(Le Monde @ 13 janvier 2006 a écrit :Le retour au rugby de Jonah Lomu après une greffe du rein inquiète le corps médical
Même les montagnes les plus imposantes ont leurs failles. Et une montagne de muscles comme le rugbyman néo-zélandais Jonah Lomu ne fait pas exception. Doté d'une puissance de percussion et d'une vitesse remarquables, l'ailier des All Blacks, dont la dernière sélection remonte à novembre 2002, a souffert pendant des années d'une maladie rénale, qui l'a amoindri au point de l'obliger à subir une transplantation de rein en juillet 2004.
Malgré la lourdeur de cette opération, le joueur se retrouve près de dix-huit mois plus tard dans les rangs des Cardiff Blues, qui reçoivent Perpignan, samedi 14 janvier, pour la cinquième journée de Coupe d'Europe. Ce retour à la compétition dans un sport de combat comme le rugby, où les chocs sont souvent violents, pose de nombreuses questions sur les risques encourus par le joueur, désireux de retrouver à tout prix le plus haut niveau, deux ans avant la prochaine Coupe du monde.
La transplantation d'un nouveau rein était devenue indispensable pour Jonah Lomu, car les dialyses successives le soulageaient de moins en moins. Mais le caractère exceptionnel du patient a conduit les médecins à opter pour une approche particulière. "Dans 90 % des cas, l'implantation d'un rein se fait dans la fosse iliaque, c'est-à-dire entre le nombril et l'aine, car les vaisseaux sanguins nécessaires à l'irrigation de l'organe y sont plus accessibles", explique Arnaud Méjean, chirurgien à l'hôpital Necker (service du professeur Dufour) et urologue référent du Stade français. Mais d'autres implantations sont possibles. Pour bien protéger l'organe transplanté, les chirurgiens qui ont opéré Lomu auraient décidé de placer le nouveau rein plus profondément, sous les côtes, peut-être même sur le site normal du rein, après avoir enlevé l'un des organes malades. Cette opération permet que le rein n'explose pas au premier plaquage, mais elle est aussi chirurgicalement plus difficile, car il faut alors éviter d'endommager les muscles et leurs nerfs.
TRAITEMENT À VIE
L'autre élément à prendre en compte pour tout transplanté, et particulièrement pour un sportif de haut niveau, tient au traitement médicamenteux postopératoire. Afin de minimiser les risques de rejet, Jonah Lomu doit suivre un traitement tout au long de sa vie, comme tous les transplantés. Ce traitement est plus ou moins lourd selon la compatibilité entre le donneur et le patient. Que le rein lui ait été donné par un volontaire vivant, et dont la compatibilité était favorable, joue en faveur de l'ancien All Black.
Outre le fait qu'ils demandent une autorisation médicale exceptionnelle pour raisons thérapeutiques accordées par les instances sportives, ces traitements ont des effets secondaires (fatigues et troubles), que les médecins doivent surveiller attentivement. "Les corticoïdes, qui font partie de cette panoplie médicamenteuse, fragilisent les tendons et les muscles, et retardent la cicatrisation", souligne Jacques Giordan, chi- rurgien et responsable médical du centre de formation du Montpellier Hérault Rugby Club. Les médicaments immunosuppresseurs visant à éviter le rejet augmentent également les risques d'infections et éventuellement de cancers, puisqu'ils diminuent les défenses de l'organisme.
Par ailleurs, le traitement postopératoire rend difficile le suivi des médicaments pris par l'athlète, compliquant notamment le contrôle antidopage. Le rein transplanté impose enfin au sportif de ne pas abuser de compléments alimentaires afin de ne pas surcharger le rein en protéines à éliminer.
Une fois ces contraintes prises en compte, et avec un bon encadrement médical, Arnaud Méjean estime que le retour au plus haut niveau ne pose pas de problème en termes d'effort. Les joueurs de Perpignan auront l'occasion d'en juger, au plus près, samedi à Cardiff.
Bertrand d'Armagnac