Chérèque-Raffarin: les secrets d’un accord

Message par Louis » 20 Juin 2003, 20:15

Quand l’Assemblée juge les «avancées» de Matignon



Entre le Premier ministre et le patron de la CFDT l’accord n’avait pas pris plus de soixante-quinze minutes. C’était il y a un mois, le 15 mai. Que reste-t-il de cette matinée «historique»?


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En ce petit matin du 15 mai, tout le monde a la gueule de bois: le gouvernement, qui espérait arriver dans la nuit à un accord sur les retraites avec les syndicats «réformistes»; la CGT et FO, qui demandent plus que jamais le retrait du projet; et la CFDT, qui espérait au contraire conclure. Il est vrai qu’au ministère des Affaires sociales, où les discussions ont eu lieu, rien ne s’est passé tout à fait comme prévu. François Fillon pensait que FO claquerait la porte d’emblée et que la CGT la suivrait rapidement: on resterait entre gens «raisonnables». Mais, conscients d’être des empêcheurs de négocier en rond, Marc Blondel et Bernard Thibault sont restés, vissés à leurs chaises. Conséquence? Fillon s’est montré peu conciliant. Pour François Chérèque, le compte n’y est pas. Seule satisfaction du secrétaire général de la CFDT: il a obtenu de Blondel qu’il n’allume pas son éternel cigare. C’est maigre…
A 6 heures du matin, Chérèque réagit le premier. Il est obsédé par le calendrier. Le lendemain, 16 mai, le gouvernement doit transmettre son texte au Conseil d’Etat. Si un accord n’est pas conclu dans la journée, seuls les députés seront désormais en mesure d’intervenir. Or si la CFDT reconnaît que le Parlement doit avoir le dernier mot, elle estime que, sur un sujet aussi sensible que les retraites, les organisations syndicales doivent avoir le premier.
Chérèque réveille donc la République. A Matignon, il appelle Pierre Steinmetz, le directeur de cabinet, Jean-François Cirelli, son adjoint, qui suit le dossier retraites, Dominique Chertier, le conseiller social. A l’Elysée, il joint Frédéric Salat-Baroux, l’un des deux secrétaires généraux adjoints. A tous il tient le même langage: il est prêt à reprendre les négociations. Immédiatement. Il le dit publiquement à 8h30, sur Europe 1, chez Jean-Pierre Elkabbach.
Matignon, 10 heures: les négociateurs de la nuit, François Fillon et Jean-Paul Delevoye, le ministre de la Fonction publique, rejoignent Jean-Pierre Raffarin dans son bureau. Les trois hommes voient se dérouler le scénario le plus noir: aucun syndicat n’accepte le plan gouvernemental. Le Premier ministre a passé des dizaines d’heures sur son élaboration. Mais jusque-là il a laissé Fillon en première ligne. S’il veut sauver la mise, il lui revient d’intervenir. Il appelle Chérèque pour savoir ce qu’il veut vraiment. Réponse du secrétaire général de la CFDT qui se trouve au siège de l’organisation, à Belleville: «Voyons-nous tout de suite.»
A 11 heures, il arrive à Matignon. Entre-temps, il a été rejoint par Jean-Marie Toulisse, le secrétaire national de la CFDT chargé du dossier retraites, qui a tout juste eu le temps de prendre une douche. Les deux hommes passent par une entrée discrète et gagnent le bureau de Raffarin. Ils s’assoient à la table ovale. Face à eux, le Premier ministre, entouré de Jean-François Cirelli et Dominique Chertier. Ce nouveau round va durer soixante-quinze minutes. De l’avis général, il va se résumer à un mano a mano Raffarin-Chérèque. Les deux hommes ont déjà eu l’occasion de se parler, au téléphone ou en direct. Mais là, «quelque chose se passe entre eux», de l’avis d’un des témoins. Ils s’appellent par leur titre: «Monsieur le Premier ministre», «Monsieur le Secrétaire général».
D’emblée, Raffarin affirme sa volonté d’aboutir. Chérèque attaque sur le dossier qui lui tient le plus à cœur: le départ à la retraite avant 60 ans de ceux qui ont commencé à travailler à 14, 15 ou 16 ans. Depuis le début, François Fillon répète que c’est trop cher. Le gouvernement est prêt à un geste pour ceux qui sont entrés dans la vie professionnelle à 14 et 15 ans. Pas au-delà. Raffarin le rédit. Chérèque le regarde droit dans les yeux: «Si je n’ai pas satisfaction sur ce point, je considérerai que le projet n’est pas acceptable.» Le Premier ministre vacille. Il demande à Cirelli d’aller estimer le prix de cette demande. Le secrétaire général adjoint revient vite pour affirmer que le chiffrage est impossible: par manque de données statistiques.
Au tour de Raffarin de fixer Chérèque droit dans les yeux: il se dit prêt à cette concession. Mais, après, sa marge de manœuvre financière sera nulle. Le gouvernement ne saurait accepter un marché de dupes. La CFDT devra donc dire publiquement son accord avec le projet. Chérèque opine. Mais il a d’autres doléances. Certaines ont un coût moindre. Sur l’objectif de porter la retraite des smicards à 85% du smic, l’essentiel a déjà été concédé dans la nuit par François Fillon. Mais la CFDT veut des précisions sur le calendrier et la possibilité de franchir, à terme, la barre des 85%. C’est OK, dit Raffarin. On passe à la revalorisation des retraites. En principe, elles sont indexées sur l’évolution des prix. La CFDT souhaite que des coups de pouce supplémentaires soient prévus. Accordé.
C’est sur l’introduction d’une part de CSG dans le financement du plan que le deuxième bras de fer a lieu. Le gouvernement n’en veut pas. Par principe, il se refuse à accroître les prélèvements obligatoires. Par opportunité, il se réserve d’utiliser cette carte à l’automne, pour financer le trou de l’assurance-maladie. Chérèque entreprend de secouer le dogme libéral. Raffarin tient bon sur la CSG, mais accepte d’augmenter les cotisations vieillesse de 0,2%. En 2006, quand, espère-t-il, la croissance sera revenue et les déficits maîtrisés.
Cette fois, l’accord est sur la table. «Chérèque a démontré qu’il était un formidable négociateur», lâche un homme de Matignon. «Contrairement à son image, Raffarin n’est pas un type bonasse. Il sait s’engager», souligne un négociateur de la CFDT. Chérèque a les larmes aux yeux. Il pense avoir obtenu beaucoup. Mais il sait qu’il prend une responsabilité énorme. Il se souvient que son prédécesseur, Nicole Notat, a été menacée physiquement en 1995, par des militants d’extrême-gauche, pour avoir pactisé avec Alain Juppé. Lui aussi devra apprendre à vivre avec des gardes du corps…
Jean-Pierre Raffarin sait qu’il va, à son tour, être critiqué par les ultras de son camp: n’a-t-il pas beaucoup cédé à une organisation fondamentalement sociale-démocrate? Mais, en libéral tempéré, il estime que le gouvernement avait besoin de l’onction de la CFDT. Pour défendre cet accord, il trouve des accents dignes d’un syndicaliste. «C’est une véritable avancée sociale. C’est la première fois que des travailleurs du régime général vont partir à la retraite avant 60 ans.» Un de ses conseillers souligne, malicieux: «C’est exactement ce que les députés communistes avaient demandé il y a quelques années. Que Lionel Jospin ait alors refusé montre à quel point les socialistes ne se soucient que des fonctionnaires.»
En sortant, toujours aussi discrètement, de Matignon, Chérèque rend une visite de courtoisie à François Fillon. Les conseillers du ministre sont amers: Matignon a concédé bien davantage que ce que leur ministre avait le droit de concéder. Mais Fillon est beau joueur: il sait qu’un Premier ministre est en droit de revenir sur ses propres arbitrages. L’après-midi, nouvelle réunion à Matignon entre Jean-Marie Toulisse, Dominique Chertier et Jean-Paul Faugères, le directeur de cabinet de Fillon, pour finaliser l’accord. On connaît la suite. Sur le moment, le gouvernement a semblé diviser le front syndical. Mais le compromis n’a pas désarmé la grogne, notamment celle des enseignants. Et pourtant, ce dont les députés ont commencé à débattre, c’est bien de l’accord Raffarin-Chérèque. Un accord pour l’Histoire ? Ou un accord pour rien ?

Hervé Algalarrondo
Louis
 
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