a écrit :Une enseignante s'immole par le feu dans la cour de son lycée
Professeure de mathématiques à Béziers, cette femme d'une quarantaine d'année a été hospitalisée dans un état grave.
Une professeure de mathématiques, dépressive et en conflit avec ses élèves, était dans un état grave jeudi à la mi-journée après avoir tenté de s’immoler par le feu dans la matinée dans la cour du lycée Jean-Moulin de Béziers.
Selon le procureur de la République de Béziers, Patrick Mathé, elle «devrait s’en sortir», son pronostic vital n’étant plus engagé, grâce à l’intervention rapide des élèves devant qui elle a accompli son geste, puis des secours.
Cette femme de 44 ans, qui s’est aspergée d’essence aux environs de 10 heures pendant la récréation, est brûlée au troisième degré. Elle a été transportée par hélicoptère au service des grands brûlés du CHU de Montpellier.
«C’est l’acte de quelqu’un de désespéré», a affirmé M. Mathé, évoquant une «tentative de suicide en lien avec l’activité professionnelle» de la professeure, dépressive.
Pour lui, «il n’y a pas d’infraction pénale», cette femme ayant accompli son geste «de son libre arbitre», sans l’aide d’un tiers.
Selon des témoins interrogés par un correspondant de l’AFP, cette femme, qui enseignait dans la filière d’enseignement général de cet immense lycée, était en conflit avec certains élèves, qui la trouvaient trop sévère et contestaient ses méthodes.
Une tentative d’explication, mercredi, plutôt houleuse, avait été «mal vécue» par l’enseignante, selon ces sources.
Jeudi matin, la professeure, arrivée au lycée avec un bidon d’essence, a donné son cours entre 09h00 et 10h00, puis elle s’est placée au centre de la cour pendant la récréation, s’est s’aspergée de carburant très calmement avant d’y mettre le feu, ont expliqué des parents de lycéens.
Cellule de crise
Selon ces parents d’élèves de seconde et de première, elle était «très peu aimée» et, lors d’une réunion parents-professeurs il y a une dizaine de jours, elle s’était montrée hostile à toute discussion, se retranchant derrière la nécessité de boucler son programme.
Elle s’occupait peu des élèves en difficulté, préférant les exclure de son cours pour faire travailler les autres, ont raconté quatre parents d’élèves interrogés, qui ont par ailleurs noté lors de cette réunion que l’enseignante portait des bleus et des traces de coups.
L’enseignante avait fait une dépression nerveuse l’an dernier et avait été convoquée à plusieurs reprises par la direction de l’établissement, à la suite de plaintes des parents sur son comportement, ont ajouté ces sources.
Une cellule de crise a été mise en place jeudi au sein de l’établissement, qui regroupe lycée général et lycée professionnel et compte plus de 3.000 élèves. Quelque 280 enseignants y travaillent, selon le site internet de la cité scolaire.
Tous les élèves ont été renvoyés chez eux dans la matinée. Le sénateur-maire (UMP) de Béziers, Raymond Couderc, s’est rendu sur place, ainsi que le sous-préfet de l’Hérault et le vice-procureur de la République.
Contacté par l’AFP, le rectorat de l’Académie de Montpellier n’a pas souhaité dans l’immédiat communiquer à ce sujet.
(Source AFP)
Voilà l'information traitée sur un mode individuel,
le mouton noir, la faible et dépressive,
et on imagine cette usine paquebot,
trois mille élèves, près de trois cents profs,
et l'une d'entre eux qui ne séduit pas les élèves ("mal-aimée"), trop sévère, on brosse son portrait comme on le ferait d'une psycho-rigide mal adaptée sans une seule fois se demander si ce malaise qui trouve ici une expression désespérée et tragique n'est pas dans les faits partagé par un nombre croissant d'enseignants.
ci-après, un bon papier sur la prolétarisation du milieu enseignant.
a écrit :La prolétarisation des enseignants, au-delà du salaire
Par GUY DREUX Membre de l'institut de recherches de la FSU, FRANCIS VERGNE Membre de l'institut de recherches de la FSU
Selon Marx l’analyse de l’exploitation capitaliste ne se résumait pas à déplorer simplement une paupérisation des travailleurs. Elle consistait aussi à comprendre un mouvement de dépossession des «puissances intellectuelles de la production» au profit du capital. Marx distinguait ainsi nettement l’outil de la machine : «Le travailleur animait [l’outil] de son art et de son habileté propre, car le maniement de l’instrument dépendait de sa virtuosité. En revanche, la machine, qui possède habileté et force à la place de l’ouvrier, est elle-même désormais le virtuose, car les lois de la mécanique en elle l’ont doté d’une âme […]. L’activité de l’ouvrier, réduite à une pure abstraction, est déterminée en tous sens par le mouvement d’ensemble des machines ; l’inverse n’est plus vrai.»
On pourrait très bien transposer ce mouvement à la condition faite aujourd’hui aux enseignants. Des enseignants qui se prolétarisent non pas seulement au regard des conditions matérielles d’exercice de leur métier et du déclassement social subi et reconnu officiellement depuis plus de vingt ans. Ils se prolétarisent parce qu’ils sont de plus en plus dépossédés du sens et du contenu de leur mission.
Le principe de concurrence est devenu le principe de régulation du système éducatif. Chaque établissement scolaire ou universitaire doit se penser comme une entreprise au service de «clients» et doit développer des stratégies pour s’assurer une position sur le marché de la formation. Au sein de chaque établissement la généralisation des techniques de management vise à intérioriser ces logiques concurrentielles en responsabilisant - sous prétexte d’autonomie - et en évaluant - sous prétexte d’efficacité - chaque enseignant pour mettre en évidence son apport dans la «valeur ajoutée» de son établissement.
Enfin, la définition des contenus, des programmes scolaires repose de moins en moins sur des logiques disciplinaires, des savoirs constitués et partagés au sein d’une communauté savante, mais assure la promotion de la logique de «compétences» défendue par le Medef et la Commission européenne. Cette logique réduit toute connaissance, tout savoir à des éléments utiles - ou non - à l’employabilité des élèves et des étudiants.
La concurrence comme principe de régulation, le «new public management» dans l’organisation interne de chaque établissement et l’utilitarisme dans la définition des programmes scolaires, sont aujourd’hui les grandes «machines» qui dictent de plus en plus précisément la nature, l’ordre et le sens du travail des enseignants. Ce sont ces machines qui font émerger un travail de plus en plus prescrit, de plus en plus «abstrait», de plus en plus contrôlé et évalué selon des normes totalement étrangères au monde des idées, des savoirs et de la culture. Longtemps restés des «artisans», reconnus par leur statut, les enseignants deviennent des prolétaires, c’est-à-dire des travailleurs exerçant un métier dont l’intelligence et le sens passent du côté du capital ou plus précisément du côté de l’Etat-entreprise (corporate state) ; du côté de ce que nous appelons la «nouvelle école capitaliste».
C’est aujourd’hui ce statut qui, selon le mot de Luc Chatel, n’est plus un «tabou». Et le thème de la «revalorisation» du métier d’enseignant, qui semble s’imposer à gauche, risque d’être bien insuffisant pour contrarier ce mouvement si celle-ci n’est envisagée que sous la forme d’une compensation en échange d’un élargissement des missions et des tâches des enseignants ; élargissement qui ne contredit en rien les évolutions les plus désolantes qui touchent le métier actuellement.
Pour leur part, les enseignants ont à reconnaître dans la situation nouvelle qui leur est faite ce qu’elle doit au mouvement du capitalisme contemporain qui affecte l’ensemble du monde du travail et singulièrement les «professions du lien», selon l’expression de «l’Appel des appels». Pour y résister efficacement, il leur faut penser, comme le proposait Jacques Derrida pour l’université, de nouvelles alliances avec des «forces extra-académiques» (1).
(1) Jacques Derrida, «l’Université sans condition», Galilée, Paris, 2001. Coauteurs avec Christian Laval et Pierre Clément de «la Nouvelle Ecole capitaliste», éditions la Découverte, 2011.