(L'Humanité @ lundi 15 décembre 2003 a écrit :
100 euros pour tous
L'usine, c'est un bout d'âme de cette région. Chaffoteaux et Maury est né à Saint-Brieuc, dans les Côtes-d'Armor, en 1914, et continue d'y fabriquer des chaudières, juste un peu plus au sud, dans la commune de Ploufragan, 10 000 habitants, dirigée par la gauche. Sa maire, Jeanine Tardivel (PCF), ainsi que de nombreux élus passent régulièrement dans " la boutique " syndicale apporter leur soutien aux salariés qui bloquent l'usine. L'entreprise familiale a grandi, changé de nom et de propriétaire. Elle a connu des conflits historiques. Depuis la semaine dernière, la voilà de nouveau secouée par le mécontentement des salariés, qui sont en grève reconductible avec occupation des lieux. La tension montait depuis plus d'un mois, notamment sur des revalorisations salariales. Et, après trois réunions de négociations avec la direction, les ouvriers et les techniciens ont décidé à plus de 90 % de durcir le conflit. " Ce sont eux qui ont pris la décision lors d'une de nos assemblées générales ", explique Chantal Jouan, secrétaire du syndicat CGT, qui recueille plus de 80 % des voix et compte 25 élus sur 26 dans l'entreprise. Plus aucun camion ne sort du site. Les livraisons de chaudières prévues pour l'Algérie, l'Italie où la Pologne sont clouées au sol. La direction aurait promis une nouvelle rencontre aujourd'hui à Paris seulement si les ouvriers laissent les stocks " libres de circulation ". Ce chantage n'a eu pour résultat que de les conforter encore à entretenir les braseros à l'entrée de l'usine.
Gros bénef et petits salaires
Il faut dire qu'ils ne sont pas les derniers à avoir consenti des sacrifices pour sauver leur entreprise. Il y a encore deux ans, rien n'allait plus dans les résultats du groupe. Racheté une première fois en 1997 par Preussag, société allemande, puis en 2001 par l'italien Merloni Thermo Sanitari (MTS), les 631 salariés ont accepté les augmentations de cadences, les compressions de personnels et les modérations salariales afin que l'entreprise retrouve des chiffres positifs. Depuis 2002, les profits sont au rendez-vous, avec un solde positif de 6,76 millions d'euros, dont 5 millions ont été reversés en dividende aux actionnaires. " 10,4 % de taux de profitabilité, c'est du jamais vu à CM ! " expliquent les tracts syndicaux dès les chiffres connus. Pendant ce temps, les salariés eux, sont soumis au régime " des pressions incessantes des cabinets embauchés par l'entreprise pour surveiller les ouvriers et augmenter les cadences ", raconte Chantal Jouan. Le travail en 2 x 8 est déjà harassant. Les salariés sont tellement exposés qu'ils ont obtenu un " plan amiante ". Mais les personnes qui quittent l'entreprise dans ce cadre ne sont pas remplacées. Du côté des techniciens, les Italiens ont imposé, depuis leur arrivée, le salaire au mérite. " Cette situation a installé un climat très malsain, car chacun se demande pourquoi son voisin bénéficie d'une augmentation et pas lui ", relate encore Chantal Jouan. Mise en concurrence, déprime, ambiance délétère, autant de facteurs démobilisateurs. Pourtant, les techniciens sont aussi très majoritairement du conflit.
L'annonce, en avril dernier, d'un résultat prévisionnel pour 2003 deux fois plus important que 2002, a mis le feu aux poudres. D'autant que les techniques de management culpabilisantes font circuler les mauvais mots à l'intention des salariés, par exemple, " selon certains responsables, si les salariés sont fatigués, ce n'est pas à cause de leur journée à Chaffoteaux, mais à cause de leur mode de vie à l'extérieur ", raconte un texte syndical. 100 euros pour tous. La revendication s'est peu à peu imposée, les salariés exigeant une part du retour sur investissement. Le mouvement est parti, avec un débrayage de quatre heures en guise " d'avertissement ", le 24 novembre à l'occasion d'une première réunion de négociations. Début décembre, la direction concédait " quelques miettes " de revalorisations par catégories, ou la prise en compte du temps d'habillage et déshabillage dans le temps de travail. Mais les salariés ont estimé que, loin de baisser la garde, il fallait " partir en grève ", pour une même augmentation collective pour tous : 100 euros, cela représente quoi, sur la somme des bénéfices ?
Paule Masson