par alex » 24 Fév 2004, 12:58
L'enseignant-chercheur peut-il faire grève en tant qu'étudiant ?
Les allocations de trois thésards chargés de cours pourraient être supprimées en commission de discipline à Paris-I Tolbiac.
Par Marie-Joëlle GROS
LIBERATION mardi 24 février 2004
Parce qu'ils ont participé activement, à la rentrée universitaire, au mouvement de grève sur le site Pierre-Mendès-France de Paris-I (Tolbiac), trois enseignants-chercheurs vont passer prochainement en commission disciplinaire. Deux d'entre eux mènent des activités syndicales : Stéphane Rey, en thèse de philo, est secrétaire national de la FSE-Solidarité étudiant, et Sylvain Billot, en thèse d'économie, milite à Oxygène-FSE. Le dernier, Benoît Peluchon, lui aussi en thèse d'économie, n'est pas syndiqué.Plainte au pénal. Tous trois sont «moniteurs allocataires» : ils disposent d'une bourse pour mener leurs recherches et dispensent un enseignement de travaux dirigés dans leur matière, à Tolbiac. Autrement dit, ils sont la fois étudiants et enseignants. Le président de Paris-I, Michel Kaplan, leur reproche d'avoir «participé à la dégradation des équipements de sécurité» et «utilisé leur position d'enseignant pour appeler les étudiants à diverses formes d'action, y compris le blocage physique». Une plainte au pénal a par ailleurs été déposée.En novembre, plusieurs universités étaient entrées en grève contre le projet d'harmonisation des diplômes européens, dite réforme LMD (licence, mastère, doctorat). En région parisienne, les universités de Villetaneuse et Paris-I Tolbiac comptaient parmi les plus mobilisées. A Tolbiac, où la présidence s'était engagée pour la réforme, les étudiants ont voté à plusieurs reprises le blocage physique du site entre le 26 novembre et le 15 décembre. Les trois enseignants-chercheurs ont participé aux actions : interventions en assemblées générales et blocage des ascenseurs qui permettent d'accéder aux salles de cours. «Ce qui est excusable de la part d'étudiants ne l'est pas venant d'enseignants, dit le président de Paris-I. Ils ont mené des actions commando, parce que les étudiants ne voulaient pas de cette grève. Pourquoi leur accorderais-je une impunité totale ?»Selon les trois thésards, seuls poursuivis, la présidence de l'université «cherche à limiter le droit de grève, ce qui est dans l'air du temps dans le service public. Et essaie d'impressionner les étudiants qui pourraient être tentés de se mobiliser à nouveau». Ils soulignent que leur statut hybride les range, en fonction des situations, dans la catégorie étudiante ou enseignante : «Nous n'avons pas, par exemple, le droit de vote dans les assemblées d'enseignants.» Ces derniers se sont pourtant mobilisés à travers leur syndicat (Snesup) pour demander l'annulation des poursuites engagées. Une assemblée des personnels Iatos a en outre dénoncé la «répression des mouvements sociaux et syndicaux» à Tolbiac. Une pétition de soutien, qui aurait recueilli 1 200 signatures, circule sur les campus et l'Internet.«Privilège». Les trois thésards risquent gros. Leurs allocations pourraient être supprimées. Et écoper d'un blâme ou d'un avertissement complique la quête d'une titularisation. «A l'université, les recrutements se font par cooptation», rappellent les trois ex-grévistes. Ils seront jugés par des enseignants élus au conseil d'administration de l'université. «C'est un privilège d'être jugé par ses pairs», estime Michel Kaplan.