Total aura vraiment tout fait pour orienter la piste des enquêteurs soit vers un prétendu acte terroriste, soit vers un "arc électrique" dû à l'usine SNPE d'à côté etc. et pour démontrer qu'il n'est pas possible qu'un dérivé chloré ait été entreposé avec les nitrates du bâtiment de stockage qui a explosé, parce que forcément le cariste l'aurait senti (effet irritant, lacrymogène etc.) Le dérivé chloré (un produit pour la désinfection des piscines) est fortement incompatible avec les nitrates. Total a en tout cas réussi son coup, plein de gens à travers tout le pays sont persuadés que c'est un attentat qu'on a caché (et des milliers de salariés du groupe Total, en particulier des cadres, se sont fait consciemment ou pas les colporteurs de cette thèse).
Du côté des enquêteurs, et spécialement ceux de la police, ils semblent s'être surtout intéressés à ce qui s'est passé pendant les dernières heures avant l'explosion, un peu comme sur une scène de crime (d'ailleurs mal protégée pendant les heures qui ont suivi l'accident).
Peut-être que l'explication se trouve dans le dernier bulletin LO paru avant l'explosion (donc, une ou deux semaines avant). Il y est fait état d'une fuite de dérivés chlorés, sous forme de poussière qui s'infiltre partout, jusque dans la salle de contrôle, où le personnel a dû aller à l'infirmerie "avec des yeux de myxomatosés" ou quelque chose comme ça. Des poussières, ce sont des solides, et pour les nettoyer on les ramasse. Ensuite, on les met bien quelque part. Il est tout à fait possible d'avoir utilisé des sacs. Comme le produit est très lacrymogène, on l'a probablement neutralisé (plus ou moins bien) avec un autre. Ensuite, avec la cascade de sous-traitance qui caractérisait ce site, l'un de ces sacs de "déchets" entreposé quelque part, puis déplacé a très bien pu se retrouver, mal vidé, dans un autre secteur de l'usine stocké avec les nitrates. La neutralisation insuffisante du produit en aurait laissé suffisamment d'actif pour déclencher une réaction, mais pas suffisamment pour alerter le cariste, l'effet lacrymogène ayant disparu.
Je n'ai pas absolument tout lu de l'enquête, mais cette hypothèse-là n'a jamais été évoquée.
Il y a eu aussi une expertise post-explosion demandée par le CHS-CT, et celle-ci a fait état de nombreuses failles dans le système. Ses conclusions qui mettaient en évidence le fait que les conditions d'un accident étaient réunies, ont été ensuite refusées par les syndicalistes du CHS qui ont réécrit leur propre version.
https://www.humanite.fr/node/272104Le traumatisme de l'accident AZF a été énorme et beaucoup de syndicalistes CGT (à part quelques-uns, dont les militants LO et fraction LO) ont basculé dans la défense de Total par crainte que l'usine ne ferme définitivement ! Pourtant, tout le monde savait que Total considérait avoir trop de sites dans sa filiale AZF et qu'il comptait en fermer. S'il avait eu le choix, il aurait sans doute préféré garder Toulouse et fermer Rouen (et d'autres sites plus petits), mais bon, puisque Toulouse a explosé, il n'allait pas reconstruire le site et donc... Va pour garder Rouen ! En plus, il se trouvait que dans le site toulousain la direction avait donné à un syndicaliste des responsabilités en matière de sécurité et cela a dû participer aussi à la paralysie syndicale. En tout cas, le syndicat s'est fait le complice de la direction dans cette affaire.
Aujourd'hui, dans l'industrie chimique, on continue de parler de "syndrome AZF" lorsque quelque part, un syndicat a peur de mettre sur le tapis un sujet touchant à la sécurité des installations par crainte que cela ne conduise à la fermeture de l'usine ou de l'atelier. Et cette situation n'est pas si rare...