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[center]Après le "Clemenceau", des milliers de vieux navires devront être dépollués[/center]
LE MONDE | 10.02.06 |
Le sort de l'ancien porte-avions Clemenceau doit être tranché lundi 13 février. Si l'Inde accepte, en posant ses conditions, le démantèlement du navire sur son sol, le Clemenceau rejoindra son dernier port, la plage d'Alang. Si la France essuie un refus, l'ancien navire poursuivra son errance à la recherche d'un nouveau cimetière, à la grande satisfaction des associations de défense de l'environnement et des victimes de l'amiante, qui dénoncent les périls encourus par les "désamianteurs aux pieds nus".
Le Clemenceau focalise aujourd'hui l'attention, mais chaque année, des centaines de navires sont démantelés dans des conditions indignes. "Le problème n'est pas neuf, témoigne Paul Bailey à l'Organisation internationale du travail (OIT). Mais pour les autres navires, ça n'intéresse personne." Choisi comme symbole, le Clemenceau n'est pourtant guère représentatif car il a été partiellement désamianté en France. Même si les conditions de l'opération sont contestées, "il pourrait figurer parmi les navires les plus propres démantelés sur ces chantiers", relève Pierre Portas, au secrétariat de la convention de Bâle, l'instrument de régulation du transfert de déchets dangereux.
Autre spécificité : le Clem' est la propriété d'un Etat, contraint de rendre des comptes. "Si la France ne respecte pas les règles internationales sur les déchets dangereux, qui le fera ?", lance Martin Bésieux, de Greenpeace. Selon M. Portas, l'affaire permet en tout cas de "délivrer un bon message" sur la nécessaire dépollution des navires et d'"accélérer" les discussions internationales sur ce thème.
Il y a urgence. D'autres navires militaires attendent : une cinquantaine en France, une quarantaine en Grande-Bretagne, quelque 300 aux Etats-Unis. Auxquels s'ajoutent surtout 700 bâtiments commerciaux — pétroliers, vraquiers, paquebots — qui partent chaque année à la casse. Comme l'ex-France, qui fait désormais route vers les chantiers du Bangladesh, avec des centaines de tonnes d'amiante à son bord.
Le nombre de navires démantelés fluctue fortement en fonction de la demande de transports : les armateurs préfèrent continuer à exploiter leurs bateaux si les taux de fret sont élevés. Une explosion de la démolition est attendue dans les années à venir, en raison de la suppression progressive des pétroliers à simple coque. Le nombre de navires envoyés à la ferraille pourrait atteindre 1 500 par an au moins à partir de 2010.
DEMANDE D'ACIER
Aujourd'hui, la loi du marché est la seule en vigueur. L'armateur peut décider en quelques heures du sort de son bateau, en fonction du taux de fret, du coût d'entretien, du cours de l'acier. Les navires terminent là où la demande d'acier est la plus forte et le coût de la main-d'oeuvre faible : les plages d'Inde, du Bangladesh et du Pakistan dans la plupart des cas. Et ce sans schéma de dépollution : la mobilité des navires et le système des pavillons de complaisance permettent au monde maritime d'échapper aux règles qui s'imposent à terre.
Or tous les navires contiennent de nombreuses substances toxiques : amiante, mais aussi produits chlorés, métaux lourds, résidus d'hydrocarbures, solvants... Nombre de rapports officiels ont mis en évidence les risques encourus par les ouvriers, soumis au contact permanent de ces matières, aux explosions, aux accidents. De plus, les produits chimiques polluent le sol, l'eau, et empoisonnent la faune marine.
Les associations plaident donc en faveur d'une dépollution préalable, avant la démolition dans ces pays. Pour Paul Bailey cependant, "il apparaît difficile d'enlever toutes les matières dangereuses sans démanteler complètement le navire". La séparation des deux opérations est en général jugée "peu réaliste". De plus, relève Aage Bjorn Andersen, spécialiste de la gestion environnementale des bateaux, "le marché de l'acier ne se trouvant pas en Europe, cela a un sens de recycler les navires dans ces pays". Un million de personnes vivent de cette activité dans les pays concernés, selon l'OIT.
Dans les pays développés, les chantiers de démolition ont presque tous fermé, faute de rentabilité. Des chantiers présentant des conditions de travail et de respect de l'environnement satisfaisantes existent en Chine. Des installations pourraient être développées en Europe, mais les faire fonctionner supposerait d'y mettre le prix. En France, lors de l'appel d'offres pour le démantèlement du Clemenceau, une des principales entreprises de désamiantage avait proposé la création de cette filière sur les côtes françaises. Sans succès.
Gaëlle Dupont
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Des recommandations non appliquées
L'Organisation maritime internationale (OMI), la convention de Bâle et l'Organisation internationale du travail ont élaboré des recommandations pour améliorer les conditions de démolition des navires. La marche à suivre y est très détaillée, de la tenue des ouvriers à la nature des sols. Mais rien n'est appliqué. Le système facultatif du "passeport vert", où sont recensées les matières dangereuses présentes à bord, n'est pas entré dans les moeurs. Seuls quelques dizaines de bateaux appliquent cette recommandation à ce jour.
Au sein de l'OMI, la Norvège fut la première à pousser en faveur d'une réglementation contraignante. Rejointe par le Japon, l'Union européenne et les Etats-Unis, elle s'apprête à proposer un projet de convention. L'inventaire des substances dangereuses, la préparation des navires au recyclage, la certification et le contrôle des chantiers de démolition deviendraient obligatoires. "Il faut recueillir l'approbation à la fois des pays où le recyclage a lieu et des principaux Etats du pavillon (où sont immatriculés les navires), résume Sveinung Oftedal, conseiller au ministère de la mer norvégien, responsable de cette proposition. Le système doit être accepté par tous, afin d'être le moins contourné possible."
Dans le meilleur des cas, ce texte pourrait être adopté en 2008 ou en 2009, et entrer en vigueur après cinq ans. Mais son application resterait hypothétique car, si le recyclage doit leur coûter de l'argent, certains armateurs seront tentés d'abandonner leur navire.