'une autre société. Sans cet horizon, on risque de ne plus vraiment réformer.
L'anticapitalisme apparaît donc toujours comme un point de passage obligé d'une nouvelle politique d'émancipation, car le capitalisme est toujours là, injuste et oppresseur. Mais l'anticapitalisme ne peut plus être le c?ur exclusif d'une démarche émancipatrice. Ni la question individualiste, ni la question écologiste, ni la question féministe ne trouveront un traitement pertinent dans le seul cadre anticapitaliste. Il s'agit, plus radicalement, d'inventer une politique de la pluralité qui associe, dans un esprit post-capitaliste, les aspirations de l'individualité et les protections de la solidarité collective, l'humeur anti-institutionnelle des nouvelles générations contestataires et leur défense de la sécurité sociale. Une social-démocratie libertaire en quelque sorte.
Ce renouveau de l'émancipation apparaît déjà en germe dans les luttes actuelles. Mais il doit aussi pouvoir trouver des cristallisations dans l'espace politique, tout en garantissant scrupuleusement l'indépendance et la critique réciproque des mouvements sociaux et des partis. La politique partisane n'est certes pas le principal, mais le 21 avril a montré qu'on aurait tort de négliger cette composante. La campagne présidentielle d'Olivier Besancenot a commencé à travailler dans le sens de l'émergence d'une nouvelle gauche radicale et plurielle. Par contre, les appels prématurés à la constitution de réseaux anti-libéraux allant du PS à l'extrême-gauche, malgré les bonnes intentions unitaires et rénovatrices de leurs initiateurs, risquent simplement de servir à rabattre les électeurs et les militants critiques vers un PS hégémonique, en tuant dans l'oeuf la gauche radicale naissante, comme cela a déjà été fait pour les Verts. Envisager des alliances politiques larges incluant d'une façon ou d'une autre les socialistes, avec d'éventuelles dimensions électorales, n'aura pas de sens tant que la nouvelle gauche radicale ne stabilisera pas un fort écho dans les luttes sociales et une audience électorale suffisante pour peser significativement sur les choix politiques.
A court et moyen terme, l'adieu au PS et la priorité donnée à la construction de la gauche radicale constituent les deux faces stratégiques d'un même projet politique de sortie de l'impasse.
Philippe Corcuff
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