a écrit :«Nous, on n'a pas les moyens de partir en vacances»
Reportage
Après une semaine de grève, les agents de sûreté de Roissy sont toujours déterminés à obtenir une augmentation de salaires. Ils dénoncent des conditions de travail éprouvantes.
Aéroport Roissy-Charles de Gaulle, 7h du matin ce mardi. Un vilain ciel gris se fait voir à travers la baie vitrée du terminal 2F. Ils arrivent par petits groupes, chasubles bleus de la CFTC, drapeaux rouges de la CGT, mégaphones qui crachent des bruits d'ambulance. Après six jours de grève, les agents de sûreté n'en ont toujours pas marre. «De toute façon, on a déjà perdu tellement d'argent que ça ne sert plus à rien de reculer maintenant», remarque l'un d'eux.
Leur principale revendication n'a pas changé : 200 euros d'augmentation pour tous. Ils la scandent en parcourant les halls de l'aéroport, sous le regard courroucé -et parfois les invectives- de voyageurs en attente. Une nouvelle séance de négociation doit s'ouvrir dans la matinée avec les employeurs, qui ne veulent rien lâcher sur la question salariale. Il n'en sortira rien. La Brink's, ICTS, Securitas, et Alyzia, qui se partagent l'essentiel du marché, affirment ne pas réaliser des marges suffisantes pour augmenter leurs salariés. Dépit et colère.
«Le job s'est militarisé»
Ecouter les agents de sûreté raconter leur quotidien, c'est faire collection d'anecdotes angoissantes sur leurs conditions de travail. «Le job s'est militarisé, dénonce l'un. On est sous surveillance permanente. Même pour aller aux toilettes, il faut demander la permission - sans garantie de l'obtenir». Des caméras sont braquées en permanence sur les agents pour s'assurer qu'ils respectent leur quota de palpation et ouverture de valises.
L'image d'un pistolet est parfois incrustée dans les bagages passés aux rayons X, histoire de tester leur vigilance - quand ce ne sont pas des policiers chargés d'armes factices qui se présentent.
Une autre salariée affirme avoir passé huit heures consécutives devant l'écran de la machine à rayons X, alors que ce genre de session est normalement limitée à 20 minutes. «A la fin, j'avais les yeux qui bougaient tout seuls». Ce genre de dépassement horaire est habituel, affirment les grévistes, dont les temps de pause sont chronométrés à la minute.«Alors oui, à un moment, on n'a plus envie de sourire aux gens qui se présentent au contrôle».
Selon beaucoup d'entre eux, cette pression permanente et la fatigue finissent par nuire à la qualité du travail. Le turn-over est très élevé dans le secteur, autant que les arrêts-maladie. L'incitation à faire vite, à fluidifier le flot des voyageurs, entraîne un relâchement de l'attention. «A la fin, le contrôle devient une pièce de théâtre, une mascarade, affirme une jeune agent de sûreté. Il y a tellement de failles... Si les terroristes savaient...»
Malgré tout, les agents sont priés d'avoir une attitude commerciale. «On nous demande de plus en plus de faire du relationnel, s'agace un autre. 'Bonjour, comment ça va, je peux porter votre bagage'... Maintenant quand un client -on ne dit plus 'voyageur'- refuse la palpation, ou transporte un liquide interdit en cabine, il faut parlementer avec lui, trouver une solution, appeler un responsable...».
«Nous, on part pas en vacances»
L'idée de voir intervenir la police ou la gendarmerie pour les remplacer à leur poste provoque l'indignation générale. Comme si on tentait de «voler» leur grève. «On se permet ça avec nous. Mais si c'étaient les pilotes qui faisaient grève, est-ce qu'on ferait appel à l'armée de l'air ?», s'exclame un militant CGT. «Agent de sûreté, ça ne s'improvise pas, reprend une autre. Il faut être formé à des protocoles bien précis»
Dans ce contexte, on est assez peu sensible à la complainte du passager «pris en otage» : «Nous, on n'a pas les moyens de partir en vacances, de prendre l'avion, s'énerve une déléguée CFTC. On n'a pas de Noël. Et si on veut se faire entendre, on est obligé de frapper fort».
Le lien : http://www.liberation.fr/societe/010123789...tir-en-vacances