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Fabien Villedieu, 28 ans, conducteur du RER D, il a été l'un des leaders du récent mouvement à la SNCF et symbolise une génération de jeunes syndicalistes plus radicaux.
Va-t-en-grèvePar Cédric MATHIOT
lundi 19 décembre 2005
a écrit :
Fabien Villedieu en 7 dates
Avril 1977
Naissance à Dijon.
1995
Vote Arlette Laguiller à la présidentielle.
1997
Bac pro au Mans.
1998-1999
Intérimaire chez Siemens. Se fait virer.
Septembre 2000
Entre à la SNCF à Toulouse. Se syndique SUD Rail.
2003
Quitte Toulouse pour Paris.
Décembre 2005
Conflit du RER D.
Au hit-parade des syndicalistes, il vient de faire une entrée fracassante. Fabien Villedieu, 28 ans, militant SUD Rail, inconnu jusqu'ici. Il est l'homme du RER D. On l'a vu, dans toutes les lucarnes, casquette, blouson en cuir marron, belle gueule de poulbot, défendre les revendications des conducteurs. Il a ainsi été adoubé par Guillaume Pepy, DG de la SNCF, qui recevait une dizaine de journalistes : «A l'heure où je vous parle, j'imagine que mon nouvel ami Villedieu doit passer à la télé quelque part.»
Dans le café où on le retrouve, vanné par le rythme de la grève (lever à 5 heures, piquet de grève dès 6 heures, couché minuit) le serveur lui glisse gentiment : «Je t'ai déjà vu, toi. T'es le syndicaliste de la SNCF, non ? Putain, vous avez foutu une merde, ma parole.» ça le fait sourire. Il faut reconnaître à Fabien Villedieu un cran certain, d'autres diront le toupet, d'avoir ainsi salué la fin d'un mouvement d'une rare impopularité : «Nous n'avons eu que des broutilles. Mais l'important est que nous sortons la tête haute. Je peux vous assurer que les conducteurs ne regardent pas leurs chaussettes, ils sont fiers d'avoir fait grève. On n'est pas à genoux. Nous sommes prêts à repartir.» A l'issue d'un conflit où il a été question à satiété des 700 000 usagers scotchés aux quais, où la SNCF a dû mettre en place des remboursements inédits, où la CFDT demande une réflexion urgente sur de nouveaux types d'action «pour ne pas se couper de la population», lui ramène sa fraise et affiche sa fierté. Et de dire à sa manière, douce, que la légitimité d'une grève n'a rien à voir avec le nombre d'usagers qu'elle emmerde. Que la pertinence d'une revendication ne doit pas être jugée en fonction du pire social qui sévit dehors : «Aujourd'hui, un conflit n'est populaire que si les mecs sont exploités cinquante heures par jour et payés moitié moins que le Smic. Alors là oui, la grève est admise, sinon...»
Il touche 2 100 euros net par mois, vit en colocation dans un 60 m2 du XVIIIe, à Paris, avec deux copains : Jojo, ouvrier du livre «syndiqué CGT» et Thomas, étudiant. Sa copine, prof de philo dans les Vosges, le rejoint le week-end. Il convient que les cheminots ne sont pas les plus mal lotis, et que parmi eux les conducteurs de train ne sont pas les moins bien traités. Mais il fait le détail d'une semaine type : prise de service le dimanche à 16 h 51. Découché à l'hôtel le soir. Fin de service le lundi à 20 h 48. Prise de service mardi à 15 h 10, fin à 21 h 57. Prise de service mercredi à 13 h 10. Découché à Corbeil «dans un foyer pourri». Prise de service le jeudi à 4 heures du matin, jusqu'à 9 h 49. Il bosse quarante week-ends par an. Et le 25 décembre. «Je ne crois pas voler mon salaire. J'aime mon boulot. Un train en heure de pointe transporte 3 000 usagers. C'est un beau truc. Mais la logique de la société n'est pas de travailler plus et plus dur. Je n'accepte pas que mes conditions de travail soient dégradées. J'ai fait des grèves pour le service public, pour les retraites du privé. J'assume d'avoir fait celle-là pour ma gueule. Dire cela, c'est vrai, ce n'est pas mode. La mode, c'est d'encaisser les coups, de bosser plus, d'être moins payé et de fermer sa gueule. ça rentre dans les esprits. On a perdu la bataille des mots. On ne parle plus que de prise d'otages des usagers. Perben (ministre des Transports, ndlr) l'a utilisé, le PS aussi, pour la première fois (communiqué du 13 décembre, ndlr). En période de terrorisme, c'est un mot fort. Moi, j'ai pas de sang sur les mains, je n'ai rançonné personne.»
Dans la poudrière syndicale des agents de conduite de Paris-Sud-Est, Villedieu, bien que n'ayant aucun mandat, est devenu un élément central de la section SUD Rail. Il y passe ses après-midi après le boulot. La seule passion qu'il confesse. «Sinon j'aime aller au cinéma, enfin vivre comme tout le monde.» Francis Dianoux, militant historique, explique : «Le syndicat avait un peu perdu, à cause d'un saut de génération. Aujourd'hui, quelques jeunes sont en train de faire un boulot incroyable.» A leur tête, Laurent Dufournaud, 34 ans. Son «bras droit», Villedieu, en a six de moins. Pendant les dix jours de grève, la direction de la SNCF a ciblé ses attaques contre ces jeunes : «radicaux», «irresponsables».
Depuis son arrivée en 1996, Louis Gallois, le patron des cheminots, a parié sur la jeunesse embauchée par dizaines de milliers pour l'aider dans sa croisade contre la «gréviculture». Comme si la remise à neuf du personnel allait dissoudre les vieux automatismes de lutte. Mais la transfusion a foiré, le sang neuf a mal tourné. La SNCF qui voulait se faire un shoot de «culture du privé» (sens du client et du bénéfice) a grossi ses rangs avec des enragés, aiguisés au contact de la précarité. Avant d'embaucher à la SNCF, Fabien Villedieu, bac pro en poche («Moi, j'ai pas fait d'études») a fait trois ans d'intérim. Bâtiment, maçonnerie, électricité. Il fait un an de chaîne chez Siemens. «Huit heures par jour à prendre des composants électroniques dans le tiroir qui s'éclaire et à les placer sur l'emplacement qui s'éclaire. Un truc incroyablement aliénant.» Il veut créer une section CGT intérim. Il est viré illico quand son projet s'évente. Le père de son ex-copine, qui bossait dans une filiale électrique de la SNCF, «vendue depuis», lui dit que la SNCF cherche des conducteurs de train. Il fait un an d'école. Embauche à Toulouse. Il se souvient d'avoir alors repensé à 1995. «Je me rappelle de la grève de décembre, quand j'ai vu les cheminots en tête des cortèges, avec leurs torches, je me suis dit : "Je serai cheminot un jour."» Il hésite entre la CGT et SUD. Choisit finalement SUD.
Il vient d'une famille de gauche. Mère au foyer, père agent EDF qui a trimbalé sa famille (Lyon, Le Mans, Niamey, au Niger). «Mon père était syndiqué à la CGT par principe. Sans faire trop grève d'ailleurs. Il a été encarté au PS un moment dans les années 70.» Le premier bulletin que Villedieu a mis dans l'urne portait le nom d'Arlette Laguiller. C'était en 1995. «J'aimerais bien voter PS. Mais pas ce PS qui a participé à la casse des services publics.» Il est aujourd'hui proche de la LCR de Besancenot, dont il a la facilité d'expression, les raccourcis lumineux. Fabien Villedieu est arrivé trop tard à la SNCF pour vivre le combat de l'ouverture à la concurrence, qui s'est joué dans les années 90. «J'ai voté contre la Constitution européenne. Je suis contre la libéralisation dont on nous a dit qu'elle procurerait une meilleure qualité de service, à des prix moins élevés. C'est faux. Moi, je suis pour que la SNCF reste un monopole.»
Du conflit qui se termine, le premier où il s'est retrouvé en première ligne, il dit avoir appris beaucoup. Il pointe «l'importance de la communication. On a perdu sur ce terrain-là.» Il ne s'est pas remis de l'attaque «sans précédent» de la direction contre les conditions de vie des cheminots. Il y voit un conflit charnière vers des lendemains qui chantent peu. Il tient Gallois pour un «bon bougre», sans lui reconnaître aucun rôle de garant du service public. «Il a fait en dix ans ce qu'un libéral aurait fait en cinq. Il n'est pas un rempart. Je me fous qu'il parte demain parce que je n'ai pas le fétichisme du moindre mal.» Après dix jours de grève, cinq jours pour s'en remettre, il retrouve aujourd'hui la ligne D du RER. Mauvaise herbe qui pousse entre les voies.
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