Voilà bientôt deux semaines que les lycéens se mobilisent, opposés à la réforme Fillon. Le projet consiste en un ensemble de mesures remettant en cause le modèle actuel de l'éducation, certes imparfait, mais qui au gout de la bourgeoisie ne répond pas suffisament aux besoins du travail. Ainsi, dans cette optique sempiternelle de profit, la réforme propose notamment de favoriser certaines matières aux dépens d'autres. Les sciences sociales prennent un strapontin, alors que les matières directement rentables et menant aux professions les moins enrichissantes vont prendre du galon. C'est le chemin d'une société toujours divisée en deux classes antagonistes, les détenteurs du capital, des moyens de production, et les autres.
Le gouvernement ne cache d'ailleurs pas sa volonté de fixer à un âge de plus en plus jeune la première étape dans l'orientation scolaire des élèves. C'est une volonté de former au plus vite une main d'oeuvre indispensable à cette société, pour que l'élève en difficulté généralement issu des quartiers populaires se dirige vers une "carrière" toujours plus compliquée. Dans une époque où le chômage ne fait que croître, ce n'est jamais rien d'autre qu'une promesse de toujours plus galérer pour trouver un emploi, lui-même précaire.
Dans cette même perspective de casse des acquis sociaux, le cadre national du baccalauréat est remis en cause quoi qu'en dise le ministre. Le bac qui se raproche du contrôle continu et dépend de moins en moins de l'examen national final, c'est l'assurance que d'un lycée à un autre, le diplôme n'aura plus la même valeur et n'ouvrira pas les mêmes portes. Comme le dit un manifestant de Seine-Saint-Denis, "mettre du contrôle continu dans le bac, ça va faire un bac Sarcelles et un bac Henri IV".
Par ailleurs, comme beaucoup l'ont compris, la décentralisation, le transfert de la responsabilité financière de l'éducation vers les régions aura pour conséquence évidente l'accroissement des inégalités entre les patelins qui pourront consacrer les crédits nécessaires à un enseignement de qualité, et les autres qui ne pourront qu'encore plus déplorer les effectifs insuffisants et les manques de moyens en général. Ainsi, pour seulement 9 élèves en moins dans les effectifs, le ministère retire du secondaire un professeur, alors que les classes sont déjà surchargées ! Un chiffre qu'il faut mettre en parallèle avec les moyens accordés au primaire : 1 nouvel enseignant pour... 63 nouveaux élèves. 5000 postes du secondaires seront supprimés. Dans un climat toujours plus délicat d'enseignement, le gouvernement sécuritaire se propose donc depuis un certain temps de faire entrer la police à l'école comme les médias s'en sont fait largement l'écho. Il s'agit d'une école à deux vitesses, pour deux classes sociales essentielles, que seul le baton de l'état-policier peut tenter de contrôler. Il faut ainsi signaler que les Renseignements Généraux étaient présents à la sortie de plusieurs lycées, de leur aveu même (à Achères, le mouchard avoué est allé jusqu'à nous demander sur le quai de la gare combien nous étions à manifester).
Ce sont les premiers pas timides d'une politique à terme de privatisation des services publics, qui donc satisferont toujours moins les besoins élémentaires de notre société, pour lui préférer la recherche de profits dont la répartition ne dépend que de la classe possédante qui ignore éperdument les intérêts de la population, sauf quand il s'agit de trouver au moins quelques clients solvables.
Face à cette politique de classe de la droite au pouvoir (qui soit dit en passant, reprend et complète les travaux passés du gouvernement Jospin), les lycéens ont décidé de se mobiliser. Le mouvement a commencé au lendemain de la récente "semaine sociale" dont on ne peut que déplorer l'isolement. Alors que le monde professionnel fait triste mine, notamment par la faute d'organisations syndicales trop avachies, les lycéens sont de plus en plus nombreux à protester contre un plan patronal d'organisation de la société. Le 1er février, 2000 lycéens manifestaient dans Paris dans une ambiance aussi enthousiaste qu'imprévue, les jeunes ayant réussi à débrayer des établissements qui étaient sur leur parcours. Le 5 février en compagnie des travailleurs du public et du privé, le très remarqué et bruyant cortège lycéen Parisien a vu passer plus de 3000 lycéens motivés lors d'un samedi où pourtant il n'y avait aucun cours à sécher.
Aujourd'hui 8 février, une dépêche AFP dénombre dans la France entière, plus de 10000 lycéens dans la rue contre le projet de loi Fillon ! 3000 à Paris, 3000 à Lyon, 2500 à Rennes et d'autres encore dans tout le pays. Il s'agit même des chiffres de la police ! C'est un succès inespéré. Contrairement à ce qui est dans les journaux, ce n'est pas tant le fait des syndicats lycéens, mais de coordinations indépendantes qui par-dessus le chapeau des bureaucrates a su appeller à une manifestation ce mardi ! En effet aujourd'hui, la FIDL et la FNL n'avaient rien fait pour mobiliser ; tout juste se sont-ils contentés de récupérer à grand renfort d'autocollants et de camions sono's la journée à laquelle ils s'étaient opposés lors de l'assemblée générale, et contre laquelle ils avaient voté... Heureusement, attachés à la nécessité d'un mouvement fait par les lycéens eux-mêmes et non par les organes d'un PS opportuniste et hypocrite, de jeunes militants lycéens révolutionnaires ont appellé à de régulières assemblées générales démocratiques où la timidité des bureaux n'a pas endigué la spontanéité de jeunes conscients de leurs intérêts.
Afin d'amplifier le mouvement et dans l'espoir que les travailleurs et les étudiants suivent à terme pour une mobilisation d'ampleur, les lycéens vont retourner dans la rue jeudi dans tout le pays. A Paris, le rendez-vous est à 14h place de la République. Puis il s'agira de répêter encore et encore des journées de mobilisation pour faire entendre l'intérêt des classes populaires ignorées par le gouvernement, qu'il s'agisse des travailleurs ou de leurs enfants. La politique n'est pas simplement la question de députés, elle est avant toute chose l'affaire de ceux qui la font, vivent les conséquences de son application et se mobilisent pour défendre la société qui n'a que le futur pour donner un sens à la liberté et à l'égalité.
Dans les quelques messages qui suivent, je joins des photos de la manifestation d'aujourd'hui.