Tribune de JM Nomertin dans France-Antilles

Tribune de JM Nomertin dans France-Antilles

Message par com_71 » 20 Oct 2015, 12:50

Ci-dessous, un article du nommé Nuissier, dans FA-Guadeloupe du 10 octobre, et une tribune libre en réponse, de JM Nomertin.

L'agression d'un dirigeant d'Air France en début de semaine, semble incompréhensible. Si la Guadeloupe a connu de telles conduites extrêmes, les syndicats ont renoncé à de telles pratiques. Errol Nuissier, psychologue, explique pourquoi nous sommes ici en avance sur la Métropole.

Quand le partenariat devient asocial !
Errol NUISSIER Samedi 10 octobre 2015

L'agression qu'a subie le directeur des ressources humaines de la société Air France, en début de semaine, a surpris, choqué, ému. En Guadeloupe : « nous avons, pour ce qui concerne l'expression du mouvement syndical, plusieurs mois d'avance, sur la Métropole » . Air France est une société nationale, elle est aussi l'un des symboles et plus encore, elle véhicule (sans jeu de mots) l'image de la France dans le monde. Un tel comportement semble absolument incompréhensible, lorsque l'on observe les relations habituelles entre salariés et dirigeants dans la France hexagonale, même si on a pu connaître de manière ponctuelle quelques tensions, notamment lors de la fermeture de la société Arcelor Mittal ou de l'entreprise Goodyear à Amiens. Toutefois, en tant que psychologue et surtout en tant que Guadeloupéen, nous ne sommes pas surpris par cet excès de violence.

LE PARTENARIAT SOCIAL : UN CONCEPT DANGEREUX

En effet, nous disions dans notre ouvrage Les violences dans les sociétés créoles » (qu') il existe une grave dérive contenue dans l'énoncé mais surtout dans l'application même de la notion de partenaires sociaux. Si, en apparence, une telle conception des rapports humains au sein de l'entreprise semble constituer une avancée importante, elle masque dans son application un net recul. En effet, désigner les syndicats de salariés comme des partenaires sociaux, c'est créer de manière illusoire l'idée que ceux-ci pourraient se situer au même niveau que les employeurs et qu'ils s'inscriraient dès lors dans une relation d'égalité » . Nous avions évoqué dans cette dérive associée directement à la notion de partenaires sociaux, le risque « de coups de forces menés par une minorité activiste visant à imposer sa volonté à la majorité (...) »

IL FAUT FAIRE UN CHOIX : SOIT L'ON EST DIRIGEANT, SOIT L'ON EST SALARIÉ

« Ce type de comportement nous apparaît comme particulièrement dangereux pour une démocratie et le fait de légitimer de telles personnes comme des partenaires sociaux nous semble entraîner un risque majeur à la fois (...) dans les sociétés créoles mais également dans l'Hexagone. Il entraîne (...) le sentiment que tout est possible pour défendre ses intérêts, y compris la force et le déni de démocratie » . Nous mettions déjà en garde, toujours dans notre second ouvrage notamment au chapitre de la violence des mouvements sociaux, contre « cette forme de violence particulière qui, nous semble-t-il, constitue une quasi annonce de ce que pourrait être la France hexagonale de demain » .
En réalité, il y a dans cette expression de partenaire social, une triple illusion. La première est que l'égalité ne se décrète pas, elle s'acquiert, au prix de luttes, d'efforts et de travail. La seconde, l'égalité ne se donne pas, elle se conquiert et elle ne peut exister entre deux personnes qui ont des intérêts opposés ou au moins divergents. Il y a une troisième raison, l'égalité ne peut intervenir entre des personnes qui occupent des positions asymétriques, qui ne pèsent pas le même poids dans l'entreprise. Pour simplifier, nous dirons qu'il y en a une qui se trouve du côté de la décision et l'autre du côté de l'exécution. Il faut faire un choix : soit l'on est dirigeant, soit l'on est salarié. À partir du moment où on annule ces différences qui sont intrinsèques et nécessaires au fonctionnement de l'entreprise, on rend possibles de tels débordements et pire, on les rend quelque part presque légitimes. Il nous semble que c'est cette illusion du partenariat qui a rendu possible le comportement excessifs des agresseurs, qui se sont crus autorisées à violenter celui qu'ils percevaient comme un égal et qui ne répondait pas à leurs attentes. Au-delà de la frustration, au-delà de la souffrance et du mal-être qui pourrait être le sien, c'est bien parce qu'il considère que celui qui est désigné comme son partenaire et qui ne répond pas à sa demande, à ses attentes (comme une femme ne répondrait pas à la demande de son compagnon) alors il juge légitime de l'agresser, puisqu'ils sont tous les deux inscrits dans une relation d'égalité : « je te demande, donc tu acceptes ».

EVOLUTION DES RELATIONS PATRONS-SALARIÉS DANS LES SOCIÉTÉS CRÉOLES

De telles conduites extrêmes, ont fait partie de l'histoire de l'expression syndicale dans nos sociétés créoles et en particulier dans notre département de Guadeloupe. Mais aujourd'hui, dans nos territoires, l'ensemble des syndicats a renoncé depuis des années à de telles pratiques. Et c'est du fait d'avoir connu de tels excès, que nous pensons que sur ce point, mais aussi sur d'autres, « les terres accueillant les populations créoles pouvaient être des terres d'expérimentation » . Le combat pour la défense des intérêts des salariés dans les sociétés créoles, qu'il soit unitaire ou dispersé, n'utilise plus ce type de comportements. Mais cela a été possible au prix d'une véritable réflexion au niveau régional et interrégional, pour renoncer de façon définitive, à de tels agissements car nous les jugions vains et dangereux et ce, au-delà des sanctions judiciaires. En ce sens, nous pouvons dire que si nous avons six heures de retard dans le décalage horaire, nous avons pour ce qui concerne l'expression du mouvement syndical, plusieurs mois d'avance sur la Métropole. Et c'est aussi l'expérience du jugement de ces actes dans nos départements qui nous fait dire qu'un tel débordement ne sera malheureusement pas le dernier, et ce, malgré la réprobation, les sanctions administratives et judiciaires. C'est parce que ces comportements ont été présents dans notre société guadeloupéenne, qu'il y a eu une réflexion au sein des syndicats, au sein des chefs d'entreprise, et des rencontres entre eux, pour tenter de gérer autrement les relations, pour éviter que la force physique, la violence et le désir de détruire l'autre ne puissent avoir la priorité, que nous avons dépassé ce stade. Mais avec cette notion de partenaire social, nous pouvons revenir à ces excès.

ACTEURS SOCIAUX ET NON PLUS PARTENAIRES SOCIAUX

C'est parce qu'aujourd'hui, on accepte que l'autre qui est différent de nous, a un message, des attentes, des espoirs différents des nôtres, qu'on peut avancer et non en considérant que les deux se trouvent sur le même pied d'égalité ou se dirigent vers un seul et même but et qu'ils sont des partenaires. Nous pensons qu'à la suite de ces conduites agressives, le temps des sanctions viendra, mais nous craignons que, tout comme cela a été le cas chez nous, il ne soit suffisant. Il serait à notre sens nécessaire, au-delà de la sanction, de mettre en place le temps de la réflexion et de l'échange, entre les différents acteurs sociaux...
Pour conclure, nous reprendrons l'idée que « le fait de nommer partenaires sociaux des minorités actives, légitime des actes isolés relevant de la manifestation d'intérêts partisans et particuliers, pour ne pas dire individuels. Se pose alors la question de l'acceptation et de la tolérance de la violence dans nos sociétés.

ERROL NUISSIER,
Psychologue clinicien, Créole


Tribune

Il faut que les intellectuels cessent de se déshonorer
Jean-Marie NOMERTIN Samedi 17 octobre 2015


La tribune publiée dans ces colonnes la semaine dernière a fait réagir Jean-Marie Nomertin, le porte-parole de Combat ouvrier, candidat aux prochaines élections régionales. Il rappelle que beaucoup d'améliorations ont été obtenues par « les explosions de colère » et estime que les intellectuels doivent être aux cotés des opprimés.

C'était prévisible. Les images du DRH d'Air France pris à partie par des travailleurs - des travailleurs dont il s'apprêtait à saccager tranquillement la vie - devaient forcément déclencher chez nous une réaction publique. Une voix « officielle » allait forcément vouloir en dire quelque chose. Parce que ces images sont exactement conformes aux fantasmes qui animent une bonne part de nos prétendues « élites » aux Antilles : la conscience coupable, permanente, que leurs privilèges constituent une injustice par trop flagrante.
La croyance, souvent répétée dans la « bonne société » , que « nous sommes assis sur une poudrière » . Le fantasme d'être assiégés par des masses noires, pauvres et vengeresses qui, si elles n'étaient pas maintenues à leur place par l'intimidation, se lanceraient à l'assaut de leurs villas... Toutes choses qui leur confèrent cette étrange « mentalité d'expat' » dans leur propre pays. Et comme c'est souvent le cas dans ce genre de situation, c'est Errol Nuissier, spécialiste autoproclamé des fantasmes, qui s'y est collé(France Antilles du samedi 10 octobre 2015).
Les cadres dirigeants d'Air France qui ont aujourd'hui la sympathie d'Errol Nuissier ont mis de côté 119 millions d'euros pour leurs futures « retraites chapeau » : cela représente plus de la moitié des prétendues « pertes » d'Air France cette année! Ils se sont votés des augmentations de salaire mirifiques : 72% pour le PDG, 74% pour le DRH. Ils ont joué et perdu en bourse des sommes gigantesques appartenant à l'entreprise. De cette façon, ils ont réussi l'exploit de mettre dans le rouge une compagnie dont le chiffre d'affaires augmente et dont les dépenses diminuent (notamment grâce à la baisse du prix du kérosène). En deux ans et demi, ils ont supprimé 8 000 emplois, imposé une augmentation du temps de travail à tous les personnels et gelé tous les salaires (tous sauf les leurs, bien évidemment).
Les travailleurs d'Air France ont accepté ces sacrifices en échange de la promesse que cela sauverait les emplois restants. Jusqu'à ce qu'on leur annonce (« à prendre ou à laisser » , car il n'est nullement question de négociation ici), que 5 000 autres postes allaient être supprimés dont 2 900 en France. Face à une telle brutalité, une telle injustice, quel être humain n'aurait pas laissé éclater sa colère ?
Errol Nuissier considère-t-il les travailleurs et les pauvres comme des êtres humains à part entière ? Quoi qu'il en soit, il a le mérite d'être assez clair : « L'égalité ne peut intervenir entre deux personnes qui occupent des positions asymétriques. (...) Il faut faire un choix : soit l'on est dirigeant, soit l'on est salarié. » Et d'expliquer doctement qu'à cause de l'illusion du partenariat social, « les agresseurs se sont sentis autorisés à violenter celui qu'ils percevaient comme un égal » . Quelle erreur, de la part de simples « exécutants » de s'être crus les égaux d'un « décideur » ! Errol Nuissier n'a qu'une seule chose à dire, noyée dans une dizaine de paragraphes d'autopromotion : l'idée « d'égalité » est dangereuse, car les pauvres pourraient se mettre à y croire.
Cette grande peur est aussi vieille que l'exploitation. Et dans notre société en panne, gangrénée par un chômage massif, une coterie de petits notables qui n'ont pour seule ambition que de fermer la porte du progrès derrière eux, s'y accrochent avec l'énergie du désespoir. On croirait voir les riches passagers de première classe du Titanic, ceux qui ont sauvé leur peau en cognant de leurs cannes et de leurs ombrelles sur les pauvres des troisièmes classes pour les empêcher d'accéder aux canots de sauvetage! Les « sanctions judiciaires » , « les sanctions administratives et judiciaires » , le « temps des sanctions » sont nécessaires répète Errol Nuissier, mais surtout il faut selon lui que les exploités cessent de croire qu'ils sont les égaux des riches. C'est au nom de cette morale pervertie qu'un procureur a récemment volé au secours d'une personne poursuivi pour des propos racistes en prétendant que tous les journalistes présents au procès avaient « mal entendu » le réquisitoire de son substitut. C'est aussi la raison pour laquelle il y a quelques années, Alain Huygues Despointes, poursuivi pour avoir fait l'apologie de l'esclavage, n'a écopé que d'une peine minime. Et c'est pour cela qu'à l'inverse, la justice « locale » a bloqué les comptes en banque de la CGTG et de deux de ses militants (...).
Mais tous ces gens marchent à contre-courant de l'histoire. Le chemin est long, il y a des reculs momentanés, mais les inégalités et les injustices finissent toujours par être battues en brèche. Avant il y avait l'esclavage. Maintenant il n'existe plus. Il y avait les privilèges légaux de la noblesse. Ils ont été abolis. Chez nous, il y a eu la confiscation du droit de vote par des préfectures qui organisaient la fraude électorale, le refus d'instaurer la Sécurité sociale malgré la départementalisation, les Smics au rabais, les « primes de chaleur » réservées aux seuls fonctionnaires blancs... Et ce sont à chaque fois, depuis des siècles, les explosions de colère des opprimés qui leur ont permis d'améliorer leur sort. Pour nous, communistes révolutionnaires, ils en ont le droit, y compris, un jour, celui d'exproprier la grande bourgeoisie et de prendre en main l'organisation de la société.
En attendant, ceux qui ont le privilège d'être des intellectuels se doivent d'être du côté des opprimés et des exploités comme l'ont été, dans ces moments-là, les Aimé Césaire, les Rosan Girard et tant d'autres. Et ils se déshonorent quand, tel Nuissier, ils rivalisent de zèle pour flatter les exploiteurs.

Jean-Marie NOMERTIN, Porte-parole de Combat ouvrier. Tête de liste de Combat ouvrier aux élections régionales des 6 et 13 décembre 2015.
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L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Tribune de JM Nomertin dans France-Antilles

Message par com_71 » 30 Oct 2015, 23:50

Un éclairage au sujet des points de suspension après Et c'est pour cela qu'à l'inverse, la justice « locale » a bloqué les comptes en banque de la CGTG et de deux de ses militants :

combat ouvrier a écrit :Face à la vérité historique de l’esclavage, France Antilles s’autocensure

Samedi 17 octobre, France Antilles a publié un texte signé par notre porte-parole Jean-Marie Nomertin. Nous réagissions aux propos lamentables du «psychologue officiel» Errol Nuissier contre les grévistes d’Air France, mais surtout, nous appelions les intellectuels à ne pas se déshonorer comme lui par une attitude servile envers les riches et les puissants. Dans la version originale de ce texte, nous rappelions que la CGTG et deux de ses militants ont été condamnés pour avoir écrit une simple vérité sur un tract, à savoir que «La famille Despointes a bâti sa fortune sur la traite négrière, l’économie de plantation et l’esclavage salarié». La rédaction de France Antilles a censuré cette phrase, vraisemblablement en panique, puisqu’elle n’a même pas pris le temps de nous en avertir ou de nous demander une autre formulation (ce qui aurait été la moindre des choses). Les juges qui ont condamné la CGTG se sont rendus coupables d’une atteinte grave contre la liberté d’expression, comme leurs prédécesseurs en avaient l’habitude «au bon vieux temps des colonies». S’il en fallait une preuve, la voilà : un journal qui a «pignon sur rue» recule devant la vérité historique. En effet, s’il en coûte 50 000 euros d’écrire cette vérité sur un tract, quel journaliste, quel écrivain, quel historien pourra encore oser en parler ? Un documentaire comme Les derniers maîtres de la Martinique – celui-là même où Alain Huyghues Despointes faisait l’apologie de l’esclavage devant la caméra – pourrait-il encore être produit après ça ? Les militants du mouvement ouvrier n’ont pas d’autre choix que de se battre contre ce jugement inique. Mais la récente reculade de France Antilles devrait convaincre aussi les intellectuels que c’est pour eux une question d’autodéfense que de rejoindre ce combat.
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