
Publié :
24 Fév 2009, 13:02
par shadoko
C'est vraiment le ton libé. Un peu de mépris par-ci, un peu de condescendance par là...

Publié :
24 Fév 2009, 18:09
par Ottokar
Bof on a eu tellement pire avec eux que moi j'ai tendance à trouver ça formidable !

Publié :
26 Fév 2009, 20:10
par Matrok
Tiens, personne n'a recopié l'article ? allez, je voulais poster autre chose mais je commence par ça, pour les archives du forum. ;)
[quote=" (Sonya Faure dans "Libération" du 23/02/2009"]
Ses temps modernes
[b]Jean-Pierre Mercier. A 40 ans, ce cariste et délégué CGT de l’usine PSA d’Aulnay raconte la condition ouvrière dans l’automobile à l’heure du plan d’aide gouvernemental.[/b]
Il est de ceux qui préfèrent l’équipe du soir : 14 h 17 - 22 h 28. Jean-Pierre Mercier travaille à l’usine PSA d’Aulnay, en Seine-Saint-Denis. Une semaine sur deux, il est du matin (6h46 - 14h37), et l’autre de soirée. [i]«Ça tape sur le système, c’est sûr.»[/i] La mécanique de sa boîte à automobiles est bien huilée. Son système à lui aussi : délégué syndical adjoint d’Aulnay pour la CGT, militant de Lutte ouvrière, fraîchement désigné tête de liste Ile-de-France pour les élections européennes.
Un discours structuré, émaillé de chiffres qui crédibilisent, constellé d’histoires de collègues [i]«bousillés»[/i], qui touchent. Une logique simple, binaire jusqu’au caricatural : [i]«Moi, je connais deux catégories de personnes, c’est les patrons et la population»[/i], dit-il sur France Inter. Il est syndicaliste depuis dix ans, mais c’est le 7/10 radiophonique qui a fait sa récente popularité - invité deux fois la même semaine. Le jour du rendez-vous, France 3 Ile-de-France est à sa porte. Lui, devant la caméra : [i]«Attendez, je mets mon badge CGT sinon je me fais engueuler.»[/i]
Mercier a de la chance, il est cariste. [i]«Je conduis des chariots à fourche, qui soulèvent des tonnes de pièces que je livre sur chaîne. C’est toujours les mêmes bacs, toujours les mêmes parcours, les mêmes manœuvres. Mais je ne suis pas sur chaîne. Y’a pas photo.»[/i] Payé 1 500 euros net par mois, primes et treizième mois inclus.
Il y a une centaine de robots qui soudent les pièces de métal sur des carcasses nues. Et des ouvriers [i]«qui donnent à manger aux robots, comme on dit entre nous»[/i]. Comme il le raconte, l’atelier ferrage est un froissement de tôle perpétuel. Des gerbes d’étincelles, des plaques de métal qui s’entrechoquent. Pendant les pauses, depuis la crise, on parle moins de foot. [i]«On discute des 3 milliards que Sarkozy a donné aux constructeurs (1), des intérimaires qui ne sont pas repris… Il y a le sentiment d’être en danger.»[/i] Ouvrier automobile dans la crise : on pense chômage technique, usine fantomatique. Lui dit que pendant que les copains de Sochaux ou de Rennes chôment, à Aulnay, où l’on fabrique la C2 et la C3, les ouvriers font des samedis supplémentaires, sont dépassés par les cadences. A 50 ans, les «anciens» savent qu’ils ne vont plus y arriver, explique-t-il. [i]«Ils coulent. N’arrivent plus à suivre la cadence de la chaîne, empiètent sur le poste de travail de l’ouvrier qui suit. Comme dans Charlie Chaplin, sauf qu’aujourd’hui, on ne tourne plus des boulons.»[/i]
Jean-Pierre Mercier a une belle voix. Douce, régulière, qui commence souvent ses phrases, courtes, par les mêmes mots. Comme un léger martèlement. [i]«C’est oppressant, oui. C’est un emprisonnement.»[/i] Quand il raconte le travail, il parle une langue opaque, technique. Au détour d’une démonstration : [i]«La direction l’a expliqué à tous les ouvriers : les temps de déplacement, ce n’est pas de la plus-value.»[/i] On ne comprend pas, il traduit : un ouvrier sur chaîne devait faire quelque pas - un mètre, un mètre cinquante - pour aller chercher les pièces avant de revenir les monter sur la ligne. Du temps perdu, en terme de productivité. [i]«Quand on marche, on ne fait pas de plus-value. Du coup, ils ont trouvé un système qui apporte les pièces au plus près de l’ouvrier. Mais les quelques pas qu’il faisait, c’était des microsecondes de repos pour ses tendons.»[/i]
Chez lui, c’est douillet - sans chichis non plus. Une petite maison dans une cour pavée qu’on ne devine pas de la rue, à Bagnolet, banlieue proche de Paris. Le carrelage à larges pierres rouges est chaleureux. Sur la cheminée, une photo de manif sous drapeaux rouges. Dans la bibliothèque, Trotski, Robespierre, une carte postale représentant Louise Michel. Quand il raconte (l’usine, sa vie), il a un geste de la main qui ramasse les miettes sur la table en bois. Sauf qu’il n’y a pas de miettes. Il a un visage plein, un sourire - doux lui aussi - même quand il sort des expressions toutes faites, que des plus vieux ont sorties avant lui. Il a 40 ans et il dit [i]«les caisses des entreprises sont pleines»[/i] ou [i]«l’Etat patron»[/i]. Il écoute Brassens et Ferrat.
Son père avait 50 ans quand il est né. Ce fils de paysan corrézien qui deviendra, à force de cours du soir, technicien au Centre de l’énergie atomique, lui a raconté 1936. Le père quittera le PCF lors de la rupture du programme commun pour gagner le PS. La sœur de Jean-Pierre a huit ans de plus que lui, elle adhère au PSU. Dans le salon du pavillon d’Orsay, dans l’Essonne, elle fait souffler avec excitation l’air des manifs. [i]«C’est elle qui m’a formé politiquement. A 10 ans, je savais que le mariage était réactionnaire.»[/i] La mère, ancienne ouvrière, a arrêté de travailler pour élever ses enfants.
Il rencontre un militant de Lutte ouvrière, adhère à 19 ans. [i]«Ce qui m’a bouleversé, c’est le sérieux dans leurs idées. Ils donnaient beaucoup d’explications sur le fonctionnement de la société.»[/i] Manutentionnaire chez Etam, rippeur derrière un camion benne, employé pour la saison du jouet à Auchan… Après le bac, il fait dix ans d’intérim. Mais c’est à PSA qu’il veut entrer. Il y est intérimaire en 1996. [i]«Jamais en retard, jamais malade. Ne pas parler aux syndicalistes. Le chef m’avait prévenu : c’est pas bon.»[/i] L’industrie automobile, c’est un [i]«choix politique»[/i], discuté avec les militants de LO. [i]«Seules les grandes entreprises industrielles peuvent donner le ton dans la vie sociale d’un pays»[/i], croit-il.
A l’entendre, l’entreprise est toujours un champ de bataille. [i]«Un syndicat, c’est une forteresse dans l’usine, le patron ne doit pas savoir par quel bout la prendre.»[/i] Il raconte la [i]«clandestinité»[/i] syndicale des années 90, quand les cotisations se faisaient en liquide pour ne pas laisser de trace, quand les syndiqués ne se connaissaient pas entre eux, pour leur sécurité. [i]«On a affaire à un ennemi qui peut nous faire du mal»[/i], dit Jean-Pierre Mercier. Aujourd’hui, les adhérents CGT (syndicat majoritaire à Aulnay chez les ouvriers) peuvent porter le badge dans l’usine. Mercier voit de la colère dans l’atelier. Un de ses collègues de la CGT parle plutôt d’ouvriers [i]«la tête en bas, résignés. C’est Jean-Pierre qui nous remonte le moral, il y croit, il y croit.»[/i] Un cédétiste d’Aulnay : [i]«C’est un militant politique : il a une ligne, jamais il n’en change. Hier encore, il nous disait qu’il fallait tout bloquer, comme en Guadeloupe.»[/i]
A Noël, il fait du ski avec son ami Julien Méléard, conducteur d’installations robotisées à Aulnay, CGT lui aussi. Il a rencontré sa compagne, prof d’histoire-géo avec qui il n’a [i]«pas encore»[/i] d’enfant, à LO. [i]«Je passe le plus clair de mon temps dans la boîte.»[/i] On le presse de se raconter au-delà du boulot, on le travaille… [i]«J’ai aimé le film Valse avec Bachir, sur la guerre du Liban.»[/i] [i]«Je relisles Bouts de bois de Dieu de Sembène Ousmane, sur la grève des cheminots sénégalais de 1947.»[/i] Il a une passion : la guerre de 14-18 et le Chemin des Dames, où il est allé plusieurs fois. On désespère de voir de la légèreté, du frivole, quand il dit : «J’adore les baleines.» Parce qu’il y a encore du mystère chez ce mammifère qui vit dans l’eau et qui chante.
(1) En fait 3 milliards de prêt à faibles taux accordés à chaque constructeur.
[/quote]

Publié :
26 Fév 2009, 20:19
par Cornulier
moi ce que j'aime bien, c'est le petit (1) en bas de page, genre : attention mr Mercier extrapole un peu, ce n'est pas tout à fait ça en fait et nous à libé,on sait ce que c'est et on rétablit la verité ;)

Publié :
26 Fév 2009, 20:20
par Matrok
Bon, maintenant ce que je voulais poster ! Une réaction inattendue, et pour tout dire un tantinet azimutée, à ce portrait de Jean-Pierre Mercier, sur
le blog "Serial Worker" hébergé par Libération.
(Laurent Dupin sur le blog sus-cité a écrit :L'homme qui donnait à manger aux robots
On connaissait "L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux", "L'homme qui valait trois milliards"... Le délire de la religion technologiste propose une nouvelle figure des temps modernes si chers à Chaplin : "L'homme qui donnait à manger aux robots". Un travailleur de plus en plus caduque, usé, dépassé par l'époque.Je lisais hier le portrait de der de Libération du 23 février, en page 32. Il était consacré à
Jean-Pierre Mercier, ouvrier
PSA, délégué syndical CGT et militant LO. Autant le dire de suite, ce portrait m'a scotché. Et m'a replongé avec bonheur dans ce genre que j'avais un peu perdu de vue, je dois l'avouer, pris par mes lectures web et mes crépitements en réseaux... On entre de suite et en profondeur dans le sérieux métallique du personnage, acquis bien malgré lui, au fil de ses années d'industrie automobile et de combats syndicaux âpres.

Une de ses expressions m'a plus particulièrement touché, décrivant les conditions du travail à la chaîne en 2009. Comprendre ultra automatisées et informatisées. La dite phrase :
«[Il y a] des ouvriers qui donnent à manger aux robots, comme on dit entre nous». Sidérante image pour décrire symboliquement la condition blasée, écrasée d'hommes ramenés au niveau d'assistant de machines, plus rapides et douées qu'eux... Des hommes qui ne comprennent plus la cadence et l'organisation de leur métier. Des hommes qui voient muter leurs usines au point de s'en sentir étranger. Qui doivent faire face
«au ballet de la centaine de robots qui soudent les pièces de métal sur des carcasses nues […] [dans] un froissement de tôles perpétuel. Des gerbes d'étincelles, des plaques de métal qui s'entrechoquent». L'interviewé ne le dit pas, mais l'on entend presque penser
« … et sans que nous ne puissions plus rien y faire». Inhumanité galopante, violence sourde des lieux.
Il y a aussi dans cette phrase faussement ironique toute la menace, toute la dangerosité des futurs possibles. Ceux qui vont se construire à partir du moment capital que nous vivons (sans nous en rendre compte) en ce moment, grosso modo depuis les années 90. Soit la concentration de plusieurs mutations structurelles :
* informatisation débridée des systèmes de gestion et de logistique
* automatisation et robotisation des chaînes de production
* course sans fin ni fond à la productivité et à la consommation
* concentration des communications par les flux internet
Ce quadruple phénomène -s'il reste incontrôlé, furieux, excessif- ne pourra qu'apporter des révolutions douloureuses. Ce n'est qu'une question de temps. Je cite souvent ma chère science-fiction, mère de tous les visions délirantes. Mais parce qu'elle nous avertit de ce qui pourrait —ou est en train d'advenir—, justement pour cet
« l'homme qui donne à manger aux robots ». On voudrait se cramponner à la vision humaniste du petit garçon nourrissant le gentil robot géant, mangeur de ferraille, du dessin animé
The Iron Giant. On voudrait aussi retenir le contrepoint artistique de Kamel Ouali et de son
ballet de robots dansants créé pour le Futuroscope... L'art comme nourriture terrestre pour nos amies les machines; c'est beau, c'est fin.
Mais l'on retient aussi irrémédiablement d'autres images plus inquiétantes. Celles du mythique
War Games, et son avertissement posé dès 1983 : à trop «nourrir» les super ordinateurs de données stratégiques, l'humain se met à la diète de l'intelligence! Une tradition de vision pessimiste sur le progrès par le robot, qui a donné aussi le conglomérat Skynet (dans Terminator) : la série télévisée qui en a été tirée depuis (
The Sarah Connors Chronicles, actuellement
diffusée sur TMC), gratte mieux encore cette notion de la machine qui dépasse peu à peu l'homme, le rend caduque, puis le contrôle pour finalement l'éliminer. Tout commence un jour par un logiciel capable de jouer aux échecs comme un humain et mieux qu'un humain... Je recommande enfin l'épisode de l'excellent Animatrix,
The Second Renaissance, qui raconte cette robotisation future qui finit dans un drame total.
http://www.youtube.com/v/whGL6b3O_6o&hl=fr&fs=1Soyons vigilants. Les avertissements commencent parfois par une phrase anodine d'un ouvrier inquiet...
Pour compléter : lire les articles de Libération
Robotique en folie,
Un robot pour opérer les cancers de la langue, et le diaporama que j'avais publié sur ZDNet.fr en août 2007
Des robots pour libérer la vidéoconférence en entreprises.