Cher(e)s camarades,
Pour la vingtième semaine consécutive, des millions et des millions d’anonymes ont à nouveau exprimé leurs aspirations profondes : « Système dégage ! Souveraineté populaire ! »
Ce mouvement du peuple tout entier pour la démocratie, la souveraineté nationale et la souveraineté populaire, met à l’ordre du jour la convocation immédiate de l’Assemblée constituante souveraine, qui actera le départ définitif du régime rejeté par les masses, et définira la forme et le contenu des institutions de cette Algérie nouvelle à laquelle des millions aspirent.
Armés de toute l’expérience d’un siècle, au moins, des combats de la classe ouvrière internationale et de son avant garde, et des peuples opprimés par l’impérialisme, nous savons que pour imposer cette assemblée constituante souveraine qui ouvrira la voie à une issue positive, la classe ouvrière algérienne devra prendre la direction des masses opprimées, ce qui pose tout le problème de son indépendance politique.
Mais voilà, comme vous le savez, le 26 juin, en scellant un « Pacte pour une véritable transition démocratique » avec d’autres partis – dont certains représentent une fraction de la bourgeoisie compradore subordonnée à l’impérialisme –les dirigeants du Parti des travailleurs (PT) d’une part, et du Parti socialiste des travailleurs (PST) de l’autre, deux partis qui se réclament de la révolution prolétarienne, ont franchi une ligne rouge.
Cette alliance n’est pas circonstancielle, sur un point particulier de la lutte tel que celle nécessaire contre la répression ou en défense des libertés démocratiques, ou les organisations et partis tout en agissant ensembles conserveraient leur indépendance, selon le vieux principe du mouvement ouvrier de « marcher séparément frapper ensemble », mais « un pacte » fondé sur la lutte commune pour le pouvoir entre des organisations et des partis politiques d’extraction historique, de programmes divergents, entre des organisations se réclamant des travailleurs et des avocats de la bourgeoisie et de son état.
En effet le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), et l’Union pour le Changement (UPC) sont parmi les signataires.
Le RCD qui a été représenté par trois ministres dans le premier gouvernement Bouteflika/Benflis lorsque celui-ci réprimait dans le sang le soulèvement de la jeunesse en Kabylie, n’a jamais caché, à travers son programme, son attachement « à une économie de marché sociale et étique », à une « privatisation accélérée des entreprises publiques », et son soutien aux mesures et recommandations du FMI et de la banque mondiale.
L’UPC, présidée par Zoubida Assoul, est une coquille vide. Ce parti et sa principale dirigeante ont soutenu, au début du mouvement populaire, la candidature, à l’élection présidentielle avortée, de Ghédiri, général major à la retraire, une’ candidature propulsée par une partie de la hiérarchie militaire. Avant ce haut fait d’arme Zoubida Assoul participait à « la Moutawana », aux côtés de Ahmed Benbitour, ex premier ministre, et de Bénaouari, ex ministre des finances et actuel PDG de plusieurs fonds financiers privés dont celui de la banque française la Société Générale.
Il y a également parmi les signataires deux résidus de la crise du Parti d’avant-garde socialiste (PAGS) , parti stalinien historique : le Mouvement Démocratique et Social (MDS) et le Parti pour la laïcité et la démocratie (PLD).
Le MDS s’est reconverti totalement à « l’économie de marché » et dans son tout récent conseil national s’est opposé à la revendication de l’assemblée constituante souveraine.
Le PLD, fait encore plus fort. Moulay Chentouf, son principal dirigeant, écrit dans un message, publié par El Watan le 21 mai et par le soir d’Algérie le 23 du même mois :
« L’ANP doit être la garante du caractère pacifique de la transition et de son issue démocratique. l’ANP est la force la plus avancée et la plus organisée de l’Etat et de la société. C’est pourquoi, le peuple compte sur son armée pour l’accompagner dans le processus révolutionnaire qu’il mène. L’ANP est priée instamment de s'inscrire pleinement dans le sens des revendications du peuple en traduisant concrètement et dans l’urgence son slogan majeur : « système dégage » par la dissolution de tous les partis politiques sans exception et de toutes les organisations syndicales. »
La qualité des signataires, et leur programme, permettent- de saisir pleinement le contenu du « pacte » signé.
Dans la déclaration du 30 juin du Comité d’Organisation des Socialistes Internationalistes (COSI) il était précisé : « .le pacte a été élaboré pour que chaque parti séparément et tous ensemble puissent s’y reconnaitre. Incontestablement la situation politique actuelle, la nature de la politique du régime et les aspirations du mouvement populaire sont parfaitement abordés par la déclaration. Des revendications radicales sont mêmes insérées dans ce « pacte politique ».
Mais cela n’est pas l’essentiel. Il est ailleurs.
En effet il est écrit « (que) « aucune négociation et aucune transition démocratique ne sont possibles (c’est nous qui soulignons) » puis suit une série de conditions adressées au régime.
En d’autres termes une négociation avec le régime pour s’entendre sur une période de transition est possible. Et dans ce cas il faudrait sans aucun doute aboutir « à un compromis » avec le système. Ce n’est ni plus ni moins que ce qu’a demandé le principal responsable du FFS. Il a dit dans son intervention « qu’il faudra bien aboutir à un compromis ». Ali Benflis qui parle pour la hiérarchie militaire ne dit pas autre chose dans son interview « impérieuse nécessité d’un grand compromis national» donnée au « Quotidien d’Oran » mardi 25 juin.
Des questions se posent et sont posées aux formations politiques qui se réclament du mouvement ouvrier.
En évoquant les conditions d’un possible dialogue avec le système « le pacte politique » ne tourne t il pas le dos au mouvement populaire qui depuis 19 semaines dit « système dégage », « la parole au peuple » ? « Le pacte politique » n’a-t-il pas saisi ainsi la main tendue de Gaid Salah a qui les millions de marcheurs chaque semaine cherchent à l’aider à quitter le pouvoir ? Et cette main tendue refusée jusque là, au point que l’élection présidentielle du 4 juillet a été annulée et que la nouvelle échéance électorale n’a toujours pas été annoncée, n’est-elle pas l’essentiel de la politique du système et là saisir ne constitue t-elle pas une bouée de sauvetage pour le régime ? »
Cher camarade
Vous avez sans aucun doute reconnu, comme nous, la nature de ce document, son objectif, et donc la nature de l’alliance conclue : une alliance contre-révolutionnaire sans rivage à droite. Une alliance de même nature surgit en certaines circonstances de la lutte de classes à l’échelle mondiale dont les leçons ont été généralisées dans le programme de transition de la IV internationale :
« Les fronts populaires d’une part, le fascisme de l’autre, sont les dernières ressources politiques de la bourgeoisie dans la lutte contre la révolution prolétarienne », qui ajoute les organisations révolutionnaires ne peuvent avoir de place dans aucun des fronts populaires, car ceux-ci s’oppose irrémédiablement à tous les groupements politiques liés à la bourgeoisie. . Parlant des « pays coloniaux et semi-coloniaux, non seulement en Chine et en Inde, mais en Amérique latine », le Manifeste d’alarme de la IV° Internationale (1940) dénonçait « la fraude du front populaire » visant à « paralyser la classe ouvrière » au compte de l’impérialisme ».
C’est de cela qu’il s’agit avec ce « Pacte » du 26 juin.
A la volonté mille fois exprimée par des millions d’Algériennes et d’Algériens de « système, dégage ! » et « souveraineté populaire ! », le « Pacte » oppose la perspective « d’instaurer un processus constituant souverain qui prend en compte les aspirations démocratiques et sociales de l’immense majorité du peuple », et se prononce pour « l’organisation d’une période de transition qui réunit les moyens politiques pour l’expression d’une véritable souveraineté du peuple et l’édification d’un Etat de droit démocratique ».
La déclaration du « Pacte » du 1er juillet franchit un pas de plus en déclarant : « Les forces politiques de l’alternative démocratique réaffirment plus que jamais leur volonté d’agir en concert avec toutes les forces vives de la nation, pour la satisfaction des aspirations légitimes du peuple algérien afin de consacrer sa souveraineté par la mise en place d’un processus constituant souverain. »
Coalition avec des partis bourgeois subordonnés à l’impérialisme, revendication d’une « période de transition », d’une « action de concert avec les forces vives de la nation » dont nous savons tous, selon le langage courant en vogue dans notre pays, qu’elles incluent notamment la hiérarchie militaire, et aussi les partis corrompus, hier liés au régime, qui se prétendent aujourd’hui les « forces du changement » (comme en témoigne la présence physique de Abdelaziz Rahabi, ex-ministre et coordinateur des « forces du changement » à la réunion du 26 juin.
Tout cela, ce n’est pas seulement tourner le dos aux aspirations des masses. C’est renoncer, et prétendre interdire à ce que s’impose la seule issue démocratique : l’Assemblée constituante souveraine qui prendra tous les pouvoirs entre ses mains pour mettre en œuvre la souveraineté populaire.
C’est, de la part de dirigeants de partis, le PT et le PST, qui se réclament du socialisme l’abandon manifeste des principes les plus élémentaires du programme. C’est le basculement dans le Front populaire, politique qui a toujours préparé les plus grandes défaites du prolétariat, de l’écrasement de la révolution chinoise en 1927 à celui de la révolution espagnole en 1936-1939, ou encore de la tragédie du Chili en 1973.
En s’engageant dans le « Pacte », ces dirigeants ont renoncé au programme. S’ils refusaient de rompre le « Pacte », et qu’ils s’obstinaient dans cette voie, ils se feraient demain les instruments contre le processus révolutionnaire surgi le 22 février dernier.
Cette politique désastreuse des dirigeants du PT et du PST, nous le savons, a fait surgir en réaction contre elle nombre de prises de positions et de regroupements de militants.
Le COSI porte à votre connaissance, en tant que matériel de discussion sur les problèmes fondamentaux d’orientations. sa déclaration du 30 juin intitulée : « Aucun pacte avec le régime ! Aucun pacte pour négocier une pseudo "transition démocratique" avec le régime ! Plus que jamais, convocation de l'assemblée constituante souveraine maintenant ! Et pour cela, tout de suite, constituons les comités populaires et comités de citoyens pour l'Assemblée constituante souveraine ! »
D’autres initiatives qui, à l’encontre du « Pacte » front-populiste conduisant à la défaite, affirment la nécessité des comités populaires pour la convocation immédiate de l’Assemblée constituante souveraine qui prendra tous les pouvoirs entre ses mains. D’autres militants, notamment des militants actuels et anciens du PT (et sur un autre plan, des militants du PST) ont également, individuellement ou collectivement exprimé leur désaccord avec le « Pacte ».
Le COSI s’adresse à tous ces camarades, qui veulent rester fidèles à la classe ouvrière et à ses intérêts historiques.
Aujourd’hui, la révolution frappe à la porte. La nécessité de la construction d’une avant-garde pour aider la classe ouvrière algérienne à prendre la direction des masses opprimées, généraliser la constitution des comités populaires, aider au mouvement de réappropriation des organisations syndicales, et opposer à tout « dialogue » avec le régime et à la prétendue « transition démocratique », la convocation immédiate de l’Assemblée constituante souveraine, se fait sentir chaque jour un peu plus.
Dans ces conditions, l’urgence est que nous tous militants qui refusant de sombrer dans le « Pacte » de front populaire, se rencontrent et débattent sans aucun préalable.
Pour ce qui le concerne, le Comité d’Organisation des Socialistes Internationalistes nous sommes disponibles pour ouvrir sans tarder cette discussion sans autre condition, afin d’aider à regrouper les forces de l’avant-garde ouvrière indispensable pour aider les masses à imposer leur volonté : « régime, dégage ! », «souveraineté populaire !».
Alger, 9 juillet 2019