par sylvestre » 23 Août 2012, 14:18
Un texte utile à lire en complément de la circulaire de l'IC, les [url=http://www.marxists.org/francais/general/souvarine/works/1921/10/congres.htm]notes et commentaires[/url] de Boris Souvarine, où figure un passage substantiel sur la presse, et sur l'élaboration de cette circulaire (avec d'ailleurs certaines appréciations différentes sur tel ou tel organe).
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L'Humanité, au cours des discussions sur le Parti français au Comité Exécutif, a reçu son petit lot de critiques. La plupart étaient justifiées, et, aussi bien, les militants français qui ne se nourrissent pas d'illusions n'avaient-ils pas attendu les réunions de Moscou pour formuler une appréciation parfois sévère de leur journal officiel. Mais l'Humanité a eu la bonne fortune de trouver un censeur si maladroit en Bela Kun (il y a partout des maladroits, et les communistes n'en sont pas dépourvus) qu'elle a bénéficié de certaines attaques. Bela Kun est un bon lutteur, courageux jusqu'à l'audace, mais il est moins bon polémiste, il manque de mesure et de subtilité.. Sa comparaison de l'Humanité avec la Freiheit5 a immédiatement tourné à l'avantage de l'Humanité, d'un assentiment spontané unanime que Zinoviev a modérément traduit. Plus tard, à la commission pour « l'organisation », le délégué français qui écrit ces lignes eut la satisfaction d'entendre Trotsky rendre à l'Humanité l'hommage qu'elle mérite tout autant que certaines critiques ; un camarade allemand émettant des objections à l'attribution de deux voix au Parti français dans le Comité Exécutif, Trotsky répliqua vertement à ce qu'il appela un « manque de tact » (en quoi il fut approuvé par Radek) et, pour ramener les choses à leurs justes proportions, il demanda aux camarades allemands : « Quand serez-vous capables de faire un journal ayant la sphère de diffusion de l'Humanité ? » Cela fut fort bien dit, parce que justement pensé. L'Humanité a ses défauts, la Rote Fahne en a d'autres et la Pravda ne mérite pas que des éloges, il s'en faut.
Entre communistes, on doit échanger sans ménagements et en toute camaraderie les observations et critiques suggérées par l'intérêt du mouvement communiste. C'est ce que nous avons fait, à Moscou, profitant de l'occasion de ce rendez-vous international unique fournie par les quatre Congrès qui ont siégé en juin et juillet. Nous en sortons tous, critiqueurs et critiqués, à la fois plus assurés, plus confiants, plus forts. Les imbéciles internationaux de la « reconstruction » ne comprennent, et ne comprendront jamais, ces méthodes de travail. Mais il y a, parmi les « reconstructeurs » des gens qui ne sont pas des imbéciles (traîtrise et sottise ne sont pas forcément jumelles) et qui comprennent fort bien que les communistes puisent précisément dans ces méthodes ce qui fortifie leur confiance et décuple leur ardeur.
Pour en revenir à nos journaux, nous ne craignons pas d'en signaler ouvertement les lacunes et les erreurs sans nous soucier des ricanements niais de nos adversaires. Pendant que ceux-ci ricanent, nous élevons de quelques degrés le niveau de perfectionnement de nos organes, et c'est là l'essentiel. Les journaux communistes, et en général révolutionnaires, sont d'ailleurs à tel point supérieurs, par la tenue et le contenu, aux feuilles jaunes de nos contempteurs (voyez France Libre6, Peuple7 et Populaire8, dérisoires et méprisables), que nous pouvons être en toute quiétude indifférents à la moindre velléité de comparaison.
L'Humanité est devenue un journal vivant, actuel, combattif, cela est indiscutable. Mais elle peut, avec les moyens intellectuels et matériels dont elle dispose, faire encore de grands progrès.
Il lui faut d'abord mettre sa rédaction à l'unisson, la discipline, et pour cela, sans doute, la réduire en nombre, en exigeant de chaque collaborateur plus de travail. Il lui faut s'habituer à s'adresser à la grande masse prolétarienne, qui attend de son journal, chaque jour, une direction spirituelle, des mots d'ordre ; les questions traitées doivent être rendues intelligibles à l'ouvrier inéduqué, au « camarade élémentaire », elles ne doivent pas être réservées à quelques boulevardiers, à de petits cercles de militants informés, aux habitués du Croissant9. Il faut que l'Humanité reflète mieux la vie du prolétariat, ce dont elle ne se soucie pas assez. Il faut qu'elle mette à la portée des « simples », des « élémentaires » les questions de politique internationale que Paul Louis10 traite d'une façon ésotérique, comme s'il s'ingéniait à rebuter les lecteurs. Tout cela, l'Humanité peut et doit le réaliser sans trop d'efforts.
Tel quel, notre journal fait très bonne figure à côté des autres quotidiens communistes, ou sympathisants comme le Daily Herald11. Celui-ci est vide, non seulement de pensée communiste, mais encore d'esprit révolutionnaire ; il flatte tous les travers de ses lecteurs, donne dans des procédés journalistiques de mauvais aloi. La Rote Fahne est riche de contenu doctrinal, mais son information internationale est détestable, et elle reste inaccessible à la masse ouvrière. L'Ordine Nuovo12 a les défauts de l'Humanité sans avoir la compensation d'une diffusion aussi considérable. La Pravda reste inégalée et pour longtemps inégalable par la rectitude de sa direction théorique, par la richesse et la variété de ses articles, par la solidité de son « fond » ; mais elle mérite aussi de sévères critiques pour l'insuffisance de son information, intérieure et internationale.
Si l'on examine les publications hebdomadaires ou mensuelles, on n'en trouve pas qui échappe à la critique. Le meilleur des journaux hebdomadaires français, la Vie Ouvrière13, ne s'adresse pas aux ouvriers, mais à une élite de militants, pour laquelle elle présente d'ailleurs un intérêt de premier ordre. Le Bulletin Communiste14, lui, ne vise pas à atteindre la masse, il ne prétend la toucher qu'indirectement par l'intermédiaire des militants du Parti ; mais il n'est pas composé d'une façon assez systématique et n'a pas encore su constituer une phalange de collaborateurs français qui apporterait aux partis des autres pays la documentation dont ils ont besoin sur ile mouvement social en France. La Revue Communiste15 a les mêmes défauts que le Bulletin, et quelques autres en plus ; elle n'est pas une revue dans le sens bien défini du mot, elle est presque toujours inactuelle, et l'absence de méthode dans la composition est plus blâmable quand il s'agit d'une publication mensuelle que d'un hebdomadaire. La Vague a connu un grand succès dans le passé, mais à quel prix ? Elle a su se mettre à la portée du public ouvrier et paysan, mais elle s'est vulgarisée dans le mauvais sens du terme, elle s'est abaissée à un niveau inférieur au lieu de s'efforcer d'élever ses lecteurs à un niveau intellectuel supérieur. C'est ce qui s'appelle : pour vivre, perdre toute raison de vivre. C'est le type du journal à ne pas imiter. L'Ouvrier Communiste16, qui reflète un remarquable effort de pensée, a, comme la Vie Ouvrière, le tort de ne s'adresser qu'à une poignée de convertis. Le Phare17 est supérieur à la Revue Communiste par ses commentaires d'actualité et sa chronique internationale, pourtant trop pauvre, mais son fond est trop formé d'emprunts. Mais que dire du Workers' Dreadnought18, qui ne trouve rien d'autre a publier que Crainquebille19, à la première page et en article de tête ? Et de cette Communist Review dont on n'arrive pas à deviner la raison d'être ? De telles publications ne sont bonnes qu"à disparaître.
En résumé, la presse communiste française, avec ses défauts et ses qualités, tient dignement sa place parmi les éditions du mouvement communiste international. Mais elle est susceptible de s'améliorer beaucoup et c'est pourquoi le Comité Exécutif a tenu, d'abord à inviter le Parti français à renforcer son contrôle sur la presse, puis à attirer son attention, comme celle de tous les Partis, sur « le caractère de nos journaux », par une circulaire destinée à susciter des discussions entre rédacteurs communistes sur la meilleure manière de « prolétariser » notre presse.
Ce qui manque le plus à notre milieu communiste français, une revue doctrinale et documentaire comme celles de nos camarades allemands ou hollandais, ne sera pas créé par improvisation. Là, comme en bien d'autres domaines, le problème reste à résoudre par suite du « manque d'hommes », c'est-à-dire de l'insuffisance de nos forces intellectuelles, que l'on constate dans tous les pays, même en Russie, où les plus éminents de nos militants sont débordés par l'énormité de la besogne à accomplir. Il faudrait créer un foyer de culture communiste, un centre d'attraction pour les jeunes intelligences susceptibles de se mettre au service de la cause prolétarienne. Mais... ceci est une autre histoire et nous entraînerait trop loin du 3e Congrès communiste.[/quote]