a écrit :" La vie ne s'apprend pas en prison"
La direction de la PJJ appliquant scrupuleusement les dispositions des
lois Perben 1 et 2 veut aujourd'hui nous faire croire que les Centres
"Educatifs" Fermés, l'intervention permanente en maison d'arrêt, les
Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs sont autant de réponses
novatrices.
Cette administration doit être aveugle et sourde pour ne pas voir que
l'histoire, si elle ne se répète pas bégaie sérieusement et que, même
dotées de moyens importants et habillées d'alibis éducatifs ces
nouvelles structures et missions constituent un formidable bond en
arrière.
Alors faire un détour par l'histoire, ce n'est ni faire preuve de
nostalgie, ni d'un passéisme archaïque, c'est tenter de mettre les
choses en perspective, pour mieux lutter et combattre ces mesures de
régression.
Un formidable bond en arrière
L'identité éducative de l'institution (de l'Education Surveillée à la
Protection Judiciaire de la Jeunesse) s'est forgée dans la séparation
d'avec l'Administration Pénitentiaire. Pour autant, cette histoire n'est
pas linéaire et l'évolution des pratiques éducatives cherchant à
s'extraire de la structure carcérale a pris du temps.
À la Libération, l'Education Surveillée est une petite sous-direction de
l'Administration Pénitentiaire. Sa fonction se réduit à la gestion de
neuf établissements publics (St Hilaire, St Jodard, Belle-Île etc...).
Le mouvement qui, dans l'immédiate avant-guerre avait soulevé l'opinion
contre les "bagnes d'enfants" aboutit enfin et l'ordonnance du 2 février
1945 s'inscrit dans le combat plus large des grandes conquêtes sociales
de la Libération. La primauté de l'éducation sur la répression y est
affirmée, c'est un véritable dispositif de protection judiciaire de
l'enfance qui s'amorce impliquant la création d'une direction autonome
au sein du Ministère de la Justice (le 1/9/1945).
Tout au long de son histoire, l'Education Surveillée, institution
éducative au cœur de l'appareil d'Etat a été traversée par les tensions
de la société à des moments donnés, remise en question par les vagues
sécuritaires cycliques comme si le progrès qu'elle avait constitué en
1945 avait toujours été une conquête fragile et toujours contestée.
Entre éducatif et sécuritaire,
une lutte constante
Ainsi dès 1958, le Centre Spécial d'Observation des mineurs de la prison
de Fresnes est rattaché à l'Education Surveillée et éducateurs et
enseignants remplacent le personnel pénitentiaire. C'est un moment où la
courbe de la délinquance des mineurs recommence à grimper alors que,
dans le même temps, l'intervention en Milieu Ouvert se développe avec
l'élargissement du champ d'intervention de l'Education Surveillée aux
mineurs en danger.
De nouveau en 1966, l'Education Surveillée ouvre deux prisons
désaffectées à Provins et Coulommiers pour y recevoir les mineurs qui ne
peuvent plus être accueillis à Fresnes.
En 1971, alors que les chiffres de la délinquance des mineurs sont de
nouveau en augmentation, deux Centres Fermés d'Observation ouvrent à
Juvisy et à Epernay. Ces centres ainsi que le quartier mineurs de
Fresnes ne fermeront qu'à la fin des années 70 en raison de leur échec.
Le début des années 80 est marqué par une dynamique pédagogique et une
grande créativité dans la profession (développement de l'hébergement
diversifié, création d'ateliers d'insertion, individualisation des
prises en charge etc...). Mais dès 1986, la PJJ est soumise à des
restrictions budgétaires drastiques et à un arrêt brutal des
recrutements et l'administration tente de réintroduire des structures
fermées (Jeunes en Equipe de Travail et Services Educatifs à Encadrement
Renforcé).
L'ère du contrôle social
Aujourd'hui, nous sommes au cœur d'une période de régression profonde
initiée dans les années 95 lorsque les commandes politiques motivées par
des soucis essentiellement sécuritaires ont instrumentalisé la PJJ pour
maintenir l'ordre et combattre le sentiment d'insécurité.
Les Conseils de sécurité intérieur successifs de 1998, 1999 et 2001 sont
l'exemple type des commandes politiques adressées à la justice des
mineurs avec leur cortège de mesures où la contrainte pénale devient la
réponse quasi uniforme à la délinquance des mineurs. Le traitement de la
délinquance se substitue à l'éducation des mineurs en grande difficulté.
C'est toute une partie de la jeunesse qui se trouve stigmatisée car
rendue responsable de l'insécurité. Progressivement, la PJJ n'est plus
considérée comme un outil éducatif au profit de tous ces jeunes, mais
comme un outil de contention et de suivi pénal de ces jeunes perçus
comme dangereux. Parallèlement, la décennie qui vient de s'écouler a vu
s'amplifier l'injustice sociale, le chômage, la précarité.
Ces phénomènes se sont durablement installés, créant de véritables
poches de misère et dans ces quartiers défavorisés la jeunesse a perdu
l'espoir de trouver une place dans la société. Cette absence de
perspectives d'avenir, de perte de lien social et d'exacerbation de
l'idéologie individualiste a eu et continue d'avoir des conséquences
particulièrement graves sur les jeunes les plus fragiles de notre
société ; leurs réactions désespérées et violentes suscitent des
réflexes sécuritaires alors qu'il faudrait s'attaquer aux causes de la
montée de cette violence. Or au lieu de cela, les victimes du système
sont renvoyées à leur propre responsabilité et les pauvres comme les
jeunes sont aujourd'hui lourdement pénalisés s'ils n'acceptent pas de
s'engager dans les voies étroites, souvent sans issue qui leur sont
proposées.
Ainsi les politiques libérales parce qu'elles génèrent de la souffrance,
de la révolte ont besoin d'un Etat qui contrôle ces populations à
risque. C'est dans cet enjeu que la Protection Judiciaire de la Jeunesse
est aujourd'hui prise.
Dévoiement de la mission
éducative de la PJJ
Si certains d'entre nous avaient encore des doutes sur les projets de
l'actuel gouvernement concernant le devenir de la PJJ, il suffit de se
référer à la dernière circulaire CAP pour comprendre que les choix de
notre administration sont sans ambiguïté. La priorité est donnée à la
prise en charge des jeunes dans le cadre de l'enfermement, l'essentiel
des moyens y étant consacré.
Clairement affichée par la création des postes en Centres « Educatifs »
Fermés, plus sournoise par la création de postes indifférenciés en CAE
mais concrètement destinés à la présence permanente d'éducateurs en
maison d'arrêt, définitivement cynique par les recommandations de
fermeté accrue faites aux parquets dans le cadre de la circulaire
d'orientation pénale et uniquement répressive par la réforme de
l'ordonnance de 45, cette orientation relègue le travail éducatif au
rang d'alibi bien pensant d'une politique de répression tous azimuts
envers des mineurs considérés désormais comme une nouvelle classe
dangereuse.
« EPM : Une réponse nouvelle du ministère de la Justice ? »
Le projet de création des Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs
illustre de manière flagrante le dévoiement des missions de la PJJ.
L'avant-projet présenté en juin aux organisations syndicales, affirme
sans honte qu'il s'agit là d'un concept entièrement nouveau ! Soyons
sérieux ! À l'image des CEF qui revisitent le concept de la maison de
correction, la seule nouveauté de ces établissements destinés à
accueillir 60 mineurs encadrés par 150 personnels (dont environ la
moitié de personnels PJJ) est de laisser penser que le temps
d'incarcération pourrait être un temps éducatif. Pour le reste, rien de
nouveau : le mitard, les enceintes sécurisées, la surveillance
constante…
Il n'est pas question pour nous de nier qu'il est urgent d'améliorer les
conditions d'incarcération des détenus majeurs et mineurs, pour qu'à la
privation de liberté ne s'ajoutent pas des conditions de détention
inhumaines et dégradantes, indignes des droits de l'homme. Mais la seule
réponse du gouvernement à la surpopulation carcérale consiste à
construire toujours plus de prisons, au besoin en les privatisant !
« La prison devient éducative quand on y met des éducateurs ? »
Si, l'administration pénitentiaire est fondée à « humaniser » le
traitement des détenus, la PJJ n'a pas à assumer l'habillage éducatif de
l'enfermement des mineurs et à pallier les insuffisances de l'AP (1 CIP
pour 100 détenus !). Le retour de la PJJ en milieu fermé transforme
l'accompagnement éducatif en accompagnement de la détention, entraînant
une confusion des champs éducatifs et répressifs. Derrière ce glissement
de notre champ d'intervention, se cache le projet de construire les
réponses pour les mineurs délinquants dans la sphère du carcéral. Ce qui
renvoie à une conception de l'éducation qui emprunte largement aux
théories comportementalistes. Il ne s'agit plus d'éduquer, d'accompagner
dans la vie réelle et de favoriser ainsi l'accès à l'autonomie et à la
responsabilité par la confrontation aux échecs et aux succès, il s'agit
de les redresser. Pure illusion que de croire que la menace et la
contention favorisent l'évolution des adolescents, les aident à intégrer
les normes sociales et réparent des enfances fracassées.
Malheureusement, la PJJ est entrée dans ce mouvement depuis 1995. CER,
CPI et maintenant CEF ne proposent plus que des prises en charges
courtes à visée ré-éducative. Les notions de continuité éducative et de
temps nécessaire à l'accompagnement et à la maturation d'un jeune sont
regardées comme des concepts dépassés. Seule la réponse à l'acte posé
importe. Une sorte de zapping du redressement est en marche !
Vers un amalgame des missions respectives de la PJJ et de l'AP…
En milieu ouvert, le même processus est à l'œuvre depuis plusieurs
années. Les mesures de contrôle et de probation prennent une part de
plus en plus importante dans les CAE. Là encore, la menace devient le
seul ressort de l'action éducative. Les lois de
décentralisation vont encore accélérer ce phénomène en dépossédant la
PJJ des mesures éducatives au civil et en séparant artificiellement les
mineurs en danger des mineurs délinquants. Nouveau cap franchi avec la
loi Perben 2, qui attribue aux JE les fonctions de JAP, la PJJ devenant
de facto attributaire des mesures de suivi et d'aménagement de peines.
Le programme 2004-2007 en prévoyant la spécialisation des services de
milieu ouvert parachève le mouvement et ouvre la voie à la création de
véritables SPIP mineurs.
Recentrage des missions sur le pénal, le contrôle, la probation,
l'enfermement, décentralisation de l'action éducative…sont autant de
signes qui attestent d'un glissement progressif de nos missions vers
celles de la pénitentiaire. Celles-ci ne sauraient être amalgamées à
celles de l'administration pénitentiaire qui elle a vocation à réinsérer
les détenus qu'ils soient majeurs ou mineurs ce qui n'exclut pas un
travail en commun dans l'intérêt de ces derniers.
Toutes ces mesures, même si elles intègrent des approches pédagogiques
n'en mettent pas moins profondément en cause la finalité éducative de la
PJJ qui consiste à construire des réponses distinctes de la réponse
pénale en dehors de toute forme d'enfermement.
« Etre un vaurien vaut mieux que n'être rien »
( Fernand Deligny)
Au nom d'une spécialisation à laquelle elle est de plus en plus
renvoyée, la PJJ est sommée de prendre en charge uniquement les mineurs
délinquants, de les contenir au moyen de l'enfermement. C'est une visée
dangereuse car cette spécialisation risque de susciter chez ces mineurs
en quète d'identité un sentiment d'appartenance à la catégorie des
jeunes délinquants et de les voir endosser l'étiquette qu'on leur
attribue. La PJJ, privée du travail en partenariat et en réseaux se
transforme en ghetto pour les mineurs qui, du CPI à l'EPM en passant par
le CEF, voient leur possibilité de prise en charge s'appauvrir de plus
en plus.
Réagissons !
Nous pensons que ces orientations sont la conséquence de choix
idéologiques et politiques aux effets inefficaces et dangereux sur la
prise en charge des mineurs. C'est cette politique que nous combattons
et non pas les personnels qui travaillent dans ces structures et dans le
cadre de ces "nouvelles" missions. Lesquels, comme l'ensemble des
personnels de la PJJ, souhaitent œuvrer à la prise en charge éducative
des mineurs.
De même qu'une partie de la jeunesse se trouve désormais mise à l'écart,
les franges de la population les plus fragiles subissent aujourd'hui
différentes formes de pénalisation en lieu et place de l'aide à la
réinsertion et de l'accès aux droits fondamentaux (logement, santé,
emploi…). La place du travail social dans son ensemble est fortement
interrogée par ces orientations politiques, le contrôle des populations
se substituant à l'aide à l'intégration sociale.
C'est pourquoi :
Nous appelons les personnels à lutter au quotidien contre toutes ces
dispositions en faisant valoir chaque fois que c'est possible les
solutions éducatives et, parce que notre combat est lié à celui d'autres
secteurs du travail social, des droits et libertés, etc... nous appelons
les personnels à agir dans l'unité avec les partenaires institutionnels,
associatifs et syndicaux.
Le 9 septembre 2004 doit être un moment fort d'une lutte qui s'inscrit
nécessairement dans la durée. Nous devons nous faire entendre pour
défendre la primauté de l'éducatif pour tous les mineurs en difficulté.
NOUS APPELONS TOUTE LA POPULATION EN FRANCE A VENIR SE JOINDRE A NOUS, A
11 HEURES, LE JEUDI 9 SEPTEMBRE, AUX DIRECTIONS DE LA PJJ, POUR LUTTER
CONTRE CETTE POLITIQUE D'ENFERMEMENT DES MINEURS.
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Syndicat National des Personnels de l'Education Surveillée
Protection Judiciaire de la Jeunesse
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