Changer de société - Refaire de la sociologie

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par Louis » 26 Juil 2006, 23:34

Après la parole religieuse, la ville, le savoir scientifique, la nature, les microbes ou le Conseil d’Etat, Bruno Latour se penche aujourd’hui sur le concept de « social » dans Changer de société - Refaire de la sociologie. Il nous explique pourquoi les concepts cardinaux de la sociologie – et en premier lieu celui de « société » – nous empêchent de voir la réalité. Présupposant un collectif social déjà formé, la sociologie passerait à côté de ce qui rassemble un groupe, le compose et le décompose.
Combien sommes-nous ? Qu’est ce qui nous tient ensemble ? Qu’est-ce qu’une manifestation réussie ? La sociologie est-elle réactionnaire ? Le gulf stream, le virus et les coquilles Saint-Jacques sont-ils des acteurs sociaux ?

Dans ce livre, BL (avec son habituelle méthode provocatrice, livre une présentation de la méthode de la "sociologie de la traduction" (ou théorie de l'acteur réseau)

A l'origine, Callon et Latour s'intéressent aux conditions de production de la Science. Leur position épistémologique est radicale : ils rejettent les positions externalistes, rationalistes, la naturalisation (le réalisme), la sociologisation (le fait scientifique est la résultante des jeux de pouvoir) et la déconstruction (le relativisme naît de l'illusion du locuteur et des jeux de langage). En s'écartant de ces positions, ils veulent en finir avec les cloisonnements, et reconsidérer le fait scientifique et humain dans sa totalité. Ils s'inscrivent dès lors en porte à faux de ce découpage des situations qui conduit à séparer l'humain du non-humain, et conséquemment, l'économie de la sociologie.

A partir de cette base, Callon et Latour élaborent une théorie de la détermination du fait scientifique qui repose sur quelques notions principales :

* Le réseau. Le réseau est une « méta-organisation » rassemblant des humains et des non-humains mis en intermédiaires les uns avec les autres. La notion permet de fédérer des catégories comme celles de sphère d'activité, d'institution et d'organisation. Pour reconstituer le réseau à partir des éléments parcellaires qui sont déduits de l'observation, il faut éviter de découper les problèmes qui le concernent en tranche, pour au contraire, chaîner toutes les entités qui y participent.
* La traduction. Cette mise en relation, ce chaînage doit s'accompagner d'une opération de traduction. Elle consiste à relier des énoncés et des enjeux a priori incommensurables et sans commune mesure. Elle établit un lien entre des activités hétérogènes et rend le réseau intelligible. Cette reconstitution du réseau passe par l'analyse des controverses.
* La controverse. C'est par la controverse que s'élaborent les faits. En effet, la controverse précède toujours l'émergence d'un énoncé scientifique et d'une innovation ; en l'étudiant, on peut donc percer le processus qui permet au fait de se construire. En choisissant de se pencher sur les conditions sociales ayant permis au fait de se stabiliser, Latour et Callon renverse l'ordre de la compréhension. Si le fait se stabilise, ce n'est pas du fait de l'état de la nature mais à cause de l'accord sur le fait.
* L'entre-définition. La notion d'entre-définition renvoie à une sorte de dialectique qui s'instaure entre le fait et le réseau. Le fait est donné par le réseau qui le porte, lequel n'existe que par le fait autour duquel il se forme. Et par suite, la robustesse du fait dépend de l'irréversibilité du réseau, elle même liée au degré d'ancrage du fait. Une fois le réseau constitué autour du fait, le fait gagne en réalité.
* Le principe de symétrie. Le principe de symétrie est double (ou généralisé) : d'une part, le sociologue de la traduction doit apporter une importance égale aux sujets et aux objets (ou aux humains et non-humains), d'autre part, il doit en outre étudier le processus de production à travers les controverses qui l'anime, donc aussi bien à travers les échecs que les réussites scientifiques (ce point renvoie au principe de symétrie de Barry Barnes et David Bloor (1976)). Ceci oblige l'épistémologue à ne pas tracer de frontières trop nette entre la science et la non-science, la science n'est pas vierge de tout mythe et l'état de la controverse peut être momentanément défavorable à un fait qui s'avèrera scientifique par la suite.


Méthode

A partir de ces concepts, Latour et Callon proposent une méthode pour traduire un réseau et tenter de le modifier. Cette méthode est très utile en sociologie des organisations. Elle se fait en dix étapes :

* L'analyse du contexte. Elle revient à une analyse des actants en présence, de leurs intérêts, de leurs enjeux et de leur degré de convergence. On doit introduire dans cette analyse l'ensemble des non humains.
* La problématisation du traducteur. C'est une opération de repérage indispensable à toute action de changement consistant à faire la part dans une situation de ce qui unit et de ce qui sépare. Ce qui conduit à la formulation d'une interrogation qui réunit les acteurs concernés, et à faire passer chaque entité d'un contexte d'une position singulière à travers une acceptation de coopération, c'est à dire en fait à la constitution d'un réseau. Cette problématisation ne peut être assurée que par un traducteur dont le rôle est accepté par les protagonistes du réseau, et ceci d'autant plus que la problématisation est le fruit d'un travail collectif. « Si l'apprenti traducteur s'exprime d'un lieu illégitime aux yeux des autres actants de la situation alors c'est moins la qualité de ce qui sera que lieu d'où elle sera formulé qui importera. On a là une confirmation de l'absence d'essence d'un fait comme énoncé ; sa qualité n'est pas dans son contenu mais dans son processus d'énonciation ou de production. »
* Le point de passage obligé et la convergence. C'est un lieu (physique, géographique, institutionnel) ou un énoncé qui se révèle être incontournable.
* Les porte-paroles. Les négociations qui vont s'instituer auront lieu entre chaque porte-parole de chacune des entités de la situation. En fait, le micro-réseau ne s'agrandira que si les entités qui le composent parviennent à se diffuser. Toutes les entités humaines et non-humaines doivent être représentées dans les espaces de négociation à partir desquels les réseaux s'élaborent. Les porte-paroles rendent alors possible la prise de parole et l'action concertée.
* Les investissements de forme. Cette notion, développée à l'origine par les économistes Fraçois Eymard-Duvernay et Laurent Thévenot, qui contribuèrent à la naissance de l'[économie des conventions] désigne le travail des acteurs-traducteurs pour substituer à des entités nombreuses et difficilement manipulables un ensemble d'intermédiaires, moins nombreux, plus homogènes et plus faciles à maîtriser et à contrôler. Les investissements de forme réduisent donc la complexité, ils la rendent saisissables.
* Les intermédiaires. Les investissements de forme fonctionnent en produisant des intermédiaires, c'est à dire tout ce qui circule entre les différentes entités de la situation. Ces intermédiaires permettront de cimenter le réseau.
* Enrôlement et mobilisation. Enrôler signifie affecter aux membres du réseau une tâche précise qui les rend acteurs essentiels dans le devenir du réseau. La mobilisation, consiste alors dans leur implication dans l'action, dans la consolidation du réseau. Elle permet de trouver du sens et de l'intérêt à l'élaboration du réseau. Les actants construisent donc leur rôle dans une sorte de division des tâches qui permet de consolider le réseau et d'enraciner ceux qui, le consolidant, se lient à lui.
* Rallongement et irréversibilité. Rallonger le réseau est une condition de la solidité de celui-ci. Pour ce faire, on multiplie les entités qui composent le réseau, en allant du centre à la périphérie. Ainsi, le noyau, autour duquel ont été rassemblé des sujets porteurs d'un projet et des objets grâce à une opération de traduction, doit pour être solidifié recevoir des entités nouvelles. Mais n'y a-t-il pas un risque de dispersion qui fragiliserait le réseau ? Pour éviter ce risque, il faut remplir deux conditions, la vigilance et la transparence.
* La vigilance. L'attention aux choses, à leur propension, à la manière dont s'articulent les réseaux est décisive. En sociologie, le thème de la vigilance a plutôt été travaillé par des chercheurs comme Francis Chateauraynaud et Didier Torny dans leur ouvrage intitulé Les Sombres précurseurs (1999), qui examine précisément, à travers le cas de la vache folle les risques d'un monde en réseaux.
* La transparence. La transparence doit être permanente dans la phase d'éparpillement du réseau, car c'est elle qui permet qu'une confiance s'instaure entre les actants.
Louis
 
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Message par Gaby » 27 Juil 2006, 00:40

:06:
Gaby
 
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Message par Louis » 27 Juil 2006, 08:00

:D
Louis
 
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Message par Matrok » 27 Juil 2006, 19:52

a écrit :A l'origine, Callon et Latour s'intéressent aux conditions de production de la Science. Blablablablabla....


En résumé : Latour essaie d'expliquer la "production de la science" en excluant d'office le fait que les scientifiques tentent d'exliquer ou de modéliser le réel, et comparent leurs prédictions à l'expérience.

En caricaturant un peu, Latour pense pouvoir expliquer que dans la théorie de la gravitation de Newton la force d'attraction mutuelle de deux corps varie en raison inverse du carré de leur distance... uniquement par des considérations sociales, et non pas (surtout pas !) parce que ça représente bien le réel !

Encore une fois (combien de fois n'aura-t-on pas conseillé ce livre), Sokal et Bricmont ont réglé leur compte aux délires de Latour dans leur excellent bouquin Impostures intellectuelles. Mais on se demande à quoi ça sert, les bêtises d'un Latour ne méritent même pas qu'on s'y arrête.
Matrok
 
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Message par Louis » 27 Juil 2006, 20:44

sauf que tu n'as a priori rien lu de latour qui dit EXPLICITEMENT le contraire de ce que prétend bricmond et sokal (dont je me demande s'il l'ont lu eux meme ) : non, la "science" n'est pas une "convention" sociale, n'est pas un arrangement de texte; etc ¨Par contre, latour s'interesse a quelque chose de précis et de compliqué a la fois : quand la science rencontre le politique, la religion, etc

Personnelement, je ne remercierais jamais assez bricmont et sokal qui m'ont poussé a LIRE latour : Milles merci !
Louis
 
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Message par Louis » 27 Juil 2006, 20:45

Par contre, c'est des sales cons : ils m'ont aussi quasi obligé a lire lacan Pffffffffuit ! :headonwall:
Louis
 
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Message par Matrok » 27 Juil 2006, 21:18

(LouisChristianRené @ jeudi 27 juillet 2006 à 21:44 a écrit : sauf que tu n'as a priori rien lu de latour qui dit EXPLICITEMENT le contraire de ce que prétend bricmond et sokal (dont je me demande s'il l'ont lu eux meme ) : non, la "science" n'est pas une "convention" sociale, n'est pas un arrangement de texte; etc ¨Par contre, latour s'interesse a quelque chose de précis et de compliqué a la fois : quand la science rencontre le politique, la religion, etc

Personnelement, je ne remercierais jamais assez bricmont et sokal qui m'ont poussé a LIRE latour : Milles merci !

Que veux tu, lorsque je lis chez Bricmont/Sokal les extraits catastrophiques de Latour qu'ils citent, ça ne me pousse pas à approfondir l'expérience. Donc non en effet, je n'ai pas lu Latour et je m'en passe très bien. En revanche que des rigolos dans le genre de Latour viennent m'expliquer ce que c'est que la construction de la science alors que c'est quelque chose que je vis tous les jours au labo, ça me fout en rogne.

Bon, passons à ce que tu écrit au sujet de Latour :

a écrit :Callon et Latour élaborent une théorie de la détermination du fait scientifique qui repose sur quelques notions principales :

* Le réseau. (...)
* La traduction. (...)
* La controverse. (...)
* L'entre-définition. (...)
* Le principe de symétrie. (...)


J'ai snippé volontairement les "définitions" qu'on pourra lire ci-dessus. Cette énumération des notions principales de la "théorie de la détermination du fait scientifique" de Latour et Callon nous montre bien que pour eux, le "fait scientifique" n'est pas déterminé par l'expérience mais uniquement par des relations sociales entre les scientifiques. Ben oui, Bricmont et Sokal n'ont pas inventé ça, ça serait trop gros.

Maintenant si on jette un coup d'oeil aux définitions que j'ai snippées, on constate une confusion entre fait et théorie. Ce n'est pas une maladresse, c'est voulu. Pour Latour, les "faits" ne sont qu'une construction du "réseau" des scientifiques. Ils n'ont pas d'existence en dehors de celui-ci, et même je cite : "Si le fait se stabilise, ce n'est pas du fait de l'état de la nature mais à cause de l'accord sur le fait." Tout ça n'est somme toute qu'une n-ième resucée de relativisme.

Bon, je m'arrête là, le commentaire de Gaby était meilleur que le mien.
Matrok
 
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Message par Louis » 27 Juil 2006, 21:34

a écrit :En revanche que des rigolos dans le genre de Latour viennent m'expliquer ce que c'est que la construction de la science alors que c'est quelque chose que je vis tous les jours au labo, ça me fout en rogne.

C'est une expérience que l'on vit chaque jours, tous ! Vis a vis des sociologues ou des ethnologues, mais plus généralement de tous ceux qui veulent "scientiser" notre "terrain" (qu'on connait bien, sans doute plus que le "scientifique" en question") Et justement face a ça, latour a la bonne réponse il me semble : celui d'écouter ! Il le dit clairement dans son dernier ouvrage "quand les scientifiques nous REPROCHENT" nos recherches, et ce qu'elles sigfnifient, peut etre y as t il une "part de vrai" la dedans" Et a partir du momment ou ce sont les chercheurs qui nous disent ça, peut etre faut il savoir regarder dans les autres sphréres (travailleurs, etc)
Louis
 
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Message par satanas » 27 Juil 2006, 22:04

(LouisChristianRené @ jeudi 27 juillet 2006 à 21:45 a écrit : Par contre, c'est des sales cons : ils m'ont aussi quasi obligé a lire lacan Pffffffffuit ! ;)
satanas
 
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Message par Louis » 27 Juil 2006, 22:31

un ane, non Mais quand on veut rentrer dans une controverse de façon sinon scienfitique, du moins "rationnelle", cela impose de regarder (et dans ce cas, de lire) l'ensemble des éléments , non ??? Le probleme c'est que c'est impossible de rentrer dans les textes de latour qui posent probleme quand on ne dispose pas d'une BU (bibliotheque universitaire) dans la mesure ou Latour a reformulé le SEUL texte que bricmond sokal ne lui reproche...
Louis
 
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