Compte rendu de la manif

Message par ianovka » 26 Mai 2003, 13:13

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"La bonne température, c'est 37,5. A 40, on est malade"


LE MONDE | 26.05.03 | 13h31

Des centaines de milliers de personnes, venues de toute la France, ont manifesté, dimanche à Paris, contre le plan Fillon sur les retraites. Enseignants et fédérations CGT formaient le gros du cortège. "Lundi, c'est la grève, mardi c'est la grève...", ont scandé les plus déterminés.
"voilà bien longtemps que je n'avais pas manifesté à Paris !"Après une nuit de train, scandée par de multiples arrêts pour ramasser les collègues de toute la Côte d'Azur, Didier Bouscarat, professeur de lettres à Cannes, est sur le pied de guerre depuis 9 heures.

Sur le boulevard Diderot, déjà bien rempli, chacun installe qui son haut-parleur, qui son stand de spécialités locales. Gillou Le Guevellou, de la CGT-Rennes, a emmené 150 litres de cidre et 1 200 galettes bretonnes. On est encore loin des centaines de milliers de personnes (300 000 selon la police, 600 000 selon les organisateurs) qui, tout à l'heure, bloqueront le quart sud-est de Paris, saturant les trois itinéraires prévus entre Nation et la place d'Italie. Mais déjà plane cette impression que la journée sera particulière.

Petit à petit, une joyeuse pagaille s'installe. La tête du cortège, qui tente de quitter la place de la Nation, peine à se frayer un chemin. L'impatience de certains cortèges redessine une géographie militante improbable. La banderole du Pays bigouden-Cap Sizun (Finistère) précède le Lot-et-Garonne, juste derrière les Landes, qui accueillent un collège de Bobigny (Seine-Saint-Denis). L'université "Paris-I en lutte" s'encastre entre l'Aquitaine et les pruneaux d'Agen vendus en soutien à la lutte des enseignants du département. Les montagnards de Savoie se retrouvent en Bretagne et les drapeaux basques des pompiers des Pyrénées-Atlantiques se mêlent aux gwenadus bretons.

Les slogans aussi se confondent. " Pompidou des sous !", a écrit un manifestant languedocien sur sa pancarte. Un autre est plus ambitieux : " Avec Rimbaud, Rosa Lux, Bourdieu, contre l'imposture politico-économique". Les " No raffaran" font florès, comme les "Nous avons peur de la régionellose", ou encore : " La bonne température, c'est 37,5, et à 40, on est malade". " Aujourd'hui, c'est la Fête des mères en colère", scande un groupe de jeunes gens.

La dérision n'est qu'apparente. "Grève générale !" Le slogan est dans de nombreuses bouches. "Public-privé, c'est tous ensemble qu'on va gagner !" Les cortèges SUD, oriflammes de couleur au vent, font reprendre ce mot d'ordre aux équipes CGT. La sono crache : " Lundi, c'est la grève, mardi, c'est la grève...", et ainsi de suite. Tout au long des trois parcours, une certaine envie d'engager une épreuve de force reconductible s'exprime. La CGT réalise une démonstration de force. Le cortège de FO, où le secteur des finances est bien représenté, emprunte l'itinéraire de délestage passant par le sud... et devant Bercy.

Mais c'est l'éducation nationale qui a fourni les plus gros bataillons de manifestants. Nicole Geneix, secrétaire générale du SNUipp, le principal syndicat des enseignants du premier degré, et Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU, sont tout sourire. Manuella, 32 ans, enseignante dans une école rurale du Gers, redoute le "développement des inégalités" et se bat pour "un autre choix de société". Avec sa copine, elle balade sa banderole "une même école pour tous" sur tout le long du défilé pour "que ça se sache". "Le primaire, soumis depuis longtemps au budget des communes, connaît déjà de fortes inégalités", commente-t-elle. Dans son école, il y a un seul ordinateur pour 48 enfants. Alors, pas question de laisser faire la même chose dans les collèges et les lycées.

Juliette et ses deux amies, Marion et Amélie, qui dépassent juste l'âge de la retraite à elles trois, arborent un écriteau autour du cou : "Des vieux croûtons pour vos petits lardons". Sur sa pancarte, Serge a dessiné Luc Ferry avec des oreilles d'âne. Instituteur à Vallauris (Alpes-Maritimes), il est contre la "déliquescence dans l'éducation nationale". Dans son école, située en zone d'éducation prioritaire (ZEP), il accueille beaucoup d'enfants issus de l'immigration, dont "certains n'ont jamais vu travailler ni leurs parents ni leurs grands-parents". "Si on arrête l'école maternelle pour eux, ils auront un handicap social et culturel irrattrapable", insiste-t-il. Et de raconter que, dans une commune voisine, la mairie n'assurera plus l'accueil des enfants de 3 et 4 ans à la rentrée prochaine, mais les orientera "vers une garderie municipale payante".

Helder, 26 ans, professeur d'histoire-géo depuis trois ans au lycée Alfred-Nobel à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), est en grève reconductible depuis le 29 avril. Mais il n'a jamais cessé de faire cours à ses élèves de terminale. "J'écris au tableau que je suis gréviste, donc les élèves savent que je suis là gratuitement et ils en sont reconnaissants", raconte-t-il. Helder " culpabilise beaucoup" vis-à-vis de ses élèves de première et de seconde. Alors, il va les voir régulièrement. Jeudi, il a même maintenu une sortie au Louvre prévue de longue date, "et ils ont adoré". Il ne boycottera pas les examens. "Il n'y a pas d'autre solution que de les faire passer pour ne pas pénaliser les élèves", mais, pour obtenir le retrait du projet de décentralisation, il se dit "prêt à aller jusqu'au bout". "Autant il y a des disparités dans les positions sur les retraites, autant nous sommes tous unis, collègues et parents d'élèves, contre la décentralisation qui est vraiment une loi inique."

Parmi les non-enseignants, les professionnels de santé sont nombreux. Aide-soignante au CHU de Rennes, Catherine Deshayes, 40 ans, participe à la grève reconductible décidée par l'Intersyndicale pour ne pas aller au-delà de 55 ans : "C'est trop dur, les gens sont usés et on est plus fatigués qu'avant."

Les cheminots CGT ont massivement répondu à l'appel de leurs fédérations pour " monter" à Paris, déplorant toutefois, au cas par cas, comme ces Niçois, que la SNCF n'ait pas pu " fournir un TGV spécial". Chaque région, ou chaque ville, annonce fièrement ses chiffres : 6 000 viennent de Bretagne, selon un cheminot, 4 500 pour les Pays de la Loire, renchérit un autre, " et ce ne sont pas que des gens syndiqués".

Ils n'ont aucune idée du nombre de participants, mais ils en sont déjà certains : la mobilisation est " historique". Et pas question de douter de la popularité de leur mouvement. Lionel, de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), raconte : " A trois copains, on a fait signer une pétition contre la remise en cause de notre régime de retraite qui a recueilli 260 signatures sur trois trains, un seul usager nous est rentré dans le lard." C'est que la majorité d'entre eux éprouve comme un pressentiment que le prochain coup sera contre eux : " Après avoir dit que notre régime spécial n'est pas concerné, ils vont nous marginaliser et finiront par nous l'imposer, comme aux autres !"

Les gros cortèges des syndicats CFDT opposés à la position de leur confédération sont ovationnés. On crie " Chérèque, Fillon, démission". Les responsables de l'opposition au secrétaire général se hèlent, se tapent dans les mains, épuisés et ravis. La démonstration dépasse leurs espérances : "Ça n'a rien à voir avec 1995, estime Alia Vasset, du syndicat EDF-GDF de Clermont-Ferrand. En 1995, on avait encore un peu d'espoir dans la confédération. Là, on est au-delà du sentiment de trahison..."

Aux autocollants "CFDT en lutte" des mobilisations contre le plan Juppé se sont substitués des "CFDT en colère", sur le même fond rouge. Certains militants arborent un badge reprenant le sigle de la confédération assorti de la mention "canal historique". " Parce qu'on veut se distinguer du canal habituel, celui de Chérèque", rigole un militant lillois.

Pas moins de 15 bus ont été affrétés par les militants du Nord-Pas-de-Calais, où la fronde traverse l'ensemble des syndicats cédétistes, y compris du secteur privé. "Ni défaitistes ni collabos", hurle la CFDT du Hainaut.

Les huit unions départementales (UD) de la région Midi-Pyrénées ont désapprouvé la position confédérale. Le secrétaire de l'union régionale interprofessionnelle, Vincent Cabot, membre du bureau national de la CFDT, a lui-même voté une déclaration de soutien à ses UD et ses syndicats qui appellent à l'action.

François Chérèque n'est pas épargné. Le slogan " Pas de Chérèque en blanc au gouvernement" connaît un beau succès. De nombreux syndicats de la fédération Santé-Sociaux, dont est originaire le secrétaire général, sont là. Les cédétistes présents se refusent toutefois à parler de l'avenir : "L'important, aujourd'hui, c'est de préparer la grève générale, explique Vladimir Nieddu, de Lille. Après, on verra avec les adhérents." Autre signe de la colère contre la CFDT : le "D" de démocratique est souvent rayé sur les banderoles, parfois assorties d'un crêpe noir.

On remarque de nombreuses représentations du privé : les syndicats de Perrier en Languedoc-Roussillon, Dassault Gironde, Peugeot Mulhouse, Aventis Val-de-Marne, Dunlop, la Fnac, Flextronics, les banques, Alstom, les sites d'Aerospatiale à Toulouse... Chacun s'accorde pourtant à dire que le privé est noyé au milieu de la fonction publique. Les délégations proviennent essentiellement des grandes entreprises et des fédérations de la métallurgie et de la chimie de la CGT. "Nous avons eu des difficultés à mobiliser au-delà de nos bastions traditionnels", regrette un dirigeant savoyard.

A Tulle (Corrèze), les ouvriers de GIAT Industries se sont mobilisés pour "obtenir des conditions de départ optimales qui permettraient l'embauche de jeunes". Dans ce groupe où le précédent plan social autorisait les départs à 52 ans, "les salariés sont surtout concernés par leur avenir et leur emploi". Pour Pierre Baraudon, de la Snecma à Châtellerault, "quand les entreprises placent une épée de Damoclès sur l'avenir en arrêtant les embauches et les investissements", les salariés pensent d'abord au court terme.

Boulevard Diderot, Marie-George Buffet, entourée d'élus du PCF, dont les présidents des groupes parlementaires, ne cesse de s'enthousiasmer devant cette "lame de fond". "On risque de s'acheminer vers un 21 avril social", analyse Noël Mamère, député (Verts) de la Gironde, posté sur le trottoir, à quelques mètres de là. Devant le jardin des Plantes, Alain Krivine, le porte-parole de la LCR, préfère y voir "un mai rampant". A l'angle du boulevard de l'Hôpital et du boulevard Saint-Marcel, les troupes de Lutte ouvrière font bloc. Le PS s'était donné rendez-vous cours de Vincennes. Elisabeth Guigou est en baskets. Henri Emmanuelli jubile : "Contrairement à ce qu'on essaie de nous faire croire, les gens ne sont pas résignés. C'est une manif qui a du jus." A 13 heures, une moto avait déposé François Hollande. Il était bloqué : "Mon département, la Corrèze, est encore coincé sur le périph'."

Place d'Italie, une banderole est tendue sur le fronton de la mairie : "Retrait du plan Fillon - le maire du 13e et l'équipe municipale". Juste devant, une équipe de TF1 prépare un plateau en situation. "TF1 ment, la rue rue", hurlent des dizaines de manifestants, qui les forcent à remballer leur matériel. Il est 20 heures. La manifestation finit de se disperser. Didier Bouscarat va reprendre son train pour Cannes : "Ce fut une très belle journée. Quand nous allons rentrer dans nos établissements, je crois que nous allons être très motivés. La semaine qui vient risque d'être terrible pour certains."

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