• LE MONDE | 04.02.03 | 13h31
Explications, révélations et ellipses d'un homme de l'ombre du trotskisme français
Il n'évoque pas l'après-Arlette Laguiller
Denoël, 17 euros, 332 pages. bibliographie La Véritable Histoire de Lutte ouvrière de Robert Barcia, alias Hardy
Ce livre est forcément un événement en soi. Pour la première fois, Robert Barcia, alias Hardy, dirigeant historique de Lutte ouvrière (LO), prend publiquement la parole.
Répondant aux questions du journaliste et écrivain Christophe Bourseiller, l'homme qu'on a présenté comme le "gourou" de LO – terme qu'il récuse – s'efforce de convaincre que l'organisation d'Arlette Laguiller est finalement plus "sensible" que son image ne le laisse croire. Car l'un des propos de ce livre est évidemment de montrer que LO n'a rien à cacher et que sa culture du secret – qui, au-delà du souci légitime de protéger ses militants dans des périodes troublées, a fini par induire un mode de fonctionnement peu compatible avec le jeu électoral – relèverait de l'invention journalistique.
Pour autant, l'ouvrage renseigne d'abord sur le parcours personnel de M. Barcia. On apprend ainsi que c'est "l'assassinat, à la Libération, par des militants du PCF" d'un jeune militant, Mathieu Bucholz, qui le fera définitivement basculer vers le trotskisme et rompre avec le communisme officiel. Sur le plan politique, deux révélations sont apportées : l'alliance passée en 1959 entre le groupe de Pierre Lambert et Voix ouvrière (ancêtre de LO), autour de la distribution de bulletins d'entreprise. Durant cette collaboration, M. Lambert aurait même proposé une fusion. Hardy évoque aussi une autre offre de fusion, que sa propre organisation aurait adressée à l'ensemble des formations trotskistes, fin mai 1968. Il revient par ailleurs longuement sur ses fonctions de gérant de société, qui avaient été mises à jour par L'Express en 1998, en démentant toute proximité avec le patronat de l'industrie pharmaceutique.
S'agissant des militants de LO, il revendique les qualificatifs "disciplinés" et "professionnels". " Un militant, écrit-il, doit être estimé professionnellement par ses camarades de travail. Il faut être quelqu'un de bien. Pas être celui qui se saoule, ni le fumeur de joints." M. Barcia explique que son organisation étant "philosophiquement opposée au mariage", elle n'empêche pas ses militants de se marier. Avec cette précision, néanmoins : " Nous estimons qu'un cadre de Lutte ouvrière qui se marie ne défend pas nos idées." Quant aux enfants, " il n'est guère possible de les élever correctement et de leur assurer la tendresse et la présence voulues tout en menant une vie militante à un certain niveau d'activité, explique-t-il. Nous n'interdisons pas à nos militants d'avoir des enfants (...) mais avoir et élever des enfants si on n'est ni riche, ni aidé par des domestiques, empêchera de (...) se consacrer à notre lutte."
Le livre intéressera aussi par ses ellipses. Rien n'est dit sur les débats internes de LO dans la période récente. L'après-Laguiller n'est pas non plus évoqué. Le nom de Jacques Morand, chef de la "fraction", sorte d'opposition interne tolérée, n'est pas cité. Pas plus que n'est évoquée l'entrée en dissidence, en 1997, des militants de Voix des travailleurs, qui ont, depuis, pour la plupart, rejoint la LCR.
C. M.