a écrit :Le choix du Parti aura, pour toute la gauche et pour l'ensemble de Français, des conséquences durables, qui outrepassent les problèmes d personne, de courant, de parti même. Doit-on miser sur une victoire pa défaut, fondée sur le rejet populaire spontané de Nicolas Sarkozy et su l'appel au «vote utile» ? Le pouvoir manipulateur (mystificateur ?) d'un image ubiquiste et séduisante, avec un éventuel coup de pouce centriste en est-il la condition ? Un discours dans lequel le « sociétal » supplante l social, et où l'alternance prend la place d'une alternative et la gestio immédiate celle d'une vision à long terme, n'est-il alors qu'une rus temporaire de l'histoire ?
Dans nos institutions, un affrontement binaire tranche l'élection. L'absence d'une démarcation lisible entre la droite et la gauche risque de laisser gagner, dans l'un de ces partages aléatoires qui sapent aujourd'hui les démocraties occidentales, un sarkozysme habile et offensif, néo-thatchérien et atlantiste. On ne joue pas l'avenir du socialisme aux dés.
Ce n'est pas seulement ce sabreur, son clan et sa caste qu'il faut battre, mais leur politique. Ne serait-il pas incohérent de leur reprocher, à bon droit, de reprendre à Le Pen des thèmes sous prétexte de l'affaiblir aux élections, tout en s'appropriant certaines de leurs propositions au motif de leur chiper des voix ? Supposons malgré tout M. Sarkozy élu. Je ne crois pas beaucoup m'avancer en redoutant qu'une défaite brutale ne vienne bientôt sanctionner la fermeture de toute possibilité de transformation sociale positive. Ce fut le cas, partiellement, en 1986. Puis, de plus en plus gravement, en 1993 et en 2002. Est-ce que tous les socialistes ont bien fait l'inventaire de ces retours de bâton ? Une quatrième défaite de cette nature causerait des dégâts irréparables.
Tony Blair avait promis un « New Labour » triomphant. Il a entraîné avec brio la majorité des travaillistes, à leur insu, dans leur autodestruction. Voyez dans quel état il laisse le salariat britannique, le travaillisme et les trade-unions ! Le blairisme n'est pas une simple variante d'une social-démocratie respectable, mais dépassée. Il a arraché le travaillisme à ses assises ouvrières. Ce changement de base sociale correspond à une division du travail accélérée qui affaiblit historiquement l'Europe en la désindustrialisant et à un traitement calamiteux de la masse des salariés, classes moyennes modestes comprises, qui les dévalorise pour permettre, sur la planète, la hausse des taux de profit et l'accumulation des marchandises et des capitaux.
Le Capital a cessé, Dieu merci, d'être un texte sacré, mais on voit renaître en Grande-Bretagne, sous des couleurs « modernes », cette vieille société dure dont il a décrit les fondements. Non, rien à voir avec ce socialisme que nous voulons, depuis Jaurès jusqu'à nos désirs d'aujourd'hui. Le Parti socialiste se priverait d'avenir s'il acquiesçait implicitement au consensus impitoyable des « élites » mondialisatrices. En 2002, beaucoup d'ouvriers et d'employés, de chômeurs, de femmes, de mal-logés, déçus, ont abandonné le Parti socialiste. Mais ces millions de personnes constituent une réserve de voix et une possibilité d'appui citoyen à une action courageuse. C'est un contresens de croire qu'on peut faire gagner le gauche en France en traitant le monde ouvrier comme une quantité négligeable. Il n'y aura de victoire durable que par un rassemblement de ce « peuple de gauche » qui a le sentiment, aujourd'hui, de se battre contre les murs. Le débat qui partage le Parti socialiste provient d'une crise de la gauche et d'une crise du système partidaire. Devant les défis actuels, économiques, sociaux, écologiques, culturels, internationaux, la pensée de gauche est largement défaillante. Mais guérit-on le vide par le vide ? A plusieurs reprises l'électorat a déjoué les états-majors et les sondages. Mais la solution au mauvais fonctionnement des partis consiste-t-elle à s'en remettre à la télévision, aux magazines, aux sondages ?
Le Parti socialiste, s'il cédait, fût-ce à regret, serait la dupe de cette entreprise. Il compte dans ses rangs assez de militants et d'élus expérimentés, assez d'intelligences fines pour empêcher ce désastre. Je persiste à penser qu'en France la gauche doit marcher sur deux jambes. Le PCF n'a survécu à ses erreurs et à l'effondrement mondial du communisme que très amoindri. Sans projet ni stratégie crédibles, l'extrême-gauche reste stérile. S'imagine-t-on qu'une blairisation du Parti socialiste déblaierait le terrain pour une nouvelle gauche ? La rage des vaincus et des dupes les conduirait plutôt aux diverses formes du rejet de la politique.
L'une des extrêmes-droites les plus fortes d'Europe menace la France. Depuis 1962, la droite a gagné cinq fois l'élection du président de la République au suffrage universel. La gauche, deux fois : avec François Mitterrand, lequel, sauf un court et coûteux dérapage en 1968-1969, a toujours repoussé la tentation centriste et choisi l'union de la gauche sur un programme fort, quels qu'en fussent les défauts et les pièges.
Une élection présidentielle ne suffira pas pour repenser, remodeler, reconstruire la gauche. Face aux problèmes complexes de la mondialisation, de la crise énergétique et climatique, des rapports Nord-Sud, il n'est pas facile de trouver des solutions. Mais pour débattre et expérimenter, encore faut-il, dans l'immédiat, gagner l'élection de 2007 en apportant des réponses claires et en préservant toutes les chances.
Nous sommes à l'un de ces moments où il serait redoutable de laisser la politique s'estomper dans le bricolage et la brumeuse indécision.
Face au tir nourri sarkozyste, la société française a besoin d'une ligne, non de pointillés. Laurent Fabius propose, pour les cinq années à venir, un ensemble de mesures sérieuses, solides, bien repérables, non pas gauchistes, mais sans concessions. Il formule des propositions fortes et concrètes sur les problèmes centraux du pouvoir d'achat, de l'écologie, de l'habitat, de l'enseignement et de la recherche, de la solidarité. Je reconnais dans son programme un diagnostic et une orientation pour réconcilier durablement les Français avec une gauche qui poursuivra sa rénovation en servant le peuple, fidèle à elle-même. Cette raison suprême dicte mon opinion : pour moi, c'est Fabius.
Pierre Juquin