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[center]"En psychiatrie, l'obsession, c'est libérer les lits"[/center]
LE MONDE | 06.02.06 |
L'ancien asile n'est plus. Pour trouver l'hôpital psychiatrique Maison-Blanche, auparavant situé dans un grand parc arboré de Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis), il faut désormais pousser la porte d'une de ses nouvelles antennes hospitalières, délocalisées dans le nord-est de Paris. Au 129 de la rue d'Avron, à deux pas de la porte de Montreuil, près de 120 lits d'hospitalisation ont ouvert en septembre 2005, dans un bâtiment moderne et anonyme destiné aux patients du 20e arrondissement.
Ici, le changement de murs a induit une transformation des pratiques de soin, avec une prise en charge qui se veut plus rapide et efficace, représentative de l'orientation actuelle de la psychiatrie. "Aujourd'hui, en psychiatrie, nous n'avons qu'une obsession, c'est libérer les lits, explique le docteur Norbert Skurnik, chef de service du 28e secteur, qui occupe une aile de l'hôpital d'Avron. Auparavant, le soin de qualité, c'était prendre son temps avec le patient. Aujourd'hui, c'est faire de la place pour une hospitalisation la plus courte possible."
Comme la majorité des hôpitaux psychiatriques en France, Maison-Blanche est engagé dans une vaste restructuration, qui lui fait peu à peu quitter la périphérie de la capitale, où il s'était installé au début du XXe siècle, pour venir s'établir au plus près des patients parisiens. D'ici à la fin de l'année, près de 80 % de l'hôpital aura été délocalisé sur Paris, seuls les patients les plus lourds et les plus chroniques restant sur l'ancien site de Neuilly-sur-Marne.
Mais, avec le déménagement, l'hôpital a perdu en capacité d'hospitalisation, un nombre important de lits ayant été fermés à cette occasion. "Tout s'est passé comme si l'administration s'était emparée de la philosophie anti-asilaire et l'avait détournée pour faire des économies, dénonce le docteur Skurnik. Or nous ne pouvons pas faire de bonne psychiatrie sans moyens, notamment humains."
Pour l'équipe du docteur Skurnik, passée de 55 à 39 lits à l'occasion du déménagement, l'arrivée rue d'Avron a entraîné un réel bouleversement dans les pratiques professionnelles. Alors qu'auparavant, les patients étaient tous mélangés dans les grands pavillons, et ce quelles que soient leurs pathologies, l'établissement sépare aujourd'hui les patients les plus gravement atteints, hospitalisés dans une unité fermée, des personnes dont l'état est moins lourd ou s'est amélioré, dont les chambres occupent deux étages d'hospitalisation libre.
Cette nouvelle organisation permet à l'hôpital d'accueillir des personnes souffrant de troubles modérés, comme des épisodes dépressifs, des tentatives de suicide ou des problèmes d'alcoolisme, qui refusaient auparavant de venir sur le site de Neuilly-sur-Marne, jugé trop asilaire.
Pour ces patients, dès qu'une amélioration est obtenue, la sortie est envisagée. "La réduction des lits nous oblige à ramener les gens au plus vite chez eux, explique Valérie Pedro, cadre de santé. Pour la plupart des patients, c'est une bonne chose, d'autant qu'en se rapprochant d'eux, on entretient des liens plus étroits pour assurer un suivi après l'hospitalisation."
Ce nouveau mode d'organisation du soin n'est guère adapté, en revanche, aux cas les plus lourds, ainsi qu'aux gens en grande difficulté sociale. "Les personnes schizophrènes qui résistent au traitement, celles qui arpentent à grands pas les couloirs ou restent prostrées dans leur coin, ont beaucoup pâti du déménagement, car on les garde beaucoup moins qu'avant", affirme le docteur Bernard Castro.
Prenant en charge des populations souvent très pauvres, étrangers sans papiers ou personnes en errance, l'équipe soignante met en place des solutions d'hébergement extérieures, appartements ou chambres d'hôtels thérapeutiques.
Mais elle a peu de solutions pour les patients les plus désocialisés, qui sont conduits, eux aussi, à repartir au plus vite. "Ces gens-là font effectivement des allers-retours entre nous et l'extérieur, explique Mme Pedro. C'est le serpent qui se mord la queue, car quand ils retournent dans la rue, il y a un risque accru qu'ils décompensent à nouveau et qu'ils reviennent à l'hôpital."
Si l'hôpital est conduit à sortir au plus vite ses patients, alors qu'ils sont à peine stabilisés, on lui demande, à l'inverse, de garder le plus longtemps possible des personnes qui ont provoqué des troubles à l'ordre public. Rue d'Avron, c'est le cas d'un sans-domicile-fixe hongrois, qui arpente les couloirs en marmonnant dans sa langue natale et a été hospitalisé d'office, par le préfet, "alors qu'il faisait le clown place Saint-Sulpice". "C'est un psychotique chronique, il va bien, il répond bien au traitement, mais la préfecture refuse sa sortie, explique le docteur Andréa Tortelli. Pour nous, c'est un problème, car la délinquance est considérée de plus en plus comme une maladie qu'il faudrait traiter. Mais répondre au problème social, ce n'est pas notre métier."
"Nous sommes dans une contradiction permanente : on doit faire sortir les gens au plus vite, mais la société n'en veut pas s'ils ne sont pas stabilisés, renchérit le docteur Sara Bahadori. On nous demande de faire de la magie, en normativisant quelqu'un qui ne l'était pas au départ. Alors que ce n'est ni possible, ni même souhaitable..."
Cécile Prieur
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CHIFFRES
PATIENTS.
Les derniers chiffres disponibles remontent à 1999 : le service public psychiatrique prenait alors en charge plus de 1,1 million d'adultes et 415 000 enfants, en ambulatoire et/ou en hospitalisation.
Le nombre de patients a augmenté de 13 % entre 1989 et 1997 tandis que la durée de séjour a baissé de 86 à 52 jours, en moyenne.
CAPACITÉS D'HOSPITALISATION.
125 000 places d'hospitalisation ont été fermées entre 1970 et 2000, avec une accélération dans les années 1990.
En 2001, la France ne disposait plus que de 64 718 lits, dont 80 % dans le secteur public. La répartition des capacités d'hospitalisation est géographiquement inégale. Sur les 829 secteurs de psychiatrie générale (un secteur représente un bassin de population de 70 000 habitants), 2 % n'ont pas de lits, 38 % ont de 1 à 49 lits, 47 % ont de 50 à 99 lits et 11 % ont plus de 100 lits.