Par Hélène Fontanaud
PARIS (Reuters) - A l'aube d'une semaine décisive dans la crise irakienne, Jacques Chirac a sorti l'arme du veto lundi en affirmant que la France voterait "non" au Conseil de sécurité de l'Onu à une résolution ouvrant la voie à la guerre.
"Ma position c'est que, quelles que soient les circonstances, la France votera non parce qu'elle considère ce soir qu'il n'y a pas lieu de faire une guerre pour atteindre l'objectif fixé du désarmement de l'Irak", a dit le chef de l'Etat, qui intervenait pour la première fois devant les Français depuis le début de la crise.
"Lorsqu'un des cinq membres permanents (...) vote non, même s'il y a une majorité, la résolution n'est pas adoptée. C'est ce qu'on appelle le droit de veto", a-t-il insisté lors d'une interview réalisée à l'Elysée et diffusée en direct sur France 2 et TF1.
Jacques Chirac a ajouté avoir "le sentiment" que les Russes et les Chinois, qui disposent aussi d'un droit de veto à l'Onu, étaient aujourd'hui "disposés (...) à avoir la même attitude que la France".
Il a rappelé que le droit de veto "a été très souvent utilisé" et que la France l'a déjà utilisé 18 fois, la dernière fois en 1989 sur la crise du Panama. "L'Angleterre a dû l'utiliser 32 fois et les Etats-Unis 77 fois", a-t-il dit.
"Ce n'est pas un phénomène exceptionnel, c'est dans la nature des choses, dans la règle internationale", a souligné le président français en réponse aux critiques du secrétaire d'Etat américain.
Colin Powell avait jugé dimanche qu'"il serait malheureux" que la France oppose son veto à la résolution anglo-américaine légitimant un recours à la force après le 17 mars en cas de non-désarmement de l'Irak.
Jacques Chirac a toutefois fait part de sa "conviction" que, "ce soir", la résolution anglo-américaine comportant un ultimatum n'avait "pas une majorité de neuf voix" nécessaire pour son adoption au Conseil de sécurité.
"A partir de là, naturellement (...), il n'y aura pas dans cette hypothèse de majorité et à ce moment là il n'y a pas de problème de veto", a-t-il dit.
Le chef de l'Etat a rappelé qu'il était disposé à se rendre aux Nations unies en cas de vote sur la résolution anglo-américaine.
Mais, a-t-il souligné, "je n'irai pas seul, bien sûr".
"UN PRÉCÉDENT DANGEREUX"
Jacques Chirac a répété que "la guerre n'est pas inévitable" en Irak tout en regrettant l'insuffisance de la coopération de Bagdad en matière de désarmement.
"La guerre n'est pas inévitable aujourd'hui", a dit le président. "Nous refusons de nous engager sur la voie de la guerre tant que les inspecteurs disent qu'ils peuvent travailler".
Mais, a-t-il regretté, "l'Irak n'est pas suffisamment coopératif".
Le chef de l'Etat s'est adressé à l'administration Bush pour reconnaître qu'un pays "qui a le passé et la structure politique de l'Irak est toujours un pays dangereux" mais ne l'est "véritablement que s'il a les moyens d'agresser, d'attaquer".
Il a de plus estimé que le désarmement de l'Irak amènerait la fin du régime de Saddam Hussein.
"Nous préférerions (par des voies pacifiques) atteindre l'objectif que s'est fixé la communauté internationale, c'est-à-dire le désarmement de l'Irak, et à partir du désarmement de l'Irak, ne vous y trompez pas, la fin du régime, car le désarmement suppose une transparence et les dictatures ne résistent pas longtemps à la transparence", a-t-il déclaré.
Il a aussi souhaité dire aux Américains "de faire attention" car "on ne peut être porteur des valeurs de démocratie et de dialogue et ne pas utiliser tous les moyens pour éviter une guerre".
"Si la communauté internationale ne donnait pas son aval, ce serait un précédent dangereux", a-t-il dit d'une guerre décidée unilatéralement par Washington.
Il a aussi dit redouter en cas de guerre contre l'Irak un éclatement de la coalition mondiale antiterroriste formée après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.
"La guerre est un élément qui fera éclater la coalition mondiale antiterroriste", a dit le chef de l'Etat. Il a aussi estimé que "la guerre ne peut conduire qu'à un développement du terrorisme".
Jacques Chirac a par ailleurs souligné qu'à ses yeux il n'y avait "pas de raison d'avoir un conflit avec les Etats-Unis".
Un embargo américain sur les produits français n'aurait "aucun sens", a-t-il insisté.
Il a une nouvelle fois défendu sa vision d'un monde "multipolaire", où l'Europe aurait son rôle à jouer.
Interrogé sur ses chances d'éviter un conflit, Jacques Chirac a répondu pour conclure son intervention: "Ce que je sais, c'est que, même si c'était un pour mille, un pour un million, ça ne diminuerait en rien ma détermination à tout faire pour qu'on puisse régler le problème irakien sans faire la guerre".