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Message Publié : 08 Mars 2009, 22:22
par com_71
(Témoignages (quotidien Réunionnais lié au PCR) a écrit :Hommage à sept martyrs réunionnais (1949-1978)
15 octobre 1949 : le meurtre de Marcel Dassot à Saint-Denis

Entre 1949 et 1978, soit une trentaine d’années, sept Réunionnais ont trouvé la mort dans des conditions dramatiques et scandaleuses, victimes des violences néo-coloniales. Pour leur rendre hommage et pour que nous n’oublions jamais ces tragédies vécues par leurs familles et leurs proches, notre ami Eugène Rousse, un des piliers de la mémoire historique réunionnaise, a rédigé un petit ouvrage qui sera publié prochainement et dans lequel il raconte dans quelles circonstances ces sept martyrs réunionnais ont perdu la vie. À partir d’aujourd’hui, dans chaque édition de "Témoignages" du samedi, nous allons publier des extraits de ce document avec une brève présentation de ces sept martyrs. Voici le premier d’entre eux : Marcel Dassot.

L’année 1949 a été marquée à La Réunion par des événements d’une exceptionnelle gravité, qui ont conduit les démocrates de l’île à constituer à Saint-Denis un “Comité de défense des libertés républicaines” (CDLR). Parmi ces événements, il y a l’énorme scandale électoral qui éclate à Saint-Louis le 20 mars 1949. Contre toute attente, le juge Lambert rend le 11 octobre 1949 un verdict d’acquittement général des fraudeurs, qui provoque la consternation de tous les républicains de l’île.
Après un tel verdict, les murs et les chaussées du chef-lieu se couvrent d’inscriptions : « Révoquez le juge Lambert ». La police se mobilise alors en vue d’identifier les auteurs de telles inscriptions.
C’est dans le cadre de ces recherches, qui s’effectuent souvent la nuit, que le manœuvre maçon Marcel Dassot est arrêté à la sortie du cinéma Plazza et conduit au commissariat de police, le 15 octobre 1949, peu avant minuit. Là, l’inspecteur Jolivet, arrivé dans l’île un an plus tôt, se charge d’interroger le jeune ouvrier réunionnais, âgé de 21 ans, qui est orphelin de père et de mère.
M. Jolivet n’hésite pas à recourir à des brutalités pour arracher des aveux à Marcel Dassot, qu’il suspecte d’être l’auteur d’inscriptions visant le juge Lambert. Manifestement, le policier se trompe puisque le jeune dionysien ne sait ni lire, ni écrire. Mais suite à ces brutalités, quelques heures après son retour à son domicile de la rue Monthyon, Marcel Dassot meurt d’un traumatisme crânien.
L’émotion et la colère suscitées par une aussi brutale disparition, ainsi que les conditions dans lesquelles elle est survenue, conduisent le Parquet à diligenter une enquête, au terme de laquelle il est clairement établi que l’inspecteur Jolivet est responsable de la fracture du crâne qui a provoqué le décès de l’ouvrier dionysien. Alors qu’il aurait dû normalement être jugé par la Cour d’Assises de La Réunion, il comparaît le 1er avril 1950 en correctionnelle, où le juge Lambert lui inflige une condamnation de principe : deux ans de prison avec sursis. La hiérarchie du policier se bornera à le rappeler à Paris.

Eugène Rousse


a écrit :Un contexte dramatique

Après l’abolition officielle du statut de colonie de La Réunion, le peuple réunionnais a dû se battre pour obtenir l’application du principe d’égalité avec les Métropolitains, affirmé dans la loi Vergès-Lépervanche du 19 mars 1946. Ce combat a duré une cinquantaine d’années dans le domaine des droits sociaux. Et le Parti Communiste Réunionnais, dont nous célébrons cette année le cinquantenaire, y a joué un rôle essentiel.
Cette lutte pour faire respecter les droits et la dignité des Réunionnais fut donc longue et parfois très difficile. Un très grand nombre de militants et sympathisants communistes ont été victimes de violences, d’humiliations et de répressions de toutes sortes, dans le cadre d’un pouvoir totalitaire. Celui-ci a organisé et cautionné pendant des dizaines d’années des licenciements abusifs, des fraudes électorales massives et violentes, des expulsions arbitraires, des poursuites illégales et des condamnations injustes, tout en violant le droit à l’information libre et pluraliste des Réunionnais et en bafouant leur liberté d’expression.
C’est dans ce contexte souvent dramatique que se sont déroulées les tragédies vécues par les sept martyrs réunionnais de 1949 à 1978.



a écrit :Hommage à sept martyrs réunionnais (1949-1978) - 2/7 -
29 mai 1958 : l’assassinat de François Coupou à Saint-Denis

Dans le cadre de la célébration du cinquantenaire du Parti Communiste Réunionnais, nous avons commencé samedi dernier la publication des extraits d’un ouvrage d’Eugène Rousse à paraître prochainement sur les 7 Réunionnais qui ont trouvé la mort en étant victimes des violences néo-coloniales entre 1949 et 1978. Après le rappel de l’agression mortelle infligée à Marcel Dassot, un Dionysien de 21 ans décédé le 20 octobre 1949 suite à une garde-à-vue musclée au commissariat de police de Saint-Denis, voici le second récit de cette série. Il porte sur l’assassinat de François Coupou à Saint-Denis le 29 mai 1958.

Le mercredi 14 mai 1958, la nouvelle du coup de force contre la République, qui se préparait tant à Alger qu’à Paris, parvient à La Réunion. Aussitôt, les démocrates de l’île entendent apporter leur contribution en vue de faire échouer un tel complot.

Dès le dimanche 18 mai, un grand rassemblement a lieu dans la “cour Lucas” à Saint-Denis. Ce premier rassemblement, qui se déroule dans le plus grand calme, est suivi d’un second, fixé au jeudi 29 mai, toujours dans la “cour Lucas”, dont la capacité d’accueil est de 10.000 personnes.

La Préfecture complice

Curieusement, la droite ultra du chef-lieu, qui ne cache pas sa satisfaction devant la menace d’étranglement de la République, éprouve elle aussi le besoin de manifester le jeudi 29 mai. Et cela, dans les rues situées aux abords de la “cour Lucas”.

Une telle provocation reçoit l’aval de la Préfecture, qui dépêche sur les lieux de la contre-manifestation Jean Cluchard, le bras droit du préfet Jean Perreau-Pradier, qui se comporte en meneur d’autant plus dangereux qu’il est assuré de l’impunité. Jean Cluchard est assuré aussi d’une totale sécurité, en raison de la présence massive de CRS et de gendarmes en tenue de combat à proximité de la “cour Lucas”.

Dutremblay Agénor et Paul Vergès insultés

Pendant toute la durée des allocutions prononcées par Dutremblay Agénor et Paul Vergès, des cris hostiles à ces derniers ainsi qu’à leur auditoire sont poussés dans les rues bordant la “cour Lucas”. Cela fait donc craindre des risques d’affrontements à la fin du meeting, en dépit des précautions prises par les organisateurs du rassemblement.

Ces craintes s’avéreront fondées dès l’instant où, le meeting terminé, le flot de manifestants s’écoulera dans la rue Dauphine (aujourd’hui rue du Général De Gaulle) : la foule est prise dans un étau constitué de deux barrages de CRS, dont les charges violentes obligent hommes et femmes à se réfugier en toute hâte dans des cours privées.

Cela ne les met toutefois pas à l’abri des tirs de grenades lacrymogènes. Quant aux moins rapides, ils sont sauvagement matraqués. C’est le cas de François Coupou, qui tombe inanimé sous les coups des CRS, à la hauteur du portail du Docteur Calen, à moins de 100 mètres de la “cour Lucas” et à moins de 300 mètres de son domicile de la rue d’Après.

Conduit immédiatement au CHD de Bellepierre, François Coupou décédera quelques heures plus tard, sans avoir repris connaissance. Il était âgé de 63 ans.

La Justice complice

Est-il besoin de dire que les Réunionnais épris de justice s’attendaient à ce que les assassins de François Coupou aient à répondre de leur crime devant les tribunaux ? Il n’en n’a pas hélas été ainsi.

Aujourd’hui, 50 ans après la mort d’un travailleur qui ne faisait qu’exercer l’un de ses droits les plus élémentaires, comment ne pas s’indigner que justice ne lui ait pas été rendue ?

Émouvantes funérailles

Fidèles à la mémoire d’un Réunionnais qui tenait à exprimer son attachement au régime républicain, sérieusement menacé par les factieux d’Alger et de Paris, nous nous devons, pour notre part, de rappeler l’hommage que lui ont rendu ses compatriotes après son décès. Le dimanche 1er juin 1958, alors qu’à Paris le Général De Gaulle est investi président du Conseil, l’équivalent de l’actuelle fonction de Premier ministre, par 239 voix contre 224, La Réunion fait d’émouvantes funérailles à François Coupou.

Parti à pied du domicile du défunt, un immense cortège se dirige vers le pont du Butor. Précédé de plusieurs dizaines de porteurs de couronnes et des dirigeants de toutes les organisations démocratiques de l’île, le cortège se dirige ensuite en voiture vers Saint-André. Au cimetière de cette ville, devant une foule contenant mal son émotion, Dutremblay Agénor, président du Comité de défense de la République, créé 10 jours plus tôt à Saint-Denis, rend un vibrant hommage à François Coupou. Un Réunionnais à inscrire sur la liste de ceux qui ont laissé leur vie dans le combat visant à obtenir le respect des droits fondamentaux de leurs compatriotes.

Eugène Rousse




a écrit :Hommage à sept martyrs réunionnais (1949 – 1978) — 3/7 —
L’assassinat d’Héliar Laude à Sainte-Clotilde

Dans le cadre de la célébration du cinquantenaire du Parti Communiste Réunionnais, voici comme chaque samedi des extraits d’un ouvrage d’Eugène Rousse à paraître prochainement sur les 7 Réunionnais qui ont trouvé la mort en étant victimes des violences néo-coloniales entre 1949 et 1978. Nous avons d’abord rappelé l’agression mortelle infligée à Marcel Dassot, un jeune de 21 ans décédé le 20 octobre 1949 suite à une garde à vue musclée au commissariat de police de Saint-Denis, puis l’assassinat de François Coupou par des CRS le 29 mai 1958 à Saint-Denis, après un meeting du “Comité de Défense de la République" avec Paul Vergès. Voici l’évocation de la mort d’Héliar Laude, un Dionysien de 17 ans, tué le 15 mars 1959 par un nervi devant le bureau de vote de Sainte-Clotilde, lors d’une manifestation contre la fraude électorale.

Nous sommes au soir du second tour des élections municipales de mars 1959 à Saint-Denis, qui opposent la liste conduite par Pierre Lagourgue — dont le véritable leader est le maire sortant, Gabriel Macé — à celle de Paul Vergès.
Après le dépouillement de 19 bureaux sur les 22 que compte le chef-lieu, l’avance de la liste Vergès sur celle de Lagourgue est de 1.700 voix. Au “quartier général” de l’hôtel d’Europe, à 150 mètres de l’Hôtel de Ville, où Macé a rassemblé son équipe, dont de nombreux nervis, c’est la panique.
En dépit des fraudes grossières pratiquées dans les 3 derniers bureaux des écarts de la ville, dont les résultats ne sont pas proclamés comme l’exige le code électoral, Gabriel Macé, qui ne se résigne pas à être battu, a recours à la falsification des procès-verbaux de certains bureaux de vote.

Paul Vergès assommé

Pour mener à bien cette opération, il sait pouvoir compter sur la complicité du maire sortant de Saint-Denis et du préfet Jean Perreau-Pradier. Afin d’éviter toute riposte populaire, le préfet donne l’ordre aux CRS et aux militaires venus de Madagascar de faire évacuer l’hôtel de ville et ses abords. C’est au cours de cette évacuation à coup de matraques, de grenades lacrymogènes et de crosses de fusils, que Paul Vergès est assommé et laissé inanimé sur un trottoir de la rue de Paris.
Quant à Gabriel Macé, il se charge de faire échec à une explosion de colère qu’il juge prévisible aux abords du bureau de vote de Sainte-Clotilde. Dans ce but, il demande à 4 de ses nervis — Calpétard, Junot, Vienne et Rivière — de retourner dans cet écart de Saint-Denis, où deux d’entre eux étaient présents à la clôture du scrutin.

Une balle en plein cœur

La décision ayant été prise de recourir aux grands moyens, Calpétard sort son énorme pistolet de sa voiture et, malgré les cris de l’épouse de Guy Grondin qui le supplie de « ne pas tirer », l’envoyé de Macé à Sainte-Clotilde fait feu à deux reprises et à sept secondes d’intervalle sur des personnes dont le seul “crime” est de crier : “vive Vergès !”.
La première balle atteint en plein cœur Héliar Olivier Laude, âgé de 17 ans, qui s’affaisse sur la chaussée. La seconde frappe au thorax le jeune Antoine Baïkiom, âgé de 14 ans.
Finalement, Calpétard, qui avait assuré n’avoir « pas hésité à sortir le revolver (…) et à faire feu à deux reprises », ne sera condamné qu’à 5 ans de prison. Une peine qu’il ne purgera même pas à la prison centrale de Saint-Denis, mais à l’APECA de La Plaine des Cafres, où ses puissants amis le feront embaucher comme éducateur de jeunes délinquants…

Eugène Rousse


a écrit :Hommage à sept martyrs réunionnais (1949 – 1978) — 4/7 —
6 février 1962 : le meurtre de Thomas Soundarom à Saint-Louis

L’ouvrier agricole Thomas Octave Soundarom, tué à l’âge de 42 ans par des gendarmes lors d’une manifestation de planteurs soutenus par le PCR. Il n’y aura aucune enquête relative à ce meurtre.


Dans le cadre de la célébration du cinquantenaire du Parti Communiste Réunionnais, voici comme chaque samedi des extraits d’un ouvrage d’Eugène Rousse à paraître prochainement sur les 7 Réunionnais qui ont trouvé la mort en étant victimes des violences néo-coloniales entre 1949 et 1978. Après l’agression mortelle infligée à Marcel Dassot au commissariat de police de Saint-Denis en 1949, puis l’assassinat de François Coupou par des CRS en 1958 à Saint-Denis, et l’assassinat du jeune Héliar Laude par un nervi devant le bureau de vote de Sainte-Clotilde en 1959, voici en résumé la tragédie de Thomas Soundarom. Ce Saint-Louisien de 42 ans a été tué par des gendarmes en 1962 à Saint-Louis, à l’angle de la rue Verte et de la route nationale, lors d’une manifestation de planteurs exprimant leur colère devant la ruine qui les menace. Ses meurtriers n’ont jamais été inquiétés.

Au début des années 1960, les planteurs de canne de La Réunion prennent conscience qu’ils doivent s’engager dans des luttes très dures, s’ils veulent sauver leur profession. Dès le mois de juin 1961, ils expriment leur vive inquiétude à l’annonce d’un plan de fermeture d’usine décidé unilatéralement par les usiniers. Puis ces derniers et le pouvoir décident de diminuer le prix de la tonne de canne par rapport aux campagnes précécentes.
Ne se résignant pas à être acculés à la ruine, les 20.000 petits planteurs de l’île n’entendent pas faire les frais de la très coûteuse guerre d’Algérie. Ils décident de descendre dans la rue pour crier leur indignation et leur colère.
Soutenus par le PCR, qui condamne avec force un mode de partage anachronique et injuste des richesses produites par le monde du travail, les planteurs et ouvriers agricoles organisent dans la plupart des communes de l’île de puissants rassemblements.

Le préfet réprime

À Saint-Louis, les planteurs décident de se rassembler le lundi 5 février 1962 dès l’aube devant l’usine du Gol. À proximité de cette usine, ils édifient sur la RN1 des barrages filtrants destinés à alerter l’opinion et à forcer l’usinier et les élus de la ville à engager le dialogue avec eux.
S’ils ne reçoivent aucune visite des élus, dont la plupart ont fui la commune, ils ont la grande satisfaction d’enregistrer des témoignages de solidarité de toutes les couches de la population.
C’est cette sympathie, suscitée par l’action des planteurs, qui irrite le préfet Jean Perreau-Pradier à un point tel, qu’il demande aux gendarmes envoyés en renfort devant l’usine du Gol et aux CRS venus de Saint-Pierre d’intervenir avec fermeté afin que les barrages soient levés.
Après les ripostes de la population aux violences des forces de répression, le retour, le mardi 6 février en milieu d’après-midi, d’un imposant service d’ordre provoquera de violents affrontements.
Après s’être regroupés dans la cour de la mairie, CRS et gendarmes casqués, armés et protégés de boucliers entreprennent de faire évacuer l’ancienne RN1, artère principale de la ville. Après les grenades, les gendarmes font feu sur la foule composée surtout de planteurs de La Rivière. À 17 heures, l’ouvrier agricole, Thomas Octave Soundarom, âgé de 42 ans, est atteint d’une balle en pleine poitrine. Il n’y aura aucune enquête relative à ce meurtre.

Tortures

Si les agressions commises le 5 février et les crimes du 6 février sont restés impunis, les manifestants eux, par contre, ont été victimes d’une ignoble répression. Sur la base d’aveux extorqués sous les coups, des arrestations suivies de condamnations sévères ont eu lieu après les journées des 5 et 6 février. Dès le lundi 12 février, le Tribunal de Saint-Pierre condamne pas moins de 15 manifestants à des peines allant jusqu’à 3 ans de prison pour certains.
Des dizaines de personnes sont convoquées au commissariat ou à la gendarmerie, où la garde à vue s’effectue dans des conditions épouvantables. Il s’agit en fait de véritables tortures.
Bref, en ce mois de février 1962, la Préfecture s’est efforcée de démontrer qu’aux demandes de négociation des planteurs elle n’entendait répondre que par la répression.

Eugène Rousse


a écrit :Hommage à sept martyrs réunionnais (1949 – 1978) — 5/7 —
Le 10 décembre 1967 : l’assassinat d’Édouard Savigny à Saint-André

Dans le cadre de la célébration du cinquantenaire du Parti Communiste Réunionnais, voici comme chaque samedi des extraits d’un ouvrage d’Eugène Rousse à paraître prochainement. Un travail de mémoire sur les 7 Réunionnais qui ont trouvé la mort en étant victimes des violences néo-coloniales entre 1949 et 1978. Après l’agression mortelle infligée à Marcel Dassot au commissariat de police de Saint-Denis en 1949, puis l’assassinat de François Coupou par des CRS en 1958 à Saint-Denis, l’assassinat du jeune Héliar Laude par un nervi devant le bureau de vote de Sainte-Clotilde en 1959, la mort de Thomas Soundarom tué par des gendarmes en 1962 à Saint-Louis, voici en résumé la tragédie d’Édouard Savigny. Ce journalier agricole de 54 ans a été tué le 10 décembre 1967 par des nervis près de la Mairie de Saint-André lors d’élections marquées par des fraudes grossières et massives. Quatre des cinq personnes impliquées dans cet assassinat ont été acquittées par la Cour d’Assises de Saint-Denis ; la dernière s’en est tirée avec une légère peine de prison avec sursis.


Comme on pouvait le craindre, la journée du 10 décembre 1967 débute très mal à Saint-André. Avant l’ouverture du scrutin municipal et cantonal, des nervis bien connus se postent aux abords des bureaux de vote, poussant des cris hostiles aux mandataires de la liste communiste sans que l’imposant service d’ordre ne daigne intervenir.
Pendant que ces gros bras s’emploient par leurs vociférations à effrayer les électeurs, des représentants de la droite ultra paradent au balcon de l’Hôtel de Ville. Quant à Paul Vergès, candidat tant aux Municipales qu’à la Cantonale partielle de ce jour, chacune de ses apparitions devant un bureau de vote ou sur la place de la mairie provoque des clameurs, des insultes et des démonstrations menaçantes.

Expulsion de Paul Vergès,
bourrage des urnes


Afin que le scrutin se déroule dans le calme, le leader communiste s’entretient en début d’après-midi avec le président de la délégation spéciale à l’étage de l’Hôtel de Ville. Il lui demande notamment de faire disperser les groupes d’individus extérieurs à la commune, dont il prend soin de donner les noms et qualités.
Pour toute réponse, le président de la délégation spéciale signe une réquisition ordonnant au Directeur de la police de s’emparer de la personne de Paul Vergès et de l’expulser de la commune de Saint-André.
Cette expulsion illégale de Paul Vergès de Saint-André sera évidemment interprétée par les nervis comme un signe d’encouragement. Dans l’après-midi, sous l’œil des “forces de l’ordre”, comme ils l’avaient fait lors des scrutins précédents, notamment celui du 15 septembre 1957 après la mort du docteur Raymond Vergès, ils envahissent certains bureaux de vote, permettant ainsi le bourrage des urnes.

Assommé

Mais bien avant l’assaut donné aux bureaux de vote et peu avant l’arrestation et l’expulsion de Paul Vergès, les nervis n’avaient pas hésité à recourir à un crime odieux pour que la mairie de Saint-André reste aux mains des “nationaux” face aux "séparatistes diaboliques".
La scène, d’une rare sauvagerie, se passe en fin de matinée. Après avoir voté et avant de rentrer chez lui à Mille Roches, Édouard Savigny, un journalier agricole de 54 ans, de constitution plutôt fragile, éprouve le besoin de se reposer à l’ombre des banians se dressant aux abords de la mairie. C’est alors que le drame se noue.
Cinq individus, supporters notoires du candidat “officiel”, repèrent Savigny, auquel ils ne pardonnent pas d’avoir mis sa cour à la disposition de Paul Vergès pour des réunions électorales. Ce paisible travailleur, rapidement cerné, tente de s’enfuir. Rattrapé par ses poursuivants, il est jeté par terre et assommé.
Déposé par l’ambulance à 100 mètres de chez lui, Savigny se traîne en gémissant jusqu’à son domicile, où il s’effondre sur un fauteuil pour ne plus se relever. Il laisse derrière lui et sans ressources une veuve et un orphelin de 14 ans.

Justice complice

L’enquête diligentée par le Parquet de Saint-Denis aboutit rapidement à l’inculpation de 5 personnes impliquées dans cet assassinat. Le procès des assassins de Savigny se déroule devant la Cour d’Assises de Saint-Denis le jeudi 12 septembre 1968. Le juge Lambert — qui n’avait pas caché sa sympathie pour Michel Debré — préside les débats.
Malgré l’appel de l’avocat général demandant aux jurés de « mettre un terme à ces pratiques violentes les jours d’élection à La Réunion », c’est un verdict d’une extrême indulgence que la Cour rend dans une grave affaire : quatre acquittements et une condamnation à une peine légère assortie du sursis.
Un tel verdict ne pouvait que constituer un encouragement à ceux qui s’obstinaient à l’époque à dresser des obstacles sur la voie du suffrage universel.

Eugène Rousse


a écrit :

Hommage à sept martyrs réunionnais (1949 – 1978) — 6/7 —
Le 17 mai 1974 : l’assassinat de Joseph Landon au Port

Comme chaque samedi, nous continuons à célébrer le cinquantenaire du Parti communiste réunionnais en citant des extraits d’un ouvrage d’Eugène Rousse à paraître bientôt afin de rendre hommage aux 7 Réunionnais qui ont trouvé la mort en étant victimes des violences néo-coloniales entre 1949 et 1978. Nous avons d’abord rappelé l’agression mortelle infligée à Marcel Dassot au commissariat de police de Saint-Denis en 1949, puis l’assassinat de François Coupou par des CRS en 1958 à Saint-Denis, l’assassinat du jeune Héliar Laude par un nervi à Sainte-Clotilde en 1959, la mort de Thomas Soundarom tué par des gendarmes en 1962 à Saint-Louis et la tragédie d’Édouard Savigny tué le 10 décembre 1967 par des nervis près de la mairie de Saint-André. Voici à présent comment Joseph Landon, un Portois de 35 ans, a été tué le 17 mai 1974 par des hommes de main d’un patron, près du cimetière de La Possession, alors qu’il rentrait chez lui après un meeting avec Paul Vergès pour le second tour de l’élection présidentielle. Jugé par la cour d’assises de Saint-Denis, le 2 août 1979, son assassin a été condamné à 4 ans de prison, dont deux ans et demi avec sursis.

Le vendredi 17 mai 1974, à 20 heures, le meeting de clôture de la campagne électorale présidentielle pour la commune du Port se tient dans la cour arrière de la mairie. En vue de faciliter la participation à ce meeting des habitants de La Ravine à Marquet — un écart de la commune du Port — un bus est mis à leur disposition sous la responsabilité de Ludovic Latra, un militant communiste de ce quartier éloigné de la mairie d’une dizaine de kilomètres.
Joseph Landon et une trentaine d’autres personnes prennent place dans le bus vers 18 heures. À leur arrivée à la mairie, où se presse une foule dense, ces personnes devront faire preuve de patience avant de pouvoir entendre les orateurs de la gauche unie, dont Paul Vergès et Jean-Christophe Mitterrand.

Un meeting sous surveillance

Non loin de là, une camionnette Peugeot 404 de l’entreprise Maurice Tomi reste garée pendant plusieurs heures. Dans ce véhicule, facilement repérable en raison des affiches électorales de Valéry Giscard d’Estaing qui le recouvrent, trois hommes font le guet. Il s’agit de Paul Lefèvre, Augustin Hamilcaro et Gilbert Bourdat.
On apprendra plus tard que s’ils sont là, c’est à la demande du chef d’entreprise Maurice Tomi, dont les ateliers sont situés dans la zone industrielle n°1 du Port. Ce dernier — qui les a réunis dans l’après-midi du 17 mai — leur a confié la mission d’aller « surveiller la réunion politique de la mairie ».
Dès la fin du meeting, vers 22 heures 15, Ludovic Latra entreprend de rassembler toutes les personnes qu’il doit reconduire en bus à La Ravine à Marquet. Et là, très grande surprise : Landon ne répond pas à l’appel de son nom !
Des recherches minutieuses sont alors effectuées dans un assez large périmètre autour de la mairie. Ces recherches étant infructueuses, le retour des passagers du bus à La Ravine à Marquet est décidé. Mais les recherches ne cessent pas pour autant. En vain. Chacun rentre ensuite chez soi, n’osant pas imaginer un seul instant qu’il ne reverra jamais plus Landon vivant.

Derrière le cimetière

Or, le jour est à peine levé lorsque la nouvelle de la mort de Landon se répand comme une traînée de poudre dans le quartier de La Ravine à Marquet. Son corps a en effet été découvert derrière le cimetière tout proche, dans les herbes, à quelques mètres de l’étroit chemin de terre à peine carrossable reliant le cimetière à l’extrémité Est de l’avenue Raymond Mondon en ville du Port.
Ce chemin, long de quelque 1.500 mètres, qui desservait l’aérodrome du Port avant l’ouverture de Gillot fin 1946, permettait aux travailleurs de La Ravine à Marquet et des environs de se rendre à pied au centre-ville du Port. C’est l’un d’eux qui, vers 7 heures, a découvert le cadavre qu’il n’a eu aucun mal à identifier.
La victime gisait à environ 3 mètres du bord du chemin, recroquevillée, les bras tendus vers le visage, comme pour esquisser un ultime geste de défense.

Un verdict sans commentaire

Quelle sera la décision de la Justice à l’encontre des personnes mises en cause dans cet assassinat ? (…) C’est en pensant probablement à l’arrêt rendu 11 ans plus tôt par la Cour d’assises de Saint-Denis, lors du procès des assassins d’Édouard Savigny, que le public attend le verdict dans “l’affaire Landon”.
Après seulement 15 minutes de délibération, il apprend qu’Hamilcaro n’aura plus que quelques semaines à passer à la prison Juliette Dodu, ayant été condamné à 4 ans de prison, dont 2 ans et demi avec sursis. Un tel verdict se passe évidemment de tout commentaire.

Eugène Rousse


a écrit :

Hommage à sept martyrs réunionnais (1949 – 1978) — 7/7 —
Le 14 mars 1978 : le meurtre de Rico Carpaye au Port

Pour ce 7ème samedi consécutif, nous continuons à célébrer le cinquantenaire du Parti communiste réunionnais à travers des extraits d’un ouvrage d’Eugène Rousse à paraître bientôt, en hommage aux 7 Réunionnais qui ont trouvé la mort en étant victimes des violences néo-coloniales entre 1949 et 1978. Dans les six éditions précédentes, nous avons évoqué successivement l’agression mortelle infligée à Marcel Dassot au commissariat de police de Saint-Denis en 1949, puis l’assassinat de François Coupou par des CRS en 1958 à Saint-Denis, l’assassinat du jeune Héliar Laude par un nervi à Sainte-Clotilde en 1959, la mort de Thomas Soundarom tué par des gendarmes en 1962 à Saint-Louis, la tragédie d’Édouard Savigny tué le 10 décembre 1967 par des nervis près de la mairie de Saint-André et enfin l’assassinat du Portois Joseph Landon en 1974 par des hommes de main d’un patron à l’avant-veille de l’élection présidentielle. Voici à présent le rappel du meurtre de Rico Carpaye, un Portois de 17 ans, tué au rond-point du Sacré-Cœur le 14 mars 1978 par des nervis du député de la seconde circonscription et du maire de Saint-Paul.


Le meurtre de Rico Carpaye - par des nervis du député de la seconde circonscription et du maire de Saint-Paul- s’est passé lors d’une expédition punitive de ces fraudeurs au Port, suite aux législatives, où les Portois avaient très majoritairement voté pour Paul Vergès. Le ou les assassins de Rico Carpaye et leurs complices n’ont jamais été poursuivis par la Justice.

Les élections législatives du 12 mars 1978 opposant Paul Vergès à Jean Fontaine dans la seconde circonscription (à l’époque, de La Possession à Saint-Louis) ont été précédées d’une campagne électorale très violente. Durant cette campagne, des scènes d’une extrême violence se sont produites notamment à Saint-Louis et à Saint-Paul. (…)
L’analyse des résultats de ce scrutin montre que, par rapport aux législatives du 18 mars 1973, les gains de Paul Vergès et de Jean Fontaine se chiffrent respectivement à 893 et 134 voix. C’est probablement la médiocrité de son score qui incite ce dernier à se rendre au Port, moins de 48 heures après la proclamation des résultats et son élection au poste de député. (…)

La Préfecture complice du crime

Les moyens mis en œuvre par Jean Fontaine prouvent qu’il s’agit d’une initiative dictée essentiellement par le désir d’aller narguer chez lui un adversaire qui l’a battu de près de 2.300 voix le 12 mars et de s’en prendre à la population portoise pour son refus de lui accorder sa confiance.
Ce qui étonne en la circonstance, c’est l’attitude de la Préfecture. Informée du projet réel du député, elle s’abstient d’en informer la Mairie du Port, se bornant a dépêcher vers la cité maritime une centaine de gendarmes et de CRS.
Une telle mobilisation alimente au Port une rumeur selon laquelle une expédition punitive de Jean Fontaine est imminente dans la cité maritime. D’autant plus que les élus portois sont informés de la préparation, en tout début d’après-midi sur la place de la mairie de Saint-Paul, d’un convoi de plusieurs dizaines de véhicules, dont 5 camionnettes communales bourrées de nervis, recrutés à l’occasion de la campagne électorale. (…)

L’horreur au Sacré-Cœur

Après plusieurs actes de violences commis à travers la ville du Port, sur le chemin du retour vers Saint-Paul, le cortège conduit par Jean Fontaine arrive au carrefour du Sacré-Cœur. Il est accueilli aux cris de “vive Vergès” par des jeunes portois qui se tiennent de chaque côté de la chaussée sur laquelle la circulation se fait quasi normalement. (…)
À 19 heures 40 c’est l’horreur : trois camionnettes communales de Saint-Paul se mettent à rouler de front ; deux de ces véhicules n’hésitent pas à rouler sur les bas-côtés, au risque de faucher les personnes qui s’y sont massées. Après leur passage éclair, on relève sur le terrain de nombreux blessés, dont 9 sérieusement touchés.
Transportés au CHD de Bellepierre à Saint-Denis ou à la clinique Jeanne-d’Arc du Port, certains de ces blessés, tel le jeune Norbert Vincent, y resteront de longues semaines. Mais pour Rico Carpaye, âgé de 17 ans à peine, il est trop tard.

Aucun procès

Projeté sur le capot d’une camionnette pilotée par un employé de la Mairie de Saint-Paul, ce dernier le fait chuter brutalement en freinant, puis l’écrase froidement avant de foncer vers Saint-Paul. C’est donc un cadavre qui est transporté d’abord à la clinique Jeanne d’Arc puis au CHD de Bellepierre. (…)
Trente-deux ans après, il nous faut déplorer que les responsables du crime commis au rond-point du Sacré-Cœur le 14 mars 1978 n’aient pas été inquiétés par la Justice. La volonté d’étouffer un aussi gros scandale est évidente. “Étouffer”, c’est bien le mot qu’il convient d’employer ici car les plaintes portées tant par la famille du défunt que par le maire du Port n’ont jamais été instruites et n’ont, a fortiori, jamais débouché sur un quelconque procès.

(fin)

Eugène Rousse

Message Publié : 23 Mars 2009, 01:09
par com_71
Le post ci-dessus cite maintenant les 7 assassinats relatés par "Témoignages".