Le début est plutôt un truc historique sur le textile en Ardèche, voici un extrait de la partie sur la lutte -elle même :
a écrit :
Ce coup-ci, elles ne se sont pas laissées faire
Le 14 septembre dernier, lors d'un Comité Central d'Entreprise (CCE), les élus du personnel avaient à plusieurs reprises posé des questions sur des « bruits de couloirs » évoquant des licenciements prochains. La directrice générale, Isabelle Vigoureux, avait traité tout cela avec tout le mépris qui s'impose face à la propagation de rumeurs infondées. Pourtant, en fin séance, elle cherche à faire ratifier l'ordre du jour de la réunion suivante, qui inclut la discussion d'un projet de PSE ( Plan de Sauvegarde de l'Emploi, c'est-à-dire, comme son nom fait tout pour le masquer : Plan de Licenciements Collectifs).
Se déroulent ensuite quinze jours éprouvants pendant lesquels les salarié-e-s savent ce qu'il en est, mais sans pouvoir agir faute de décision officielle à laquelle s'opposer. Peu enclins à battre des records de productivité dans ce contexte menaçant, ils arborent symboliquement dans l'usine des brassards rouge (pour la colère) et noir (pour le deuil). La journée du 28 septembre a été décisive, avec deux réunions du C.C.E. et surtout, entre temps une Assemblée Générale des salarié-e-s.
34 personnes étaient réellement concernées par le PSE, et ce ne sont qu'elles qui participent aux AG et organisent le blocage. Cela permettait de ne pas donner prise à d'éventuelles manœuvres de division de la part de la direction, et de retirer ainsi la pression sur les autres salariés voulant manifester leur solidarité – ils pouvaient participer aux actions mais sans être décisionnaires de leur organisation. La blocage est décidé d'abord à 24 le 28 septembre, puis reconduit à l'unanimité des 34 concernés. Les tours de garde s'organisent, le « poste de nuit » étant, devant les grilles comme dans l'usine, plutôt affecté aux hommes. Les femmes, qui représentent les 2/3 des effectifs menacés, gèrent l'occupation mais aussi l'impatience de leurs conjoints qui, comme tout le monde, languissent que le conflit se termine. Le fait que peu d'entre elles aient ici des enfants en bas âge contribue de fait à leur disponibilité pour la lutte.
Le vendredi 1er octobre, la direction a annoncé qu'elle allait faire intervenir l'huissier, qui est venu constater le blocage le mardi 5, et remettre à chaque salarié impliqué une convocation au tribunal de Privas pour le lundi suivant. Il a alors fallu lever les doutes et les craintes, pour beaucoup de gens participant pour la première fois à une lutte et qui étaient impressionnés par la simple présence de l'huissier. Le lundi, au tribunal, l'entreprise a tout simplement demandé 1 000 euros de dédommagement par heure et par salarié !!! Pourtant, le blocage est certes déclaré illégal par le juge des référés, mais avec une certaine lenteur et sans « punition » financière immédiate à l'encontre des salarié-e-s. Un éventuel « Plan B de lutte » est toutefois évoqué parmi les assiégeants, en cas d'intervention des forces de l'ordre – la perspective d'une évacuation brutale des salariés par les CRS étant ici plutôt considérée a priori comme démobilisatrice, pour des salarié-e-s déjà inquiets de ne pas respecter une décision de justice. Mercredi 13, armée d'une copie de la décision de justice, la direction demande aux salarié-e-s la levée du blocage. Ceux-ci, légèrement tatillons et procéduriers, réclament un nouveau passage de l'huissier, qui a lieu le jeudi. Vendredi 15, la direction écrit au préfet pour demander une éventuelle intervention des forces de l'ordre. Ce même jour, pour conserver la solidarité des salariés des deux autres sites – qui en étaient à une semaine de chômage technique du fait de la rupture des approvisionnements provenant de Saint-Julien – les grévistes envisagent de laisser sortir un camion.
Lors de cette phase délicate, le conflit semble avoir été bien mieux géré du côté syndical que du côté de la direction, qui n'a pas fait bloc autour d'une stratégie unique assumée par tous les intervenants. Surtout qu'a posteriori, l'arme de l'intervention des forces de l'ordre apparaît comme une intox, vu que celles-ci ne se sont pas présentées ni le lundi en question, ni les jours suivants. Sans doute que, dans le cadre du conflit en cours sur les retraites, l'image d'une évacuation par la force de salarié-e-s exigeant de pouvoir continuer à travailler n'entrait pas dans les plans du préfet de l'Ardèche, représentant local d'un gouvernement qui prétend justement vouloir nous faire travailler plus. Il y aurait eu comme une malheureuse conjonction de symboles... On peut parler sans doute d'un contexte favorable pour les Payen : avec le mouvement des retraites qui avait démarré, l'Union Départementale CGT pouvait mettre en avant une sorte d'abcès de fixation, et le fait d'être systématiquement en tête de manifestation a pu galvaniser les salariés et les aider à mener à bien une entreprise aussi éprouvante qu'un blocage de cette durée.
La suite et ce qui précéède, avec les sons et les images, sur :
http://www.mediapart.fr/club/blog/yann-kin...s-licenciements